On s'étonne quand nos introductions ont toutes été utilisées. Quel sera notre sujet de rébellion, d'harmonie ou d'indifférence pour donner le ton à nos prochaines critiques ? On a beau contempler le ciel, il ne nous aide en rien, n'y détectant aucune source probable d'inspiration. On aime le concret, les choses qui se nomment. Thomas, le saint, absout nos croyances païennes, on se sert d'elles pour dénoncer ce qui nous semble en valoir la peine. Il suffit que chacun s'y retrouve. On parle du récent roman d'Alain Beaulieu, L'interrogatoire de Salim Belfakir.
Le dernier opus de l'écrivain nous a laissé une étrange sensation de plénitude qu'on a du mal à exprimer. Alors que trois personnages évoluent dans une affaire policière d'ordre psychologique, ils nous ont déroutée ; leur générosité, leur indulgence, surtout leur bonté, face à des situations dramatiques, parfois nébuleuses, nous ont départie de toute opinion contemptrice. On a refermé le roman, imprégnée d'un doute rarement ressenti, celui de pages lisses, uniformes, se demandant quand on les tournait, comment se terminerait l'histoire de ces deux hommes et de cette femme, projetés dans des élans de fuite pour oublier ce qui avait malmené injustement leur existence.
Il y a Éliane Cohen, assistante juridique, plutôt expéditive dans sa manière de résoudre quelques-uns de ses problèmes personnels. Elle a quitté Paris pour fuir une mère désaxée, s'est installée à Rennes, dans un studio sous les combles. Elle a la manie compulsive de dénombrer tous ses pas où qu'elle aille. Jusqu'au jour où elle entend une voix assaillir son oreille. Entrons dans la méthodologie de l'écrivain en élaborant un suspense qui nous emporte plus loin. Faisons connaissance avec un policier retraité qui, lui aussi, pour des raisons hasardeuses, a quitté la France, s'est réfugié au pays de sa mère, le Québec, dans une jolie maison située au bord du fleuve Saint-Laurent. Que cache Julien Foch ? Une peine d'amour ou une faute professionnelle ? Peut-on avancer les deux, sa fille, Irène, l'ayant largué des années auparavant, lasse de ses désertions familiales, contrairement à la mère qui acceptait avec humour ses contraintes professionnelles. La mère est morte, « les chairs dévorées par un cancer ». Au tour de Salim Belfakir d'intervenir en l'état de lare avant de se montrer en chair et en os. Jeune homme malouin, de père marocain inconnu ; avec sa mère, il exerce la noble profession de boulanger. Il sera le pion central de ce trio qui, pour le moment, chacun de son côté, intrigue Éliane Cohen et son collègue virtuel Le Poulpe 474. Inévitablement, des individus secondaires se grefferont à ces trois êtres bouleversés par des faits irrationnels qui les ont dérangés au point de s'exiler ou d'en mourir.
Au fur et à mesure que nous pénétrons dans le roman, l'action, manœuvrée involontairement par des messagers subversifs, car c'en est, s'alimente d'anecdotes épiques concernant Éliane, Julien et Salim. Leur vie, et c'est là un des charmes du roman, s'exacerbe d'une tendresse amère qu'ils ont inventée en allant au-devant d'un être inexistant. Éliane et Irène ont souffert du départ de leur père : l'un pour mener à bien sa profession, l'autre pour l'amour d'une nouvelle femme. Malgré l'affection de sa mère, Salim recherche son géniteur, d'où un voyage rapide au Maroc quand il apprendra son décès. Là-bas, il trouvera ce dont il a besoin pour stabiliser son équilibre mental : une famille, une demi-sœur. Ce ne sont ici que des entrechats, évitant aux protagonistes de se blesser en retombant lourdement sur leurs pieds. Il faudra qu'un garagiste, taxidermiste, marié à une Arabe musulmane, flanque Julien Foch devant de rebutants bocaux pour que les failles du passé reviennent le harceler, métaphore de la mort mal résolue de Salim Belfakir, une nuit où le policier a perdu le contrôle de ses responsabilités professionnelles. Envers de la médaille existentielle, Marise Frenette, fille de la propriétaire de la maison, artiste peintre, lui révélera l'attraction de performances sexuelles qu'elle exécute devant des toiles célèbres, telle La Joconde.
On a souvent l'impression qu'Alain Beaulieu glisse au lecteur, à la lectrice, un subtil message : que l'ensemble de nos accomplissements, nous les devons à des êtres surgis de nulle part. D'un garage ou de l'océan. Qu'il faut tenir compte de leurs exigences, empoigner les événements à rebrousse-poil, parcourir des distances en comptant nos pas, comme le fait Éliane chaque fois qu'elle a rendez-vous avec Irène. L'une et l'autre jaugent l'absence d'amour paternel en le ruminant, laissant entrevoir que rien, jamais, ne s'acquiert sans dommage. Après bien des courts-circuits sentimentaux, sera élucidé l'interrogatoire de Salim Belfakir. Il est si plat le chemin caillouteux une fois parcouru, si limpide une fois démêlé l'écheveau oratoire dont nous affublons nos semblables. Après avoir lu ce récit où hommes et femmes se différencient avec jubilation — Yasmina, épouse du garagiste, et son voile ; Marise Frenette et la provocation jugée indécente de ses performances —, fragments d'un petit monde exemplaire situé dans un village québécois ou français, n'hésitons pas à bannir les conventions, les certitudes, engrenage impossible à mater quand le temps est venu de tendre la main vers plus libre que soi. Leçon d'humilité que nous offre bellement Alain Beaulieu, qui se sert de l'amour filial ou charnel comme d'une rédemptrice pierre de touche.
