À soixante-dix-neuf ans, il nous dit sereinement que n'ayant plus aucun désir, il attend que la mort l'emporte. On est triste pour cet homme, et ami, qui a démontré durant son existence un anticonformisme peu commun, une intelligence au-delà de tout soupçon. Sans famille, sans enfants, son dernier compagnon lui a fait faux bond. Son vieux chien vient de lui tirer sa révérence. On a lu le dernier roman de Max Férandon, Hors saison.
Auteur de qui on a savouré les deux précédents romans. Un humour subtil se propage à travers ses histoires, souvent abracadabrantes mais tellement réalistes que nous pouvons qu'y adhérer, sans nous interroger. Ce troisième opus de Férandon n'échappe pas à notre plaisir de lecture, comme on l'a toujours ressenti en nous attardant à ses personnages, catapultés dans des aventures qui ne manquent pas de sel. Ni de sucre, la douceur minimisant les dégâts que parfois les humains occasionnent, nous ne savons quel maléfice les hante. Ici, tout commence par la mort de Jacques Jodoin, préposé à l'entretien de nuit Au Bonheur de Noël, magasin où se vendent des articles disparates pour décorer les sapins, et d'autres artéfacts qui laissent supposer que Noël dure toute l'année. Si la mort n'était pas aussi triste et définitive, on s'en réjouirait, ce décès nous ayant fait découvrir quelques êtres loufoques et cocasses, habités de leurs démons intérieurs, invisibles. D'abord entre en scène Laurie-Ann, décoratrice depuis cinq ans du magasin, mère d'une fillette de six ans. C'est elle qui, un matin, arrivant au travail, découvre le cadavre de Jodoin. Elle l'aimait bien, il était un peu amoureux d'elle, c'était un malhabile romanesque. Puis intervient Marina Duhaime, lieutenante des enquêtes spéciales, femme énergique, autoritaire, qui a plus de « couilles que la majorité de ses collègues qui n'en ont plus. » Déroutée par cette mort inexplicable, elle se liera à un célèbre cuisinier, Antoine Paradis, reconverti dans la création des repas d'avion. Harcelé par un critique culinaire qui agira dans l'ombre, dissimulant par ce biais un handicap physique. Au cours d'une autre vie, le cuisinier a très bien connu Jacques Jodoin, confie-t-il à l'inspectrice. Celle-ci, non sans ironie, acceptera de l'entendre et même de le consulter pour dénouer cette affaire louche et surprenante, personne ne soupçonnant quelque mystère malveillant entachant la vie de cet homme discret et taciturne. Pourtant, plus nous pénétrons dans cette fiction édifiante, plus se décantent les rêves douteux de tout un chacun. Sinon leur réalité grinçante tellement semblable à la nôtre. Leurs agissements inexplicables. Une histoire d'argent, comme il se doit, un souterrain creusé sous une librairie d'occasion, gérée par un vieil homme malicieux, mettra au jour bien des péripéties, ignorées par les uns, soupçonnées par les autres.
Le récit réjouissant, si plaisant à lire, se déroule à Québec, en octobre. Ville où réside l'auteur, qui nous décrit, poétiquement, les lieux où le décès de Jacques Jodoin prend ses collègues et amis par surprise. Luc Landry, patron du Bonheur de Noël, se serait bien passé de ce drame, lui qui n'aspire qu'à vendre ses produits qu'il achète à bon marché aux États-Unis. Ses ouvriers — ses lutins — qui travaillent à l'entrepôt, s'avèrent des figures marginales au passé inavoué, sans oublier les sœurs jumelles, soudées comme un coquillage à son rocher. Derrière des airs innocents — mais qui n'en use pas ? —, elles tremperont dans cette histoire de tunnel qui donne accès à une pièce inoccupée de la banque voisine. Suspense et humour composent ce roman magnifiquement écrit, l'auteur privilégiant une écriture impressionniste, teintée de dramatiques déboires, qui ont déterminé le rôle de chaque protagoniste. On a aimé le peu de sérieux que le défunt, une fois enterré, inspire à la démarche de l'écrivain, loin de toute prétention à renouveler le genre du polar. Décédé, Jodoin ne rameute personne. S'actionne dans son sillage, une poignée d'hommes et de femmes suffisamment responsables pour prendre en main leur propre existence. Grâce à la ténacité entêtée de Marina Duhaime, au nez fin d'Antoine Paradis, qui révèlera au lecteur le secret d'une omelette raffinée, la mort de Jacques Jodoin sera élucidée. Comme dans tout polar qui se respecte, il y a des coupables que la lieutenante Duhaime s'empressera d'embarquer pour le bien-être de ce petit univers original. L'histoire se clôt avec émotion sur le fleuve Saint-Laurent qui, lui, continue son périple, se moquant des humains, de leurs tentations auxquelles ils finissent par céder, pour se soustraire à leur attirance. À ce sujet, on pense à la citation d'Oscar Wilde que Max Férandon ne doit pas dédaigner...
Hors saison, Max Férandon
Éditions Alto, Québec, 2017, 176 pages