Il y a des jours qui se différencient des autres. On les repère, on les met de côté pour plus tard, se disant qu'ils embelliront nos heures monotones. Les saisons déroulent leur magie en vert, en tons mordorés, en blanc. Elles charment l'œil, le font cligner d'un étonnement naïf qui ne tarit pas, fidèle en cela au torrent qui descend des montagnes, bondit jusqu'à l'océan. Éternelle jeunesse des éléments naturels. Nous, on est témoin, on s'éteint. On a lu le recueil de nouvelles de Camille Deslauriers, Les ovaires, l'hypothalamus et le cœur.
Troisième livre de cette auteure qui n'a pas été sans nous surprendre agréablement en lisant ces seize récits. On y a relevé l'expérience de l'écriture, une spontanéité qui apporte un souffle printanier aux propos que narre la nouvellière. Le ton primesautier suscite des sourires indulgents, ces petits drames déchirant le cœur de la narratrice, la même tout au long de ces fictions, qui l'essoufflent, jusqu'à la dépression. De quoi est faite la vie ? De malentendus quand le temps oscille entre illusions, contentement, déceptions. On souffre un peu, on recommence de plus belle, on se dit que. D'une histoire à l'autre, la sempiternelle rengaine insuffle à la narratrice un goût intense de la vie, entourée de femmes et d'hommes qui lui permettent d'exister. Elle aime les éraflures, le excoriations, les bleus, les larmes qui abondent. Elle a le goût de l'énumération, qu'il s'agisse de sentiments sur le point d'échouer ou de préparer un plat exotique dont elle suit attentivement la recette. Au bout, ne reste que la rancune dirigée contre l'homme qu'elle attend pour savourer une soirée, une nuit, sans se préoccuper du lendemain. Seul, l'instant compte même s'il s'épine d'une furtive jalousie qui empoisonne l'humeur plutôt conciliante de la narratrice.
Elle est prof de lettres à l'université, assiste à des colloques. Elle aime les chats, les livres. Elle est célibataire, dépitée parfois de l'être encore. Refuse la maternité. Par contre, on est étonnée que son comportement, souvent excessif, soit celui d'une femme au seuil de la cinquantaine. Aucune saveur pour la modération, ses expériences ne servent qu'à fissurer ses convictions, mais le désir d'agir comme bon lui semble, l'emporte vers des péripéties qui la font pleurer, la réconcilie avec le monde dont elle ne peut se passer. On n'énumérera pas les nouvelles qui l'apparentent au lecteur, celui-ci devant s'accommoder des déboires en tous genres que lui confie la narratrice. Elle se perd, se retrouve au cœur même de tous les recommencements, évitant les fins, celles-ci s'avérant nuisibles au corps quand il danse avec un partenaire sur le point d'être largué, crispant le dépit d'un homme déçu par la femme qu'il aime, en cherchant une autre, guidé par un orgueil malmené. Ourdissant les humeurs d'un homme mesquin dont elle a heurté accidentellement « sa balise de rue avec réflecteur ».
Ce sont constamment des intentions anecdotiques que, grâce à l'humour subtil de la narratrice, nous devons déceler. Les choses sont ainsi, la conteuse ne peut rien changer aux « cochonneries » que contiennent ses pots Mason. L'image nous plait, on s'en sert pour remplir les nôtres, regarder, non une guêpe qui meurt, asphyxiée à l'intérieur du bocal, mais observer à travers le verre, comment la presque cinquantenaire se sortira de ses maladresses grinçantes. Bien sûr, il y a la mère, que nous aimerions écarter, alors que ses conseils, que nous répugnons à appliquer, nous évitent de nous empêtrer davantage dans le nombre de calories qu'exige un corps gourmand, qui se veut encore jeune. Approche informelle des faits que nous percevons, toujours en contrepoint, proximité rarement simple et normale. La dernière nouvelle s'aligne, orchestrale, énumérant les raisons de boire de deux femmes qui saluent, les mains pleines d'amour et de tendresse, les acquis façonnant des années d'existence, les traversant, magnanimes, s'immisçant dans les plus folles argumentations nécessaires à leur bonheur de vivre. La phrase qui conclut le récit, peut-on dire l'ensemble du recueil, est sublime. On la cite, pour le plaisir de déguster les mots qui nous nourrissent, tel un poulet au curry préparé par la narratrice. « Et déjà, on les aime. Étourdissantes et magnifiques, si intenses et si libres. » Elle est ainsi, cette femme qui aime les bagages intimes de la vie, jusqu'à transcender sa chute dans les abysses humains. Inévitablement, comme tous les êtres doués pour l'art de vivre et de souffrir, elle remonte en surface, éclate de rire, exécute trois petits tours puis, continue son parcours sans jamais l'interrompre...