L'interrogatoire de Salim Belfakir, Alain Beaulieu
Éditions Druide, Montréal, 2016, 296 pages
Critique de livres, romans, nouvelles, récits.
Écrire est un acte d'amour. S'il ne l'est pas, il n'est qu'écriture. Jean Cocteau
lundi 25 avril 2016
mardi 19 avril 2016
L'art de feindre la banalité *** 1/2
Pour faire plaisir à G. Avant de se convertir à la critique littéraire, on a publié vingt livres. Romans, récits, nouvelles, un essai. Ces livres ont été publiés chez différents éditeurs. Des nouvelles et un roman ont été édités en numérique. Expérience peu concluante. On tait les nombreux textes parus dans diverses revues, sur des sites littéraires. Lus à la radio de Radio-Canada. Notre amie G. est satisfaite qu'on se soit mise en relief, ce qui nous ressemble peu. Commentons le premier recueil de nouvelles de Madeleine Allard, Quand le corps cède.
Neuf récits d'ordre intimiste. De prosaïques anecdotes inspirées par la vie, n'offrant que le quotidien enrubanné de ses joies, empêtré de ses contrariétés. Pour ajouter à la fadeur des histoires que dépeint l'auteure, elles sont relatées dans un style compendieux, d'une simplicité désarmante. Ce qui leur confère une force d'interprétation inattendue. Les faits sont là, tels qu'ils se sont déroulés à un moment désordonné, sans que de superflues fioritures émoussent leurs intentions cruelles. Dans Le roi de la montagne, nous ne pouvons échapper à Nicolas qui, submergé par sa vie familiale, ne demande qu'à se reposer une journée. Surtout, ne pas parler. Il fera appel à son frère pour une randonnée sur la montagne. Dépressif, il ne supporte pas le bavardage superfétatoire de son compagnon. La nouvelle Il fait froid nous met en présence d'une jeune femme qui désire se séparer de Marc, son amant. Dans le métro, elle imagine les mots qu'ils échangeront, en s'adressant à elle-même. Quand elle cogne à la porte, c'est le colocataire qui ouvre, Marc est absent. Dehors, un froid sibérien sévit. Emmène-moi jouer au baseball ou les péripéties journalières d'un couple qui emménage pour deux ans à Halifax, ce qui contrarie ses trois enfants. Le père enseigne, il fait tout ce qui lui est possible pour distraire ses deux fils et sa fille, celle-ci constamment de mauvaise foi. Un soir, il se fâche...
Pourvues d'une apparente banalité, les six autres fictions s'avèrent autant surprenantes. Nous les lisons sans jamais nous interrompre, sans envisager une lecture plus captivante. Comment ne pas se reconnaître dans Bouboule, surnom de Stéphanie que lui ont donné les filles de son école ? Victime d'embonpoint, elle ne fait rien pour le combattre. Sa meilleure amie, Jacynthe, ne l'humilie jamais, elle peut lui faire confiance. Il suffira que Stéphanie ressente un malaise pour que Jacynthe la trahisse. Mais, un jour ou l'autre, la vie fait acte de revanche. Un autre texte, saturé de poésie, densifié par des dialogues écrits en anglais et en français, sans aucune traduction. Une femme rédige une dernière lettre à son amant britannique qui, s'ennuyant au Québec, est reparti vivre sur sa terre natale. La narratrice analyse leur liaison où plane l'ombre d'une morte : une vieille dame de qui, pour la dernière fois, elle a fleuri la tombe. Snowfall, certes, mais chute d'un sentiment amoureux cerné d'un peu de mystère, qui, le temps aidant, se résorbera de lui-même. Un récit tendre et mélancolique, comme lorsque nous ressentons un inachèvement. Celui qui nous a le plus touchée. Entre les mots convient au désarroi que tant de femmes ont traversé : une grossesse accidentelle, non désirée. Quand elle annonce la nouvelle à son amant, il lui réplique bêtement qu'elle peut se faire avorter. Suggestion qui la bouleverse, elle s'enferme dans la salle de bains pour vomir. L'occasion, chacun de son côté, d'une courte rétrospective sur leur liaison. Nous voguons entre les mots d'une femme et d'un homme qui ne savent comment interpréter les silences sentencieux de l'autre.
Le langage expressionniste de ces fables, à la portée de tout un chacun, charrie une fraction de nos acquis intimes, telle une contrition qui ne peut se partager qu'avec soi-même. Le lecteur et la lectrice n'en mèneront pas large quand ils se laisseront aller à tourner les pages d'histoires décrites avec art, qui témoignent d'événements essaimant une existence, en déterminent la gravité ou, inversement, en mesurent le pragmatisme qui bouleverse et fait grandir. Il est rare qu'on lise de ces avatars autant réfléchis, narrés spontanément, créant une ambiance tout à fait personnelle, bruyante, dirigée vers soi, remettant en question une part infime de nos agissements. Les embellissant étrangement de moult de nos échecs. Une seule réserve, on aurait aimé que le dernier texte, La voilà qui arrive, la mort d'un grand-père, soit intitulé du titre du recueil. Une conclusion qu'on aurait parfaitement saisie, une éponymie englobant le contenu substantiel du livre.
