tag:blogger.com,1999:blog-16987017400919077362024-03-15T21:09:45.036-04:00Ma page littéraire Dominique Blondeau<br>Critique de livres, romans, nouvelles, récits.<br><br><i>Écrire est un acte d'amour. S'il ne l'est pas, il n'est qu'écriture.</i> Jean CocteauUnknownnoreply@blogger.comBlogger514125tag:blogger.com,1999:blog-1698701740091907736.post-59191709449471171342022-08-15T07:03:00.002-04:002022-08-15T07:03:18.561-04:00Quand la bonté incite à une réconciliation salvatrice ****<p></p><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEiEuPefQgnrwJbu1h4pMlb8wNzROx6_GLNfFP6zlcij8Qp5v7a1FDtJlGhWigSLu9z1-HIowdPiLsERg_Gf7DWjnJhKU4u0NLvh42EPsj0YVcd6xhEgJ-KD7JtT8xcJ2ibrKsqHoMif5V9W4p8YMxclD-h3QJJsFAeH8ubvO82nOIOzJGuO5p5vsyiI/s340/enleve%20la%20nuit%20Monique%20Proulx.jpg" imageanchor="1" style="clear: right; float: right; margin-bottom: 1em; margin-left: 1em;"><img border="0" data-original-height="340" data-original-width="220" height="320" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEiEuPefQgnrwJbu1h4pMlb8wNzROx6_GLNfFP6zlcij8Qp5v7a1FDtJlGhWigSLu9z1-HIowdPiLsERg_Gf7DWjnJhKU4u0NLvh42EPsj0YVcd6xhEgJ-KD7JtT8xcJ2ibrKsqHoMif5V9W4p8YMxclD-h3QJJsFAeH8ubvO82nOIOzJGuO5p5vsyiI/s320/enleve%20la%20nuit%20Monique%20Proulx.jpg" width="207" /></a></div><br />Pour tenir la forme, il est important de lire, sinon d'écrire. De se soumettre à d'humbles tâches que le quotidien nous réserve en même temps que la vie se montre bonne ou négligente. Il nous arrive de nous heurter à des murs inébranlables, fissurant les convictions qui nous forgent tels que nous ne sommes pas toujours. On fait place à la dualité oscillatoire. On commente le roman de Monique Proulx, <i>Enlève la nuit.</i><p></p><p>Les surprises originales de cette écrivaine dont on n'a pas feuilleté l'œuvre entière. On s'est rattrapée avec la lecture de son dernier roman, qui nous a enchantée tant par sa thématique que par son écriture. Décortiquant l'intrigue, un nom nous est venu à l'esprit, celui d'un magistral écrivain qui donnait la parole à un adolescent des rues, bon et débrouillard, prenant en main le sort d'une vieille dame et d'un monsieur respectueux d'un certain âge, l'un et l'autre témoins attendrissants d'une époque révolue. On nomme <i>La vie devant soi, </i>roman signé Émile Ajar. Tant par la manière de s'exprimer dans un langage grinçant ou jubilatoire s'ajustant à une narration fantaisiste sur fond de drame, Monique Proulx nous invite à sourire mais aussi à nous émouvoir. </p><p>Markus, jeune vingtaine, qui a fui sa communauté étouffante où les mœurs interdisent toute culture, porte le récit à bout de bras et de langue. Il nous tient en haleine quand il nous apprend que deux ans plus tôt, de désespoir, n'ayant plus rien à perdre, il a voulu abréger sa vie sous une voiture. Mais la main d'un homme sans âge, se posant sur son épaule, l'a détourné de ce macabre projet. Qui est cet homme sans nom, à qui Markus s'adresse en le dénommant Maître K ? Homme évanescent qui le suit de loin, sans jamais lui adresser la parole, laissant des indices qui sauveront Markus de sa misère. Le monde citadin l'encercle dans ses pièges, sans jamais le faire choir. Ni ombré ses certitudes quand il abritera dans son sous-sol un ami, Abbie, qui lui aussi a franchi le pas de leur communauté vers une calamiteuse liberté. Comment conquérir des Mignonnes, Markus ne sait rien des femmes, seule sa mère s'avère le portrait pathétique qu'il a gardé de ses jeunes années vécues avec elle. Ce soir-là, ressuscité d'entre les outragés, il marchera vers l'est, « vers la Maison qui accueille les êtres perdus que personne ne réclame. » Il a comme une révélation soudaine dans ce lieu qui l'entraine vers des plus démunis. Alors qu'il n'a connu que la tente glacée et puante d'un ami d'infortune, Charlie Putulik, il trouvera un semblant de chaleur dans cette Maison qu'il qualifie d'horrifiante, qui représentera momentanément sa demeure. Poussé par un inexplicable élan, il vient en aide à ses compagnons de nuit, un comportement que rien ne peut empêcher, remarqué par les « anges bienveillants » de la Maison. L'une de ces anges lui offrira un matelas, la nourriture gratuite, un peu d'argent pour « qu'il ramasse la vaisselle, pousser les hommes dehors, accomplir quelques humbles corvées [ ... ] ». Son premier travail mais un deuxième déboulera qui lui permettra de louer un sous-sol chez Thomas, personnage autant marginal que ceux s'agitant autour de Markus. Il est un être différent, passionné de ce qu'il ignore, déterminé à apprendre la « langue », cette langue indispensable pour gagner quelques galons de l'existence, lui qui ne connait que la langue de <i>là-bas</i>, qui l'empêche de communiquer avec les anges qui lui veulent du bien. Gabrielle, professeure, sœur de son propriétaire Thomas, pourvoira à ses manques linguistiques. Prenant le jeune homme en sympathie, elle facilitera ses allées et venues dans son désir profond de s'instruire. </p><p>Tout est ainsi dans cette histoire foisonnante où beaucoup tendent une main secourable au jeune homme, un mélange de drame émaillé d'une multitude d'incidents qui, sans cesse, remettent en question les avancées de Markus dans l'univers urbain, le « Frais Monde », qu'il parcourt en vélo, à pied, refusant la vie souterraine du métro. Truculence de certaines séquences, émotions fortement appuyées dans d'autres, ces hauts et ces bas qui forgent une existence bien que celle de Markus soit soudée à une continuelle marginalité. Raquel, elle aussi rescapée de la communauté, ne pourra que chercher du réconfort auprès de Markus, après avoir été maltraitée par John-John, un minable qu'elle quittera, secourue par Markus et ses alliés, complices de la Maison. Récit séquentiel, certes, mais aussi cinématographique, l'écrivaine ayant une expérience accomplie du genre. Les raisons d'être et d'agir de ces individus inadaptés nous procurent un grand bien, sans le savoir ils mettent sur scène la grandeur vulnérable de l'être humain. Markus instaurera malgré lui des balises pour se protéger de ses ouailles qu'il ne peut rejeter. Aucun jugement, mais le désir de mettre un soupçon de baume sur l'âme froissée de quelques-uns qui végètent dans la solitude. Monique Proulx les cite en exemple, effleurant les injustices d'une société à double entendement, comme s'exprimerait Markus. Dressant devant notre regard ignorant les déclassés, ceux qui s'efforcent de grandir dans une honnêteté supposée, ceux qui succombent à la tricherie, succomber n'étant pas vain, ébranlant la hardiesse morale de Markus. </p><p>Le roman est d'apprentissage, celui de Markus englobant une montagne de bonté qu'il distribuera bien plus qu'il ne la recherchera. Le plaisir de donner est plus fort que celui de recevoir mais c'est aussi développer une lucidité éprouvante, les autres se laissant bercer par la candeur jamais rassasiée de Markus, ne prenant soin que d'eux-mêmes, délaissant le jeune homme à ses vagues à l'âme quand il renoue avec le souvenir d'un homme qui l'a sauvé du désert urbain. Infime oasis qu'il ressuscitera quand il rejoindra sa mère pour une soirée, celle-ci se révélant une femme douloureusement atteinte, comme il ne pouvait l'imaginer. Trahison de son ami Abbie qui dit avoir un emploi à la Gigantesque Bibliothèque. Raquel et son télétravail, manière habile de tester ses clients. Iolanda et Jacinthe, couple trébuchant sur les rides de l'une et sur les insectes au menu. On ne les citera pas tous non parce que secondaires mais visibles dans leur malheur caché, telle Laila aux prises avec son père Khaled aux apparences tranquilles, le cuisinier grognon Moron qui a perdu son chien. Les risques de devoir fermer la Maison, avoue la Cheffe de la Maison, Virginie <i>Sister</i>. Autant de malheurs indicibles que subissent les épaules fatiguées de Markus mais auxquels il ne saurait renoncer, sa mission involontaire n'étant pas de réparer les impostures d'un monde malmené mais de remédier aux tracas des êtres qui lui font confiance, ne prenant pas tout à fait conscience que lui-même a faim et soif d'une grand part d'humanisme. </p><p>Aucune fin envisageable mais une conclusion qui nous ramène au début du récit, nous faisant comprendre que Markus a trouvé en lui, à travers ses déconvenues, un rapport à soi dont il fera profiter Charlie Putulik, personnage paumé ambigu qui, sous des rires tonitruants, l'a dépossédé de petites nécessités qui se mesuraient à ce qu'il allait devenir, ses pas allant, maladroits, dans ceux de Maître K. Cet homme plus visible que ceux et celles piétinant les chemins épineux d'un jeune homme épris de la vie avec ce qu'elle comporte d'insociable et d'accommodant. On l'écrit sans hésitation, le roman de Monique Proulx est l'un des plus réjouissants qu'on a lu cette année, closant presque une saison littéraire honorée de grands crus.</p><p><br /></p><p><i>Enlève la nuit, </i>Monique Proulx</p><p>Les Éditions Boréal, Montréal, 2022, 350 pages<br /></p><p><i> </i><br /></p><div class="blogger-post-footer">Dominique Blondeau - dominblondeau@yahoo.fr</div>Unknownnoreply@blogger.com1tag:blogger.com,1999:blog-1698701740091907736.post-30846228989811209732022-08-08T07:18:00.002-04:002022-08-08T07:18:26.777-04:00Une maison qui impose ses volontés *** 1/2<p></p><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEi36G4CghYbgoK0QIYQnZW3VMkB8oukFGUA2B_bfT31W5hbETCA24lcMdAouwem3AKRE3II2rmq8Mch1DoIdnrwT4ha65PikUQQLT-BdBsyuJ-Xlp5KcQHZMJpJ2Bqd8j5KE47iMy68mR07Fm51fyVyxSz9X3jYd7zH5Qy5AFvIyr0ySO5ydPO304Hm/s515/A%CC%80%20la%20maison%20Myriam%20Vincent.png" imageanchor="1" style="clear: right; float: right; margin-bottom: 1em; margin-left: 1em;"><img border="0" data-original-height="515" data-original-width="335" height="320" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEi36G4CghYbgoK0QIYQnZW3VMkB8oukFGUA2B_bfT31W5hbETCA24lcMdAouwem3AKRE3II2rmq8Mch1DoIdnrwT4ha65PikUQQLT-BdBsyuJ-Xlp5KcQHZMJpJ2Bqd8j5KE47iMy68mR07Fm51fyVyxSz9X3jYd7zH5Qy5AFvIyr0ySO5ydPO304Hm/s320/A%CC%80%20la%20maison%20Myriam%20Vincent.png" width="208" /></a></div><br />Notre vie qui, deux ans plus tôt, nous aurait semblé banale, porte en elle aujourd'hui des petits bonheurs, des allures d'enfant convalescent, des moments pleins, autrefois creux. Comme quoi les gestes et les mots prennent l'importance selon les événements qui nous endorment avant de nous éveiller. L'inertie, autant qu'un trop grand enthousiasme, ne vaut rien à la nature dolente qu'on est. On parle du deuxième roman de Myriam Vincent, <i>À la maison.</i><p></p><p>Ce n'est pas pour donner raison à la narratrice de cette insolite histoire qu'on affirmera que des lieux destructeurs existent, agissent sur des personnes ou sur leur environnement. Et ce n'est pas ce roman qui va nous dissuader de ce phénomène. Le récit, banal en soi, met en scène un jeune couple de vingt-quatre ans, Jessica et Phil, qui achète une maison en banlieue de Montréal. Ils ont peu d'argent, doivent se soumettre à leurs conditions financières. Lui enseigne, elle, travaille dans une librairie, elle est enceinte de plusieurs mois, le temps presse de déménager d'un minuscule appartement montréalais. Deux personnages certes, mais un troisième, avance-t-on sans se tromper, va interrompre le cours de leur vie ordinaire. Une maison blanche, intérieur comme extérieur, aucun recoin ne fait grâce au malaise qu'éprouve Jessica, vulnérable, émotive, en la visitant. Contrairement à Phil, homme méthodique, qui voit plusieurs avantages dans cet achat. La maison se dresse sur deux étages, en face, une petite forêt où l'ancien propriétaire s'est pendu. Certes, il faut du courage pour habiter dans une telle demeure où le blanc refuse de s'en laisser conter... Ce qui arrivera à Jessica qui traverse une grossesse douloureuse l'obligeant à démissionner de la librairie où elle travaille. Phil enseigne à Montréal, il est absent chaque jour, laissant Jessica aux prises insupportables avec une maison devenue traquenard. Elle ne comprend pas pourquoi les vitres refusent de ne pas jeter leur saleté quand elle les nettoie vigoureusement, pourquoi les murs n'absorbent pas une nouvelle peinture pour cacher cette blancheur qui fatigue les yeux. Plus grave, les murs ne supportent pas que Jessica épingle des affiches sur leur surface laiteuse. La maison commet ces tumultes quand Jessica est seule, d'où l'incompréhension de Phil quand, hésitante, elle lui fait part de ces extravagantes péripéties.