lundi 23 août 2021

Les oscillations des sentiments et leurs risques *** 1/2


On flâne ce matin, comme si la saison estivale nous accordait ses derniers privilèges. La rentrée scolaire se fait entendre, les choix qu'elle propose, ses revendications. Mais s'impose aussi la rentrée littéraire, les communiqués tombent dans notre boite aux lettres, nous apportant leur lot parfois surprenant de prochaines publications. L'automne n'est pas si loin, même la transparence de l'air n'est plus la même. On commente les nouvelles de Juan Joseph Ollu, Présents composés.

Après un dernier tri et quelques choix dans les publications de l'hiver et printemps réunis, on a opté pour un recueil rassemblant cinq nouvelles narratives, qui nous ont charmée par leurs propos des plus humains. S'y décèle une atmosphère presque surannée mettant en évidence les indécisions qui nous coûtent bien des maux quand nous devons passer au travers de leur encombrement. Un homme, derrière sa fenêtre, fabule sur la vie d'un couple qu'il aperçoit en face de chez lui, se disputant âprement, et dont le seul témoin est la femme de chambre. Dans cette agitation conflictuelle le narrateur poursuit sa randonnée imaginaire, s'interrogeant sur la raison de ce chambardement de plus en plus agressif, les rideaux brusquement tirés annonçant une tragédie qui se serait jouée à mots couverts, à gestes saccadés. La fin du récit confirme le désarroi qui s'empare du narrateur-voyeur face à une situation qu'il ne peut maitriser, observée derrière une fenêtre muette. C'est peut-être la seule fiction dans l'ensemble du recueil où la colère s'exprime jusqu'à l'accomplissement de l'acte final. Atmosphère toute autre que celle de la fiction, Bad Boy, s'alignant sur les impressions qu'on a gardées d'une lecture attentive, nullement comparative. Sortant d'un bar gay, le narrateur et le barman se réfugient incognito dans la voiture de ce dernier pour y faire l'amour. Brève aventure pour se venger de son amant qui l'a trompé, les années de vie commune usant non seulement les sentiments mais aussi les corps. De retour au bar, sous l'effet de l'alcool et de la cocaïne, il se sentira bien, léger, mais aussi dans la peau d'un traitre. Son amant, « surgi d'une petite salle voisine », lui fera remarquer ironiquement la beauté du barman, se doutant de quelque trahison de son compagnon. Nous le savons, le désir est parfois dévastateur, l'amour dessinant des points d'interrogation douteux à la fin de toute tricherie. Remords ou lassitude ? Les indécisions tournent autour de chaque être humain, deviennent une comédie burlesque pour composer avec un avenir opposé à ce que nous sommes. Provocation mêlée d'un brin d'arrogance comme agit Anthony, " héros " pathétique de la nouvelle titrée L'indécis. Tout est prétexte à tournoyer autour de ses hésitations pour justifier ses choix. L'alcoolisme de sa mère, la froideur de son père, l'enfance frelatée, l'incapacité des psychologues à analyser certains comportements. S'ensuivront les années scolaires, les études de droit, ses nombreuses liaisons, pour finalement se retrouver dans la plus banale condition existentielle. Parce que vieillissant, s'affermit de plus en plus la trivialité du quotidien, sinon la foi en l'existence, pour transformer quoi que ce soit à notre avantage.  