Quand le corps cède, Madeleine Allard
Éditions Hamac, Québec, 2016, 142 pages
Neuf récits d'ordre intimiste. De prosaïques anecdotes inspirées par la vie, n'offrant que le quotidien enrubanné de ses joies, empêtré de ses contrariétés. Pour ajouter à la fadeur des histoires que dépeint l'auteure, elles sont relatées dans un style compendieux, d'une simplicité désarmante. Ce qui leur confère une force d'interprétation inattendue. Les faits sont là, tels qu'ils se sont déroulés à un moment désordonné, sans que de superflues fioritures émoussent leurs intentions cruelles. Dans Le roi de la montagne, nous ne pouvons échapper à Nicolas qui, submergé par sa vie familiale, ne demande qu'à se reposer une journée. Surtout, ne pas parler. Il fera appel à son frère pour une randonnée sur la montagne. Dépressif, il ne supporte pas le bavardage superfétatoire de son compagnon. La nouvelle Il fait froid nous met en présence d'une jeune femme qui désire se séparer de Marc, son amant. Dans le métro, elle imagine les mots qu'ils échangeront, en s'adressant à elle-même. Quand elle cogne à la porte, c'est le colocataire qui ouvre, Marc est absent. Dehors, un froid sibérien sévit. Emmène-moi jouer au baseball ou les péripéties journalières d'un couple qui emménage pour deux ans à Halifax, ce qui contrarie ses trois enfants. Le père enseigne, il fait tout ce qui lui est possible pour distraire ses deux fils et sa fille, celle-ci constamment de mauvaise foi. Un soir, il se fâche...
Pourvues d'une apparente banalité, les six autres fictions s'avèrent autant surprenantes. Nous les lisons sans jamais nous interrompre, sans envisager une lecture plus captivante. Comment ne pas se reconnaître dans Bouboule, surnom de Stéphanie que lui ont donné les filles de son école ? Victime d'embonpoint, elle ne fait rien pour le combattre. Sa meilleure amie, Jacynthe, ne l'humilie jamais, elle peut lui faire confiance. Il suffira que Stéphanie ressente un malaise pour que Jacynthe la trahisse. Mais, un jour ou l'autre, la vie fait acte de revanche. Un autre texte, saturé de poésie, densifié par des dialogues écrits en anglais et en français, sans aucune traduction. Une femme rédige une dernière lettre à son amant britannique qui, s'ennuyant au Québec, est reparti vivre sur sa terre natale. La narratrice analyse leur liaison où plane l'ombre d'une morte : une vieille dame de qui, pour la dernière fois, elle a fleuri la tombe. Snowfall, certes, mais chute d'un sentiment amoureux cerné d'un peu de mystère, qui, le temps aidant, se résorbera de lui-même. Un récit tendre et mélancolique, comme lorsque nous ressentons un inachèvement. Celui qui nous a le plus touchée. Entre les mots convient au désarroi que tant de femmes ont traversé : une grossesse accidentelle, non désirée. Quand elle annonce la nouvelle à son amant, il lui réplique bêtement qu'elle peut se faire avorter. Suggestion qui la bouleverse, elle s'enferme dans la salle de bains pour vomir. L'occasion, chacun de son côté, d'une courte rétrospective sur leur liaison. Nous voguons entre les mots d'une femme et d'un homme qui ne savent comment interpréter les silences sentencieux de l'autre.
Le langage expressionniste de ces fables, à la portée de tout un chacun, charrie une fraction de nos acquis intimes, telle une contrition qui ne peut se partager qu'avec soi-même. Le lecteur et la lectrice n'en mèneront pas large quand ils se laisseront aller à tourner les pages d'histoires décrites avec art, qui témoignent d'événements essaimant une existence, en déterminent la gravité ou, inversement, en mesurent le pragmatisme qui bouleverse et fait grandir. Il est rare qu'on lise de ces avatars autant réfléchis, narrés spontanément, créant une ambiance tout à fait personnelle, bruyante, dirigée vers soi, remettant en question une part infime de nos agissements. Les embellissant étrangement de moult de nos échecs. Une seule réserve, on aurait aimé que le dernier texte, La voilà qui arrive, la mort d'un grand-père, soit intitulé du titre du recueil. Une conclusion qu'on aurait parfaitement saisie, une éponymie englobant le contenu substantiel du livre.
Quand le corps cède, Madeleine Allard
Éditions Hamac, Québec, 2016, 142 pages
jeudi 14 avril 2016
Un homme à la dérive ***
Cette entre-saison n'est plus tout à fait l'hiver, ni tout à fait le printemps. Le temps qu'on le mentionne, le soleil se montre, le vent chasse les nuages. Ce répit nous fait penser au livre qu'on a terminé de lire, ce qui est la moindre des choses quand on a partagé des heures palpitantes avec des personnages si proches de ce que nous sommes. Nous et les inconnus qui s'agitent dehors. On commente le premier roman de Marie-Christine Boyer, Farö.
Sur l'île d'un pays nordique imaginaire, Farö, ancien journaliste, qui vit depuis une dizaine d'années sur ce bout de terre envahie par l'eau, se remet en question quand arrive chez lui son meilleur ami, Milosh. Il est accompagné de la fille de Farö, Sakia, dix ans, que ce dernier ne connait pas. L'homme a eu une histoire d'amour échouée sur ce magma de terre et d'eau. Il a aimé une femme, Turit, qui l'aimait mais qui s'est lassée. Enceinte, elle est partie accoucher en ville, n'est jamais revenue. Deux ans plus tard, elle a choisi d'être enterrée dans la petite ville qui jouxte l'île. Silofjord. Depuis qu'un terrifiant naufrage a chassé les habitants de l'île, Farö y a trouvé refuge, employant sa solitude à dresser des digues, empêchant la mer d'envahir son territoire. Manière de ressasser son désespoir, qu'il entretient solidement, plongé dans le regret des choses qui n'ont pas été. Auraient pu être, est-il convaincu. Nous ne savons trop pour quelles raisons précises se défait un couple sur le point de se briser. Certains s'expliquent, certains se taisent, s'épient, comme l'ont fait Farö et Turit. Décomposition du sentiment amoureux, tari à même sa source.
