lundi 4 janvier 2010

Un amour en suspens *** 1/2


Malgré la neige et le froid, on demeure optimiste. Temps bienheureux pour la lecture, en attendant que le fond de l'air exhale une bouffée printanière ! Que les jours rallongent suffisamment pour oublier les intempéries hivernales. Quelques livres de la saison automnale nous tenant compagnie, pourquoi ne pas commencer l'année nouvelle avec l'un d'eux ? Le roman, La garçonnière, de Mylène Bouchard mérite qu'on lui accorde notre attention.

Ils ont fait connaissance au cégep du Vieux-Montréal. Ils se prénomment Hubert et Mara. Elle est née à Noranda, lui à Péribonka. Ils se sont plu tout de suite, ne peuvent vivre l'un sans l'autre. Doivent avoir dix-sept ans. Durant des vacances d'été, Mara rejoindra Hubert à Péribonka. Rendez-vous pris avec des amis au bord d'un lac. Nuits étoilées, sacs de couchage. Montagnes à l'horizon. Tous deux imaginent et inventent des rails, des chemins de fer reliant leur contrée respective ; raccordant la rue Maisonneuve à la rue Saint-Viateur, là où ils résident à Montréal. Ils songent à l'avenir, ignorant d'inévitables « accidents de parcours ». Ils fréquentent les cafés du Mile-End, en font leurs lieux privilégiés, les points particuliers des événements qui les rapprochent ou qui, plus tard, les sépareront. Lui est photographe, elle, animatrice à la radio. Il est amoureux fou de sa  « Reine Mara ». Elle est davantage préoccupée par son indépendance, qu'elle ne veut pas encombrer d'un amour qu'elle juge purement physique. Un amour platonique lui suffit, croit-elle. Il y aura un torrent de lettres déversées par Hubert, un étouffement ressenti par Mara, une rupture définitive puis des rencontres fortuites, avant de s'exiler, lui à Prague, elle à Beyrouth. Éloignement n'aboutissant qu'à une inextinguible amertume. 

Dix-sept ans se sont écoulés, Hubert a pris femme, a fondé une famille. Mara mène une vie solitaire, incomplète, consacrée à son travail d'animatrice reconnue. Lui est devenu célèbre grâce à deux romans qui « avaient fait grand bruit au Québec, et ailleurs dans la francophonie. » Obsédés l'un par l'autre, ils se retrouveront à Beyrouth dans un café, Hubert ayant été invité au Salon du livre à « prononcer une conférence sur l'intertextualité [...] ». Des torpeurs les secouent, ils ne savent se raconter, ni n'éprouvent le désir de trop parler. Hubert proposera à Mara de faire une virée à Maameltein, « quartier un peu plus loin sur la côte, dans la baie de Jounieh [...] ». Et là, s'isolant de la foule, ils loueront une garçonnière. « La plus éloignée de toutes. » Pendant une semaine, ils s'aimeront désespérément, « un amour se consumait vraisemblablement. » « Puis, l'instant fatidique » où Hubert annonce à Mara qu'il doit rentrer à Prague. « À son départ de Beyrouth, c'était la dernière fois qu'ils se voyaient. » Pourtant, une autre fois se présentera qu'Hubert repoussera « froidement », rappelant à sa compagne « le délire épistolaire qui avait, aussi, assommé leur liaison, à l'époque. »

On pourrait épiloguer indéfiniment sur ce roman foisonnant de réflexions se rapportant au cinéma, à la littérature. De William Skakespeare à Milan Kundera, du poète et chanteur Richard Desjardins au cinéaste Peter Greenaway, l'aventure périlleuse de Mara et d'Hubert se nourrit de références spécifiques à l'amour, à l'éternité qu'il devrait représenter entre deux êtres assortis. Amour impossible, malmené par les réticences de Mara, qui refuse de se laisser aller à la passion étouffante d'Hubert. Quoi de plus culpabilisant que les interdits rongeant le cœur d'une femme et d'un homme faits l'un pour l'autre ? Le temps qui a passé sur Hubert et Mara nous est exposé comme un avertissement, nous exhortant à ne pas gâcher les sentiments que la vie ne distribue peut-être qu'à ceux et celles aptes à les cultiver, telle une fleur rare, à les ciseler, tel un diamant brut.

Histoire d'amour malheureuse, qui aurait pu sombrer dans le pathos et la banalité, si Mylène Bouchard, douée d'un talent percutant, n'avait su la maîtriser. L'écriture, ample et intelligente, fusionne avec une narration descriptive et psychologique ; les dialogues incisifs, presque tranchants, s'épurent de tout superflu, acheminant le lecteur vers l'essentiel de ce qui se trame à vie entre Hubert et Mara. La structure du roman, édifiée parfois comme un scénario, renforce les paysages et les personnages s'amalgamant avec eux. Jusqu'à la fin de leur troublante et grinçante histoire, Hubert et Mara rendront grâce aux lieux propices qui les ont vus grandir, enfin, devenir adultes. Un homme et une femme vieillissants. La boucle sera dénouée par Mara dans une lettre ultime qui, elle en est certaine, contiendra les seules et véritables paroles amoureuses qu'elle aura adressées à Hubert. Paraphrasant Shakespeare, si cher à l'auteure, the rest is silence...


La garçonnière, Mylène Bouchard
La Peuplade, Saint-Fulgence, 2009, 200 pages.