Le soir, avant de nous endormir, on réfléchit à un thème qui conviendrait à notre introduction. On s'endort, la nuit devient opaque, les ombres s'épaississent, les rêves nous assaillent. Les heures silencieuses nous reposent. Puis, nous réveillant à l'aube, ce qui nous semblait délicieux la veille n'est plus que mots insipides, fades et inutiles. Vanité de la pensée. On commente le deuxième roman de Claude Brisebois, Sous couverture.
Si la littérature romanesque détient plusieurs rôles, il est de bon ton qu'elle soit parfois divertissante. Même si on fréquente peu le genre, quand il est bien ficelé, on se laisse aller avec plaisir, en la compagnie de personnages qu'il faut prendre au premier degré. Ce qu'on a ressenti en lisant le roman de cette écrivaine qui, avec une histoire rocambolesque, nous tient en haleine du début à la fin de la cinq cent douzième page. On la résume, on ne peut en dévoiler l'intrigue au complet, ce qui serait impossible dans notre peu d'espace accordé à une critique, et qui serait insupportable au lecteur qui n'en demande pas tant de notre part. Jérémie Martin, jeune quarantenaire, brocanteur mais aussi antiquaire, deviendra le propriétaire d'un vieux meuble acquis dans une ferme, don d'un héritage familial. Le meuble renfermera un secret pour le moins inattendu. Alors qu'il l'a démonté pour le rénover, dans un tiroir scellé, Jérémie découvrira des documents révélant l'existence d'une maison d'édition clandestine, qui, au Québec, aurait eu son heure de gloire dans les années cinquante. Plusieurs livres y auraient été publiés, mais où sont-ils aujourd'hui ? Que sont devenus leurs auteurs ? C'est là que l'enquête de Jérémie commence avec l'aide de son assistante efficace, mais terriblement émotive, Solange Généreux, trentenaire. Comme souvent dans ces histoires à saveur de fables, de nombreux personnages s'y démènent, compliquant la tâche de protagonistes bien intentionnés, reconstituant, ici, la trame d'une maison d'édition québécoise condamnée à sa fermeture, ses œuvres jugées trop audacieuses ayant été censurées par l'État et l'Église. Le gouvernement de Maurice Duplessis pesant de tout son poids néfaste. L'éditrice, Élisabeth de Chavigny, Française émigrée au Québec, amie de Jean Cocteau, après avoir entrepris cette fabuleuse aventure mourra dans son manoir, seule, malade, désespérée de son échec.
La partie la plus captivante du roman, c'est quand l'auteure dépeint, pièces à conviction dans les mains de Jérémie et dans d'autres, suspicieuses, de quelle manière archaïque se fabriquait un livre avec le matériel désuet de l'époque. Bien sûr, ceci nous est raconté en alternance avec des intrigues combinatoires, qui conduiront Solange en France pour y chercher dans les dires de leurs familles, d'improbables écrivains ayant publié et séjourné dans la maison d'édition d'Élisabeth de Chavigny, Sous couverture. Solange ira de surprise en surprise, ne s'attendant pas, entre autres épatements, à éprouver une passion passagère pour un neveu de l'éditrice, cinquantenaire, séducteur et charmeur, qui mettra le cœur de Solange à rude épreuve, malgré son amour pour son patron, Jérémie Martin. Si elle cède à son attirance pour le bellâtre, elle n'en reste pas moins lucide et professionnelle. Son retour au Québec sera placé sous le signe des retrouvailles heureuses avec Jérémie. Entretemps, bien des événements se seront déroulés, plus ou moins embrouillés, d'étranges personnages interviendront, comme un vieil antiquaire jouant au chat et à la souris avec Jérémie. Une femme rébarbative qui, pour l'honneur de la famille, refuse de céder le livre écrit par son père. Du suspense bien dosé, des randonnées dans une ferme où l'entre-toit se révèle une cachette imprévisible. Une auteure, ayant publié sous un pseudonyme masculin, compliquera l'enquête du brocanteur et de son assistante. La venue inopinée du neveu, mettant à nouveau le cœur de Solange en émoi. Le récit rebondit sans jamais lasser le lecteur. Nous y trouvons matière suffisante à intéresser celui ou celle qui veut entrer dans une histoire plutôt amusante, mais qui aurait gagné à être resserrée, certains détails étant absolument inutiles, le genre méritant aussi sa part de non-dits.