Quand Milosh débarquera sur l'île avec Sakia, Farö décillera son regard vers les êtres qui résident sereinement dans les petites villes alentour. Ne se rendant pas compte qu'il est redouté parce que vivant seul dans un lieu indomptable. Ce sont ses fidèles compagnons, des pêcheurs, des montagnards, qui lui feront prendre conscience des nécessités de la ville, le persuaderont que l'île est hantée par les noyés d'hier et d'aujourd'hui. Une autre île, Kaljä, moins sauvage, a recueilli de nombreuses familles de pêcheurs, est devenue lieu de villégiature. Milosh et Sakia repartiront. Farö n'aura qu'un désir, les rejoindre, ce qu'il ne fera pas, une mission imprévue s'offrant à lui, atténuant bien des erreurs. Des peines.
Les saisons battent le rythme du temps qui passe, celui des marées qui régule et manœuvre les agissements de l'insulaire. Il n'a jamais possédé une montre, nous renseigne l'écrivaine, ce qui ne surprend pas le lecteur, Farö étant trop encaqué dans son obsession d'avoir négligé Turit, de l'avoir perdue par sa faute. Lui, Farö, s'est toujours mesuré à des défis surhumains. Prendre possession de l'île, la partager avec les cerfs, le sanctuaire d'oiseaux. Construire les barrières. Surveiller le phare. Se fiant enfin à la bonté des hommes et des femmes qui le considèrent, il mettra bientôt un terme à sa réclusion îlienne.
En lisant ce premier roman, on a eu l'impression que le personnage central en était l'île. Que les hommes et les femmes gravitaient vers ses ressources marines, agissant selon son calendrier saisonnier. L'eau magmatique, la terre nourricière. Le vent et ses saccages. Agrégat bouillonnant désirant reprendre ses droits, faire fuir ceux et celles qui seraient tentés de s'y installer à demeure. Sur l'île, « la frontière du rêve se fondait dans la brume. » Évanescence d'une femme inconnue qui apparaît de dos, comme si l'île se faisait réfractaire ou séduisante. Une marionnette à double visage la personnalise...
Histoire singulière, la mer, dominatrice, intervenant peu dans les romans lus récemment. Cependant, on a été dérangée par la trop grande retenue de l'écriture bellement maîtrisée, au détriment des émotions, insufflant aux protagonistes une certaine froideur que leur rôle tragique, ici, contredit. Récit davantage axé sur la gestuelle et sur la parole, que plongeant dans l'intériorité des âmes touchées par les humeurs colériques de l'île.
Farö, Marie-Christine Boyer
Éditions Triptyque, Montréal, 2016, 140 pages
Sur l'île d'un pays nordique imaginaire, Farö, ancien journaliste, qui vit depuis une dizaine d'années sur ce bout de terre envahie par l'eau, se remet en question quand arrive chez lui son meilleur ami, Milosh. Il est accompagné de la fille de Farö, Sakia, dix ans, que ce dernier ne connait pas. L'homme a eu une histoire d'amour échouée sur ce magma de terre et d'eau. Il a aimé une femme, Turit, qui l'aimait mais qui s'est lassée. Enceinte, elle est partie accoucher en ville, n'est jamais revenue. Deux ans plus tard, elle a choisi d'être enterrée dans la petite ville qui jouxte l'île. Silofjord. Depuis qu'un terrifiant naufrage a chassé les habitants de l'île, Farö y a trouvé refuge, employant sa solitude à dresser des digues, empêchant la mer d'envahir son territoire. Manière de ressasser son désespoir, qu'il entretient solidement, plongé dans le regret des choses qui n'ont pas été. Auraient pu être, est-il convaincu. Nous ne savons trop pour quelles raisons précises se défait un couple sur le point de se briser. Certains s'expliquent, certains se taisent, s'épient, comme l'ont fait Farö et Turit. Décomposition du sentiment amoureux, tari à même sa source.
Quand Milosh débarquera sur l'île avec Sakia, Farö décillera son regard vers les êtres qui résident sereinement dans les petites villes alentour. Ne se rendant pas compte qu'il est redouté parce que vivant seul dans un lieu indomptable. Ce sont ses fidèles compagnons, des pêcheurs, des montagnards, qui lui feront prendre conscience des nécessités de la ville, le persuaderont que l'île est hantée par les noyés d'hier et d'aujourd'hui. Une autre île, Kaljä, moins sauvage, a recueilli de nombreuses familles de pêcheurs, est devenue lieu de villégiature. Milosh et Sakia repartiront. Farö n'aura qu'un désir, les rejoindre, ce qu'il ne fera pas, une mission imprévue s'offrant à lui, atténuant bien des erreurs. Des peines.
Les saisons battent le rythme du temps qui passe, celui des marées qui régule et manœuvre les agissements de l'insulaire. Il n'a jamais possédé une montre, nous renseigne l'écrivaine, ce qui ne surprend pas le lecteur, Farö étant trop encaqué dans son obsession d'avoir négligé Turit, de l'avoir perdue par sa faute. Lui, Farö, s'est toujours mesuré à des défis surhumains. Prendre possession de l'île, la partager avec les cerfs, le sanctuaire d'oiseaux. Construire les barrières. Surveiller le phare. Se fiant enfin à la bonté des hommes et des femmes qui le considèrent, il mettra bientôt un terme à sa réclusion îlienne.