Valentine pourrait être la sœur d'Anthony, imposteur délibéré de la nouvelle précédente. C'est l'automne, elle est chez elle, elle s'ennuie, elle rejoint des amis dans un bar. Elle y séduira David, jeune homme qui séjourne à Paris pour ses études. C'est un provincial à la fois pragmatique et rêveur qui amusera Valentine avant qu'elle accepte de sortir avec lui. Nous voici témoignant des indécisions de Valentine qui passera les fêtes du jour de l'An dans la famille de David. Elle se rend compte de l'impossibilité de leur relation amoureuse, alors que David rêve de créer une famille, comme tout être humain éveillant l'instinct qui sommeille en lui, quand il pense avoir trouvé l'âme-sœur. Mais Valentine est une frivole qui, fille de parents aisés, ne songe qu'à danser quand elle s'ennuie. S'éternise dans de vagues études. Ne voulant pas s'engager avec David, elle rompra, préférant une discutable indépendance. Narrant cette aventure bien des années plus tard, Valentine ne peut qu'en sourire. Ses sentiments pour David, l'ayant à peine effleurée, elle s'en remet à des émotions dont la teneur lui échappe, ne sachant trop si cette liaison lui a été bénéfique. Regrets ou remords, ces deux échappatoires s'avérant une continuité lancinante pour le nouvelliste, tel un thème inépuisable. Ce qui sera confirmé dans la dernière nouvelle qui donne, en partie, le titre au recueil. Le présent composé. Implose dans ce texte magnifique, notre préféré, ce qui se tait ou ce qui est perçu en filigrane, comme la jalousie, la revanche, la tricherie. La trahison envers l'autre banalisée par le temps qui a eu raison d'une fusion charnelle. Un narrateur file à un rendez-vous. Dans l'autobus, il sera foudroyé par la beauté d'un voyageur, il fait son possible pour attirer son regard. Réciprocité de l'inconnu qui répond à ses intentions séductrices. Une liaison se nouera entre eux basée sur la sexualité. Sur l'instant partagé, rien d'autre. Le narrateur avoue à Alexandre qu'il partage depuis plusieurs années la vie d'un homme qu'il ne veut pas perdre. Ils finiront pas rompre, Alexandre espérant davantage de son amant. Relaté par le narrateur qui flâne dans son lit, son monologue muet s'adresse à l'homme qu'il aime, qu'il aperçoit dans la pièce d'à côté, contemplant la pluie qui tombe. Cet homme n'aime que la grisaille, le narrateur n'aime que le ciel bleu. Intériorité de l'un, vagabondage de l'autre dans l'improvisation. C'est un incident qui sèmera le doute dans le comportement du narrateur, une faille ressentie dans la rêverie têtue de l'être aimé. De quoi sera fait demain, une menace silencieuse plane sur l'avenir de leur couple. Là encore, les indécisions du narrateur créent un malaise que lui seul répand à la suite de sa relation avec Alexandre, jusqu'à en imprégner les interrogations de son compagnon, qui hésite sur la décision à prendre. La confiance bafouée s'avère un tremblement moral quand le narrateur, mal à l'aise, contemple son amant, l'introduit malgré lui dans son drame personnel. Il n'échappera pas au mensonge qui, croit-il, adoucit les affres de la colère retenue. La tristesse que ressent le narrateur, ne pouvant confesser à son compagnon qu'il n'a rien à voir avec ses défaillances du cœur.

Recueil de nouvelles qu'on a lu avec un immense plaisir, une curiosité attisée par l'ambigüité éprouvante de chaque personnage. Récits empreints d'une nostalgie poignante, combien humaine, une tendresse édifiée sur la jeunesse qui n'est plus. Les réminiscences de chacun renouent avec des moments qui, jamais, ne changeront le destin de ceux qui n'ont su choisir par manque de maturité. Un sentiment retenu comme la colère nous fait osciller d'un côté ou de l'autre, sans être certain que ce silence forcé harmonise un destin parfois incongru. On dirait que les indécisions qui minent les protagonistes narrant leurs péripéties de jeunesse, quand il était encore temps d'agir différemment, les ont marqués d'une manière obsédante. Le style incisif de l'écrivain, Juan Joseph Ollu, s'insère formidablement au centre de leur drame personnel. Contrastant avec les doutes des protagonistes qui, de Paris à Montréal, sont identiques au décor de neige et de soleil qui revient chaque saison...


Présents composés, Juan Joseph Ollu

Collection SAUVAGE

Annika Parance Éditeur, Montréal, 2020, 138 pages