Roman efficace et réjouissant, à lire l'été ou durant un week-end désœuvré. Ou encore durant une journée printanière pluvieuse. On reconnait que l'auteure, Claude Brisebois, a du souffle. Nullement, au cours de notre lecture, on n'a ressenti un creux de vague d'où il faut remonter avec détermination et talent. On recommande cette fiction pour la légèreté du propos, mais aussi pour se rendre compte à quel point fabriquer un livre a évolué, si l'être humain, lui, est resté fidèle à ce qu'il a toujours été. Vulnérable et faillible sous des dehors placides.
Sous couverture, Claude Brisebois
Éditions Druide, collection « Écarts »
Montréal, 2017, 512 pages
Critique de livres, romans, nouvelles, récits.
Écrire est un acte d'amour. S'il ne l'est pas, il n'est qu'écriture. Jean Cocteau
mardi 18 avril 2017
lundi 3 avril 2017
Des jumeaux à l'âme atrophiée *** 1/2
Des livres. On en mange, on en boit, on en digère, on en vomit. On en donne, on n'en vend surtout pas. Les livres sont des envahisseurs qui, comme les chats, vivent leur vie sans se préoccuper de notre présence. Sans les livres, sans les chats, notre vie serait incomplète. Les deux sont complices, ils se permettent des outrances qu'on ne tolérerait de personne. On parle du premier roman de Marie-Hélène Larochelle, Daniil et Vanya.
Ces derniers mois, on s'est lassée des premiers romans. On y a trouvé que des états d'âme décortiqués par de jeunes narratrices qui, bien souvent, nous ont découragée par la banalité répétée de propos convenus. Faut-il faire de la littérature de tout et de rien, surtout de rien ? On en doute. On aime les livres audacieux, menés par des auteurs dont on devine qu'ils iront plus loin. Vers une maturité qui se manifestera au fur et à mesure que les livres s'écriront. C'est donc avec hésitation qu'on a ouvert le premier livre de Marie-Hélène Larochelle, déjà prête à ne lui accorder qu'une lecture distraite. Mais la surprise a été belle, on s'est laissée emporter par les déboires d'un jeune couple qui a adopté des jumeaux, d'origine russe. Daniil et Vanya. Elle, Emma, a dû interrompre une grossesse avancée qui ne lui permet plus d'espérer un deuxième enfant. Son mari, Gregory, désire fonder une famille. Tous les deux sont designers, leur petite compagnie fonctionne à merveille. Responsables, ils ont les moyens financiers d'élever plusieurs enfants.
Dès le voyage d'Emma et de Gregory en Russie, le mystère s'instaure. S'insère dans tous les chapitres, captivant le lecteur, lui donnant l'envie de poursuivre l'aventure de ce jeune couple aux prises avec l'administration russe, bizarrement expéditive en une telle circonstance. Sans chaleur humaine, les jumeaux sont remis aux futurs parents, ne sachant pas ce qui leur arrive. Ils ont seulement quelques mois, insensibles à la joie que partagent Emma et Gregory de se retrouver avec deux enfants alors qu'ils désiraient n'en adopter qu'un... Le voyage dans l'avion, qui les ramène tous les quatre à Toronto, sera perturbé par les pleurs douloureux des jumeaux. À l'hôpital, où ils seront examinés, sera décelé un inexplicable symptôme, révélateur de l'attitude des bébés au départ de la Russie. Emma réalisera très vite que ses garçons ne l'aiment pas, ils n'aiment personne, se suffisent à eux-mêmes. Se ressemblent-ils, nous ne savons trop. Une intense complicité les unit, un attachement viscéral les sépare des adultes, les évènements extérieurs les indiffèrent. L'enfance se maintiendra dans des conditions déconcertantes, ce que ne comprennent pas toujours leurs parents adoptifs. Les enfants s'adaptent mal à ceux de leur âge, au point qu'Emma se fera leur institutrice, refusant de les envoyer à l'école. Intelligents, Daniil et Vanya ingurgitent sans restriction les cours préparés par une mère qui a abandonné sa carrière pour se consacrer à ces deux garçons atypiques. Jusqu'au jour — on est souvent tentée d'utiliser ce terme justifiant la méfiance du lecteur —, jusqu'au jour donc où les enfants, devant se présenter à un examen officiel dans une école, refusent catégoriquement de poursuivre leur éducation solitaire en tête-à-tête avec leur mère qui se fait, il nous faut en convenir, de plus en plus étouffante.