En lisant ce premier roman, on a eu l'impression que le personnage central en était l'île. Que les hommes et les femmes gravitaient vers ses ressources marines, agissant selon son calendrier saisonnier. L'eau magmatique, la terre nourricière. Le vent et ses saccages. Agrégat bouillonnant désirant reprendre ses droits, faire fuir ceux et celles qui seraient tentés de s'y installer à demeure. Sur l'île, « la frontière du rêve se fondait dans la brume. » Évanescence d'une femme inconnue qui apparaît de dos, comme si l'île se faisait réfractaire ou séduisante. Une marionnette à double visage la personnalise...
Histoire singulière, la mer, dominatrice, intervenant peu dans les romans lus récemment. Cependant, on a été dérangée par la trop grande retenue de l'écriture bellement maîtrisée, au détriment des émotions, insufflant aux protagonistes une certaine froideur que leur rôle tragique, ici, contredit. Récit davantage axé sur la gestuelle et sur la parole, que plongeant dans l'intériorité des âmes touchées par les humeurs colériques de l'île.
Farö, Marie-Christine Boyer
Éditions Triptyque, Montréal, 2016, 140 pages
lundi 11 avril 2016
Quand l'enfance nous est contée ***
On se perd dans les rêves que nous proposent les livres qu'on découvre selon nos choix éditoriaux. On doit beaucoup aux attachés de presse qui nous font part de leur " coup de cœur ". On en tient compte parce qu'ils sont des lecteurs avertis. Des auteurs nous sont inconnus, surtout ceux et celles qui publient un premier livre. Grâce à la confiance que les relationnistes nous accordent, le rêve se fait réaliste ou romantique. On les remercie de tant de complicité littéraire. On commente le premier livre de Caroline Paquette, Le monde par-dessus la tête.
Trois novellas qui, dans la foulée de la production de l'hiver-printemps, nous avaient échappées. Grâce à l'insistance professionnelle de l'attachée de presse, elles nous sont parvenues pour le meilleur de notre lecture. On a fait la découverte d'une jeune auteure qui manie les mots avec une efficacité surprenante, ce qui est rare de nos jours où tant de livres devraient rester à leur état initial, planqués au fond d'un tiroir. Trois histoires sous le signe des saisons : hiver, automne, printemps. Deux adultes trentenaires, Manuel et Vicki, analysent ce qu'a été leur enfance quand ils avaient environ cinq et six ans. De loin, ils observent le jeune garçon et la petite fille qui, chacun de son côté, essaie de comprendre les adultes, leur univers enfantin se limitant à la famille. Parents, frères et sœurs. Manuel se souvient d'un Noël chez une de ses parentes. Il y a là cousins et cousines, oncles et tantes, avec qui il faut partager ce temps sonore du " party " de Noël. Manuel est perdu parmi ces proches qui semblent l'ignorer, le repousser. Heureusement, il a sa mère qui pourvoit à sa moindre inquiétude, à son angoisse. Il n'a qu'une hâte, rentrer chez lui. Mais survient une tempête qui contrariera le désir de Manuel : la famille devra dormir chez la tante. Nuit éprouvante où les grandes personnes continueront leurs excentricités. L'alcool, les cigarettes, la musique, les danses, transformeront les visages familiers en masques méconnaissables. Les voix se dilueront en de tonitruants ricanements. Monde interdit aux enfants qui doivent aller dormir...
Les deux autres récits sont perçus par Vicki, adulte. D'abord à l'automne, où elle se liera avec Romane, un peu plus âgée qu'elle, « imprévisible, forte en tout [ ... ] des sursauts pleins d'audace et d'effronterie. » Celle-ci a des frères bruyants que les fillettes regardent jouer de loin. Vicki est une enfant réservée, souvent « dans la lune », qui se plie aux désirs impérieux de son amie. Peu à peu, Romane se lassera d'elle, parce que trop intériorisée, trop inquiète, indécise. Romane rejoindra ses frères, leurs jeux convenant mieux à « sa nature remplie de vigueur ». Une fillette, Maureen, qui attisera le questionnement jaloux de Vicki, s'insère au centre de leur monde, édulcorant leur amitié. La sensibilité de Vicki vaut au lecteur des points de vue poétiques sur la nature à l'automne, les flaques d'eau. Sur les objets, les personnes qu'elle aime. Sur les extravagances de Romane, qui agit sous les yeux admiratifs de sa compagne. Après l'intrusion de Maureen, Vicki, si petite, se rendra compte que son amitié pour Romane était insaisissable, trop fluide, telle l'eau d'une rivière. Jetant un œil compassé sur elle-même, Vicki conviendra que sa capacité au rêve, enrubannée d'émerveillement mais aussi d'impuissance, a élargi sa vie, renforcé un rêve ininterrompu.
Le troisième récit, toujours narré par Vicki, nous emporte en avril, vers un printemps frileux. La petite fille a six ans et demi. La mère, omniprésente dans les trois novellas, nous rappelle son rôle prépondérant à l'époque où l'auteure situe ses histoires. Vicki tombe et se blesse au menton, se retrouve à l'hôpital avec son père, des points de suture s'imposent. L'incompréhension des enfants à l'école. Leur cruauté face à la différence, même infligée par une blessure. Plus tard, la ruse d'une fillette solitaire pour enfermer Vicki et sa jeune sœur dans la remise de sa maison. Le chapeau de cow-boy prêté par Romane. Le raccourci avec elle pour aller à l'école. Les maux d'oreilles, le capuchon qu'elle doit garder sur la tête, déclenchant les railleries hilares des enfants dans l'autobus. Perceptions plus intimistes de l'enfance de Vicki où le père, complice, prend soin de son épouse et de ses filles.