Les ovaires, l'hypothalamus et le cœur, Camille Deslauriers
Les éditions du Septentrion, collection Hamac
Québec, 2018, 122 pages
Critique de livres, romans, nouvelles, récits.
Écrire est un acte d'amour. S'il ne l'est pas, il n'est qu'écriture. Jean Cocteau
lundi 30 avril 2018
lundi 23 avril 2018
Mourir sans sourire aux lèvres *** 1/2
On doit en appeler à l'imagination et à son monde farfelu pour oublier que l'hiver, l'un des plus rigoureux qu'on a connu depuis notre arrivée au Québec, nous a heurtée de plein fouet. Nous a enfermée dans uns sorte d'igloo où les portes ne s'ouvrent que pour les nécessités. Dehors, tranche le blanc sur le bleu du ciel, qui nous fait rêver d'étendues sableuses, brûlantes à la plante des pieds. On a lu le roman de Jean-Jacques Pelletier, Deux balles, un sourire.
On avait fait la connaissance de l'inspecteur Henri Dufaux dans le précédent roman de cet écrivain prolifique, Bain de sang. Les protagonistes et l'intrigue nous ayant séduite, c'est avec curiosité qu'on a retrouvé l'inspecteur accompagné de son équipe. Les trois Sarah et les kids. Lui-même, Henri Dufaux, n'est pas à ranger parmi les communs des mortels, imprégnant son entourage de sa personnalité originale. Tonino, le serveur et patron d'un bistrot, lieu de rendez-vous habituel de l'inspecteur, en sait quelque chose. Dufaux est veuf, genre fidèle nostalgique. Il dialogue avec sa femme, victime d'un accident de voiture, quelques années plus tôt. Mais le temps passant, sa femme a délaissé la compagnie de son mari, qui attend d'elle moult conseils, comme elle l'a fait de son vivant. Il y a aussi la psychologue von Paulhus qui traite sa tendance à la dépression. Une autre femme, Lydia Balco, directrice du SCRS, causera bien des maux de tête à Henri Dufaux. Occupant l'aventure de Bain de sang, elle avait joué un rôle de justicière qu'il ne lui a jamais pardonné.
Dans l'histoire qu'on a lue d'une traite, sans reprendre notre souffle, plusieurs cadavres nous ont tenu compagnie. Ils ont reçu deux balles dans la tête, souriant comme si la mort s'était avérée la meilleure solution à leurs ennuis. Si l'inspecteur se pose d'insondables questions à propos de ces meurtres, son équipe ne manquera pas d'en rajouter pour essayer de résoudre ces crimes commis dans des lieux publics. Dufaux ne tardera pas à soupçonner des écoterroristes, Vert demain, qui revendiqueront les meurtres, et sèment la terreur d'une manière spectaculaire : ils veulent éliminer les pollueurs industriels, liés aux producteurs d'or. Ceux-ci rattachés à la société Pure Gold et son mystérieux PDG, Roy Fischer. Individu louche qui apparaîtra sous différentes identités au cours du roman avant de le clore d'un geste funeste.
Cette fiction déboule sans jamais s'essouffler, même si quelquefois, on a noté quelques enrouements ayant trait surtout à des querelles internes. Dufaux et son équipe faisant des envieux qui leur mettront des bâtons dans les roues, sans parvenir à atteindre leur but de dissolution. Timothy Collins, alias Komodo, directeur adjoint du SPVM, surveille son collègue d'un mauvais œil rancunier. Au premier abord, on s'est distraite d'une histoire terriblement bien ficelée puis on a constaté que l'écrivain, Jean-Jacques Pelletier, signalait au lecteur qu'il était temps de réfréner nos ardeurs et désirs matériels de pollueurs manifestes que nous sommes, ne nous tracassant aucunement de l'avenir menacé de notre planète, généreuse et tolérante. Il serait vain de nous attarder sur les mille péripéties qu'affrontent Henri Dufaux et ses jeunes alliés, ce serait dévoiler une intrigue passionnante, rythmée à l'allure effrontée de personnages qui sont loin de se soucier du bien-être futur de l'environnement. Sans spécifier toutes les embûches qui entraveront l'inspecteur avant d'aboutir à une étrange conclusion, nous laissant entendre qu'aucune justice ne viendra à bout de gens mal intentionnés. Tenter de sauver la planète n'est qu'un prétexte à détourner les exploiteurs de leurs sinistres desseins.