Sous des dehors affables mais rébarbatifs, Daniil et Vanya vivent leur histoire sans ne jamais manifester un brin d'affection envers Gregory et Emma. Ils fuguent, s'isolent dans des lieux insalubres où personne ne peut les retrouver, où personne ne se doute de leurs premiers méfaits. Gregory et Emma reconnaissent que les jumeaux ont un comportement inquiétant, mais chacun, assisté de l'autre, se réfugie dans un déni sournois qui s'avérera catastrophique. Qui sont ces deux adolescents prétendument jumeaux, que savons-nous de leurs parents biologiques ? Pas grand-chose. C'est le médecin de famille de Gregory et d'Emma qui éclaircira bien des mystères qu'Emma, maladivement émotive, jusqu'à la fin, se refusera d'assumer. Cette fin se révélant inévitable.
Faillite du couple, échec d'une adoption hasardeuse. Blessures de part et d'autre, parents et enfants ont joué un rôle qui leur était fatalement attribué. Les uns, prédateurs, les autres, proies. Tous, victimes. Ce roman bouscule les meilleures intentions, remet en cause l'adoption d'enfants desquels, mentalement, émotivement, nous ne pouvons interpréter les failles. La voix des garçons occupant la deuxième partie du roman, nous nous rendons compte combien les enfants rejetés par une mère biologique inconnue, retiennent en leurs entrailles d'insidieuses frustrations, entachant un avenir chancelant sur ses bases.
Ce roman, au style sans complaisance, à l'écriture sobre, devrait être lu par moult parents et ceux qui veulent le devenir, au risque d'essuyer un échec cuisant. Habilement, à travers une fiction convaincante, Marie-Hélène Larochelle a témoigné de l'impuissance à pénétrer dans le cœur d'enfants malmenés par une obscure vie prénatale, impossible à détecter, le désir de certains futurs parents d'aimer un enfant abandonné, leur faisant perdre de vue l'insondable d'une situation malaisée.
Daniil et Vanya, Marie-Hélène Larochelle
Éditions Québec Amérique, Montréal, 2017, 285 pages
Ces derniers mois, on s'est lassée des premiers romans. On y a trouvé que des états d'âme décortiqués par de jeunes narratrices qui, bien souvent, nous ont découragée par la banalité répétée de propos convenus. Faut-il faire de la littérature de tout et de rien, surtout de rien ? On en doute. On aime les livres audacieux, menés par des auteurs dont on devine qu'ils iront plus loin. Vers une maturité qui se manifestera au fur et à mesure que les livres s'écriront. C'est donc avec hésitation qu'on a ouvert le premier livre de Marie-Hélène Larochelle, déjà prête à ne lui accorder qu'une lecture distraite. Mais la surprise a été belle, on s'est laissée emporter par les déboires d'un jeune couple qui a adopté des jumeaux, d'origine russe. Daniil et Vanya. Elle, Emma, a dû interrompre une grossesse avancée qui ne lui permet plus d'espérer un deuxième enfant. Son mari, Gregory, désire fonder une famille. Tous les deux sont designers, leur petite compagnie fonctionne à merveille. Responsables, ils ont les moyens financiers d'élever plusieurs enfants.