<br /></p><p>Quelques semaines plus tard, l'enfant naitra brutalement. Dehors, c'est la canicule, Jessica se rafraichit dans la baignoire, elle somnole et, soudainement, se rend compte que l'eau a la couleur du sang. Affaiblie par les remous outranciers de la maison, elle pense que celle-ci lui joue encore un mauvais tour. Affolée, elle appelle l'urgence qui la conduira à l'hôpital, dans un état inconscient. C'est Phil qui, à son chevet, lui racontera comment leur fille est née. Maternité contrariée par l'influence néfaste d'une maison isolée dans un village où Jessica ne connait personne. Méfiance de plus en plus évidente de Phil face au comportement incohérent de sa femme. Lentement, leur couple se défait dont Jessica est très consciente. Leur fille se révèle une enfant pleureuse, endommageant l'équilibre mental de sa mère. Elle fera la connaissance de la mère du pendu qui ne s'est pas remise de son suicide, encouragera Jessica à pratiquer des rituels de purification, à marmonner des incantations. Cependant, rien n'y fait, la maison se rebelle de plus en plus quand elle se promène au village ou dans la forêt avec sa fille. Terriblement frustrée, fatiguée, elle devra passer une évaluation psychologique exigée par Phil, qui ne révélera que de l'anxiété, état normal chez une jeune mère...</p><p>Jessica, la narratrice, par la plume talentueuse de l'auteure, s'adresse à un témoin virtuel, qu'on ne voit jamais, à qui elle confie ses souffrances, sa lassitude à supporter les caprices insubordonnés de la maison. Elle se rend compte que personne ne lui a tendu une main secourable, ne lui est venu en aide durant sa grossesse, ni après la naissance du bébé. Elle est sous l'emprise d'un épuisement généralisé, d'une profonde détresse psychologique. Ces malaises aggravés d'une honte inexplicable envers la bonté de Phil qui fait beaucoup pour la rasséréner. Plus Jessica s'enfonce dans ses hallucinations, plus Phil sera explicite quant au comportement de la maison, trouvant un raisonnement rationnel aux incidents rapportés par Jessica. Incomprise, à bout d'elle-même, c'est l'une de ces occurrences qui décidera du sort de la maison, un jour que Jessica est partie à l'épicerie avec sa fille. Prétexte à accomplir un acte irréparable ou nous met-elle en face de sa mission accomplie ? On a souvent l'impression que Jessica devance les événements comme pour justifier sa honte de ne savoir vivre ce qu'elle ne souhaitait pas. Ne lui avait-on pas rabâché qu'une grossesse s'avérait un enchantement, un renouveau charnel ? Une maison, le foyer réconfortant où créer une famille ? Où se situe le rêve d'une jeune femme hantée par un pendu excentrique qui se manifeste à l'intérieur des murs pour mieux l'anéantir ? Points d'interrogation que Jessica se pose, pas suffisamment folle pour ne pas avoir conscience de ses fabulations. Mais jusqu'au bout de sa condamnation envers elle-même, n'hallucine-t-elle pas encore sur sa manière aléatoire de cerner un avenir, la normalité des choses de la vie étant son dernier recours, « à l'abri du monde extérieur », maintenant que la maison n'existe plus, ce qui n'est pas une certitude... </p><p>Connaissant peu cette écrivaine, et ne désirant pas nous appuyer sur quelque entrevue, on a été impressionnée par cette deuxième œuvre à l'oralité solide, Myriam Vincent décryptant habilement les défaillances mentales de sa protagoniste. Sorte de huis clos avec elle-même où l'état de la maison reflète des rebuffades contre une grossesse malvenue, contre le risque de ne pas aimer son enfant lors d'un accouchement imprévisible. Récit hallucinatoire, métaphorique, qui révèle la générosité de l'écrivaine à ne pas prendre parti pour ou contre le corps de chaque femme quand se développe dans ses entrailles un être humain encore en son état embryonnaire. Le ventre enfanté ne possède-t-il pas lui aussi ses rébellions hallucinatoires, n'est-il pas une maison chambardée par une soudaine présence, comme l'a été la maison blanche depuis longtemps habitée d'un fantôme qui fut un homme perdu, victime d'un monde trop conforme ? C'est une interprétation personnelle qu'on définit de cette histoire, tant d'autres s'y prêtent, inapte qu'on est face aux agissements démentiels d'une femme et mère tellement vivante qu'elle en a perdu le souffle, le contrôle de son existence...<br /></p><p> </p><p><i>À la maison, </i>Myriam Vincent</p><p>Les Éditions Poètes de brousse, Montréal, 2022, 328 pages <br /></p><p> </p><p> <br /></p><div class="blogger-post-footer">Dominique Blondeau - dominblondeau@yahoo.fr</div>Unknownnoreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-1698701740091907736.post-85998543829370649952022-07-04T07:12:00.002-04:002022-07-04T07:12:30.323-04:00Le silence quand il se fait justicier *** 1/2<p></p><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEjr5JK14BBa1k5HR6Pf4LH2fj2EA60sHd0diiQU7GxZEVyjKW_dUj7fPei_fLrAbBfWEK8Ug2FVoLMxAKnV2Bu-OC4NR64WqkuAYwDeabHxfFQ-rfLF9dO9RlCBeEh94sh7LByGz7jLCMqP6ihQOGVwrW0MWZKZTwk89ntxt1qtfHbYw6ISplm5Lb0U/s300/A%CC%80%20l'ombre%20du%20silence.jpg" imageanchor="1" style="clear: right; float: right; margin-bottom: 1em; margin-left: 1em;"><img border="0" data-original-height="300" data-original-width="200" height="300" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEjr5JK14BBa1k5HR6Pf4LH2fj2EA60sHd0diiQU7GxZEVyjKW_dUj7fPei_fLrAbBfWEK8Ug2FVoLMxAKnV2Bu-OC4NR64WqkuAYwDeabHxfFQ-rfLF9dO9RlCBeEh94sh7LByGz7jLCMqP6ihQOGVwrW0MWZKZTwk89ntxt1qtfHbYw6ISplm5Lb0U/s1600/A%CC%80%20l'ombre%20du%20silence.jpg" width="200" /></a></div><br />Il est certain que nos écrivaines et écrivains préférés, sans en prendre réellement conscience, au moment d'écrire une recension, influencent notre opinion. Toutefois, on prend garde à ne pas faire preuve de favoritisme, ce qui serait contraire à notre éthique professionnelle. Il est rare qu'on ait affaire à ce débat intérieur, l'œuvre dernière de l'écrivaine ou de l'écrivain qui nous touche particulièrement, ne nous décevant jamais. On parle du troisième roman de Jean-Marc Ouellet, <i>À l'ombre du silence.</i><p></p><p>Il est dommage que l'éditeur de ce roman captivant ne consacre pas plus de temps à la promotion de ses livres. Ce qui permettrait aux liseurs et liseuses de découvrir des fictions attachantes, des histoires qui en valent d'autres. Celle de cet homme qui, après avoir traversé une épreuve bouleversante, s'est réfugié dans une cabane forestière pour éviter une inévitable condamnation, n'est peut-être pas inédite mais la manière de dire de l'auteur nous a touchée. On s'est demandé comment la vie d'un être humain pouvait se résoudre à pas grand-chose, pour ne pas dire à rien, quand ce même être humain a perdu la parole. Ce qui arrivera à un avocat après s'être vengé d'une accusation mensongère. Mais le commencement d'une histoire étant indispensable à sa cohérence, on rejoint d'abord Sarah, arpenteure-géomètre, vingt-huit ans, qui rentre du Nord québécois en hydravion avec des collègues. Elle est amère et désenchantée, insatisfaite de sa vie de célibataire, traumatisée par une mésaventure qu'elle ne parvient pas à oublier. Victime d'un viol collectif qui l'a abimée pour la suite de son existence. Depuis, elle traite les hommes tels des objets de plaisir. Brusquement ramenée à la réalité par des cris paniqués, par une terrifiante turbulence qui secoue l'avion, puis la chute et le choc. Ses collègues sont morts mais Sarah aura l'opportunité d'être secourue par l'avocat déjà cité, qui la ramènera chez lui, une cabane en pleine forêt, quelque part en Abitibi. Gravement blessée, Sarah dort, l'homme l'observe, se demande pourquoi il n'a pas laissé mourir cette femme qui dérange sa solitude. Puis, elle se réveille, l'homme lui tourne le dos mais quand il lui fera face, elle se mettra à hurler. Le visage de l'inconnu est traversé d'une cicatrice, de la tempe jusqu'au menton. Faire connaissance ne s'avère pas simple de part et d'autre, chacun protégeant ses blessures tant physiques que mentales. Chacun se réfugiant dans un passé qui ébrèche le présent. Un jour, troublée par un incident qui la fait douter de l'honnêteté de son compagnon, Sarah réussit à s'enfuir, son esprit attisé par des souvenirs heureux de son enfance, de son adolescence. Par l'horreur du procès qui avait suivi son viol, la plongeant dans une réalité sordide. Toute à ses réminiscences, Sarah aperçoit soudain deux hommes qui, pense-t-elle, vont lui indiquer le premier village civilisé, échappant ainsi à son hôte, à ses manifestations douteuses. Sauf que les deux hommes sont des prédateurs qui ne chercheront qu'à abuser d'elle, peut-être même à la tuer après avoir satisfait leur appétit sexuel. Tel un ange vengeur, son compagnon l'a suivie, les deux prédateurs à la merci d'un justicier qui ne leur fera don d'aucune grâce. Action inattendue qui dénouera bien des sentiments entre Sarah et son sauveteur, que l'un et l'autre dissimulaient au tréfonds de leur tragique histoire. </p><p>Si, indirectement, la parole a été donnée à Sarah, nous apprenant qui elle est, d'où elle vient, et un peu plus, c'est lorsqu'elle décidera de quitter son compagnon et amant, qu'à travers un long récit qu'il lui a confié, que nous saurons tout de l'homme de la cabane. Comment à la veille de Noël, lors du party de son bureau, une de ses collègues l'a attiré dans un piège passionnel. Comment elle l'accusera de l'avoir battue puis violée. Toutes les preuves étant contre lui, il sera condamné à de longues années de prison. Dans ce milieu sordide, il apprendra à se défendre contre un malabar, prisonnier désaxé dont il sera une victime crédule avant de se transformer en un vengeur implacable. Nous apprendrons aussi pourquoi il est devenu muet, pourquoi il s'est remis entre les mains d'un détective privé qui découvrira des éléments malsains concernant son accusatrice. Grotesque ficelle que Sarah dénouera quand, déterminée, elle sera revenue à la civilisation. Il n'est plus question de se repaitre de poisseuses zones d'ombre mais de découvrir ce qui s'est passé une veille de Noël. Elle aime cet homme et ne veut pas le perdre. N'est-il pas une sorte de rédempteur qui l'a sauvée des mains voraces de prédateurs en rut ? Elle parviendra à ses fins quand elle rencontrera dans un bistrot la femme qui fut responsable de la déchéance d'un homme qui avait commis l'erreur de trop boire...</p><p>Roman à saveur policière, fort agréable à lire. Le suspense nous tient en haleine jusqu'au bout de cette histoire plausible, écrite dans un style dynamique, sans essoufflement, toujours à la hauteur du drame qui se joue entre deux personnages, une femme et un homme, qui n'avaient plus rien à perdre, qu'eux-mêmes. Toutefois, on émet une petite réserve qui n'égratigne en rien la teneur du récit. Ni n'entrave la bonne marche de l'action qui se déroule entre les bienfaits salvateurs du monde rural et les tentations exacerbées du pouvoir se tramant dans les conduits pervers du monde citadin. On a douté du retour passé sous silence de Sarah, narrant, sans émotions, à l'officier des transports comment elle a été sauvée par un vieux couple d'ermites vivant dans une cabane au fond des bois. L'officier a enquêté sur l'écrasement de l'avion, sur la disparition des compagnons de Sarah, celle-ci était la seule à manquer à l'appel. Étonnamment, il accepte les explications de Sarah qui prétend ne plus se souvenir de rien... Mais les enquêtes ne possèdent-elles pas leurs failles, leur façon de simplifier les événements pour que les protagonistes y trouvent leur compte ? Et laisser la part belle au lecteur, amateur de récits oscillant entre une réalité parfois insupportable et une fiction réconfortante, les deux hypothèses s'amalgamant en une conclusion qui se termine bellement. L'amour se joue parfois d'insondables avatars pour réunir deux êtres désespérés d'eux-mêmes. De la sournoiserie humaine qui a failli les détruire pour mieux rebondir dans l'espace restreint de leurs espérances. Les vacances battant leur plein de distractions, on encourage la lecture de ce roman palpitant avant de retourner aux plaisirs bienfaisants de la nature ou de l'océan...<br /></p><p><br /></p><p><i>À l'ombre du silence, </i>Jean-Marc Ouellet</p><p>Éditions Crescendo, Québec, 2022, 130 pages<br /></p><p><i> </i></p><p><i> </i><br /></p><div class="blogger-post-footer">Dominique Blondeau - dominblondeau@yahoo.fr</div>Unknownnoreply@blogger.com3tag:blogger.com,1999:blog-1698701740091907736.post-48557351927823535752022-06-27T07:06:00.001-04:002022-06-27T07:06:12.950-04:00Des feux d'artifice avec ou sans étincelles ****<p></p><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEiW_-mC3KgFPaAkPuyPLLAfRZvjKasee4yLGZAVRz7bd7YIhrUHoGczCs4nqnEM-GO1K8hLYGquSTVrQGIdy83vic6IHIjFMCCjgASnmd67ZD_80MoZGitZJ2sqKRqxhJaC1h6RztmgkEXbj-m57PSF6u6nAtLXR3VzjgqMhWXaGFEaPcNGi7-XHPS7/s360/Revue%20XYZ%20nume%CC%81ro%20150.jpg" imageanchor="1" style="clear: right; float: right; margin-bottom: 1em; margin-left: 1em;"><img border="0" data-original-height="360" data-original-width="233" height="320" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEiW_-mC3KgFPaAkPuyPLLAfRZvjKasee4yLGZAVRz7bd7YIhrUHoGczCs4nqnEM-GO1K8hLYGquSTVrQGIdy83vic6IHIjFMCCjgASnmd67ZD_80MoZGitZJ2sqKRqxhJaC1h6RztmgkEXbj-m57PSF6u6nAtLXR3VzjgqMhWXaGFEaPcNGi7-XHPS7/s320/Revue%20XYZ%20nume%CC%81ro%20150.jpg" width="207" /></a></div><br />Il pleut, c'est l'été. Pluie passagère et réconfortante, la nature est en liesse. Au bord de l'étang, les grenouilles coassent, elles se retrouvent aux origines de leur monde liquide. La canopée du parc oscille gracieusement, les canards plongent et refont surface, agitant leurs ailes à ne plus savoir s'envoler. Les papillons batifolent, ils se prennent pour des cigales ! On commente le numéro 150 de <i>La revue XYZ de la nouvelle.