On n'a pas l'habitude de nous prélasser sur ce genre de roman — un polar — mais l'occasion était trop bonne pour ne pas saluer un écrivain plein d'imagination dynamique, maniant une écriture descriptive où la réflexion tient sa place adéquate sans jamais emprunter quelque voie détournée qui encombrerait le récit. Dufaux a la qualité des êtres lucides et réalistes, il dédramatise le sujet en lançant des pointes d'humour qui font sourire malgré les coups bas qu'il subira pendant l'enquête. Fine analyse aussi de la part de l'écrivain face à la jeunesse des acolytes de l'inspecteur. Un brin paternaliste, ce dernier les protège, les défend contre les intrus qui pourraient s'en prendre à leurs courageuses initiatives. Cependant, on se questionne sur l'avenir professionnel de Henri Dufaux qui réalise, et le rabâche au lecteur, que bientôt son équipe organisée n'aura plus besoin de lui. Songe-t-il à retraiter ? Pas de si tôt, on l'espère. N'est-il pas chargé d'une mission herculéenne dictée par le mystérieux Roy Fischer qui, lui, s'est retiré dans une cabane, au bord d'un lac insalubre, ancienne ville minière, contaminée par « toutes sortes de produits chimiques », déchets de l'entreprise autrefois florissante ? Cette image désolante ne symbolise-t-elle pas de récentes catastrophes écologiques, si proches de nous, que la fiction semble une accusation portée à notre indignité d'humains insouciants ? Légèreté du propos qui peu à peu devient visqueux, telle l'eau empoisonnée du lac par le cyanure et autres micro-organismes résiduels. Les poissons sont morts, et si nous mourrions à notre tour, victimes de nos propres inconséquences, sans sourire aux lèvres ?
Deux balles, un sourire, Jean-Jacques Pelletier
Éditions Hurtubise, Montréal, 2017, 448 pages
On avait fait la connaissance de l'inspecteur Henri Dufaux dans le précédent roman de cet écrivain prolifique, Bain de sang. Les protagonistes et l'intrigue nous ayant séduite, c'est avec curiosité qu'on a retrouvé l'inspecteur accompagné de son équipe. Les trois Sarah et les kids. Lui-même, Henri Dufaux, n'est pas à ranger parmi les communs des mortels, imprégnant son entourage de sa personnalité originale. Tonino, le serveur et patron d'un bistrot, lieu de rendez-vous habituel de l'inspecteur, en sait quelque chose. Dufaux est veuf, genre fidèle nostalgique. Il dialogue avec sa femme, victime d'un accident de voiture, quelques années plus tôt. Mais le temps passant, sa femme a délaissé la compagnie de son mari, qui attend d'elle moult conseils, comme elle l'a fait de son vivant. Il y a aussi la psychologue von Paulhus qui traite sa tendance à la dépression. Une autre femme, Lydia Balco, directrice du SCRS, causera bien des maux de tête à Henri Dufaux. Occupant l'aventure de Bain de sang, elle avait joué un rôle de justicière qu'il ne lui a jamais pardonné.
Dans l'histoire qu'on a lue d'une traite, sans reprendre notre souffle, plusieurs cadavres nous ont tenu compagnie. Ils ont reçu deux balles dans la tête, souriant comme si la mort s'était avérée la meilleure solution à leurs ennuis. Si l'inspecteur se pose d'insondables questions à propos de ces meurtres, son équipe ne manquera pas d'en rajouter pour essayer de résoudre ces crimes commis dans des lieux publics. Dufaux ne tardera pas à soupçonner des écoterroristes, Vert demain, qui revendiqueront les meurtres, et sèment la terreur d'une manière spectaculaire : ils veulent éliminer les pollueurs industriels, liés aux producteurs d'or. Ceux-ci rattachés à la société Pure Gold et son mystérieux PDG, Roy Fischer. Individu louche qui apparaîtra sous différentes identités au cours du roman avant de le clore d'un geste funeste.
Cette fiction déboule sans jamais s'essouffler, même si quelquefois, on a noté quelques enrouements ayant trait surtout à des querelles internes. Dufaux et son équipe faisant des envieux qui leur mettront des bâtons dans les roues, sans parvenir à atteindre leur but de dissolution. Timothy Collins, alias Komodo, directeur adjoint du SPVM, surveille son collègue d'un mauvais œil rancunier. Au premier abord, on s'est distraite d'une histoire terriblement bien ficelée puis on a constaté que l'écrivain, Jean-Jacques Pelletier, signalait au lecteur qu'il était temps de réfréner nos ardeurs et désirs matériels de pollueurs manifestes que nous sommes, ne nous tracassant aucunement de l'avenir menacé de notre planète, généreuse et tolérante. Il serait vain de nous attarder sur les mille péripéties qu'affrontent Henri Dufaux et ses jeunes alliés, ce serait dévoiler une intrigue passionnante, rythmée à l'allure effrontée de personnages qui sont loin de se soucier du bien-être futur de l'environnement. Sans spécifier toutes les embûches qui entraveront l'inspecteur avant d'aboutir à une étrange conclusion, nous laissant entendre qu'aucune justice ne viendra à bout de gens mal intentionnés. Tenter de sauver la planète n'est qu'un prétexte à détourner les exploiteurs de leurs sinistres desseins.
