Pour nous éloigner de toute contagion toxique, on fuit les personnes qui nous gavent de leur pessimisme inné ou de leurs humeurs atrabilaires. On ne peut accepter que la vie soit une catastrophe anticipée qui montre le dessous de ses jupons et qu'on en soit offusquée. Même si on se gargarise de moments délicieux qui ont trait à un passé insouciant, émouvant, on évite des éternuements qui nuiraient à nos ébats de jeunesse. On a lu le numéro 145 de La revue XYZ de la nouvelle.
C'est une livraison un peu spéciale qui a échu dans notre boite aux lettres. Huit auteurs-es ont été invités-es à révéler leurs déambulations dans l'aléatoire de l'existence, ou plus encore à délaisser leurs certitudes pour s'imprégner d'un thème plutôt déroutant " Je préfèrerais ne pas ", proposé par David Bélanger. Celui-ci, ayant orchestré ce numéro, doit jubiler d'y lire les textes remarquables de ses hôtes. On peut certifier qu'on a ressenti les oscillations morales des narrateurs et narratrices qui se sont risqués sur la corde raide du vide, assumant leur vertige, sans le soutien de leur Pygmalion.
Une fée, être vivant inconsistant, se laisse raconter par Daniel Grenier. Les spécialistes. Claude pense qu'il a sauvé une petite fée des bêtes sauvages, des éléments tempétueux, en l'enfermant dans une bouteille de Coke vide. Manquant d'oxygène, la fée est morte, ce qui nous vaudra les explications évasives du narrateur, « j'aimerais mieux pas », quand il lui faudra justifier ce qu'il sait des fées, ce qu'il ignore. Pourquoi l'avoir emprisonnée ? Ce qui s'ensuit s'avère une symbolique inquiétante concernant les interrogatoires. Pièce nue, chaise droite, cube vide, souligne prudemment le narrateur, qui, finalement, se dérobe, abandonnant la petite fée sur une table de métal. Elle sera autopsiée, disséquée. Les spécialistes se questionnent mais Claude est parti discrètement, le narrateur aussi, se demandant ingénument où s'est égarée la bouteille de Coke. Daniel Grenier a suivi une directive appropriée, fidèle à la thématique demandée. Secondé par Caroline Guindon avec un récit à la dérive de toute logique habituelle. Après le film, donne la parole bohémienne à une voix observatrice, si cela se peut. Elle commente les agissements d'une femme qui sort du cinéma, un soir de pluie. Se remémorant un homme, Hans-Martin. Passé et présent s'entrelacent, des vieux, des jeunes, interviennent spontanément. La silhouette d'une « belle bourgeoise » se présente, serrant « contre elle son sac à main [ ... ] », converse avec un sans-abri à qui elle vient d'offrir quelques pièces. La nouvelle se love dans un condensé d'impressions mouvantes, se déplaçant au gré des intentions biaisées de la voix berlinoise. La femme cinéphile arrive dans un appartement où se trouve Hans-Martin. Louvoiement, comme si les anecdotes tressant le quotidien se révélaient sans importance. En sortant du cinéma, il faut bien aboutir quelque part, affronter les mirages nocturnes que dessinent la pluie et la mémoire... Les protagonistes de Caroline Guindon aiment la marche, on dirait pour conclure.