</i> <p></p><p>Quelle riche idée que d'avoir fêté ce " spécial " avec des feux d'artifice symboliques, imaginaires ou véridiques, selon la signification particulière que nous accordons à ces éclats de feux. Nous devons cette flambée d'étincelles à l'initiative éclairée de Gaëtan Brulotte et de Sylvie Massicotte qui, tous deux, se sont fait les complices de vingt auteurs-es qui ont valorisé, pudiques et enjoués, la représentation d'une telle fête à coups de sentiments évoqués parfois en sourdine. On a retrouvé quelque part, au gré des pages, la sapidité grinçante de ces feux qui ont dérangé nos jeunes et moins jeunes années. Les souvenirs sont intraitables, indélébiles! </p><p>Se côtoient d'un texte à l'autre la vie et la mort, certains s'assemblent, les protagonistes n'ayant pu remonter plus loin dans leur errance. Tout se joue, semble-t-il, dans l'acuité de réminiscences qui ouvrent des blessures mal cicatrisées, parfois inguérissables. Comme les nouvelles d'Edem Awumey et de Francine Beaudin qui se complètent, sans vraiment se recouper. Dans le <i>Carnet d'un voyage au centre de l'espoir </i>d'Edem Awumey, entre en scène un homme qui, tenant la main de sa compagne, se remémore silencieusement sa fuite loin des atrocités de son pays en guerre. Alors qu'elle rêve d'un premier voyage avec lui, il se complait, armé d'une peur redoutable, dans ce pays où il a trouvé une certaine assurance. Il ne veut pas s'en éloigner. Repoussant un passé douloureux, il entend les premières explosions du feu d'artifice. Va-t-il accepter de voyager enfin avec sa compagne ? Dans <i>Un puits d'étincelles, </i>c'est du sur place que nous propose Francine Beaudin, mais quel voyage dans la tête d'Awah, adolescente congolaise, qui doit se rendre dans un édifice qu'elle ne connait pas. Timidement, gauchement, elle y parvient, elle descend dans un sous-sol, ce qu'elle déteste. Là, elle sera reçue avec enthousiasme, elle doit aider à éplucher les légumes pour un grand souper avant le feu d'artifice auquel elle est conviée. Awah est heureuse, elle qui est toujours seule, loin de ses grands-parents qu'elle n'a jamais revus. Le soir venu, elle entend les premières déflagrations, une pétarade de détonations, Awah ne s'attendait pas à ce cauchemar éveillé qu'elle ne supporte pas. C'est par suggestion que nous percevons ce qu'a traversé l'adolescente avant de se réfugier dans un pays plus serein. Semblable à l'homme de la nouvelle d'Edem Awumey, Awah est prisonnière de traumatismes qu'elle essaie d'adoucir en s'impliquant, non dans un amour, mais dans la simplicité de la vie quotidienne. </p><p>On va d'un récit à un autre, séduite par leur diversité, par la puissance des mots, la disparité constante de la thématique qui nous entraine d'une condition de vivre à de confuses hésitations, à des refus troublants. <i>Comme un coup de tonnerre, </i>nouvelle signée Stanley Péan, un homme attend le retour de sa compagne absente depuis une semaine. De son balcon, pour distraire son impatience, il s'attarde sur un sans-abri noir que la police interroge. Plus tard, une détonation surgit dans le calme d'un après-midi ensoleillé, que le narrateur contourne en se disant que le feu d'artifice commence bien tôt. Inconscience ou peureuse manière de se déculpabiliser face au malheur d'un démuni qui affirmait au policier chercher quelque chose qu'il avait perdu. Métaphore de la perdition de soi et des êtres qui pourraient nous sauver... On suit Perrine Leblan, <i>Terrorisme poétique,</i> dans une ville qui se révolte contre la tyrannie d'un gouvernement totalitaire. Ce sont des tagueurs qui, manœuvrant sur des toits, ouvriront les vannes d'un feu d'artifice, provoqueront les patrouilles policières qui essaient de faire rentrer chez elle la population descendue hardiment dans les rues. Des flottements se produisent, seule la narratrice ne se conformera pas aux ordres. Sous une apparente désobéissance, on se rend compte à quel point le nombre influence les espoirs d'une population asservie, la narratrice, représentant une part d'insouciance, se dit que le feu d'artifice a bien eu lieu. Plus loin, Fanie Demeule et Bruno Lalonde jouent les trouble-fêtes. L'un en avouant ne pas aimer les feux festifs, l'autre en faisant preuve d'une lucidité dérangeante. Fictions respectivement titrées, <i>Trouble fête </i>et <i>Poudrière.</i><br /></p><p>On ne saurait mentionner la magnificence de tous les textes qui composent ce numéro. Aucune préférence, aucune lassitude en lisant Natalie Jean et les péripéties souriantes d'un narrateur aux prises avec les fantaisies débordantes de sa sœur, qui confie ses deux fillettes à son frère, celui-ci allant se distraire un week-end chez une amie artiste. Les nostalgies buissonnières se dessinent sous un ciel velouté d'étoiles filantes. Autre feu d'artifice... Julie Dugal anime une narratrice, étrangère dans un village, qui court là où elle peut pour trouver des feux d'artifice à l'occasion de l'anniversaire de son vieux père. Les souvenirs affluent, la discorde avec le père prend des allures réconciliatrices... On pourrait citer les auteurs-es qui ont participé à la composition de ce magnifique numéro mais on préfère nous repaitre de la tendresse du récit de Jean-Paul Beaumier, <i>Le spectacle est terminé, </i>sa tendresse, certes, mais aussi de sa sensibilité généreuse, débordant hors de l'histoire d'une mère agonisante qui assiste à son dernier feu d'artifice. Le narrateur se souvient que son père était un artificier reconnu, « une véritable vedette dans le quartier lorsque nous étions enfants. » Mais l'âge accentuant les rides, il s'est lassé de son attirail qu'il aura mis à l'abri pour un ultime rendez-vous. L'heure de sa femme, l'heure des souvenances ont sonné, heures qui auront une saveur amère et nostalgique, tendrement dépeintes une dernière fois par le narrateur, lui aussi à saveur douce-amère d'écrivain...</p><p>Boucle la revue la rubrique " De bref en bref " qui nous réserve moult critiques signées David Bélanger, Ketzali Yulmuk-Bray, Aglaé Boivin, David Dorais, Cécile Huysman. Tous les cinq y vont de leur analyse judicieuse, disséquant des nouvelles qu'on n'a pas eu le temps de lire dans le courant de l'année. Et même avant...</p><p>Éblouissante et fervente dernière couvée d'une revue qui fête non seulement son 150e numéro mais aussi occasionne la lecture d'une poignée d'écrivaines et d'écrivains, qui ont su faire flamber leurs propres étincelles, telles qu'imaginées ou surgies d'événements parfois irréels. Avec des flaques de larmes, pour paraphraser Christiane Lahaie, ou des sourires qui en disent long sur la magie des feux de la mémoire soudainement éveillée, mettant à contribution des flambées de souvenances dans la mémoire retrouvée, tel le temps proustien, de femmes et d'hommes qui, en des occasions moins réjouissantes, ou peut-être manquées, se seraient tus. <br /></p><p><br /></p><p><i>La revue XYZ de la nouvelle, </i>numéro 150</p><p>Piloté par Gaëtan Brulotte et Sylvie Massicotte</p><p>Montréal, 2022, 120 pages<br /></p><div class="blogger-post-footer">Dominique Blondeau - dominblondeau@yahoo.fr</div>Unknownnoreply@blogger.com3tag:blogger.com,1999:blog-1698701740091907736.post-5814580894505495732022-06-20T07:21:00.002-04:002022-06-20T07:21:38.156-04:00Des univers fantasmagoriques qui n'engagent que soi *** 1/2 <p></p><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEiLmkw7Z3Zuaoq8phI4tAORIv2xXvvCFGMSFxEKngawjJJrdC-seIyIjb49JC68FX5ZidpzGBVqn0UpsPmam6TzSHN7aj6VNhF8zYne7VT56UeJCYzq3zR-BA75jeDZeFuTy5nP4mkfEwtolAj5QJuP65u7XH3XcAACMghMlX283ygTUdjQkWYt1BCS/s272/Bizarreries%20du%20banal%20E%CC%81ric%20C.%20Plamondon.jpg" imageanchor="1" style="clear: right; float: right; margin-bottom: 1em; margin-left: 1em;"><img border="0" data-original-height="272" data-original-width="200" height="272" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEiLmkw7Z3Zuaoq8phI4tAORIv2xXvvCFGMSFxEKngawjJJrdC-seIyIjb49JC68FX5ZidpzGBVqn0UpsPmam6TzSHN7aj6VNhF8zYne7VT56UeJCYzq3zR-BA75jeDZeFuTy5nP4mkfEwtolAj5QJuP65u7XH3XcAACMghMlX283ygTUdjQkWYt1BCS/s1600/Bizarreries%20du%20banal%20E%CC%81ric%20C.%20Plamondon.jpg" width="200" /></a></div><br />On se lève de bon matin, la semaine commence. On ne s'y attend pas, un événement bouleverse notre journée toute neuve, toute bleue, lumineuse. On doit s'habiller rapidement, rejoindre l'événement trois rues plus loin, le temps d'interrompre la musique, de fermer l'ordinateur, et on part. L'événement est agréable, il nous conduit vers une terrasse, en plein soleil. Les sourires, forme de complicité, nous tiennent heureuse compagnie. On commente les nouvelles d'Éric C. Plamondon, <i>Bizarreries du banal.</i><p></p><p>Elles sont bien étranges ces histoires à dormir debout, elles émoustillent notre curiosité sans jamais nous perdre dans les dédales parfois inquiétants de petits minotaures modernes. Chaque récit nous emporte vers un univers confondant, à peine avons-nous le temps de souffler que, déjà, il faut se faire le spectateur attentionné de personnages soumis à la limite d'un équilibre précaire, s'exhibant sur la corde raide de situations insolites, risquant de trébucher dans le vide. La première nouvelle, <i>Une journée entre amis,</i> se définit tel un préambule, nous invitant à suivre les agissements incertains d'hommes et de femmes qui osent s'aventurer dans une zone brumeuse, insoupçonnée, de leur personnalité complexe. Ce que confirme un narrateur, réparateur de télé, quand il se présente avec son patron, Will, dans un appartement. Les deux hommes sont accueillis par un silence oppressant, où semblent ne survivre que des spectres, le temps passant sur les humains, accablant témoin de ce qu'ils deviennent, des ombres ou si peu. Will répare la télé en noir et blanc, artefact obsolète, renforçant le malaise du narrateur qui doit se rendre aux toilettes. Il se heurte à des portes, des couloirs, des interrupteurs. À une personne inerte couchée dans un lit. Le bourdonnement d'un ventilateur le réconforte, brise le silence du lieu au point de couper les envies naturelles du narrateur qui fait demi-tour. Quand ils quittent l'appartement, l'ouvrier demande des explications à Will, mais celui-ci ne peut lui en donner. <i>Le réparateur de télé. </i>Plus loin, un étonnant prétexte nous emporte en Italie, en compagnie d'un professeur, chercheur à l'université. Ici, un reliquaire calcule le temps avant d'annoncer la fin du monde. Il suffit de le manipuler selon un code convenu pour que se mette en branle la relique démontrée savamment par l'écrivain, le professeur ayant été invité à une cérémonie matinale qui déjoue toutes les prédictions : insérer une petite clé dans l'ouverture du reliquaire sous le regard curieux du narrateur qui en apprendra davantage par le curé du village. Mais sommes-nous maîtres de notre destinée, universelle, celle réservée à tous les humains ? Rites oubliés soudoyés par une machine, confirmant notre petitesse face à la colère divine. </p><p>On ne mentionnera que les nouvelles qui ont marqué la sceptique qu'on est, alourdie de tous les doutes de l'existence, les récits qui dépeignent les avatars d'humains parfois crédules. Comme la jeune femme qui monte dans une voiture par temps désagréablement pluvieux. <i>L'invitée. </i>Elle se retrouve dans une pièce, nue, désarmée, ne pouvant qu'assumer son enlèvement. Elle prend la peine d'observer l'endroit où elle gît, une cheville attachée à une longue chaine, l'anneau scellé au centre de la pièce. On a pensé combien les rapports entre les humains étaient trompeurs, nous demandant si cela était le but de ce texte où la fragilité d'une femme criminelle malgré elle, les failles d'un tueur en série modifiant le cours de machinations subtiles. Courtoisie suspecte de l'homme avec, dans la tête, son projet insensé, méfiance de la femme qui ne pense qu'à s'échapper, sa situation inconfortable ne lui réservant aucune porte de sortie autre que celle de l'autodéfense. Elle y parviendra mais à quel prix. Celui du renversement des rôles, le fantôme du tueur ne nous a jamais