On aime la campagne, la mer, la montagne. On est contente d'y séjourner, d'assister au grand déploiement de la nature, de rêver à la découverte improbable de nouveaux continents, de contempler le ciel étoilé s'étalant au sommet des montagnes. Mais on préférera toujours la ville, ses odeurs toxiques, ses bruits assourdissants, son agitation fébrile. Manifestations vitales desquelles on ne se lasse pas. On a lu le récit de Pierre Lussier, Promenade dans les pensées d'un peintre.
Au cours d'une randonnée pédestre proposée par l'artiste peintre, on s'attardera sur certains paysages campagnards transmués en mots poétiques par l'écrivain. Tant d'esthétisme enrobe la peinture des siècles passés, qu'il titille notre imaginaire, stimule notre curiosité intellectuelle. Il est question dans ces deux cent trente-cinq strophes, composées telle une aubade, de faire corps et âme avec la nature qui alimente tous nos sens, de la considérer comme un idéal, celui qui nous rapproche de l'infini. Le temps ne semble pas compter pour l'artiste, il médite dans des sentiers fleuris du mois d'août, dans ceux figés du froid de l'hiver. Nous avons l'impression étourdissante d'entrer dans des univers abolis, qui ne permettent plus de contempler l'eau bondissante et joyeuse de l'été, le ploiement d'une branche alourdie par la neige. Pourtant, l'artiste peintre proteste, nous devons « parvenir au delà du mur des apparences », assure-t-il, observer le ciel, plus loin nous attend un tableau. Faire confiance à l'inspiration qui se nourrit librement, éloigner le statique, ne pas rechercher des cibles, des buts définitifs. Avant tout, nous devons nous infiltrer entièrement dans le sujet, comme un écrivain revêt la peau de l'un de ses personnages. D'où revenons-nous ? Qu'avons-nous traversé au cours d'une promenade où nous avons vu le ciel s'assombrir, les arbres gauchir sous la force implacable du vent, annonçant un orage ? Le pas se fait incertain, le corps oscille, courbé vers l'avant. Nous nous heurtons à la fragilité de l'être imparfait, celui nanti de certitudes, celui aveuglé par sa volition, alors qu'il devrait s'en tenir à la générosité de la vision qui, elle, l'élève dans un état exaltant, confirme que la peinture est vivante.
La pensée picturale de Pierre Lussier est sertie, pourrait-on avancer, des couleurs de tous les peintres d'antan. De leur génie, ils ont borné des espaces-temps, qu'avec délectation l'écrivain-poète cite, ne pouvant nier leur influence. Vinci, Rubens, Turner, Le Lorrain. Des peintres de la Renaissance, il a tout appris au point de regretter des « copies » inexistantes, « apprentissage irremplaçable ». Botticelli, Piero Della Francesca, Michel-Ange. Marchant sciemment dans les pas du maître, nous ne laissons aucune trace, nous entendons que nous n'inventons pas la beauté, « c'est elle qui nous surprend. » Que l'homme est un. Étonnée, on se questionne : L'homme n'est-il pas multiple ? Le narrateur nous incite à flâner sans but précis en quête d'images qui dansent, elles ont tant à nous dire. Dans ces réflexions qui sollicitent l'attention du lecteur, il est aussi question de la solitude, du sacré et du profane, de la lumière. L'essayiste Jean Bédard, qui a écrit la préface, ne s'y trompe pas en mentionnant Christian Bobin, le récit de Pierre Lussier s'inscrivant dans une sorte de naïveté désarmante, semblable aux paysages qu'il peint, expose avec succès. Des évidences révélant le comportement humain reflètent une âme d'enfant ou, mieux, une bonté puérile peut-être acquise au contact permanent de la nature. Celle-ci serait-elle l'antidote anesthésiant tous nos maux, nous désunissant du reste de la terre, ce qui deviendrait le symbole inquiétant d'un bonheur presque insoutenable ?
Discours de la peinture agréable à lire, Pierre Lussier, artiste peintre, clame un désir de vivre transcendant l'homme qu'il est. « L'homme est debout dans son corps d'ange. » Interrogeant son âme à propos d'un paysage « qui fait battre mon cœur si fort. » Certes, le ciel se propulse, la terre est amie, mais ce langage parfois désincarné nous a paru éloigné du monde dans lequel on vit. Il nous est impossible de le regarder autrement qu'avec des yeux remplis de tous les doutes que nos semblables y sèment dangereusement.
Quinze dessins originaux de l'auteur illustrent son livre.
Promenade dans les pensées d'un peintre, Pierre Lussier
Éditions Fides, Montréal, 2014, 192 pages