mardi 14 octobre 2014

Des fils invisibles ****

La personne, une femme, qui bidouille notre page personnelle et qui se figure qu'on est dupe. Si cette personne réalisait à quel degré on la méprise, elle s'occuperait de choses plus valorisantes. Mais pour elle, toutes les manières sont bonnes pour essayer d'attirer notre regard indifférent. On a lu le recueil de nouvelles de Sylvie Massicotte, Avant d'éteindre.

On pourrait résumer ces vingt-quatre nouvelles en quelques lignes, les enjolivant de balbutiements, de voix basses, d'yeux ouverts sur nos mondes intimes, ceux qui parfois nous font rencontrer des êtres empreints d'une profonde tendresse et qui n'osent la dire. Pudeur mais aussi nécessité de se taire face à l'incompréhension de nos semblables. Avec une discrétion qu'on lui connaît, Sylvie Massicotte a regroupé divers textes, comme elle aurait rassemblé autour d'elle des personnes aimées. Elle nous  présente ses personnages en les situant au centre d'anecdotes qui les auraient blessés à un moment précis de leur vie. Blessure de l'un, maladresse de l'autre, on s'attarde au texte L'arbre invisible. Une mère frustrée sème sur le chemin de son fils, devenu jeune adulte, des indices révélant un père inexistant. Il est l'homme invisible, l'homme absent qui ne peut se défendre. Tu m'avais dit que tu téléphonerais, le soulagement d'une jeune femme qui attend l'appel de son amant désinvolte et qui, le recevant, ferme son cellulaire. Plus loin, Le porte-bijoux, un père, veuf inconsolable, offre à ses deux grandes filles, des bijoux que leur mère portait. Mais il y a une « petite boucle rouge » tellement dérangeante, débordante de souvenirs, qu'il vaut mieux détourner le regard vers la fenêtre. Dehors, des arbres marqués d'un ruban rouge seront abattus, ils encombrent le paysage. On a aimé Resto-bar des îles. Une mère encore séjourne avec son jeune fils, Félix, dans un village perdu au bord du fleuve. Pour dissiper l'ennui que Félix éprouve loin de ses amis d'école, elle l'emmène manger des frites dans un restaurant quelconque, autrefois dirigé par un ancien amant qu'elle a profondément aimé. Face à la mer, elle s'interroge : est-ce lui le père de l'enfant ? Semblable à la nostalgie de cette femme, son doute est constamment entravé par les allées et venues de la serveuse qui apporte enfin les frites à Félix. Le trophée ou les retrouvailles à Calgary de deux anciens collègues de travail. Jim accueille Antoine dans sa maison, lui présente les photos et les objets rapportés de ses voyages. Des trophées, pense Antoine, qui s'étonne de sa réflexion. Lui-même n'a-t-il pas rapporté des souvenirs de différents pays qu'il a visités ? Entre les deux hommes, aucune complicité, aucun désir de se confier. Seule, la politesse évoque une hôtesse parfaite. Peu à peu, au cours du repas, se dévoilent les intentions de Jim. Un trophée de chasse auquel Antoine veut échapper à tout prix.

En filigrane, s'amorcent des amours anxieuses, des oublis irrémissibles. La femme amère et souriante de la nouvelle Dans le ciel bleu d'automne se promène avec un homme qu'elle a aimé, qu'elle aime encore, alors que lui croque une pomme, sans se soucier du passé. C'est elle qui le recompose. La marionnette signe la fin d'un morceau de musique, d'une poupée articulée, paraphe le courage de Léa tellement le froid la parcourt. Tous les froids représentés par le regard sombre d'un « type à l'air dédaigneux » qui suit la gesticulation de la marionnette activée par Léa. Tilio, dans le récit Les blessures, confié à la maison d'accueil de madame Brunet, regrette le geste brusque qu'il a commis envers Colin, enfant craintif, que traumatise le simple fait de lui ouvrir les bras. Tilio, épouvanté et malheureux, s'en arrache les ongles des pieds. Mais madame Brunet veille à tout.

Ces histoires qu'on ne peut toutes citer ici, sont liées par d'indicibles détails qui captent le regard, témoignent de l'importance de faits restés dans l'ombre, combien salutaires quand il s'agit de soigner une douleur qui donne envie de hurler, alors que par convention il faut la taire. Cette habileté à esquiver les pièges consternants de la vie, ne s'acquiert pas dans l'immédiat mais dans l'expérience de l'écriture si particulière au genre. À la maîtrise qu'exige la phrase construite à partir de l'essentiel, ces non-dits, tels des silences qu'il est si difficile de garder en soi. Hommes et femmes décrits par Sylvie Massicotte reflètent l'art de l'écrivaine : elle les achemine vers la ténuité paisible de la réconciliation. D'une manière floue, nous y retrouvons ceux et celles qui, inconsciemment ou pas, leur ont infligé une blessure palpable, à fleur d'âme.

Vingt-quatre nouvelles sans faille aucune, qu'on a lues avec délectation. Avec la certitude que des Mozart de l'écriture succincte existent. Diffusent dans l'esprit du lecteur ému leur petite musique de jour et de nuit. Recueil à lire absolument.


Avant d'éteindre, Sylvie Massicotte
Éditions L'instant même, Québec, 2014, 112 pages.