quittée. On n'est pas certaine de ce qu'il adviendra de la narratrice, les fantômes ayant plus d'un tour dans leur sac... Plus loin encore, <i>Verdure</i> nous rappelle que l'herbe du voisin est toujours plus verte que celle de notre jardin jusqu'au jour où l'imposture nous jette dans la fosse véreuse d'une compagnie d'engrais pour végétaux. On ferme les yeux sur la fin hasardeuse de la capitale parisienne, préférant envisager un voyage exaltant dans ses rues pittoresques et monuments historiques. <i>L'accident, </i>texte bref, émouvant, fait délirer un homme, victime d'un grave accident de voiture, sur le point d'agoniser, le mot fatidique de sa mort prononcé par une fillette. Pour lui, le temps s'est rétréci et défiguré, jusqu'à l'effacement. Puis, on se prête à une dérangeante incursion dans l'univers d'un homme et d'une femme jeunes, meurtriers de personnes qu'ils choisissent à l'aveugle dans un annuaire téléphonique. On a droit à la minutieuse description de leur macabre entreprise avant qu'ils rejoignent leur victime désignée. Que de gestes étudiés, que de glaciales certitudes, personnages tout droit sortis d'un film de Stanley Kubrik. Peut-on dépeindre un plan descriptif quand les attitudes corporelles sont imprégnées d'une telle débauche virtuose ? Froideur exacerbée qui ne peut que laisser insensible un témoin-lecteur dont les desseins s'avèrent au-delà de toute fourberie cérébrale. </p><p>On terminera notre recension énumérée par ordre préférentiel en soulignant la nouvelle <i>Le visage,</i> qui nous a fascinée. Un clown, enfant raté, humain désemparé par la mort de sa mère, seule femme à avoir vu son visage démaquillé, mère possessive malsaine vénérée dont l'histoire ébréchée du fils finira mal. C'est l'enquêteur, chargé de débroussailler un mystère concernant le clown, qui divulguera le pot aux roses lorsque des enfants découvriront un masque charnel de clown jeté dans une poubelle publique. Lorsqu'un inconnu aux abords d'un cirque le questionnera sur la suite de ses investigations. Échangera avec l'enquêteur une poignée de main inattendue. Il serait dommage de révéler les appâts vénéneux de ce récit, là encore l'être humain se révélant le voyeur tragique de ses propres conditions terrestres, le clown choisissant d'y mettre un terme. Ce sont là des nouvelles déconcertantes, intemporelles, pour un esprit rationnel, l'écrivain, Éric C. Plamondon, nous invitant à en découvrir des inédites sur <i>ericplamondon.com </i>On se fera un plaisir masochiste en faisant connaissance d'humains moins incrédules que soi !<br /></p><p><i> </i></p><p><i>Bizarreries du banal, </i>Éric C. Plamondon</p><p>Les Éditions Sémaphore, Montréal, 2022, 192 pages<br /></p><div class="blogger-post-footer">Dominique Blondeau - dominblondeau@yahoo.fr</div>Unknownnoreply@blogger.com1tag:blogger.com,1999:blog-1698701740091907736.post-84121732758579649872022-06-13T07:14:00.002-04:002022-06-13T07:14:36.509-04:00Faire semblant d'être un père équitable *** 1/2<p></p><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEgk--mAvRf7Dy-8ptLbuaQElzq_HV39_egt0xNduBibLpMqE_mj4ahISwif2lXqnCl_Q7l5gKaiDGiCqImTa4uunoghwutbg2GIOcdAUZTftD_v38dStgRLXZKFivE3EX8D64TQ8IFu5VzeG0CsUQos6Cy4JALYqpglJAr3n8vNg3070Ka2Kr0LXe8t/s292/Les%20pe%CC%81nitences,%20Alex%20Viens.jpg" imageanchor="1" style="clear: right; float: right; margin-bottom: 1em; margin-left: 1em;"><img border="0" data-original-height="292" data-original-width="200" height="292" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEgk--mAvRf7Dy-8ptLbuaQElzq_HV39_egt0xNduBibLpMqE_mj4ahISwif2lXqnCl_Q7l5gKaiDGiCqImTa4uunoghwutbg2GIOcdAUZTftD_v38dStgRLXZKFivE3EX8D64TQ8IFu5VzeG0CsUQos6Cy4JALYqpglJAr3n8vNg3070Ka2Kr0LXe8t/s1600/Les%20pe%CC%81nitences,%20Alex%20Viens.jpg" width="200" /></a></div><br />Il y a des jours comme aujourd'hui où le monde nous apporte peu. Un monde réduit à quelques personnes croisées dans les rues environnantes. On les regarde avec indifférence, telles des ombres qui traverseraient notre corps sans l'abîmer de trop d'obscurité. On s'éloigne, on se retrouve, apaisée, dans le parc, en compagnie des écureuils et des canards. Et surtout des arbres. On parle du roman d'Alex Viens, <i>Les pénitences.</i><p></p><p>Après avoir commenté le récit autobiographique d'Anne Peyrouse et lu le roman d'Alex Viens, qu'on ne connaissait pas, on peut avancer que certains pères sont indignes de fabriquer des enfants. Manipulateurs et imposteurs, se vengeant consciemment de leur existence ratée, ils commettent des crimes intentionnels sur plus faibles qu'eux. Dans ce roman, Denis, le père de Jules et Charlotte, ne déroge pas à ces hommes diaboliques qui ont agi envers leur progéniture par haine d'eux-mêmes. L'histoire campée par l'écrivaine est simple et aurait pu réconcilier un père et sa fille qui ne se sont pas rencontrés depuis dix ans. Jules a choisi ce moment avec bravoure, pour apporter à son père une mystérieuse petite boîte. Elle arrive chez lui un soir de janvier, l'homme de cinquante-quatre ans est un ancien punk qui n'a jamais assumé les années qui ont dévasté sa jeunesse. Jules remet à Denis la petite boite et se dit qu'elle devrait retourner chez elle. Mais l'homme est habile, il l'invite à souper. Il n'a pas grand-chose, des spaghettis qu'il fait cuire en imposant son douteux rôle de père à Jules qui, perdant ses moyens, consciente de son état soudainement apathique, lui fait penser qu'il est trop tard. Phrase lourde de conséquences qui fera débouler des années arides vécues entre sa mère Christine et sa sœur Charlotte. Partagées entre père et mère quand le couple divorcera. Mais on ne relatera pas ces phases destructrices douloureusement dépeintes par l'écrivaine. Jules mange, boit de la bière, pendant que son père fredonne une chanson de The Cure. Celui-ci a accumulé un nombre impressionnant de CD et de vinyles desquels la musique soutiendra le rythme du récit, comme pour adoucir ou aggraver les propos qu'échangeront le père et la fille, qui ont syncopé des années déchirées entre une vie parentale et un enfermement exigé par Denis pour convaincre ses filles de ne pas l'abandonner. Chantage outrancier qu'il exercera sur l'aînée qui vit avec lui, alors que Jules a préféré habiter avec leur mère. Destruction mentale de Charlotte qui prétend que sa sœur essaie de la dresser contre leur père. Ce soir-là, Jules, pour se rassurer, se persuade qu'elle rend visite à un père à qui elle a toujours voulu plaire. Un soupçon d'entente suspecte s'établit entre eux, alimentée par la musique, par la bière mais aussi par la tricherie méfiante l'un envers l'autre.</p><p>C'est un antre misérable où loge Denis. La vie du voisinage résonne d'un appartement à un autre. Détail indécent que Jules ne supporte plus, elle a réussi à se faire une place honorable dans un microcosme sociétal alors que sa sœur mène une existence dissolue, résultant de l'éducation de Denis qui a subordonné Charlotte à ses exigences paternelles. Toujours la peur d'un vieux punk amer qui redoute la solitude. À la bière succède un joint que père et fille se partagent, les figeant dans un arriéré sentimental déformé par le temps qui défigure le meilleur et le pire de nos agissements. Dans la salle de bain, Jules retrouve un rouge à lèvres de sa sœur dont elle maquillera le visage de son père. Le geste est ostentatoire, il contient une rancune ineffaçable, une cible inespérée... D'allusions aux certitudes, la bonne foi de Jules se fait malaisée quand son père lui montre des photos de deux fillettes assujetties à ses désirs possessifs. Week-ends aux États-Unis, mensonges qu'elles devaient improviser pour ne pas inquiéter leur mère. Anecdotes vitales qui ne font que séparer le père et la fille dans ce huis clos magistralement replié sur lui-même, dont personne ne sortira indemne. Denis force Jules à se goinfrer de pâtes, il inflige un comportement dangereusement infantile à une jeune femme retombée sous son joug. Souillée de pâtes et de larmes, elle se rebiffe. Essaie de fuir mais la porte est fermée à clé de l'intérieur. Retour à l'enfance de Jules, à l'obéissance que son père attend d'elle, fillette et maintenant adulte. N'était-elle pas une « bonne fille » ? Les complots de Denis pour dresser Charlotte et Jules contre leur mère. Il veut la garde exclusive de ses filles. Fugue décisive de Jules que Denis lui rappellera, la culpabilisant du mal-être de sa sœur. Détestation de la mémoire quand Jules se souvient que rien n'était normal dans les errements caractériels du père. Faire connaissance avec le corps adolescent, Jules s'enlaidit en se rasant les cheveux, forme de mutilation exacerbée par les mensonges qu'il faut sans cesse réinventer. Les feintes de la mère qui veut échapper aux menaces paternelles. Tout ce démaillage déboule dans la tête de Jules, à grands renforts de la traitrise du père qui s'est enfermé dans la salle de bain. Et que Jules délogera violemment, à coups de cris, de gestes et d'objets, comme si la saleté qui règne dans l'appartement témoignait de la saleté corporelle de Jules quand elle vivait chez Christine. La nuit passe ainsi à se remémorer la lâcheté de Denis quand il dressait les deux sœurs l'une contre l'autre pour mieux les séparer. Dans cette démarche insensée, il est toujours question de séparation, jamais de réconciliation, jamais d'un peu de tendresse envers les autres, ni envers eux-mêmes. Le jour se lève, il sera tragique, Jules commettant la pire des vengeances envers un homme qui ne peut rien contre la haine qu'il a insufflée dans la tête et l'âme de sa fille. Charlotte n'est-elle pas morte d'un trop-plein de désespoir ?<br /></p><p>Huis clos théâtral. On rêve d'une interprétation scénique, les dialogues impudents et tranchants comme des tessons ne pourraient qu'intensifier ce que parfois le cœur de l'homme emmagasine de hargne, contient de maladresse et de frustration dans ses manières de se venger de ses propres échecs. Puissance d'un premier roman implacable, nous enseignant comment reprendre sa respiration après tant d'essoufflement à vouloir transformer un père qui ne l'était pas. Le courage ne manque pas à Alex Viens, écrivaine qui saura faire la part des choses, abusives ou approximatives, quand le moment sera venu de mettre à nouveau son talent à l'épreuve. </p><p><br /></p><p><i>Les pénitences, </i>Alex Viens</p><p>Éditions Le Cheval d'août, Montréal, 2022, 144 pages<br /></p><p><i> </i><br /></p><div class="blogger-post-footer">Dominique Blondeau - dominblondeau@yahoo.fr</div>Unknownnoreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-1698701740091907736.post-41154418784072389872022-06-06T07:10:00.002-04:002022-06-06T07:10:39.663-04:00Des flammes et une fleur pour attiser le rêve **** <p> </p><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEj2MujPk-BoRwOpY8IlgNklLjiPHq2SXGfyqLXXFMh8wom9JjK9YtkOxMP9FOvD3_y3uckgQ_hPnrfxWNTgpHDuY_l6Ihdr1THwcBbxoY-V_R43h9OdeIJxRqBuQX5oSZVX1evbSMP8zENfwIRcHH2qyR3Oc1ew59lAvAYYnQaCEKxaHq9IBVL0hWS2/s600/Le%20samourai%20a%CC%80%20l'oeillet%20rouge%20Denis%20The%CC%81riault.jpg" imageanchor="1" style="clear: right; float: right; margin-bottom: 1em; margin-left: 1em;"><img border="0" data-original-height="600" data-original-width="388" height="320" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEj2MujPk-BoRwOpY8IlgNklLjiPHq2SXGfyqLXXFMh8wom9JjK9YtkOxMP9FOvD3_y3uckgQ_hPnrfxWNTgpHDuY_l6Ihdr1THwcBbxoY-V_R43h9OdeIJxRqBuQX5oSZVX1evbSMP8zENfwIRcHH2qyR3Oc1ew59lAvAYYnQaCEKxaHq9IBVL0hWS2/s320/Le%20samourai%20a%CC%80%20l'oeillet%20rouge%20Denis%20The%CC%81riault.jpg" width="207" /></a></div><br />C'est un matin qui sent bon le début du printemps. On n'a pas envie de lire ni d'écrire, on se laisse emporter par la douceur bleue du ciel, par les promesses de verdure des pelouses environnantes. Il en sera ainsi toute cette journée où même les voitures se font silencieuses. On imagine que les gens flânent à l'intérieur d'eux-mêmes, délaissant l'odeur empoussiérée de leur corps. On commente le roman de Denis Thériault, <i>Le samouraï à l'œillet rouge.</i><p></p><p>Inusité roman qui nous emporte au temps lointain où Tokyo se nommait Edo.