On n'a pas l'habitude de nous prélasser sur ce genre de roman — un polar — mais l'occasion était trop bonne pour ne pas saluer un écrivain plein d'imagination dynamique, maniant une écriture descriptive où la réflexion tient sa place adéquate sans jamais emprunter quelque voie détournée qui encombrerait le récit. Dufaux a la qualité des êtres lucides et réalistes, il dédramatise le sujet en lançant des pointes d'humour qui font sourire malgré les coups bas qu'il subira pendant l'enquête. Fine analyse aussi de la part de l'écrivain face à la jeunesse des acolytes de l'inspecteur. Un brin paternaliste, ce dernier les protège, les défend contre les intrus qui pourraient s'en prendre à leurs courageuses initiatives. Cependant, on se questionne sur l'avenir professionnel de Henri Dufaux qui réalise, et le rabâche au lecteur, que bientôt son équipe organisée n'aura plus besoin de lui. Songe-t-il à retraiter ? Pas de si tôt, on l'espère. N'est-il pas chargé d'une mission herculéenne dictée par le mystérieux Roy Fischer qui, lui, s'est retiré dans une cabane, au bord d'un lac insalubre, ancienne ville minière, contaminée par « toutes sortes de produits chimiques », déchets de l'entreprise autrefois florissante ? Cette image désolante ne symbolise-t-elle pas de récentes catastrophes écologiques, si proches de nous, que la fiction semble une accusation portée à notre indignité d'humains insouciants ? Légèreté du propos qui peu à peu devient visqueux, telle l'eau empoisonnée du lac par le cyanure et autres micro-organismes résiduels. Les poissons sont morts, et si nous mourrions à notre tour, victimes de nos propres inconséquences, sans sourire aux lèvres ?
Deux balles, un sourire, Jean-Jacques Pelletier
Éditions Hurtubise, Montréal, 2017, 448 pages
lundi 16 avril 2018
L'innocence humaine et ses aléas ***
Le paysage est blanc, on le préfère vert quand les pelouses s'étalent, émaillées de pétales de fleurs ou de résidus d'arbres environnants. Pendant plusieurs mois, on n'a le choix que de partir ailleurs, là où les arbres ne se reposent jamais, offrent au chaland la tessiture diversifiée de leur parure. On s'esquive après que les Fêtes de fin d'année nous ont, une fois encore, rassasiée de leurs superfétatoires résolutions. On a lu le roman de Michael Springate, L'engrenage des apparences.
Le récit aurait pu aboutir à une touchante histoire d'amour, comme il y en a tant. Malheureusement, l'innocence et la bonté ne sont pas toujours de mise quand, parfois, en pays étranger, un individu porte un nom arabe. Mahfouz en paiera le prix. Avant d'en arriver à cette sinistre conclusion, on narre brièvement le destin funeste de ce jeune homme, pour dessiller les yeux de ceux et celles qui vivent confortablement dans leur bulle. Montréalais d'origine égyptienne, il travaille dans le restaurant de son père. Il s'ennuie un peu, se questionne sur son avenir. Un soir, entre dans le restaurant, Elena, jeune Manitobaine, mère monoparentale d'une petite fille. Il lui offre un thé puis, au fil des soirées, une tendre amitié se noue entre eux. Ils deviendront amants. Ayant déserté l'université pour élever son enfant, Elena travaille chez Rachel, propriétaire d'un magasin de vêtements. Cette dernière est juive, séparée de son mari, terriblement conventionnelle, elle tiendra à Elena des propos aberrants, mais rabâchés, contre les Palestiniens... Petite vie en apparence peu dérangeante pour les uns et les autres, essaimée des soucis habituels, jusqu'au jour où le père de Mahfouz oblige son fils à partir en Égypte, chez l'oncle Ibrahim, celui-ci tenté de mettre sur pied un commerce de parfums. Peu enthousiaste, Mahfouz se pliera au désir du père. Arrivé en Égypte, il est étonné de trouver un oncle jovial, mais peu enclin à partager les idées modernes de son neveu, comme si dans sa tête avait germé une idée. Le lecteur apprend que l'oncle Ibrahim sympathise avec les Frères musulmans, cellule politique interdite en Égypte. Cependant, il allèchera Mahfouz avec un projet : monter une entreprise d'importation de parfums. Les réunions vont bon train avec les partenaires, dont Omar, qui doit diriger la parfumerie. Somalien, faisant partie d'un groupe de résistants en Somalie, il a fui son pays pour échapper aux autorités. Mais un soir, alors que les hommes se sont réunis pour conclure l'entente, la police fait irruption. Omar, qui résiste aux intimidations des policiers, est tué. Mahfouz sera emprisonné.