Ce qu'on a aimé du livre. Le recoupement habile d'un texte à l'autre avec divers protagonistes, la lucidité aiguë des deux enfants portée sur eux-mêmes, sur les êtres qui partagent leur vie sans vraiment la cerner. L'écriture poétique et ses trouvailles — « l'enfance prend des chatoiements de vitrail » —, l'intensité décrivant à différentes saisons le décor nécessaire à l'enfance pour qu'elle y invente ses points de repères. Ce qu'on a moins aimé. Le ton uniforme de Manuel et Vicki, adultes. Un homme et une femme n'emploient pas un langage identique pour dépeindre des émotions ou sensations. L'exaltation palpable de la narration quand l'auteure, trop souvent, prend l'ensemble du monde à témoin. Les comparaisons à la limite de la morale avec les parents et les enfants, trente ans plus tôt. Ces évidences deviennent agaçantes.
Ce sont là des confusions perceptibles que l'éditeur aurait dû éviter, cette écrivaine en herbe talentueuse ne pouvant qu'englober le thème exigeant de trois histoires se combinant entre elles, l'enfance se reflétant dans la maturité qu'elle greffe dans la mémoire abîmée des adultes.
Le communiqué de presse nous informant que Caroline Paquette prépare un roman, on se tiendra au courant de sa parution, qu'on lira avec l'attention que mérite tout écrivain prometteur.
Le monde par-dessus la tête, Caroline Paquette
XYZ éditeur, Montréal, 2016, 246 pages
Trois novellas qui, dans la foulée de la production de l'hiver-printemps, nous avaient échappées. Grâce à l'insistance professionnelle de l'attachée de presse, elles nous sont parvenues pour le meilleur de notre lecture. On a fait la découverte d'une jeune auteure qui manie les mots avec une efficacité surprenante, ce qui est rare de nos jours où tant de livres devraient rester à leur état initial, planqués au fond d'un tiroir. Trois histoires sous le signe des saisons : hiver, automne, printemps. Deux adultes trentenaires, Manuel et Vicki, analysent ce qu'a été leur enfance quand ils avaient environ cinq et six ans. De loin, ils observent le jeune garçon et la petite fille qui, chacun de son côté, essaie de comprendre les adultes, leur univers enfantin se limitant à la famille. Parents, frères et sœurs. Manuel se souvient d'un Noël chez une de ses parentes. Il y a là cousins et cousines, oncles et tantes, avec qui il faut partager ce temps sonore du " party " de Noël. Manuel est perdu parmi ces proches qui semblent l'ignorer, le repousser. Heureusement, il a sa mère qui pourvoit à sa moindre inquiétude, à son angoisse. Il n'a qu'une hâte, rentrer chez lui. Mais survient une tempête qui contrariera le désir de Manuel : la famille devra dormir chez la tante. Nuit éprouvante où les grandes personnes continueront leurs excentricités. L'alcool, les cigarettes, la musique, les danses, transformeront les visages familiers en masques méconnaissables. Les voix se dilueront en de tonitruants ricanements. Monde interdit aux enfants qui doivent aller dormir...
Les deux autres récits sont perçus par Vicki, adulte. D'abord à l'automne, où elle se liera avec Romane, un peu plus âgée qu'elle, « imprévisible, forte en tout [ ... ] des sursauts pleins d'audace et d'effronterie. » Celle-ci a des frères bruyants que les fillettes regardent jouer de loin. Vicki est une enfant réservée, souvent « dans la lune », qui se plie aux désirs impérieux de son amie. Peu à peu, Romane se lassera d'elle, parce que trop intériorisée, trop inquiète, indécise. Romane rejoindra ses frères, leurs jeux convenant mieux à « sa nature remplie de vigueur ». Une fillette, Maureen, qui attisera le questionnement jaloux de Vicki, s'insère au centre de leur monde, édulcorant leur amitié. La sensibilité de Vicki vaut au lecteur des points de vue poétiques sur la nature à l'automne, les flaques d'eau. Sur les objets, les personnes qu'elle aime. Sur les extravagances de Romane, qui agit sous les yeux admiratifs de sa compagne. Après l'intrusion de Maureen, Vicki, si petite, se rendra compte que son amitié pour Romane était insaisissable, trop fluide, telle l'eau d'une rivière. Jetant un œil compassé sur elle-même, Vicki conviendra que sa capacité au rêve, enrubannée d'émerveillement mais aussi d'impuissance, a élargi sa vie, renforcé un rêve ininterrompu.
Le troisième récit, toujours narré par Vicki, nous emporte en avril, vers un printemps frileux. La petite fille a six ans et demi. La mère, omniprésente dans les trois novellas, nous rappelle son rôle prépondérant à l'époque où l'auteure situe ses histoires. Vicki tombe et se blesse au menton, se retrouve à l'hôpital avec son père, des points de suture s'imposent. L'incompréhension des enfants à l'école. Leur cruauté face à la différence, même infligée par une blessure. Plus tard, la ruse d'une fillette solitaire pour enfermer Vicki et sa jeune sœur dans la remise de sa maison. Le chapeau de cow-boy prêté par Romane. Le raccourci avec elle pour aller à l'école. Les maux d'oreilles, le capuchon qu'elle doit garder sur la tête, déclenchant les railleries hilares des enfants dans l'autobus. Perceptions plus intimistes de l'enfance de Vicki où le père, complice, prend soin de son épouse et de ses filles.