<i> </i>Au temps des samouraïs et des shoguns. On entre dans cette histoire, plutôt dans ce conte, avec le plaisir qu'on a déjà éprouvé en lisant les livres précédents de cet écrivain discret. Il a fallu qu'un incendie ravage en partie Kyoto pour que le narrateur, qui assiste à ce désastre, se souvienne, sept ans plus tôt, de son enfance auprès de ses parents aimants dans la tranquillité de la province d'Aki. Enfant unique, il est dorloté par sa mère qui lui apprend l'art de la poésie et l'art des jardins. Son père dirige une scierie qui fournit la région en bois d'œuvre. Mais avant tout, il est un gentilhomme guerrier à qui incombe la protection de la région des brigandages. Enfance idéale qui prendra fin quand Matsuo, âgé de douze ans, sera pensionnaire dans une Académie réputée pour y devenir un militaire accompli. Période douloureuse pour Matsuo dans ce milieu clos où les journées sont gérées avec une discipline de fer, unifiées autour des deux religions, shinto et bouddhisme, et de la personne sacrée de l'empereur. C'est un accident qui mettra fin au désarroi de Matsuo, le directeur de l'école lui rendra visite à l'infirmerie, lui offrira un livre d'un auteur inconnu, <i>Les lames,</i> qui lui révélera l'art de la guerre, indissociable de l'art de la poésie. Dans cette école, il fera la connaissance d'un garçon étrange, Kuroda no Itachi, avec qui il se liera d'une amitié néfaste, et qu'il retrouvera plus tard dans ses périples aventureux. Les rencontres que fait Matsuo sont semblables à des pions nécessaires pour exacerber sa destinée. Imposture et dualité. Il en sera de même quand, après le décès de ses parents, se dirigeant vers Kyoto, il sera approché par un moine bouddhiste, Yosaï, qui prêche sur la place publique. Ce dernier, reconnaissant le talent de Matsuo, le prendra sous son aile, développant plus intensément sa manière de composer ses poèmes. Il prétend revenir d'un voyage en Chine, avoir adhéré à la philosophie zen, et tel Matsuo, il s'en va vers Kyoto, que Yosaï dépeint comme étant la cité impériale vibrant d'une culture bouillonnante. Il dépeint surtout l'importance de la poésie, « art exquis, noble entre tous » qui trouve son expression la plus haute dans l'<i>uta-awase. </i>Concours de poésie qui fascinera Matsuo quand l'heure sera venue de le mettre en pratique. </p><p>C'est avec son compagnon qu'il apprendra aussi l'art de séduire. Après sa mort, dans une vision onirique, sa mère lui avait conseillé de toujours suivre la route de l'œillet rouge. Ce qu'il ne manquera pas de faire quand il se croira amoureux d'une jeune paysanne qui se joue de lui. Aventure qui sera fatale à Yosaï, ce dernier venant à la rescousse de Matsuo aux prises avec les frères de la jeune fille, d'où leur séparation imprévue, chacun continuant sa route, Matsuo parvenant enfin à Kyoto. On ne dépeindra pas la ville magnifiée en l'époque, comme l'a si bien fait Denis Thériault, on suivra Matsuo chez un oncle qui lui remettra une part importante de l'héritage maternel. Plus tard, se baladant dans la cité, il rencontre des joueurs de <i>uta-awase,</i> jeu auquel son destin sera lié, dénouant des intrigues de palais quand il se fera passer comme jardinier pour conquérir Yoko, première dame de compagnie de la princesse Shikishi Naishinno, sœur cadette de l'empereur. Dans un des nombreux jardins du palais, il échangera d'enflammés poèmes avec Yoko. Cependant, avant d'en arriver à cette félicité, Matsuo aura subi bien des avatars, vécu un improbable amour avec une musicienne, mais seule Yoko, qui porte sur son kimono un œillet rouge, occupe son cœur et son esprit. C'est quand il apprendra le mariage de la jeune fille avec le capitaine Akira que, désenchanté, il mettra le feu dans le pavillon des jardiniers de la maison d'Akira pour détourner l'attention des gardes. Feu qui, malheureusement, se propagera dans la ville. Matsuo voulait rentrer chez l'officier pour assouvir sa soif de vengeance. <br /></p><p>Entre temps, Matsuo, laissé pour mort dans une combe, a échoué dans une tribu de brigands, les Agneaux, où son habileté à tirer à l'arc lui a évité la mort. Ceux-ci attaquent les marchands opulents venant de Kyoto, se déplacent sans cesse d'une forêt à une autre pour éviter de se faire repérer. Matsuo se rend compte de sa situation dégradante, songeant avec honte à son père qui, de son vivant, combattait ces hordes de malfrats. La nuit, des cauchemars l'assaillent : les flammes calcinent les habitations de Kyoto, brûlent vif les habitants. Pour lui, aucune rédemption n'est possible. C'est lors d'une embuscade fomentée par les Agneaux qu'il retrouvera son ancien camarade de pension, Itachi. Rencontre opportune qui fera naitre dans sa tête un projet audacieux. Nous entrons dans une grandiose dimension du récit, qui n'est pas vraiment décrite mais relatée en poèmes et en action, nourrissant les déboires de Matsuo, qui représenteront pour lui une manière de réhabilitation. Transcendant ses heures à contempler les flammes qu'il a provoquées dans Kyoto, il sera ennobli d'une sorte d'innocence qu'il devra au jeu de l'<i>uta-awase, </i>dont il est devenu le maître incontestable. Purification de l'être humain qu'il était avant d'habiter une légendaire existence inventée par l'écrivain Denis Thériault, relatant dans cette même lancée, nourrie de fantastique, l'histoire d'un Japon qui, lentement, se transforme. On a l'impression que la silhouette désincarnée de Matsuo se situe dans une ère où se termine une guerre, instaurant le shogunat, dirigé par la caste guerrière des samouraïs qui contrôleront l'empire pendant sept cents années. C'est à la fin de cette époque que l'empereur Meiji, à qui le Japon doit son modernisme, décidera que Edo se nommerait Tokyo, ce qui signifie capitale de l'Est. </p><p>Roman fascinant pour qui s'intéresse à la civilisation japonaise. Elle fut à la fois fermée et ouverte à toutes les propositions occidentales, souplesse qui a permis à ce pays de s'adapter comme aucune autre nation ne l'a fait. Il est clair qu'on n'a pu soulever les nombreuses péripéties endurées par Matsuo, ni mentionner la musicale portée des poèmes, art lyrique sans cesse savamment nommé par l'écrivain, qui enchantait les spectateurs qui assistaient aux joutes de l'<i>uta-awase. </i>Subtilité intellectuelle qui imprègne le roman, l'écriture narrative ne prenant en aucun cas la place de la poésie mais l'égalant, inaugurant des temps de réflexion, mais aussi de soupirs, entre les situations invraisemblables exaltées par Matsuo et son désir de devenir un homme libre, digne de son père, les décennies à se reconstruire ne semblant jamais le blesser. Ce sont les hommes sans envergure qui se chargent d'entamer la chair palpable de l'âme quand son enveloppe charnelle ne suit pas le droit chemin. Les autres, ces utopistes porteurs de chimères, voyagent à travers les siècles avec, serrée au creux de la main, la bannière agitée d'un œillet rouge...</p><p><br /></p><p><i>Le samouraï à l'œillet rouge, </i>Denis Thériault</p><p>Leméac Éditeur, Montréal, 2022, 286 pages<br /></p><p><i> </i></p><p><i> </i><br /></p><div class="blogger-post-footer">Dominique Blondeau - dominblondeau@yahoo.fr</div>Unknownnoreply@blogger.com1tag:blogger.com,1999:blog-1698701740091907736.post-44589424474743339702022-05-30T07:06:00.002-04:002022-05-30T07:06:41.878-04:00Pour l'amour d'un piano, de Beethoven et d'une valse *** 1/2<p></p><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEiHNZXE9IaQ-TjUwM4vc9yiXlcfipII1LTkGCrRrznzMroIA27HBxu-Tb9EolZT8JkhtDvTkWAOHsF8RfF9rX2ZO33QOFk1K9hFEG33fKpQ4SJUisL5QYSxj8ZAoK3HJ1ygmH5ezXAhVTkt4UDeniBfr5jkDQTyMZ3y7EEzmEarxMSCp78q33pwr8KV/s2400/La%20dame%20de%20la%20rue%20des%20Messieurs.jpg" imageanchor="1" style="clear: right; float: right; margin-bottom: 1em; margin-left: 1em;"><img border="0" data-original-height="2400" data-original-width="1650" height="320" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEiHNZXE9IaQ-TjUwM4vc9yiXlcfipII1LTkGCrRrznzMroIA27HBxu-Tb9EolZT8JkhtDvTkWAOHsF8RfF9rX2ZO33QOFk1K9hFEG33fKpQ4SJUisL5QYSxj8ZAoK3HJ1ygmH5ezXAhVTkt4UDeniBfr5jkDQTyMZ3y7EEzmEarxMSCp78q33pwr8KV/s320/La%20dame%20de%20la%20rue%20des%20Messieurs.jpg" width="220" /></a></div><br />S'il nous arrive de douter de la nécessité de lire et commenter quelques ouvrages québécois, littérature qu'on a choisie il y aura bientôt quinze ans, la fatigue s'en va voir ailleurs, l'enthousiasme circule à nouveau dans nos veines. Effets nécessaires pour reprendre de plus belle une action qu'on juge téméraire, oser s'aventurer sur un terrain parfois miné par l'objectivité. On parle du roman de Jean Lemieux, <i>La Dame de la rue des Messieurs.</i><p></p><p>Si le titre prête à sourire, l'histoire de cet homme et de cette femme, tous deux d'un certain âge, ayant subi les coups durs de la vie et ses travers, n'en est pas moins une confrontation entre deux éclopés du cœur qui, contre toute attente, les réunira. Lui, Tomas Schneeberger, réfugié hongrois, demeure à Vienne, elle, Michèle Dagenais, Québécoise, a fui sa routine familiale pour décanter un passé plus qu'embrouillé. Ce soir-là, Tomas, pianiste d'ambiance et promeneur de chiens, interprète une valse quand une femme l'interpelle, lui demande s'il donne des cours de piano. Réponse laconique de Tomas, la femme lui tend un numéro de téléphone. C'est peu cette présentation entre deux inconnus qui, ils ne le savent pas encore, auront besoin l'un de l'autre pour alléger leurs erreurs communes. En marchant dans la ville, Michèle évoque son mari, Bernard Robinson, haute situation sociale, mort subitement d'un cancer du pancréas. Tomas est veuf lui aussi, sa femme Marlen est morte six ans plus tôt. Il s'est exilé en mai 1968, laissant derrière lui ses parents et une fille enceinte. Remords qui intensifie un sentiment de lâcheté et de honte dans son esprit aigri, sentiment dont il ne parvient pas à se départir. Il se contente d'occupations accessoires, se considère comme un raté, se défoule auprès d'une poignée d'amis insouciants, désargentés. De son côté, Michèle se remémore sa mère qui, longtemps a-t-elle cru, s'est suicidée après avoir visité chaque jour Expo 67. C'est une histoire jouant sur l'aspect vulnérable de deux humains hantés par les maladresses de leur jeunesse rebelle. Michèle a été une fillette sérieuse et douée, son enfance et son adolescence consacrées à l'étude du piano. Mais, à quinze ans, dans un concert public à Vincent d'Indy, elle a manifesté une attitude révoltée inattendue qui a détruit son avenir musical. Sa mère venait de mourir. Si ces tribulations, qui se sont déroulées en 1968, ne sont plus que souvenances houleuses, leur rencontre à Vienne ne sera pas de tout repos. Après trois cours de piano donnés chez lui, Tomas se rend compte que son élève est loin d'être une débutante. Son interprétation maitrisée de diverses pièces de Beethoven intrigue son professeur qui doit se contenter de surveiller son jeu, de lui imposer Mozart pour dérouiller ses doigts. </p><p>Présent et passé ne cessent de les bousculer. L'enfance et l'adolescence de Michèle déboulent, plus tard, son état de femme mariée, de mère de trois enfants. La fuite de Tomas de Prague le rappelle douloureusement à ses coucheries. On dirait que ces oscillations au centre de son existence malmenée sont des points stratégiques pour qu'il se responsabilise pleinement lorsqu'il sera informé de la chute de Michèle Dagenais dans la rue des Messieurs. Cheville brisée, commotion cérébrale. Que va-t-il faire d'elle, touriste à Vienne qui ne connait personne ? L'installer provisoirement chez lui ? Ce que la blessée acceptera avec reconnaissance et sans mièvrerie. Elle n'a pas l'intention d'entraver le cours de la vie de Tomas, bien qu'elle n'ait pas l'envie d'interrompre son séjour en Autriche. Peu à peu, ils soulèveront des mystères familiaux, comme un coffret qu'apportera Louis, le plus jeune fils de Michèle, quand il viendra lui rendre visite à Vienne, espérant ramener sa mère au Québec. Comme le soi-disant voyage de Michèle et de son mari en Espagne pour sauver leur mariage. Ce sont deux histoires de famille où Tomas et Michèle témoignent de leur inconvenance, de leur déni, comportement coupable dont ils n'avaient pas conscience. On dirait que leurs mésaventures reflètent la nécessité de se regarder l'un l'autre pour que leurs agissements de jadis, guidés par la peur, se débourbent. Et retrouvent un certain charisme qui leur avait fait défaut en cette déterminante année 1968. Mais n'est-ce pas un piano qui se fait le pilier de leur histoire, désaccordant les humains, telle Michèle interprétant l'<i>Appassionata </i>de Beethoven ? Raison pour laquelle elle s'est cherché un superviseur pour en atteindre la perfection. Contrepoint où le musicien de génie, sous les doigts habiles de Jean Lemieux, se montre en quelques pages cruciales, symbolisant les avaries trompeuses que traversent Michèle et Tomas essayant de réparer ce qui, cinquante ans plus tard, les empêche de vivre sans béquille ni douleur à la hanche... Michèle fera la paix avec la mort nébuleuse de sa mère, avec le malentendu qui l'a séparée de son fils ainé. Tomas se rendra à Prague pour retrouver son ancienne amoureuse, mère de son enfant. Puis, il ira à Séville où cette dernière demeure avec son mari et leurs deux enfants. Mais dans la foulée des accords retrouvés, que deviendront Michèle et Tomas, les deux se fiant à la vitesse de la Terre qui orbite autour du Soleil, leur prochaine étape s'avérant un point d'interrogation, leur regard tourné vers la Pologne ?