Dès le voyage d'Emma et de Gregory en Russie, le mystère s'instaure. S'insère dans tous les chapitres, captivant le lecteur, lui donnant l'envie de poursuivre l'aventure de ce jeune couple aux prises avec l'administration russe, bizarrement expéditive en une telle circonstance. Sans chaleur humaine, les jumeaux sont remis aux futurs parents, ne sachant pas ce qui leur arrive. Ils ont seulement quelques mois, insensibles à la joie que partagent Emma et Gregory de se retrouver avec deux enfants alors qu'ils désiraient n'en adopter qu'un... Le voyage dans l'avion, qui les ramène tous les quatre à Toronto, sera perturbé par les pleurs douloureux des jumeaux. À l'hôpital, où ils seront examinés, sera décelé un inexplicable symptôme, révélateur de l'attitude des bébés au départ de la Russie. Emma réalisera très vite que ses garçons ne l'aiment pas, ils n'aiment personne, se suffisent à eux-mêmes. Se ressemblent-ils, nous ne savons trop. Une intense complicité les unit, un attachement viscéral les sépare des adultes, les évènements extérieurs les indiffèrent. L'enfance se maintiendra dans des conditions déconcertantes, ce que ne comprennent pas toujours leurs parents adoptifs. Les enfants s'adaptent mal à ceux de leur âge, au point qu'Emma se fera leur institutrice, refusant de les envoyer à l'école. Intelligents, Daniil et Vanya ingurgitent sans restriction les cours préparés par une mère qui a abandonné sa carrière pour se consacrer à ces deux garçons atypiques. Jusqu'au jour — on est souvent tentée d'utiliser ce terme justifiant la méfiance du lecteur —, jusqu'au jour donc où les enfants, devant se présenter à un examen officiel dans une école, refusent catégoriquement de poursuivre leur éducation solitaire en tête-à-tête avec leur mère qui se fait, il nous faut en convenir, de plus en plus étouffante.
Sous des dehors affables mais rébarbatifs, Daniil et Vanya vivent leur histoire sans ne jamais manifester un brin d'affection envers Gregory et Emma. Ils fuguent, s'isolent dans des lieux insalubres où personne ne peut les retrouver, où personne ne se doute de leurs premiers méfaits. Gregory et Emma reconnaissent que les jumeaux ont un comportement inquiétant, mais chacun, assisté de l'autre, se réfugie dans un déni sournois qui s'avérera catastrophique. Qui sont ces deux adolescents prétendument jumeaux, que savons-nous de leurs parents biologiques ? Pas grand-chose. C'est le médecin de famille de Gregory et d'Emma qui éclaircira bien des mystères qu'Emma, maladivement émotive, jusqu'à la fin, se refusera d'assumer. Cette fin se révélant inévitable.
Faillite du couple, échec d'une adoption hasardeuse. Blessures de part et d'autre, parents et enfants ont joué un rôle qui leur était fatalement attribué. Les uns, prédateurs, les autres, proies. Tous, victimes. Ce roman bouscule les meilleures intentions, remet en cause l'adoption d'enfants desquels, mentalement, émotivement, nous ne pouvons interpréter les failles. La voix des garçons occupant la deuxième partie du roman, nous nous rendons compte combien les enfants rejetés par une mère biologique inconnue, retiennent en leurs entrailles d'insidieuses frustrations, entachant un avenir chancelant sur ses bases.
Ce roman, au style sans complaisance, à l'écriture sobre, devrait être lu par moult parents et ceux qui veulent le devenir, au risque d'essuyer un échec cuisant. Habilement, à travers une fiction convaincante, Marie-Hélène Larochelle a témoigné de l'impuissance à pénétrer dans le cœur d'enfants malmenés par une obscure vie prénatale, impossible à détecter, le désir de certains futurs parents d'aimer un enfant abandonné, leur faisant perdre de vue l'insondable d'une situation malaisée.
Daniil et Vanya, Marie-Hélène Larochelle
Éditions Québec Amérique, Montréal, 2017, 285 pages