À partir de ce moment où la vie s'est détournée de personnes innocentes, le roman bascule dans des agissements abjects qui ne peuvent que révolter le lecteur. La vie de Mahfouz ne pèse pas lourd quand les interrogatoires commencent et se succèdent. Ne cessant de le faire douter de lui-même, il se pose des questions où les réponses n'existent pas. La torture s'ensuit, elle est sans fondement donc sans aveu de la part du jeune homme. Comment saurait-il que le gouvernement égyptien le soupçonne de faire partie d'un réseau extrémiste, de financer le terrorisme international à partir de Montréal ? La bêtise humaine s'avère irrécupérable quand elle est aveuglée par le fanatisme. Pour les mêmes raisons, qui sont reprochées à Mahfouz, son père est arrêté à Montréal. L'ex-mari de Rachel, avocat, tentera de retrouver le fils qui a disparu, croupissant quelque part dans une prison sordide du pays.
Peu à peu, l'engrenage est tel que le filet se resserre sans possibilité d'évasion. Le lecteur, en faveur de l'innocence de Mahfouz, apprendra avec un étonnement dégoûté que les gouvernements canadiens se font complices des gouvernements étrangers, ces derniers, persuadés qu'une filière terroriste conspire entre le Canada et l'Égypte. L'absurdité, démontrée par l'auteur, est à son comble quand ces mêmes gouvernements machinent un plan diabolique. La vie et la mort de Mahfouz, dans l'indifférence généralisée, est entre les mains de spécialistes américains, sous la surveillance apathique d'une docteure, elle aussi, américaine...
Au nom du devoir accompli vis-à-vis du citoyen, nos gouvernements collaborent avec des assassins et des tortionnaires, persuadés que des filières terroristes agissent férocement, même s'ils n'en détiennent aucune preuve. Découvrir des coupables, en l'occurrence Mahfouz, but insensé d'hommes paranoïaques, se base sur des intérêts et faussetés politiques, sur des indices puérils, comme des artefacts sentimentaux retrouvés dans les poches du condamné.
Roman courageux où nous nous rendons compte que les gouvernements, d'ici et d'ailleurs, s'appliquent à manipuler n'importe quel individu, lui faire avouer jusqu'à des désaveux, la torture ne possédant pas de mots crédibles, sinon des sons inaudibles, satisfaisant les bourreaux, y décelant la réponse à leurs questions obsessives. C'est la face cachée, obscure, de ce monde insensé que nous ne pouvons tolérer, comme si des siècles derrière nous, nous laissaient entrevoir des époques inquisitoires et barbares.
Le manque de professionnalisme de la traduction, signée Jocelyne Doray, nous a agacée. Un roman aussi poignant que celui-ci aurait mérité un travail beaucoup plus rigoureux.
L'engrenage des apparences, Michael Springate
Traduction de l'anglais Jocelyne Doray
Les Éditions Sémaphore, Montréal, 2017, 305 pages
Le récit aurait pu aboutir à une touchante histoire d'amour, comme il y en a tant. Malheureusement, l'innocence et la bonté ne sont pas toujours de mise quand, parfois, en pays étranger, un individu porte un nom arabe. Mahfouz en paiera le prix. Avant d'en arriver à cette sinistre conclusion, on narre brièvement le destin funeste de ce jeune homme, pour dessiller les yeux de ceux et celles qui vivent confortablement dans leur bulle. Montréalais d'origine égyptienne, il travaille dans le restaurant de son père. Il s'ennuie un peu, se questionne sur son avenir. Un soir, entre dans le restaurant, Elena, jeune Manitobaine, mère monoparentale d'une petite fille. Il lui offre un thé puis, au fil des soirées, une tendre amitié se noue entre eux. Ils deviendront amants. Ayant déserté l'université pour élever son enfant, Elena travaille chez Rachel, propriétaire d'un magasin de vêtements. Cette dernière est juive, séparée de son mari, terriblement conventionnelle, elle tiendra à Elena des propos aberrants, mais rabâchés, contre les Palestiniens... Petite vie en apparence peu dérangeante pour les uns et les autres, essaimée des soucis habituels, jusqu'au jour où le père de Mahfouz oblige son fils à partir en Égypte, chez l'oncle Ibrahim, celui-ci tenté de mettre sur pied un commerce de parfums. Peu enthousiaste, Mahfouz se pliera au désir du père. Arrivé en Égypte, il est étonné de trouver un oncle jovial, mais peu enclin à partager les idées modernes de son neveu, comme si dans sa tête avait germé une idée. Le lecteur apprend que l'oncle Ibrahim sympathise avec les Frères musulmans, cellule politique interdite en Égypte. Cependant, il allèchera Mahfouz avec un projet : monter une entreprise d'importation de parfums. Les réunions vont bon train avec les partenaires, dont Omar, qui doit diriger la parfumerie. Somalien, faisant partie d'un groupe de résistants en Somalie, il a fui son pays pour échapper aux autorités. Mais un soir, alors que les hommes se sont réunis pour conclure l'entente, la police fait irruption. Omar, qui résiste aux intimidations des policiers, est tué. Mahfouz sera emprisonné.