<br /></p><p>Roman complexe attachant, enrobé d'une lucidité ironique qui nous met en face de nos certitudes brisées lâchement, l'humour prenant allure d'échappatoire pour mieux affronter nos failles infectées de nos distractions volontaires. Le rythme, transcendé comme pour amoindrir les circonstances qui ont tenu lieu de rempart illusoire aux deux protagonistes tournant le dos à la sérénité familiale ou sociale. Les amis que fréquente Tomas dans un bistrot habituel ôtent rarement leur masque, se satisfont de questions qui demeurent sans réponse, comme si dans ce récit l'année 1968 marquait un point de chute, celle de Michèle principalement inévitable, avant de se relever pour mieux clarifier ce qu'elle avait occulté des décennies auparavant. On aime que Jean Lemieux ait laissé une fin ouverte sur le dernier trajet de ses deux personnages, ni l'un ni l'autre n'étant assurés de la fin de leurs tremblements terrestres, Vienne n'équivaut-elle pas aux mesures tourbillonnantes d'une valse ?<br /></p><p><br /></p><p><i>La Dame de la rue des Messieurs, </i>Jean Lemieux</p><p>Éditions Québec Amérique, Montréal, 2022, 195 pages<br /></p><p><br /></p><p><br /></p><p><i> </i></p><p><i><br /></i></p><p><i> </i><br /></p><div class="blogger-post-footer">Dominique Blondeau - dominblondeau@yahoo.fr</div>Unknownnoreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-1698701740091907736.post-11154436801641532262022-05-16T07:10:00.001-04:002022-05-16T07:10:11.145-04:00Le microcosme d'une guerre parmi tant d'autres ***<p></p><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEgg5OIAq4en9L_O_xHDqNHeuh1hkbHWXYlG_p7q5fCALVQOw96TMPB4ZTVZlLWHeRm9UGmAo-9cGwqHYYUc_CESrj7UNqe-q9OWCt1XyFZVossKldDjJqkaVTrVCzOYyT2Je5YZvAJEoitY5PeySlBD3UrtcMZSl_6h5W61p321M5wN3ZXxIughcfQl/s600/L'oiseau-grenade%20Anne%20Guilbault.jpg" imageanchor="1" style="clear: right; float: right; margin-bottom: 1em; margin-left: 1em;"><img border="0" data-original-height="600" data-original-width="388" height="320" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEgg5OIAq4en9L_O_xHDqNHeuh1hkbHWXYlG_p7q5fCALVQOw96TMPB4ZTVZlLWHeRm9UGmAo-9cGwqHYYUc_CESrj7UNqe-q9OWCt1XyFZVossKldDjJqkaVTrVCzOYyT2Je5YZvAJEoitY5PeySlBD3UrtcMZSl_6h5W61p321M5wN3ZXxIughcfQl/s320/L'oiseau-grenade%20Anne%20Guilbault.jpg" width="207" /></a></div><br />Une « amie » Facebook nous a demandé si on publiait des tableaux pour recevoir des " Like ". On est restée bouche bée face à cette question inattendue. Que se passe-t-il dans la tête de certains individus pour manigancer des idées autant farfelues ? Ne visitant jamais son site, à notre tour on s'est interrogée sur les propos douteux de cette personne. On s'est empressée de la supprimer de nos contacts. On commente le roman d'Anne Guilbault, <i>L'oiseau-grenade.</i><p></p><p>La guerre, comment la définir sinon par le démembrement social qu'elle impose là où elle sévit cruellement. En des temps lointains, chaque affrontement militaire possédait un lieu dénommé champ de bataille où les belligérants s'en donnaient à cœur haineux. Ne s'en prenant pas à la société civile, les femmes attendaient le retour des hommes ou apprenaient fatalement leur mort. Aujourd'hui, rien ne reste de ces illusoires fortifications, les champs de bataille se sont étendus, ne respectant ni femmes ni enfants, les armes sophistiquées n'épargnant plus les combattants qui défendent leur cause. C'est à Alep, ville ravagée par l'ennemi, que l'écrivaine a situé ses protagonistes, six membres d'une famille unie qui, chaque jour, chaque nuit, subissent les assauts d'armes meurtrières. C'est Assia, fille de Lili et de Zacharia, sœur ainée de Eshan, amoureuse de Akram, qui prendra la parole au nom des siens, intercalant dans ses carnets la voix d'Akram, plus loin, celle de son jeune frère, plus tard, la voix de sa mère. Akram ouvre le récit et le referme d'une manière surprenante dans un épilogue désespéré. </p><p>Ce sont avant tout les déboires physiques et mentaux de chacun que narre Assia. L'engagement d'Akram dans les Casques blancs pour porter secours à ses compatriotes. Beaucoup sont blessés, d'autres sont morts. Les ruines de la ville tiennent lieu d'abri aussi fragiles que la vie des Alépins. Zacharia travaille dans un hôpital, Lili, d'origine québécoise, et ses enfants attendent son retour, ne sachant trop s'il rentrera à la maison sain et sauf, muni de maigres provisions. Excédés de tant de souffrance, les jeunes décideront de quitter la Syrie pour rejoindre le Canada, Québec où vit la famille de Lili, grands-parents d'Assia et de Eshan. Il y a aussi Peter, journaliste britannique, en mission pour son journal, qui se joindra à eux. Zacharia, gravement blessé lors de l'explosion d'une bombe, et sa femme Lili garderont le fort. C'est plus tard qu'ils joueront le rôle qui leur est dû. Rôle tragique dont l'un sera la victime. </p><p>C'est avec une profonde empathie qu'Anne Guilbault accompagne le parcours semé d'embûches des quatre jeunes, Assia et Akram, Peter et Eshan. Témoignant de ce que signifie la course vers la liberté, tenter de se rassembler parmi des inconnus à la recherche d'une terre d'accueil, bien souvent étrangère. La guerre, c'est se délester de ses biens, laisser derrière soi les différentes récoltes qui ont fabriqué une existence, des moments de bonheur soudainement ôtés par des hommes de pouvoir, outrageusement aveuglés par leurs ambitions démoniaques. La guerre permet-elle une distanciation entre la réalité et la fiction, ce qui serait la cantonner dans un espace restreint et non nous en montrer les atrocités ? De quoi décourager les plus audacieux qui ne croient plus à une possible conciliation mais espèrent, comme Akram possédé d'un désir de vengeance et de désespoir qui le mènera à l'acte fatal, le plus dénaturé. </p><p>Et ce n'est pas rien que la longue marche d'un réfugié. Ceux désignés par l'écrivaine devront d'abord sortir d'Alep pour se rendre en Turquie puis prendre la mer pour atteindre la Grèce. Aboutir sur une plage, attendre le ferry qui les emportera vers le Canada. Avant d'en arriver à cette espérance innommable, que d'avatars ils auront à subir. Comme les passeurs malhonnêtes qui extorquent l'argent des exilés sans ressources. La faim, la soif, les maladies, rien ne leur est épargné. La mort par noyade sur des bateaux rafistolés. Les communications coupées les empêchant de joindre leur famille restée au pays malmené. Dans ses carnets où Assia rédige tant d'infortune, elle mentionne que possédant un peu d'argent, tous les quatre peuvent louer une chambre d'hôtel, manger à leur faim, ce qui est un luxe dans leurs conditions précaires. Sur la plage, Akram et Peter continuent à secourir des hommes et des femmes désemparés, ce qu'ils faisaient à Alep avant leur départ. Ne rien savoir de ce qui les attend s'avère un redoutable danger, surtout quand Akram manquera à l'appel, le bateau les emportant vers la Grèce, ayant coulé. </p><p>Pendant ce temps, ce qui se passe à Alep est effroyable. C'est Lili, la mère, qui témoignera de la destruction de leur maison, sinon du quartier. Gravement blessée, elle a été recueillie par Médecins Sans Frontières. À l'abri d'une tente, dans son délire, elle fera intervenir un oiseau, une mésange symbolique qui, bienveillante ou inversement, l'informe du bien-être des siens. Oiseau-grenade équivalant à la minuscule poupée tressée en corde par Assia, que Eshan tient précieusement dans son sac à dos. Récit tout en tendresse, émotions et sensations dépeintes, pour ne pas dire ressenties par Anne Guilbault, au point d'oublier qu'une guerre actuelle, d'autres, oubliées, déciment des villes abandonnées à leur sort pitoyable. Des traumatismes inévitables feront que le début de leur séjour à Québec, déstabiliseront les jours et les nuits d'Assia et de son jeune frère. Peter, le journaliste anglais, a retrouvé son île britannique, il téléphone chaque soir à Assia pour la réconforter. Akram n'a pas donné signe de vie depuis le naufrage. Or, c'est lui qui fermera le récit intervenant dans un troublant épilogue. Révolté de tout temps, il mettra sa vie en jeu, n'ayant pu joindre les êtres qu'il aime. Kamikaze en puissance, son avenir ne pouvait que se jouer tragiquement, l'occasion venue...</p><p>Le livre se ferme sur l'espoir, sur l'apitoiement que fait naitre tant de cruauté ressentie par des hommes, des femmes et des enfants, que plus rien d'inhumain n'atteint. Sinon les hoquets des larmes et les gémissements des lamentations... Malheureusement, cette traversée d'une famille blessée de tant d'humiliantes conditions n'a su éveiller en soi la corde sensible de notre compassion. Est-ce dû aux voix qui, parfois, décrites un peu trop sur le même ton, ont troublé, dérangé, nos meilleures intentions ? Ou bien avons-nous évoqué silencieusement dans nos carnets fictifs personnels d'autres familles, piégées dans le même étau infernal ? On ne met pas en doute le talent d'Anne Guilbault, ni son amour de la poésie, — ici Roland Giguère et Etty Hillesum qu'elle cite avec pudeur — qui, dans ses précédentes publications a su nous émouvoir. Y a-t-il en l'humain une lassitude qui se crée, telle une peau de chagrin rétrécissant l'ampleur du malheur d'autrui ? Les guerres ne cessant de se répéter, pour ne pas écrire l'histoire humaine, se révèlent une manière désastreuse de façonner notre impuissance face aux décisions belliqueuses des grands de ce monde. On conclut que ce sont toujours des sociétés innocentes qui servent d'émissaires à leurs insatisfactions géopolitiques. Inspirant, avec raison, des écrivaines et écrivains à vouloir dénoncer leurs méfaits criminels...<br /></p><p><br /></p><p><i>L'oiseau-grenade, </i>Anne Guilbault</p><p>Leméac Éditeur, Montréal, 2022, 173 pages<br /></p><p><i> </i><br /></p><div class="blogger-post-footer">Dominique Blondeau - dominblondeau@yahoo.fr</div>Unknownnoreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-1698701740091907736.post-26231978104160709062022-05-09T07:18:00.000-04:002022-05-09T07:18:00.097-04:00Une Canadienne française défie une époque étouffante *** 1/2<p></p><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEicRpcL4wkOEseb6kkhjo0Pq5wMCZx4kcTv_jEeZh5Fb2chToZ4TM4vXV2QvA3yz3V9P8zKil8yIGVY77aB2vO276ki9mrocAVi80wbrYb-2duqbef4NFgoW13DHUTQdak-BheO5toXos6ei5DUICmHqBs2x7Y6I7QcBV60ePfYc1iHKWTuGlOuSd5J/s403/La%20maitresse%20de%20Camillien%20envoi%203.jpg" imageanchor="1" style="clear: right; float: right; margin-bottom: 1em; margin-left: 1em;"><img border="0" data-original-height="403" data-original-width="367" height="320" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEicRpcL4wkOEseb6kkhjo0Pq5wMCZx4kcTv_jEeZh5Fb2chToZ4TM4vXV2QvA3yz3V9P8zKil8yIGVY77aB2vO276ki9mrocAVi80wbrYb-2duqbef4NFgoW13DHUTQdak-BheO5toXos6ei5DUICmHqBs2x7Y6I7QcBV60ePfYc1iHKWTuGlOuSd5J/s320/La%20maitresse%20de%20Camillien%20envoi%203.jpg" width="291" /></a></div><br />Un jour gris, un jour bleu. Les humeurs du temps ressemblent à celles des humains qu'on fréquente. Qui nous déstabilisent, chaque saison révélant ses hauts et ses bas. On lit, on écoute de la musique, on s'attarde aux petites choses quotidiennes, celles qui font que la vie s'organise autour des habitudes, même si on les compare aux certitudes qu'on redoute plus que l'ennui que procurent les ciels gris. On commente le récit de Michèle Laliberté, <i>Nativa, la maîtresse de Camillien. </i><p></p><p>On est peu habituée à traiter d'une saga qui donne la parole à un membre parental pour démanteler des tricheries qui ont été mises en place pour protéger la réputation douteuse d'une fille du clan familial.