Il est des nuits comme des journées, actives ou paresseuses. On dort, on ne dort pas, le sommeil, lui aussi, impose ses trêves. Faites de joies ou de peines, comme si les émotions ne savaient se contenter de la lumière du ciel. On ressasse des événements sans importance, on devrait mentionner des faits divers, la mémoire exacerbée les affublant du costume usé d'une époque révolue. On commente le roman de Nancy Vickers, Maldoror.
Le moins qu'on puisse dire, c'est que les histoires de cette auteure généreuse ne nous accablent pas des problèmes sociétaux actuels. Elle nous emporte sans transition aucune dans des lieux où sévissent d'étranges personnages, des femmes principalement, qui ont pris en main leur destinée d'anges ou de démons. C'est le cas ici où, dans un village intemporel, Maldoror, un musicien de génie, mondialement célèbre, Vlad Vamberger, après avoir donné un concert, s'éprend d'une jeune fille au prénom insolite, Immaculée. Elle est l'enfant de la sorcière et peintre ésotérique, Vanessa. Cette dernière pressent que sa fille a été conçue lors d'une soirée vaudou, en Haïti. Le père, elle ne sait plus, mais il est évident que le musicien la trouble, lui rappelle un homme qui a pratiqué sur elle des rites dont elle ignorait alors la puissance. Vanessa s'entoure d'une cour d'oiseaux qui prennent la parole, de chats qui interviennent dans les moments cruciaux. Animaux qu'elle vénère au même titre que la mort inexpliquée de sa meilleure amie, Séverine, la hante. Ses tableaux s'animent, accusent, se rebiffent. À la suite de son mariage avec Vlad, sa fille, Immaculée, donnera naissance à des jumeaux, une fille et un garçon, Trinité et Océan, qui lui coûteront la vie. Inconsolable, Vlad repartira en tournée, ses enfants seront confiés aux bons soins de Vanessa et des nourrices. C'est dans cette atmosphère quelque peu repliée, hétéroclite, que les jumeaux d'Immaculée grandiront, devenant eux-mêmes des adolescents empêtrés dans une éducation surannée, influencée par leur grand-mère que, plus tard, après le décès de leur père, ils refuseront de rencontrer, l'accusant de maléfices à leur endroit.
Le destin inusité de ces personnages marginaux serait banal si leur aventure personnelle n'était pas dictée par les agissements troublants des jumeaux qui s'éprennent l'un de l'autre, essaient d'invoquer en leur savoir musical, la dernière œuvre de leur père, qu'il n'a pas eu le loisir de terminer avant sa mort. Justiciers l'un de l'autre, ils s'imposeront des contraintes amoureuses pour que l'enfant de la musique renaisse dans la future naissance de leur fille. Amalgame des relations incestueuses entre le stryge de Vlad, Trinité et Océan, que Vanessa surveillera de loin, son pouvoir de sorcière la faisant pénétrer dans un futur angoissant et déstabilisant. On ne révélera pas toutes les péripéties animant ce roman, cela serait impossible, les cartes du tarot dévoilant le drame qui se prépare, inévitable, le feront en notre nom. Le feu, synonyme de passion, bien souvent de destruction, conclura une fiction qu'on n'a pas l'habitude de savourer parmi nos pérégrinations littéraires. Il suffit de faire confiance à l'imagination fertile de l'écrivaine, Nancy Vickers, qui, elle, ne craint pas les représailles de divines sorcières pour avoir dénoué, avec talent et originalité, leurs intrigues manigancées entre vivants et morts.
À lire, pour se faire une idée de mondes inaccessibles, qui, semblables à des horizons parallèles, terre et mer, finissent par atteindre les humains que nous sommes, tels les dieux, jadis, ne manquaient pas de se masquer pour mieux nous atteindre. Au fond de nous-même, on s'interroge sur l'identité des protagonistes que Nancy Vickers dirige avec doigté, habile metteure en scène. Ne sont-il pas issus d'un rêve éveillé ou d'une improbable rencontre avec des êtres évanescents, ne souhaitant que retourner dans leurs limbes insondables ?
Maldoror, Nancy Vickers,
Éditions David, Ottawa, 2016, 250 pages