À partir de ce moment où la vie s'est détournée de personnes innocentes, le roman bascule dans des agissements abjects qui ne peuvent que révolter le lecteur. La vie de Mahfouz ne pèse pas lourd quand les interrogatoires commencent et se succèdent. Ne cessant de le faire douter de lui-même, il se pose des questions où les réponses n'existent pas. La torture s'ensuit, elle est sans fondement donc sans aveu de la part du jeune homme. Comment saurait-il que le gouvernement égyptien le soupçonne de faire partie d'un réseau extrémiste, de financer le terrorisme international à partir de Montréal ? La bêtise humaine s'avère irrécupérable quand elle est aveuglée par le fanatisme. Pour les mêmes raisons, qui sont reprochées à Mahfouz, son père est arrêté à Montréal. L'ex-mari de Rachel, avocat, tentera de retrouver le fils qui a disparu, croupissant quelque part dans une prison sordide du pays.
Peu à peu, l'engrenage est tel que le filet se resserre sans possibilité d'évasion. Le lecteur, en faveur de l'innocence de Mahfouz, apprendra avec un étonnement dégoûté que les gouvernements canadiens se font complices des gouvernements étrangers, ces derniers, persuadés qu'une filière terroriste conspire entre le Canada et l'Égypte. L'absurdité, démontrée par l'auteur, est à son comble quand ces mêmes gouvernements machinent un plan diabolique. La vie et la mort de Mahfouz, dans l'indifférence généralisée, est entre les mains de spécialistes américains, sous la surveillance apathique d'une docteure, elle aussi, américaine...
Au nom du devoir accompli vis-à-vis du citoyen, nos gouvernements collaborent avec des assassins et des tortionnaires, persuadés que des filières terroristes agissent férocement, même s'ils n'en détiennent aucune preuve. Découvrir des coupables, en l'occurrence Mahfouz, but insensé d'hommes paranoïaques, se base sur des intérêts et faussetés politiques, sur des indices puérils, comme des artefacts sentimentaux retrouvés dans les poches du condamné.
Roman courageux où nous nous rendons compte que les gouvernements, d'ici et d'ailleurs, s'appliquent à manipuler n'importe quel individu, lui faire avouer jusqu'à des désaveux, la torture ne possédant pas de mots crédibles, sinon des sons inaudibles, satisfaisant les bourreaux, y décelant la réponse à leurs questions obsessives. C'est la face cachée, obscure, de ce monde insensé que nous ne pouvons tolérer, comme si des siècles derrière nous, nous laissaient entrevoir des époques inquisitoires et barbares.
Le manque de professionnalisme de la traduction, signée Jocelyne Doray, nous a agacée. Un roman aussi poignant que celui-ci aurait mérité un travail beaucoup plus rigoureux.
L'engrenage des apparences, Michael Springate
Traduction de l'anglais Jocelyne Doray
Les Éditions Sémaphore, Montréal, 2017, 305 pages
lundi 9 avril 2018
Un hiver, des hommes et femmes en détresse ***
Coup sur coup, on a lu deux ouvrages québécois merveilleux, qui ont diverti notre lassitude de lectrice, fomentée par des romans où rien d'original n'afflue. Ces deux livres — un roman, un récit — subliment un amour inconditionnel pour l'enfance retrouvée, loin des états d'âme de jeunes femmes qui nous rapporteront la même histoire dans un an ou deux, avec un partenaire différent. Une autofiction ne doit pas être un confessionnal. On commente le roman d'Éloïse Simoncelli-Bourque, Poudreries.
Deuxième opus de cette auteure qu'on découvre aujourd'hui avec une histoire complexe. Trois conflits vont s'ajouter les uns aux autres avant de s'amalgamer tragiquement à la fin du livre. Une seule note d'espoir réconciliera le lecteur avec la certitude qu'il est possible de traverser bien des épreuves, de s'aimer sans trébucher sur les vicissitudes imprévisibles de la vie.