<i> </i>C'est l'une des sœurs, Florida, qui raconte alors qu'elle est enfermée à l'hospice Auclair, bravant la solitude et les méandres sournois de la mémoire. Elle y mourra, mais avant d'en arriver à cette issue fatale, elle nous instruit de ce que fut un certain Québec à la fin du XIXe siècle, représenté par une famille modeste. Les femmes procréent selon les recommandations de l'État et de l'Église, les hommes travaillent quand l'occasion se présente. Le Québec survit sous le joug insupportable des Anglais. Richesse et pauvreté se côtoient avec hargne et arrogance. <br /></p><p>En l'année 1895, la narratrice a neuf ans. Elle, ses tantes et ses grands-mères fêtent les quatre ans de la petite sœur Évelina. La mère est tuberculeuse, bientôt elle mourra malgré une astuce discutable, superstitieuse, du père. Désespéré, il confiera trois de ses filles à tante Odile : Florida, Nativa, Évelina. Dianna, l'aînée, sera celle qui remplacera la mère, prendra soin des garçons. La tante Odile habite à Lewiston, dans le Maine. Elle est célibataire, modiste, sœur d'Alexandre, ce dernier aux agissements équivoques. On pourrait avancer que c'est à partir de cette époque que le récit s'amplifie, nous en apprend énormément sur les mœurs d'hommes et de femmes cernés par des obligations, des contraintes, davantage que sur leur bonheur et plaisir personnels. Il y a l'éducation gouvernée par les religieuses de l'école canadienne que fréquentera Florida et par les religieuses de l'école française que préféreront Nativa et Évelina. Dès l'enfance, sans religion point de salut ! Une manière traumatisante de se découvrir doublement orpheline dans le cas de Florida, fillette sensible et lucide. Si celle-ci poursuit une route tracée d'avance, il n'en est rien pour Nativa, qui refuse tout conformisme social et familial. Très tôt, elle se montrera rebelle, aimant les hommes dès l'adolescence, elle jettera son dévolu sur Alexandre, élégant et séduisant, qui mène une double vie que par curiosité et hasard elle découvrira avec Florida. La tante Odile, généreuse, facilite du mieux qu'elle peut le déracinement de ses nièces. Toutefois, elle caresse un rêve farfelu : que Nativa devienne religieuse. Projet qu'elle devra enterrer quand la jeune fille lui avouera qu'elle veut séduire Alexandre. Le temps a passé sur Nativa recluse dans un pensionnat pour orphelins riches. Séjour de solitude qui définira les décisions de son existence insoumise. Elle sera mise à la porte de l'orphelinat par manque de vocation religieuse. </p><p>L'écrivaine dépeint, avec intensité, une époque charnière où le Québec prend conscience de ses injustices politico-sociales, de ses manques, du silence frustrant dans lequel il évolue. Commence à grogner ouvertement. Ce sont des femmes avant-gardistes, comme Nativa, bardées d'un courage exemplaire, qui défieront les lois de bienséance. Alors que Florida se mariera, Nativa refusera énergiquement et le mari et la « tralée » d'enfants quand sa sœur lui proposera de rentrer à Montréal, invitées par Dianna qui a trouvé chaussure à son pied, elle et son mari établis à Lachine. On doit mentionner que Nativa a tâté de la prostitution, qu'elle entretient une liaison avec Alexandre, au grand dam de tante Odile, « qui fit tout en son pouvoir pour que l'affaire ne s'ébruite pas. » Si Alexandre surveille, sans état d'âme, les jeunes ouvrières, subordonnées pitoyables d'une usine de coton, il a acheté des maisons de chambre qu'il a transformées en maisons de jeux et de débauche « où l'alcool coulait à flots ». Nous savons que les interdictions sont synonymes de tentations quand celles-ci sont à portée de main.</p><p>La vie tumultueuse de Nativa s'accumule de soubresauts qu'elle assume avec indépendance, se voulant différente, " résolument moderne ", ne le sachant pas encore. Se présentera dans sa vie un homme qui deviendra maire de Montréal, entre autres nominations honorifiques, l'exubérant Camillien Houde. Il se cherche, rejoint et soutient le peuple. Présenté à Nativa, elle ne lui résistera pas, et inversement. Bien qu'il soit marié, sa liaison avec Nativa durera une vingtaine d'années, jusqu'à la mort de sa compagne. Celle-ci sommée toutefois de demeurer dans l'ombre... Le Québec subira une épidémie pandémique, la grippe espagnole. C'est le temps de la prohibition américaine bousculée par la Grande Dépression qui apportera le chômage, les suicides. La ruine et la désespérance. L'indignité. Mais le pire assouplissant ses engrenages singuliers, on n'évoquera pas l'endroit de sa médaille, les mariages, les naissances, les deuils, les mésententes. Les préférences filiales. Les comportements que suscite l'éducation entre les citadins et les campagnards, comme ce fut le cas de Nativa qui détestait les paysans, les pauvres et les ouvriers. Le sort des enfants placés en pension, comme pour s'en débarrasser, certains, victimes de religieux libidineux... </p><p>Il y aura le retour au Québec de toute la famille, celui de tante Odile qui, après avoir liquidé ses affaires, se fera religieuse. Une trame de la vie d'une famille québécoise dont on a tu plusieurs dérives, remise sur les rails de la vérité par la vieille Florida séquestrée dans son hospice, plus personne ne la visitant. Surtout pas sa fille envers qui il y aurait beaucoup à dire à la suite de maladresses commises par sa mère. Pas mieux qu'on s'est penchée sur la personnalité de Camillien Houde, l'auteure Michèle Laliberté l'ayant personnifié magnifiquement entre ses ambitions politiques et ses amours d'homme à femmes.</p><p>Double dimension de ce livre qui se présente tel un album agrémenté de photos, émaillé de nombreux points de repères, retraçant l'histoire percutante de la famille Laliberté. Cette histoire, on a l'impression, a été divulguée non pour en sonder véritablement les mensonges et les cachotteries mais pour nous montrer les tribulations d'une femme, Nativa, qui a payé cher son désir d'émancipation, son célèbre amant l'ayant fait enterrer dans une fosse commune. Il y a des êtres, surtout des femmes, qu'il faut réhabiliter à tout prix, même quand le temps a effacé, croyons-nous, moult empreintes terrestres. Comme si le bref chapitre qui ouvre le livre, sans très bien le situer, nous avertissait de la fragilité des êtres, des hommes, quand toute liberté leur est interdite, leur vulnérabilité face à la chair innocente, insensibles aux roueries empoisonnées du démon qui s'affaire en eux. Au risque et au péril de se consumer dans le déni à force de trop s'y repaitre...<br /></p><p><br /></p><p><i>Nativa, la maîtresse de Camillien, </i>Michèle Laliberté</p><p>Collection Sémaphore Mobile</p><p>Les Éditions Sémaphore, Montréal, 2022, 152 pages<br /></p><p><i> </i><br /></p><div class="blogger-post-footer">Dominique Blondeau - dominblondeau@yahoo.fr</div>Unknownnoreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-1698701740091907736.post-41282350360620935652022-05-02T07:12:00.002-04:002022-05-02T07:12:37.542-04:00Un père dans ses pires états *** 1/2<p></p><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEh1_xYgGFFPHdHN2zC7EZlT09k3IoyNkLBYZeIo2svOqAWvfRq5XBlcZtp8P-hmBMVDVTD13MHU4NdU8Plaa_yPsVpmEYJlX5sSER7tRWPJQFqPqHSHWtOTd8COxWoutxtsCmJS2GyGpCAHFRNAmHRMV4JQ1ne0sRwKBEyAAQv2YfhjlApH4Wia8P94/s550/Anne%20Peyrouse%20Pour%20que%20cela%20se%20taise.jpg" imageanchor="1" style="clear: right; float: right; margin-bottom: 1em; margin-left: 1em;"><img border="0" data-original-height="550" data-original-width="378" height="320" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEh1_xYgGFFPHdHN2zC7EZlT09k3IoyNkLBYZeIo2svOqAWvfRq5XBlcZtp8P-hmBMVDVTD13MHU4NdU8Plaa_yPsVpmEYJlX5sSER7tRWPJQFqPqHSHWtOTd8COxWoutxtsCmJS2GyGpCAHFRNAmHRMV4JQ1ne0sRwKBEyAAQv2YfhjlApH4Wia8P94/s320/Anne%20Peyrouse%20Pour%20que%20cela%20se%20taise.jpg" width="220" /></a></div><br />À mesure qu'on vieillit, que nos désirs s'amenuisent, rétrécissent telle une peau de chagrin qu'on aurait écharpée pour mieux gommer les souvenirs qui nous encombrent, comme s'il fallait à un moment donné faire place nette, se résoudre à l'absence des êtres témoignant de nos frasques de jeunesse. On commente le récit d'Anne Peyrouse, <i>Pour que cela se taise.</i><p></p><p>S'il est vrai, comme l'a écrit le poète, que les chants désespérés sont les chants les plus beaux, la narratrice de cette histoire, tristement autobiographique, n'a pas manqué de nous émouvoir, elle-même en état de révolte quand elle doit visiter son père agonisant avant qu'elle crache de multiples sentiments peu honorables qu'il lui inspire. Elle refuse de lui tendre la main, celle qui ferait de ce récit une fable d'amour entre le père et la fille. Main rebutante qui n'a aucune raison d'être serrée dans la sienne quand on a lu quel genre d'homme était ce père de trois enfants, qui ne l'a jamais été. La narratrice se prénomme Anne. Comme l'écrivaine. Comme on n'avait rien imaginé de douloureux venant de cette Québécoise talentueuse, d'origine française. Du sud, là où sent bon la lavande, où fleurissent les mimosas. Brin de douceur pour préluder ce monde de tragique incompréhension d'où a jailli cette confession surprenante, empreinte de souvenirs indécents jusqu'à la nausée. </p><p>Souvenirs qui se déroulent entre la France et le Québec, distance symbolique alors que l'écrivaine mentionne qu'il y avait tant d'espace entre elle et le père. La mémoire ayant peu d'ordre chronologique, la petite fille se rappelle ses sept ans, son anniversaire. Elle joue au cow-boy avec son frère. Des invités admirent le père qui leur montre sa dernière acquisition, une arme à feu. Quand il abaisse le bras, l'arme s'abat sur la tête de la fillette, lui causant une blessure profonde dont elle gardera la cicatrice. Aucune culpabilité de la part du père, affirmant qu'elle n'avait qu'à jouer ailleurs... Intervention timide de la mère qui sait, depuis le début de son mariage, ce que vaut l'homme qu'elle a épousé. Il lui a été impossible de rebrousser chemin, elle doit supporter les humeurs exécrables de son mari. Sa vulgarité, ses odeurs répugnantes. Sa violence verbale et physique. Compense le bonheur des grands-parents, raconté par la mère. Les attentions du grand-père envers la grand-mère. Souvenir odieux des dimanches à faire du ski, cette fois exprimé par Anne, des vacances où le père au volant d'une voiture luxueuse, conduit dangereusement, ne tenant pas compte des envies naturelles des passagers, des haut-le-cœur de sa fille. Les autres occupants, assis derrière, ne sont pas mieux épargnés, subissent les engueulades du père, les menaces de sa main leste qui ne peut les atteindre. La générosité des grands-parents aisés, qui distribuent de l'argent sans compter à leurs trois petits-enfants aux heures propices, comme Noël et leurs anniversaires. Affluent les réminiscences réconfortantes quand la narratrice évoque les grands-parents paternels et maternels. Mais il y a les repas de famille quand « l'horreur s'en vient » entre le grand-père, Jean et le père, Christian. « Ça s'envenime vraiment ; ça passe du regard aux mots. Inévitablement, les corps se dressent et s'entrechoquent. » L'angoisse qui s'insinue, les femmes et les enfants pris en otages. La narratrice en a « mal aux nerfs ». </p><p>Le père reçoit de l'argent d'une des grands-mères pour essuyer les dettes que son laisser-aller professionnel amène à la ruine. Il a été architecte puis constructeur de bateaux, a organisé des excursions de baleines. Fondé une compagnie de croisières et un petit chantier naval qu'il ne partage avec personne, faute de savoir partager. Tout appartient à cet homme-baudruche, jusqu'à sa femme, ses enfants et ses chiens. Tout demeure à sa disposition, sujets qu'il traite durement, impitoyablement. Ne se préoccupe aucunement de leur bien-être. Ainsi, la grand-mère qui renfloue ses difficultés financières mourra dans la déchéance, son fils qu'il engage pour « bricoler » lui promettant salaire que le jeune homme ne recevra jamais. Sa désinvolture envers les petites entreprises qu'il entraine dans la faillite. Homme mégalomane qui croit à de prestigieuses réussites mais à qui il ne reste plus rien. Sur son lit de mort, il poursuit son rêve, autant moribond que lui.</p><p>Le témoignage d'Anne qui se déroule dans la chambre du père détesté, lui permet d'imaginer un père qui aurait été tout autre, un père qui aurait accompagné ses enfants sur les marches de l'enfance jusqu'au perron de l'adolescence, père affable qui aurait aimé sa femme et ses chiens. Homme pathologiquement malsain de qui il n'est pas simple de faire le deuil sans se remémorer les outrages physiques et mentaux que ses proches ont subi. Le fils n'aura pas la force de mener à bien son existence, abimé par cet homme aveuglé d'un narcissisme fataliste qu'il vomissait sur sa famille et sur celle de sa femme. Épouse et mère qui protégeait ses enfants sans pouvoir y faire grand-chose, qui détournait certaines conversations, le silence s'avérant révélateur. Anne subira les contraintes épuisantes du décès paternel, les larmes et les spasmes qu'il a fallu endiguer. Répondre du mieux possible aux condoléances. L'aveu spontané que son père était un « salopard ». L'avocat qui ne comprend pas la hargne de cette fille, absorber ses reproches mais aussi divulguer qui était le père. Un indigne que seul le mal nourrissait. </p><p>Pour donner plus de force à ce récit bouleversant sans compromis, des réflexions s'animent à l'intérieur de la tête de la narratrice, intercalant les réminiscences insoumises pour mieux dénoncer les agissements du père au-delà de ce qu'il est permis de croire derrière les sourires fabriqués, derrière la dignité qu'il faut afficher à tout prix. Récit autobiographique, il y a là un témoignage du malheur qui a griffé une fillette, une adolescente, une jeune femme amoureuse d'un homme bienveillant, père de ses deux filles. On n'a pas relaté plusieurs scènes exhaustives, c'eût été inutile d'en rajouter, ni de piocher entre les lignes d'une écrivaine qui a dû se sentir apaisé après avoir écrit noir sur blanc les menées d'un humain cruel qui ne pensait qu'à se venger de ce qu'il contenait en lui-même, ce trop-plein d'aigreurs qu'il déversait sur des innocents, familiaux ou étrangers. Sur ses chiens qu'il punissait sauvagement de leurs fugues, sans considération pour leur état d'animal, humains et bêtes enfermés dans une carnassière psychologique d'où ne transpirait aucune issue pour respirer librement. Écrire, affirme la narratrice, est le plus grand des actes libres à poser. Ce qu'Anne apprendra à faire avec les mots nécessaires<i> pour que cela se taise</i>, la colère embastillée en elle, qui aurait pu l'étouffer, la rendre handicapée à tout dialogue affectif, la faire sombrer dans les ombres gluantes émanant du père, au lieu de la hisser vers la lumière, lui inspirant un livre courageux, vibrant d'une tendresse incommensurable, habité de la poésie de Saint-John Perse et d'Alain Grandbois...