Ce qu'on a aimé du livre. Le recoupement habile d'un texte à l'autre avec divers protagonistes, la lucidité aiguë des deux enfants portée sur eux-mêmes, sur les êtres qui partagent leur vie sans vraiment la cerner. L'écriture poétique et ses trouvailles — « l'enfance prend des chatoiements de vitrail » —, l'intensité décrivant à différentes saisons le décor nécessaire à l'enfance pour qu'elle y invente ses points de repères. Ce qu'on a moins aimé. Le ton uniforme de Manuel et Vicki, adultes. Un homme et une femme n'emploient pas un langage identique pour dépeindre des émotions ou sensations. L'exaltation palpable de la narration quand l'auteure, trop souvent, prend l'ensemble du monde à témoin. Les comparaisons à la limite de la morale avec les parents et les enfants, trente ans plus tôt. Ces évidences deviennent agaçantes.
Ce sont là des confusions perceptibles que l'éditeur aurait dû éviter, cette écrivaine en herbe talentueuse ne pouvant qu'englober le thème exigeant de trois histoires se combinant entre elles, l'enfance se reflétant dans la maturité qu'elle greffe dans la mémoire abîmée des adultes.
Le communiqué de presse nous informant que Caroline Paquette prépare un roman, on se tiendra au courant de sa parution, qu'on lira avec l'attention que mérite tout écrivain prometteur.
Le monde par-dessus la tête, Caroline Paquette
XYZ éditeur, Montréal, 2016, 246 pages
lundi 4 avril 2016
La menace vient de tous bords *** 1/2
Et si on délaissait la feuille blanche, comme certaines parcelles de notre vie, comme un livre qu'on n'écrira jamais, comme une nuit d'insomnie où, au matin, la brume l'emporte sur la clarté bleue du ciel ? Tant de suppositions attisent la crainte de découvrir le vide, occupé de nos échouements sur un bord d'océan, dans un sentier tracé par les pas de l'homme. On se repose, on est bien. Ci-joint nos commentaires que nous a inspirés le roman de Jean-Marc Ouellet, Les griffes de l'invisible.
La thématique proposée par l'écrivain s'avère très actuelle. Un avertissement romancé qu'il ne faut pas prendre à la légère sous couvert que nous faisons confiance à la fiction. À l'imagination fertile du conteur. Bien souvent, un fait divers prend la tournure inusitée d'une rumeur avant de se transformer en certitude, qui dénonce ou garantit la teneur du propos annoncé. L'histoire, ici, se présente sous l'aspect d'une menace signalée par l'auteur, mais aussi par l'anesthésiologiste qui pratique dans un hôpital de Québec. La vérité peut-elle se confondre avec l'allégorie ? Dans ce cas précis, il eût été rassurant d'inscrire ce récit parmi les affabulations d'un médecin en quête de sensations fortes. Mais après un détour dans ce récit passionnant, on ne pouvait que s'interroger, le sort d'Alex Fournier nous ayant troublée.
La vie de cet homme est jusqu'à présent sans problème. Ce jour-là, heureux, il rend visite à sa sœur, veuve, installée à la campagne, mère de deux jeunes enfants. D'emblée, elle lui confiera que son fils est atteint de leucémie, qu'il n'a que quelques mois à vivre ; Charles a toujours été sensible aux effets perturbateurs des ondes électromagnétiques. À son retour chez lui, ébranlé par les révélations de sa sœur, taraudé par la curiosité, le médecin se met en quête de cerner ce terrible sujet auprès de ses collègues, de ses amis. Bien que chacun s'apitoyât sur le sort désespéré du neveu, personne ne croit au danger de l'électromagnétisme. Alex a compris qu'il doit, de son propre chef, prendre les choses en main. À la suite d'une conférence donnée par un célèbre hémato-oncologue, qu'il rencontrera, il sera confirmé dans sa décision. Ce chercheur s'est vainement penché sur les causes mortelles des ondes électromagnétiques, il n'a reçu que railleries et sarcasmes de la part de ses pairs, au point de se rétracter, de quitter le Québec. Il met Alex en garde mais ne le dissuade pas de différer ses ambitieux projets.
Ce dernier enverra une lettre à l'agence gouvernementale l'informant des méfaits des émissions électromagnétiques, espérant atteindre la méga compagnie WBS, qui détient le monopole de l'ensemble industriel. Après un certain temps, des menaces d'intimidation seront envoyées à Alex Fournier, l'intimant de se mêler de ses propres affaires. Il n'en fera rien, et commence alors une série d'atteintes sur son entourage, sur des personnes qui sont au courant de ses desseins. Une journaliste, son ex-épouse. Un employé de l'agence qui avait, délibérément, considéré sa demande. Entretemps, Charles est mort, la vie professionnelle d'Alex Fournier est soumise à la personnalité parfois difficile de collègues qui ont remarqué la nervosité angoissée de l'anesthésiologiste. Ne pouvant se dépêtrer seul du terrifiant piège que lui a tendu la WBS, il devra porter plainte, utiliser les services de l'inspecteur Picard, qui doute de la véracité des péripéties de son client, celui-ci n'ayant aucun argument solide à lui fournir. Jusqu'au jour où les preuves d'assassinat s'accumulant contre lui, Alex Fournier sera emprisonné, en attendant son procès.
On ne dévoilera pas les intrigues se nouant autour du médecin, n'altérant en rien son désir de combattre les multinationales qui empochent les profits générés par les émissions électromagnétiques, ne se souciant pas de la santé des humains, des dérives de la nature, du comportement parfois instable des animaux. Des insectes. Si Alex paie le prix fort de son acharnement, il sortira grandi de cette adversité, ayant réussi à déstabiliser un univers pernicieux, ignoré de la majorité des mortels, victimes silencieuses d'une poignée de profiteurs qui n'ont rien à perdre, la vie pour eux étant secondaire.
