Les élections au mois d'octobre. Après bien des promesses de part et d'autre, soit beaucoup de mensonges proférés sans scrupules, l'histoire à nouveau va se répéter, comme elle le fait inlassablement depuis des siècles. Moult gouvernements dirigés par de vieux acteurs corrompus sont depuis peu à la merci d'une jeunesse noble qui n'accepte plus les compromissions. On les soutient s'ils doivent changer le monde. On commente le roman de Gabrielle Filteau-Chiba, Sauvagines.
On aime les livres qui nous dépaysent, nous apprennent autre chose que les déambulations oisives dans la cité où nous vivons, n'envisageant la forêt que pour s'y distraire, s'y reposer. Nous oublions que des femmes et des hommes l'entretiennent, risquant parfois de faire de sordides rencontres. C'est ce qui arrivera à la narratrice, Raphaëlle Robichaud, agente de protection de la faune, protagoniste intense de ce très poétique et passionné récit. Nous faisons la connaissance de cette quarantenaire quand elle acquiert une chienne husky, une bâtarde dont personne ne veut. Raphaëlle vit dans une roulotte au-delà de Rivière-du-Loup, « une érablière abandonnée au pays des hors-la-loi derrière laquelle j'ai caché ma roulotte. » « Une tanière de tôle tapie dans l'ombre. » Elle définit son ascendance par sa ressemblance avec son aïeule mi' gmaq, Raphaëlle si différente de ses frères et sœurs, blonds aux yeux bleus. Elle supporte mal la société humaine, ne se plait qu'avec les coyotes, les ours et autres animaux de la forêt boréale. Les oiseaux et leurs chants. Les arbres qui la protègent et la secourent. Elle n'a qu'un seul ami, le vieux Lionel, garde-chasse à la retraite, « un écologiste enflammé ». Préservant sa solitude dans un chalet rustique à Saint-Bruno-de-Kamouraska. Son rôle d'agente de la faune implique qu'elle surveille les braconniers qui posent des pièges sans ne respecter aucun règlement. Un soir, Coyote, sa chienne, ne revient pas, Raphaëlle, inquiète, part à sa recherche, se doutant qu'un piège l'emprisonne dans ses crocs d'acier. Bouleversée, elle découvre un site de braconnage. Partout des collets et des carcasses, l'œuvre d'un braconnier « fêlé » qu'elle se jure de démasquer. En colère, sa chienne sauvée, elle se rendra en ville recueillir quelques renseignements discrets.
Ce que Raphaëlle apprendra d'une femme apeurée la laissera perplexe, cette femme lui remettra un carnet qu'elle pensait lui appartenir. Sans hésitation, Raphaëlle le lira, subjuguée par l'écriture intime d'une dénommée Anouk Baumstark, qui vit seule dans une cabane, proche du chalet de Lionel. Raphaëlle la recherchera pour lui remettre son carnet. Un matin, elle trouve des « empreintes de bottes à crampons », plus tard, sur sa fenêtre, « un câble de métal torsadé, croûté de poils et de sang séché. Un collet. » Bravade insolente commise pendant qu'elle dormait. Raphaëlle se souvient des paroles pleines de sous-entendus de la femme en ville. Elle doit débusquer le rôdeur, son nom s'insinue dans sa mémoire. Marco Grondin, qui a déjà des antécédents suspects. Plus tard, elle découvrira une caméra, l'homme a accumulé des photos d'elle quand, nue, elle prend une douche installée hors de sa roulotte. Une autre fois qu'elle s'est absentée, une peau de coyote, fraichement tué, recouvrira son lit. Sa porte a été forcée. Angoissée, elle se réfugiera chez Lionel à qui elle racontera les méfaits du chasseur. Une terrible vengeance sera mise sur pied pour piéger le trappeur qui provoque Raphaëlle de manière incontrôlée, tue les bêtes, traque les femmes...
Entretemps, Raphaëlle aura repéré l'inconnue à qui appartient le carnet. Celle-ci réside dans une cabane à moitié détruite, vit chichement de son salaire de traductrice à temps perdu. Un courant de tendresse se faufilera entre elles au point que Raphaëlle se laissera aller à une surprenante émotivité, lui fera des confidences désenchantées sur sa profession que depuis plusieurs mois, elle remet en question. Ce sont de riches pages sensuelles, on devine que l'agente de protection et la traductrice occasionnelle, attirées l'une vers l'autre, envisageront l'avenir ensemble. Anouk Baumstark, mise dans le secret à propos de la menace dangereuse qui plane sur Raphaëlle, la suivra jusque chez Lionel. Les trois élaboreront un plan pour détruire le braconnier nuisible à la forêt et à la tranquillité des habitants.
Là encore, ce sont des pages admirables, l'écrivaine, calquant ses connaissances forestières sur sa narratrice, nous fait part de son dévouement inlassable pour les animaux sauvages qui l'accompagnent là où elle demeure. Jamais, elle n'hésitera à les défendre contre la rage humaine à saccager et détruire leur habitat naturel, pas mieux qu'elle n'accepte la coupe à blanc des arbres. Son refuge avec sa compagne dans les branches de Gros Pin, arbre plus que centenaire, ravira le lecteur. Peu de gens se prélassent dans l'inconfort odorant d'un tel végétal. Bien sûr, l'identité du trappeur sadique sera dévoilé, ses crimes seront démantelés, les bêtes, ours et coyotes en tête, qu'il a fait atrocement souffrir, se réjouiront de sa faillite, échec tant physique que mental. C'est superbement narré ce point de vue de « maman ourse » qui attend patiemment son tour pour se venger...
Roman à saveur lyrique, écrit par une auteure qu'il serait facile d'identifier à la narratrice, la quatrième de couverture mentionnant qu'elle réside dans une maison solaire, bâtie au bord de la rivière Kamouraska, lieu où se situe son histoire. On ne peut que recommander ce très significatif récit, qui n'a rien d'une fiction mais propose un témoignage éloquent sur la survie de la forêt boréale, un message que formule l'écrivaine, l'air de ne pas y toucher. On laisse à ceux et celles qui savoureront ce magnifique opus le plaisir de découvrir tout ce dont on n'a pas nommé, ni commenté, ce qui eût été dommage, certainement moins évocateur que les sentiments et sensations révélés par Gabrielle Filteau-Chiba, écrivaine à suivre avec délectation...
Sauvagines, Gabrielle Filteau-Chiba
Éditions XYZ, Montréal, 2019, 320 pages