lundi 3 août 2009

Rencontre avec une drôle de dame *** 1/2


On continue notre périple littéraire estival en feuilletant des livres qui titillent notre curiosité. On les met de côté, on les reprend, on les rejette ou bien on s'arrête à une quatrième de couverture qui nous interpelle. Profitant d'une journée pluvieuse, on paresse davantage, on tourne lentement les pages ; une histoire se dessine, des personnages s'incarnent. Finalement, on s'est laissé captiver par Stacey MacAintra, l'attachante dame du troisième roman de Margaret Laurence, Ta maison est en feu.

Pour éviter que le temps au cours duquel se déroule le roman propage un air démodé, reportons-nous sans tarder aux années soixante, époque où la condition féminine laissait à désirer. Parmi tant de femmes frustrées, on a repéré Stacey Cameron qui habite près de Vancouver. Elle est mariée à Mac MacAintra, fils de pasteur, représentant en encyclopédies puis en vitamines. Il a suffi qu'un matin, elle fredonne une « comptine stupide » à sa fille de deux ans pour mesurer l'insipidité aliénante de son existence. Depuis quinze ans, épouse dévouée, mère de quatre enfants, elle fustige Dieu de ne pas avoir fait d'elle une femme différente. Fille de la prairie, Stacey se souvient combien elle aimait danser, combien ses rêves amplifiés par le désir de quitter sa petite ville, l'avaient encouragée à fuir une mère castratrice, une sœur célibataire, Rachel. Hélas, son escapade vers la liberté s'était interrompue dans les bras de Mac. Il avait abandonné ses études pour subvenir aux nécessités de sa famille grandissante. Stacey se rend compte que sa maison, illusion du bonheur qu'elle recherchait, ne correspond en rien aux espoirs qui la berçaient quand, jeune fille avide, elle imaginait une existence indépendante et accomplie. Comment se dépêtrer de l'angoisse qui l'étreint lorsqu'un mari rentre tard, refuse de parler tellement il est exténué ? Et qu'il s'attend à être servi ? Comment s'octroyer une heure à soi quand les enfants se chamaillent à longueur de journée et que la petite dernière ne va pas encore à l'école ?

Pourtant, le parcours de Stacey diffère peu de celui de beaucoup de femmes mariées et mères de famille. Pendant que le mari travaille, chacune s'organise une vie en apparence exemplaire. Stacey, brûlant de faire l'amour avec des hommes autres que le sien, se trouvera un amant, lequel aura la prudence de rompre avant que le feu, incendiant le cœur de sa maîtresse, ne crée un douloureux malentendu, alors que tous deux se sont menti sur leur âge. De prévisibles événements interviennent au fil de la vie familiale : Katie, l'aînée des filles, entre dans l'adolescence ; les deux garçons deviennent de plus en plus turbulents, Jennifer commence à parler. Et le mari, doutant de sa profession, se rapproche timidement de sa femme. Scènes de jalousie, quand il apprend qu'elle s'est attardée un soir chez Buckle Fennick, camionneur, « prince de la route ». Mondanités burlesques chez le patron de Mac qui s'avère un imposteur... Autant de tableaux vivants provoquant des sourires tant l'humour fait rage dans la tête de Stacey ; refusant de trop se questionner sur son rôle d'épouse révoltée, de mère envahissante, elle ingurgite des gin tonics et morigène Dieu en de savoureux dialogues désopilants.

L'histoire de Stacey MacAintra bat son plein, pendant que Rachel Cameron, institutrice à Manawaka, subit les manipulations maternelles. Margaret Laurence a fait de Rachel le personnage central de son deuxième roman, Une divine plaisanterie. C'est de ce passé dont se sert Stacey — et qu'elle exalte — pour survivre, jusqu'au jour où elle reçoit une lettre de sa sœur l'avertissant du déménagement de leur mère et elle à Vancouver. On devine que le clan familial se resserre autour de Stacey mais qu'au moindre geste intempestif, à la moindre parole aboyée, il risque d'exploser. Stacey ne se résigne pas, elle s'adapte aux circonstances gouvernant sa vie et dont elle dépend.

Troisième volet du cycle de Manawaka, Ta maison est en feu, roman paru il y a quarante ans, surprend par sa magistrale modernité ; le style et le ton, telle une œuvre rare, ne font pas douter de la signature de l'auteure. Les conversations intérieures de Stacey MacAintra avec Dieu, qu'elle ramène à un personnage ordinaire, rappellent les incessants bougonnements de Hagar Shipley, première figure féminine créée par Margaret Laurence dans L'Ange de pierre.

Clins d'œil rapides aux deux titres précédents, résumant l'admiration fascinante que nous a procurée la lecture du troisième titre.


Ta maison est en feu
, Margaret Laurence
Traduction Florence Lévy-Paolini
Éditions Alto/Éditions Nota bene, Québec, 2009, 440 pages