Roman classé parmi le genre policier, ce qui nous a un peu étonnée, tant l'action, captivante, se déroule autour du médecin Alex Fournier, sa lutte visant un monolithe humain inébranlable, ses collègues l'abandonnant à ses délires donquichottesques. Au moment venu, il devra faire la part des choses, saisissant avec amertume la solitude qui l'accable. Explorer à sa source le mal qu'accentuent, dans ce récit palpitant, de courts intertextes, menant le lecteur à son point de non-retour. À lire pour réfléchir au destin de l'humanité, à son avenir compromis par le despotisme de cupides individus réfractaires à la continuité d'un monde, déjà meurtri par les guerres...
Les griffes de l'invisible, Jean-Marc Ouellet
Éditions Triptyque, Montréal, 2016, 197 pages
La thématique proposée par l'écrivain s'avère très actuelle. Un avertissement romancé qu'il ne faut pas prendre à la légère sous couvert que nous faisons confiance à la fiction. À l'imagination fertile du conteur. Bien souvent, un fait divers prend la tournure inusitée d'une rumeur avant de se transformer en certitude, qui dénonce ou garantit la teneur du propos annoncé. L'histoire, ici, se présente sous l'aspect d'une menace signalée par l'auteur, mais aussi par l'anesthésiologiste qui pratique dans un hôpital de Québec. La vérité peut-elle se confondre avec l'allégorie ? Dans ce cas précis, il eût été rassurant d'inscrire ce récit parmi les affabulations d'un médecin en quête de sensations fortes. Mais après un détour dans ce récit passionnant, on ne pouvait que s'interroger, le sort d'Alex Fournier nous ayant troublée.
La vie de cet homme est jusqu'à présent sans problème. Ce jour-là, heureux, il rend visite à sa sœur, veuve, installée à la campagne, mère de deux jeunes enfants. D'emblée, elle lui confiera que son fils est atteint de leucémie, qu'il n'a que quelques mois à vivre ; Charles a toujours été sensible aux effets perturbateurs des ondes électromagnétiques. À son retour chez lui, ébranlé par les révélations de sa sœur, taraudé par la curiosité, le médecin se met en quête de cerner ce terrible sujet auprès de ses collègues, de ses amis. Bien que chacun s'apitoyât sur le sort désespéré du neveu, personne ne croit au danger de l'électromagnétisme. Alex a compris qu'il doit, de son propre chef, prendre les choses en main. À la suite d'une conférence donnée par un célèbre hémato-oncologue, qu'il rencontrera, il sera confirmé dans sa décision. Ce chercheur s'est vainement penché sur les causes mortelles des ondes électromagnétiques, il n'a reçu que railleries et sarcasmes de la part de ses pairs, au point de se rétracter, de quitter le Québec. Il met Alex en garde mais ne le dissuade pas de différer ses ambitieux projets.
Ce dernier enverra une lettre à l'agence gouvernementale l'informant des méfaits des émissions électromagnétiques, espérant atteindre la méga compagnie WBS, qui détient le monopole de l'ensemble industriel. Après un certain temps, des menaces d'intimidation seront envoyées à Alex Fournier, l'intimant de se mêler de ses propres affaires. Il n'en fera rien, et commence alors une série d'atteintes sur son entourage, sur des personnes qui sont au courant de ses desseins. Une journaliste, son ex-épouse. Un employé de l'agence qui avait, délibérément, considéré sa demande. Entretemps, Charles est mort, la vie professionnelle d'Alex Fournier est soumise à la personnalité parfois difficile de collègues qui ont remarqué la nervosité angoissée de l'anesthésiologiste. Ne pouvant se dépêtrer seul du terrifiant piège que lui a tendu la WBS, il devra porter plainte, utiliser les services de l'inspecteur Picard, qui doute de la véracité des péripéties de son client, celui-ci n'ayant aucun argument solide à lui fournir. Jusqu'au jour où les preuves d'assassinat s'accumulant contre lui, Alex Fournier sera emprisonné, en attendant son procès.
On ne dévoilera pas les intrigues se nouant autour du médecin, n'altérant en rien son désir de combattre les multinationales qui empochent les profits générés par les émissions électromagnétiques, ne se souciant pas de la santé des humains, des dérives de la nature, du comportement parfois instable des animaux. Des insectes. Si Alex paie le prix fort de son acharnement, il sortira grandi de cette adversité, ayant réussi à déstabiliser un univers pernicieux, ignoré de la majorité des mortels, victimes silencieuses d'une poignée de profiteurs qui n'ont rien à perdre, la vie pour eux étant secondaire.
Roman classé parmi le genre policier, ce qui nous a un peu étonnée, tant l'action, captivante, se déroule autour du médecin Alex Fournier, sa lutte visant un monolithe humain inébranlable, ses collègues l'abandonnant à ses délires donquichottesques. Au moment venu, il devra faire la part des choses, saisissant avec amertume la solitude qui l'accable. Explorer à sa source le mal qu'accentuent, dans ce récit palpitant, de courts intertextes, menant le lecteur à son point de non-retour. À lire pour réfléchir au destin de l'humanité, à son avenir compromis par le despotisme de cupides individus réfractaires à la continuité d'un monde, déjà meurtri par les guerres...
Les griffes de l'invisible, Jean-Marc Ouellet
Éditions Triptyque, Montréal, 2016, 197 pages