L'été, comme les humains, vieillit, court à sa perte. On le poursuit en le suppliant de ne pas nous délaisser trop vite. On veut rester dans la lenteur des choses qui s'affadiront à l'automne. On aimerait qu'un dieu de pierre ou pétri de glaise dresse l'oreille vers notre supplication. On aime intensément la chaleur, la vigueur des arbres dans le parc, l'aveuglante lumière du ciel, l'odeur pénétrante de la terre. On commente le roman de Vincent Thibault, Vodyanoy : Le Lac aux loutres.
Tout en nous reposant d'un excès de lectures consommées durant le printemps dernier, on a lu cette histoire oscillant entre réalisme et surréalisme, en prenant notre temps. Dans une région campagnarde, située en retrait de Saint-Georges de Beauce, nous entrons dans la vie d'un couple, parents d'une fillette « enfant spéciale ». Elle, Morgane, après des expériences professionnelles peu fructueuses, a fondé une petite entreprise de " jus verts " ; son mari, Ralph, est mécanicien, tous les deux sont établis à leur compte. Rien d'anormal jusque-là, le quotidien a peut-être grignoté de ses habitudes sournoises l'amour qui les unit depuis une dizaine d'années. Mais un jour, Morgane quitte brusquement la maison, et disparait. Sur le moment, Ralph évite de se questionner, persuadé que Morgane reviendra. N'a-t-elle pas fugué pour échapper aux aléas d'un premier mariage ? Après une semaine d'attente, sans trop d'inquiétude, Morgane ne réapparaissant pas, Ralph alerte la police, qui sera étonnée de sa négligence. Cependant, les recherches ne donneront aucun résultat. Dépassé par ces subits événements inexplicables, Ralph doit prendre en main l'éducation de sa fille, privilégier ses relations avec ses clients.
Un autre couple, ami de Morgane, fera en sorte que Ralph se sente à l'aise dans son malheur, bien que celui-ci prétende en lui-même n'avoir besoin de personne. Ce qui vaudra au lecteur un détour assourdissant dans la jeunesse mouvementée de Ralph, sa relation ratée avec son père, ces années où l'adolescence s'avère l'expérience la plus pénible lorsqu'elle est abandonnée aux mains de soi-même, non gérée par une personne responsable. C'est un homme d'une quarantaine d'années, rencontré par hasard, poète à ses heures, adepte d'une ancienne sagesse orientale, qui saura intéresser Ralph aux bienfaits de la nature et, surtout, à la mythologie de l'eau vive, inspirée de légendes peuplant moult pays nordiques. Habitées d'un vieil homme surnommé Vodyanoï.
On a omis de mentionner que l'eau occupe une place prépondérante dans ce roman aux relents fantastiques. L'eau vive que des algues étranges mouvementent. Comme dans des contes ressurgis d'une époque révolue, qui convainquent peu Ralph, un vieil homme détrempé, répugnant, se balade dans le village, sa douteuse réputation lui valant la crainte et le mépris des habitants. De désagréables rumeurs circulent sur son compte. Morgane serait-elle au nombre de ses victimes, des femmes en particulier, dont les disparitions pèsent sur lui ?
Malgré le drame mettant le couple à rude épreuve, le message est clair. Vincent Thibault, qu'on suit depuis ses premières parutions, fait savoir au lecteur qu'une vie saine de corps et d'esprit, qu'une philosophie portant sur l'humilité et la bonté, qu'un retour rigoureux sur soi-même, sont nécessaires pour acquérir la plénitude équilibrée de notre existence. On se serait passé de longueurs lourdement insistantes mais la générosité de l'auteur nous incite à voir plus profondément, laissant de côté quelques détails grammaticaux superfétatoires. La fiction est originale, elle ouvre les portes d'une nouvelle maison d'édition numérique axée sur la qualité littéraire, sur son économie, en n'imprimant que des livres sur commande. Place à la modernité prônée chez Carrefours azur !
Vodyanoy : Le Lac aux loutres, Vincent Thibault
Collection Fictions
Éditions Carrefours azur, www.carrefours-azur.com
2016, 203 pages