Nouvelles fascinantes que nous devons lire avec un grain de sel. Se laisser emporter par l'absurde qu'elles dégagent, toujours sans importance. Ainsi, le texte de Marie-Pier Lafontaine, L'aveu silencieux, déploie la manière habile de faire avouer un suspect récalcitrant. Partant du cas d'une vieille dame qui a porté plainte pour agression sexuelle commis par un ambulancier. Aveu du corps, des gestes, soutiré de l'accusé alors qu'il est seul dans une salle d'interrogatoire. Nous le voyons fustiger les parties de son corps qui ont abusé de la vieille dame, sous le regard impitoyable d'une caméra extérieure, de celui, satisfait, de l'inspectrice. Les aveux du corps ont un aspect funambulesque, indépendants de l'esprit, de la parole. Insaisissables si une quelconque image ne les retient pas dans son carcan de vérité infaillible. Récit qui adhère au cours donné par une enquêteuse sur les crimes sexuels depuis plus de deux décennies. Demeure cependant un doute qui intrigue une étudiante, comment savoir que les coupables agiront de cette manière corporelle ? De se faire répondre que personne ne le sait. Décalage du temps qui passe, ou ne passe pas, dans le récit de Mélissa Verreault, 17 h 48 du matin. Camille se réveille. Elle se souvient avec joie que le soir, elle a rendez-vous avec Mathieu. Et puis non, elle l'a rencontré la veille. Ils ont soupé ensemble. Mariée depuis une décennie, l'amour s'use, sauf que son mari, François, l'aime comme au premier jour. Les mots complices sont devenus convenus, chacun les tait, le silence amoureux s'est établi entre eux. La confiance non entamée. Ils font toujours l'amour, Camille se juge comme étant une faiblesse de la nature, quand François la désire. Des anecdotes ordinaires déblaient le présent, pour mieux solliciter Mathieu, ou simplement rêver d'une possible liaison avec lui. Camille oscille, Camille joue avec les heures autant indisciplinées qu'elle-même. Est-ce le matin ou le soir quand elle fixe un rendez-vous à Mathieu, l'invitant à souper avec elle et François ? Très représentative nouvelle se ralliant à la thématique. Le flou l'emporte, passivité de Camille réfugiée dans ses retranchements sentimentaux, prête à bondir... Annie Perrault nous convie au désistement moral de sa narratrice qui, timide, prend la parole, Taire d'où je viens. Elle n'ose pas se montrer, cherche une histoire où s'insérer, à cause d'une sœur née avant elle, qui a manqué d'oxygène. Ce qui permet à la jeune fille de tâter le pouls de sa famille modeste, là d'où elle vient. Elle a honte. Des séquelles profondes d'embarras la font dériver entre les siens et elle-même. Elle voudrait tellement mais ne peut pas, ses manières d'être sont trop souvent dépendantes du comportement fragile de sa sœur ainée. Même les photos familiales qu'elle examine, se posent tels des éléments troublants de sa mise au monde, à l'âge de dix-huit ans. Refoulements conscients qui nous éloignent des textes qui s'ensuivent, toutes les fictions ayant trouvé leurs lueurs éclairantes pour continuer à vivre entre dérision et gravité.
Nouveauté dans la revue, un concours de traduction littéraire. De l'anglais vers le français. Cette première année, le prix a été remis à Marie-Pier Labbé pour sa traduction de " Step on a Crack ", nouvelle signée de l'auteure canadienne Jill Sexsmith, extraite de son recueil Somewhere a Long and happy Life probably Awaits You. Fidèlement, sont incluses trois nouvelles dans la rubrique " Thème libre ". Les trois rassemblant des effilochages de la thématique, qui ont ravi notre lecture. Enrichi les heures vaines. Tel un aboutissement qui nous rappelle que rien, ce rien mentionné par Douglas Smith dans son texte libellé de ce vide, se montre parfois reposant, voire essentiel. Rien.
C'est un numéro impressionnant que renfloue constamment la qualité des textes soumis. L'influence de la nouvelle de Herman Melville référée par David Bélanger, imbibant leur précarité, celle que nous utilisons, telle une échappatoire, pour nous donner bonne conscience, adoucir notre incrédulité. Multiples interprétations se jouent de nous, nous catapultent vers l'avant, nous ne savons trop vers où. Une certitude, cependant, l'assemblage de ces récits, imaginaires ou pas, a conquis la lectrice assidue qu'on est. On a éprouvé un dépaysement intellectuel et moral dans cette débâcle de moments irrésolus, esquivant habilement la face dissimulée de nos réprobations. Ce collectif n'en est que plus méritoire.
La Revue XYZ de la nouvelle, numéro 145
Piloté par David Bélanger
Montréal, 2021, 104 pages