François Poirier, garde-parc au mont Saint-Bruno, accompagné de René Lanctil, naturaliste de ce même parc, alerté par un skieur, découvrira le cadavre d'un chevreuil décharné. Peu de temps après, sera assassiné le neuropsychiatre et professeur Jean-Louis Grandbois dans sa demeure somptueuse de Saint-Bruno. L'histoire s'amorce avec ces douteux points de repère qui ne feront que s'amplifier à mesure que le lecteur entrera dans cette aventure rébarbative. Les protagonistes, dont certains ont tenu un rôle dans le précédent roman de l'auteure — on ne l'a pas lu —, nous reviennent avec leurs déboires tellement humains. À commencer par François Poirier qui s'avère un ancien toxicomane, prisonnier d'une voix interne dénotant un cas majeur de schizophrénie. Les individus qui traversent le récit ont tous, sans exception, des ennuis d'ordre psychologique, que nous dépeint longuement l'écrivaine. Ils sont inspecteurs de police, archivistes, universitaires, chercheurs, ce qui nous vaut des pages extrêmement intéressantes traitant de sujets scabreux, qui font les manchettes de l'actualité. Il est question de compagnies pharmaceutiques et leur appétence à fabriquer et à vendre des médicaments au lieu de consacrer une part de leurs ressources financières à la recherche médicale qui enrayerait des maladies endémiques. On apprend que la rétinite pigmentaire, maladie dégénérative, peut être soignée au moyen d'une thérapie. Ces affections oculaires sont dues à un traumatisme stimulé par des scènes d'horreur. Comme en évoque Abraham Ashimov, juif nonagénaire aveugle, infirmier recruté par le docteur Josef Mendele, qui pratiqua dans le camp d'extermination d'Auschwitz, durant la Deuxième Guerre mondiale. Se dévoilent des agissements ostensibles de la famille Rockefellow, étouffés par le pouvoir de l'argent qui fera d'elle un empire intouchable. Plus à la portée du lecteur, se déroule un drame qui s'ajuste aux autres : Delphine, dix-sept ans, fille de l'inspecteur Scolvic, divorcé de Juliette Loranger, universitaire, a disparu depuis quelques jours. L'adolescente interviendra au long des pages, guidant, malgré lui, le lecteur dans le milieu peu recommandable de la drogue, dans le monde interlope des dealers. Chassé-croisé de personnages crispés, qu'ils tiennent un rôle déterminant ou secondaire. S'entraident ou s'ignorent, ce qui est le propre de l'être humain, parfois débordé par des événements qui le mèneront au bout de lui-même, de ses capacités cognitives à réagir. Épreuves desquelles il sortira grandi ou affaibli selon le comportement qu'il adoptera, éprouvé dès l'enfance. Chaque cas est disséqué jusqu'à emporter le lecteur dans une histoire ancienne relatée dans des carnets qui auraient appartenu à un dénommé Raymond Pearse, au début du vingtième siècle. Malheureusement, qu'elle soit personnelle ou publique, toute confidence intime n'est pas à mettre entre des mains faillibles. Ce qui occasionnera bien des problèmes mortifères aux membres de la famille Grandbois.
Les thèmes exploités par la romancière n'en valent pas d'autres parce que peu banals. Ils nous rappellent à l'ordre de notre impuissance face à la manipulation que peuvent exercer des individus sur leurs semblables qui, souvent, manigancent des complots qu'eux-mêmes, ayant été trop débonnaires ou despotiques, ne savent plus réfréner. Cependant, tant de bonnes ou moins bonnes intentions finissent par lasser, les chapitres entrecoupés de citations signées d'illustres auteurs rompent le rythme de ce que nous aimerions connaitre de la suite, stoppant l'élan imaginaire particulier à chaque lecteur. On ne sait par quel effet de lourdeur l'écriture engourdit les propos des protagonistes, trop souvent penchés sur les années de l'enfance et de l'adolescence. À l'inverse, on croit que ces années, blessées par des adultes maladroits et indignes, ne doivent pas prétexter les maux qui nous affligent quand toutes les innocences nous ont quittés, nous laissant pantelants devant les avatars mal décantés de notre jeune existence. Une dernière remarque qui nous a dérangée, le roman aurait mérité une révision linguistique plus rigoureuse, un resserrement de bavardages inutiles. Un essoufflement évident est perçu quand nous sont révélées les causes de l'assassinat du docteur Grandbois, banalisant l'ensemble du récit qui ne décolle que rarement, comme on dit communément. Ce qui est dommage, Élise Simoncelli-Bourque nous ayant intéressée de bien des manières intelligentes et passionnantes...
Poudreries, Élise Simoncelli-Bourque
Éditions Fides, Montréal, 2018, 270 pages
Deuxième opus de cette auteure qu'on découvre aujourd'hui avec une histoire complexe. Trois conflits vont s'ajouter les uns aux autres avant de s'amalgamer tragiquement à la fin du livre. Une seule note d'espoir réconciliera le lecteur avec la certitude qu'il est possible de traverser bien des épreuves, de s'aimer sans trébucher sur les vicissitudes imprévisibles de la vie.
