En réponse aux abonnés-es de Ma page littéraire, qui nous ont écrit. Pour contrer les agissements d'une personne qui, depuis des mois, nous harcèle en ne cessant de s'abonner à notre blogue et de se désabonner selon ses humeurs, on a préféré supprimer cette liste. On s'en excuse vivement. On a lu le roman de Hélène Rompré, Novembre veut ma peau.
Qu'ont en commun deux jeunes femmes de vingt et un ans ? L'une s'appelle Carmen, l'autre Mathilde. L'une est belle, l'autre pas. La première tourbillonne, prend le risque de se brûler les ailes, la deuxième est contrainte à une discipline rigoureuse en vigueur dans son milieu bourgeois. Deux jeunes femmes, qui auraient pu être amies intimes si elles n'étaient pas nées à plus d'un siècle de distance. Mathilde vit en 1875, elle est fille unique de parents à peu près ruinés, sa mère veut la marier à tout prix, au meilleur prétendant qui se présentera. N'importe l'amour, Mathilde doit sauver l'honneur financier de la famille. Carmen se débat en 2012 entre ses amants, son colocataire, l'université. Elle a pris la décision de se refaire une vertu alors que Mathilde souhaite perdre la sienne ! Toutes les deux font des rêves propres à leur siècle en marche. Femme libérée, Carmen réclame plus de chaleur aux hommes qu'elle fréquente, plus de complicité, moins de... elle ne sait plus très bien où elle en est. Au siècle de Mathilde, ce n'est pas simple d'échapper à une mère envahissante, qui n'a de tendresse que pour l'image de sa fille enfin casée. Heureusement, il y a Armande, vieille servante au " grand cœur ", qui aime et protège Mathilde. Au grand dam de sa mère, sa fille passe trop de temps dans la cuisine avec elle. On n'a pas mentionné que la jeune fille est gourmande, elle adore confectionner des desserts. Elle déteste les bals, s'y sent gauche, inutile. Pourtant, un jeune homme la remarquera, un dénommé Jean Dupossible sur qui la mère jette son dévolu, un très bon parti pour sa fille rêveuse. Mathilde n'a qu'une amie, Madélie, sœur aînée d'une nombreuse fratrie, promise à un avenir sombre. Contre toute attente, un homme d'âge mûr, anglophone protestant, se présente et l'épouse rapidement, défiant les convenances. Mathilde en est ébranlée. En 2012, Carmen, sur les conseils impératifs d'Aurélie, sa meilleure amie, fait la connaissance d'Arthur, étudiant en philosophie avec qui elle partagera de savoureuses expériences pendant que Mathilde s'éprend de Liam, pauvre et délicat, qui donne des cours particuliers de philosophie et d'histoire. Ces femmes à l'esprit moderne, que moult similitudes rapprochent, concluront-elles une union prospère? Carmen n'épousera pas Arthur, Mathilde n'épousera ni Jean Dupossible, ni Liam. Elles voyageront à travers le temps, Mathilde envoyant, de son siècle entravé, un clin d'œil surprenant à Carmen.
Une fois le livre refermé, que reste-t-il des mésaventures de Mathilde et de Carmen ? Un joyeux plaisir de lecture, ce qui n'est pas rien. Sous des abords légers, on a décelé les intentions de l'auteure : nous rappeler le lot insupportable des femmes qui languissaient à l'époque de Mathilde, en même temps que les conditions astreignantes d'une société constamment influencée par les lois du qu'en-dira-t-on. Armande, la vieille servante lucide, témoigne à voix haute de sa désapprobation envers une certaine classe, représentée par les parents de sa protégée. La scène sexuelle entre son fils Pierrot, charbonnier, et Mathilde, est hilarante, combien révélatrice. Est-il vrai que nous nous trompons parfois de siècle ? Cela est moins sûr. Mathilde et son amie Madélie ont été nécessaires à l'avancée libertaire de Carmen, délurée blasée en 2012.
On a lu ce roman avec bonheur. Tant pis si quelques grincements de dents nous ont obligée à réfléchir sur l'heureux hasard qui nous a vue naître loin d'obligations surannées. Tout est dit dans des dialogues dynamiques, efficaces. Hélène Rompré s'attarde peu sur des considérations philosophiques, sur des propos moralistes. Ici, les truismes ne se faufilent que durant un mois de novembre froid, imprévisible.
Novembre veut ma peau, Hélène Rompré
Éditions Pierre Tisseyre, Montréal, 2013, 206 pages