François Poirier, garde-parc au mont Saint-Bruno, accompagné de René Lanctil, naturaliste de ce même parc, alerté par un skieur, découvrira le cadavre d'un chevreuil décharné. Peu de temps après, sera assassiné le neuropsychiatre et professeur Jean-Louis Grandbois dans sa demeure somptueuse de Saint-Bruno. L'histoire s'amorce avec ces douteux points de repère qui ne feront que s'amplifier à mesure que le lecteur entrera dans cette aventure rébarbative. Les protagonistes, dont certains ont tenu un rôle dans le précédent roman de l'auteure — on ne l'a pas lu —, nous reviennent avec leurs déboires tellement humains. À commencer par François Poirier qui s'avère un ancien toxicomane, prisonnier d'une voix interne dénotant un cas majeur de schizophrénie. Les individus qui traversent le récit ont tous, sans exception, des ennuis d'ordre psychologique, que nous dépeint longuement l'écrivaine. Ils sont inspecteurs de police, archivistes, universitaires, chercheurs, ce qui nous vaut des pages extrêmement intéressantes traitant de sujets scabreux, qui font les manchettes de l'actualité. Il est question de compagnies pharmaceutiques et leur appétence à fabriquer et à vendre des médicaments au lieu de consacrer une part de leurs ressources financières à la recherche médicale qui enrayerait des maladies endémiques. On apprend que la rétinite pigmentaire, maladie dégénérative, peut être soignée au moyen d'une thérapie. Ces affections oculaires sont dues à un traumatisme stimulé par des scènes d'horreur. Comme en évoque Abraham Ashimov, juif nonagénaire aveugle, infirmier recruté par le docteur Josef Mendele, qui pratiqua dans le camp d'extermination d'Auschwitz, durant la Deuxième Guerre mondiale. Se dévoilent des agissements ostensibles de la famille Rockefellow, étouffés par le pouvoir de l'argent qui fera d'elle un empire intouchable. Plus à la portée du lecteur, se déroule un drame qui s'ajuste aux autres : Delphine, dix-sept ans, fille de l'inspecteur Scolvic, divorcé de Juliette Loranger, universitaire, a disparu depuis quelques jours. L'adolescente interviendra au long des pages, guidant, malgré lui, le lecteur dans le milieu peu recommandable de la drogue, dans le monde interlope des dealers. Chassé-croisé de personnages crispés, qu'ils tiennent un rôle déterminant ou secondaire. S'entraident ou s'ignorent, ce qui est le propre de l'être humain, parfois débordé par des événements qui le mèneront au bout de lui-même, de ses capacités cognitives à réagir. Épreuves desquelles il sortira grandi ou affaibli selon le comportement qu'il adoptera, éprouvé dès l'enfance. Chaque cas est disséqué jusqu'à emporter le lecteur dans une histoire ancienne relatée dans des carnets qui auraient appartenu à un dénommé Raymond Pearse, au début du vingtième siècle. Malheureusement, qu'elle soit personnelle ou publique, toute confidence intime n'est pas à mettre entre des mains faillibles. Ce qui occasionnera bien des problèmes mortifères aux membres de la famille Grandbois.
Les thèmes exploités par la romancière n'en valent pas d'autres parce que peu banals. Ils nous rappellent à l'ordre de notre impuissance face à la manipulation que peuvent exercer des individus sur leurs semblables qui, souvent, manigancent des complots qu'eux-mêmes, ayant été trop débonnaires ou despotiques, ne savent plus réfréner. Cependant, tant de bonnes ou moins bonnes intentions finissent par lasser, les chapitres entrecoupés de citations signées d'illustres auteurs rompent le rythme de ce que nous aimerions connaitre de la suite, stoppant l'élan imaginaire particulier à chaque lecteur. On ne sait par quel effet de lourdeur l'écriture engourdit les propos des protagonistes, trop souvent penchés sur les années de l'enfance et de l'adolescence. À l'inverse, on croit que ces années, blessées par des adultes maladroits et indignes, ne doivent pas prétexter les maux qui nous affligent quand toutes les innocences nous ont quittés, nous laissant pantelants devant les avatars mal décantés de notre jeune existence. Une dernière remarque qui nous a dérangée, le roman aurait mérité une révision linguistique plus rigoureuse, un resserrement de bavardages inutiles. Un essoufflement évident est perçu quand nous sont révélées les causes de l'assassinat du docteur Grandbois, banalisant l'ensemble du récit qui ne décolle que rarement, comme on dit communément. Ce qui est dommage, Élise Simoncelli-Bourque nous ayant intéressée de bien des manières intelligentes et passionnantes...
Poudreries, Élise Simoncelli-Bourque
Éditions Fides, Montréal, 2018, 270 pages