<br /></p><p> </p><p><i>Pour que cela se taise, </i>Anne Peyrouse</p><p>Éditions Somme toute, Montréal, 2022, 112 pages <br /></p><p><i> </i> <br /></p><div class="blogger-post-footer">Dominique Blondeau - dominblondeau@yahoo.fr</div>Unknownnoreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-1698701740091907736.post-3340691558728502052022-04-25T07:11:00.002-04:002022-04-25T07:11:24.250-04:00Trois ombres familiales dans la lumière d'une poète ****<p></p><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEg1ss5yj25Rukdg_1IeK3xXbTmyLQr-pGP9zNP8lG1roPQIZ-ItvnFGADvrbYRVA1g8CiwjHuxyjgMFclA5ySIzAmL96OFH0SPkF2gYyT9geXt1XO0Kv42CGAliaMOtCB8en3IFeGwJ-w8y7QES_0UOcmkT94SutJU-RCa72ywCoyaD6Pbp-kAlwXrU/s316/Les%20ombres%20blanches.jpg" imageanchor="1" style="clear: right; float: right; margin-bottom: 1em; margin-left: 1em;"><img border="0" data-original-height="316" data-original-width="200" height="316" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEg1ss5yj25Rukdg_1IeK3xXbTmyLQr-pGP9zNP8lG1roPQIZ-ItvnFGADvrbYRVA1g8CiwjHuxyjgMFclA5ySIzAmL96OFH0SPkF2gYyT9geXt1XO0Kv42CGAliaMOtCB8en3IFeGwJ-w8y7QES_0UOcmkT94SutJU-RCa72ywCoyaD6Pbp-kAlwXrU/s1600/Les%20ombres%20blanches.jpg" width="200" /></a></div><br />Doutant parfois de la nécessité de commenter quelques livres, on se demande si cela vaut la peine de continuer notre travail rigoureux d'informatrice. Est-il nécessaire de se pencher sur des ouvrages qui, à tort ou à raison, nous sollicitent ? On s'interroge sur la fiabilité de nos chroniques qui en disent plus ou moins long sur le roman, sur le recueil de nouvelles, que nous refermons avec des intentions louables. On commente le roman de Dominique Fortier, <i>Les ombres blanches.</i><p></p><p>On a attendu que la vague de louanges qui a déferlé sur le nouveau roman de cette écrivaine talentueuse se soit calmée, nous ait fait place modeste pour nous attarder momentanément sur cette histoire insolite, un peu hors du temps. Fiction et réalité confluent aux sources même de l'existence de la poète Emily Dickinson, relatée dans le précédent ouvrage de Dominique Fortier, <i>Les villes de papier, </i>lauréat du prix Renaudot essai 2020, qu'on a relu pour éviter de mentionner quelque sottise. On taira les raisons pour lesquelles la romancière a décidé de donner suite à l'entourage de la poète américaine, d'autres l'ont fait équitablement. Cette suite nous fait découvrir trois femmes qui ont survécu douloureusement à la perte d'une sœur, d'une belle-sœur, d'une amie. Sans oublier le frère, complice, époux et amant. L'intérêt n'est pas tant dans ces trois proches d'Emily Dickinson mais dans la manière imaginative dont s'y est prise Dominique Fortier pour se faufiler magistralement dans l'intériorité de Lavinia, Mabel, Suzan. Et Millicent, fille de Mabel et de David Todd. Âgée de dix ans, l'enfant tient des propos si déconcertants, tellement intelligents, qu'on s'est interrogée sur sa vie d'adulte. On a préféré s'abstenir. Charmée par la poète, elle dérobera quelques-uns de ses « bouts de papier » trainant sur le bureau de sa mère, où sont griffonnés de courts poèmes presque illisibles. Pattes de mouches, en déduira Millicent, qui sait décortiquer les écrits de cette femme dite excentrique, qu'elle n'a pas connue. Qui sera sa meilleure amie, décrète-t-elle, sur une feuille blanche. <br /></p><p>Le récit débute par les obsèques d'Émily. Sa sœur cadette, Lavinia, s'affaire autour d'elle et de la maison, se remémorant les années familiales. Plus rien ne sera jamais pareil, le décès d'Emily s'avérant un point fatal à leur jeunesse envolée. Pourtant, elle devra exécuter la promesse qu'elle a faite à sa sœur : détruire sa correspondance, en fait tous ses écrits. Un ordre auquel elle désobéira quand jaillira de l'un des tiroirs de la commode d'Emily une ribambelle de bouts de papier noircis de mots désordonnés. Pour ne pas dire énigmatiques, comme si le lecteur devait les résoudre, en poursuivre le cheminement. Bouleversée, c'est à Suzan, épouse de son frère Austin, amie de longue date d'Emily, à qui elle fera part de ses trouvailles. Poèmes et missives. Puis, Suzan informera Austin des écrits d'Emily, trouvés par Lavinia, celle-ci ayant décidé de les publier. Austin, astronome et professeur, s'est lassé de sa femme, pétri d'incompréhension inexplicable à son égard. Il s'est épris de Mabel, épouse de David Todd. Père de Millicent, à qui il enseigne l'histoire démultipliée des étoiles. Reconnaissant qu'elle ne saurait mettre de l'ordre dans les poèmes de sa sœur, Lavinia s'adressera à l'homme qu'Emily désignait comme son " maître ", Thomas Higginson, journaliste, critique littéraire, qui acceptera de faire publier ces poèmes, à condition que Lavinia fasse un premier tri dans cet amoncellement de bouts de papier éparpillés. C'est Mabel, qui écrit des articles, compose de la musique, qui préparera cette première édition, Suzan avouant être incapable de mener à bien ce projet. <br /></p><p>Trois femmes dans la jeune cinquantaine à qui Dominique Fortier a inventé habilement une existence, s'inspirant d'indices caractériels qui leur sont propres. Lavinia, la solitaire, surprenante ingénue quand elle s'éprendra d'un saisonnier. Elle alimente son énergie auprès du spectre de sa sœur défunte, « devenue le plus vivant des fantômes », instillant une forme d'entente entre Suzan et Mabel, l'épouse trahie, la maitresse vénérée. Suzan, traumatisée par la mort d'un fils en bas âge et celle d'Emily, l'amie inconditionnelle. Mabel, qui éprouve le besoin de plaire, d'être aimée, conserve les artefacts de ses nombreux soupirants. Superficielle, elle se complait entre son mari et leur fille, l'un et l'autre se préoccupant peu d'elle bien que David ait deviné ses rapports licencieux avec Austin. Mais ne faut-il pas que Mabel soit heureuse ? On est étonnée de la crédulité des deux hommes, fidèlement amarrés aux basques de leur égérie, celle-ci admettant qu'elle ne saurait se passer ni du mari ni de l'amant. Son ambition, en préparant l'édition des écrits d'Emily, n'est-elle pas de faire entièrement corps et cœur avec la famille Dickinson, solide et considérée ? De laisser une trace indélébile sur l'œuvre d'une femme qui n'était que sa belle-sœur ? Trois femmes dont les destinées se croisent à travers l'œuvre d'une poète marginale, son passé embelli d'un jardin où jaillissent herbes médicinales et bouquets fleuris, l'écrivaine se servant de cet enchantement coloré et parfumé pour situer dans le temps, sinon l'espace, la probable histoire d'une passeuse de mots, qui entretenait minutieusement un herbier que Lavinia n'a pas eu le courage de détruire, bien qu'il ne restât plus rien des fleurs qu'Emily expédiait à ses destinataires. Le jardin laissé à l'abandon a dépéri. L'art de savoir faire respirer les fragrances de ce qu'il reste, tendre l'oreille vers des pas feutrés, des chuchotements émanant d'une chambre interdite à tout visiteur, des échanges se livrant au travers d'une porte fermée. Ce sont des séquences brillamment intenses, certaines brèves, révélatrices, composées par l'écrivaine, qu'il serait impensable de ne pas imaginer une maison haussée de murs bavards ou silencieux. Lavinia, humble et altruiste, s'avère la gardienne de la demeure sur laquelle repose l'entente fragile entre Suzan et Mabel, l'une terrienne, l'autre éthérée. Les deux familles, habitant proches l'une de l'autre, instaurent une sorte de ballet synchronisé, les allées et venues de chacun ne pouvant passer inaperçues. Lavinia, guidée par le souvenir habité d'Emily, s'emploiera à ce que Suzan, la délaissée d'un couple bancal, ne soit pas lésée à la publication du recueil en 1890. Sans le travail acharné de Mabel Todd, et son désir farouche de durer, manque obscur de confiance en elle, les poèmes d'Emily n'auraient pas vu le jour, ni enrichi bellement la littérature américaine.<br /></p><p>Il est impossible de cerner les moindres replis de la vie de cette poète, décryptés avec ferveur par Dominique Fortier. S'il est vrai que les écrits d'Emily Dickinson seraient morts, étouffés dans leur propre poussière, il n'est pas certain que sans l'intervention passionnée et minutieuse de l'écrivaine, nous serions autant fascinée par l'apport d'une poésie destinée à demeurer dans l'ombre. À être soumise à l'effacement du temps. Si Lavinia fut la première à déceler l'importance de la poésie de sa sœur, il n'en demeure pas moins qu'avec une intuitive prémonition admirative, déployant la force chatoyante des mots, Dominique Fortier en assura la pérennité au cœur même de lecteurs peu informés. Ne faisant pas renaitre Emily Dickinson une première fois, certes, mais lui attribuant une seconde naissance « pour éclaircir les ténèbres »...</p><p><br /></p><p><i>Les ombres blanches, </i>Dominique Fortier</p><p>Les Éditions Alto, Québec, 2022, 248 pages<br /></p><div class="blogger-post-footer">Dominique Blondeau - dominblondeau@yahoo.fr</div>Unknownnoreply@blogger.com4tag:blogger.com,1999:blog-1698701740091907736.post-57688946978031916762022-04-11T07:09:00.002-04:002022-04-11T07:09:36.652-04:00Les cent ou deux cents coups de la vie ordinaire ***<p></p><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEg3Mt5_hUCjF8dvGAxbvXZMVsRtU3oM2Nv1GeXBPi_9ayArsi5iAfTyFg3tjaisZkFJLbRDnhkcEe5WrfOW6JM2AeJnsvK8h9Px1NPX6A7E-Yjx_sgUU62KQpNAoPeV4QncmoEceqC8GxN5nEvj2YUEKGPn_vSiWX97eBZwnl5J06QL77qoyxFP8EAL/s305/Pour%20mourir%20c'est%20diffe%CC%81rent%20Angrignon.jpg" imageanchor="1" style="clear: right; float: right; margin-bottom: 1em; margin-left: 1em;"><img border="0" data-original-height="305" data-original-width="200" height="305" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEg3Mt5_hUCjF8dvGAxbvXZMVsRtU3oM2Nv1GeXBPi_9ayArsi5iAfTyFg3tjaisZkFJLbRDnhkcEe5WrfOW6JM2AeJnsvK8h9Px1NPX6A7E-Yjx_sgUU62KQpNAoPeV4QncmoEceqC8GxN5nEvj2YUEKGPn_vSiWX97eBZwnl5J06QL77qoyxFP8EAL/s1600/Pour%20mourir%20c'est%20diffe%CC%81rent%20Angrignon.jpg" width="200" /></a></div><br />Quand on réfléchit au thème de notre introduction, et qu'on le note, c'est déjà afficher une certitude. Ce n'est pas toujours simple de parvenir jusqu'au livre duquel on veut parler. C'est une démarche qui exige beaucoup de mots, de lignes et de pages. Se fiant à la fugacité du monde virtuel, on écrit ce qu'on juge important, mais qui ne l'est pas. On commente les nouvelles de Yves Angrignon, <i>Pour mourir, c'est différent.</i><p></p><p>Vingt-deux courts textes qui sont présentés comme étant des nouvelles mais qui n'en sont pas tout à fait, sans pour autant dédaigner leur charme. Ce sont des fables, des choses anecdotiques de la vie quotidienne. Quelques-unes évoquent des souvenirs de vacances ensoleillées, ces moments que titille parfois un brin de nostalgie. Le premier texte nous donne raison, qui nous emporte d'emblée au Mexique, à Puerto Papaya. À l'hôtel Tropicoco, où nous retrouvons Yoani qui, joyeuse et indépendante, y travaille comme femme de chambre. Le nouveau client qui occupe une des chambres qu'elle ordonne, se montre courtois et généreux. Cependant, un incident se produira qui la rendra méfiante, mettant toutefois en valeur son talent de plieuse de serviettes de bain. Cet hôtel touristique abritera aussi Normande et Maurice qui, à la suite d'un deuil inusité, conseillés par leurs voisins, viendront y chercher un soupçon de réconfort. C'est le départ de l'aéroport et leur arrivée à l'hôtel que l'auteur nous dépeint avec un humour efficace. D'ailleurs, l'humour est omniprésent dans ces récits, allégeant les conditions fluctuantes que subissent les protagonistes. Des allusions, des clins d'œil vers cet endroit édénique, nous transportent sur une île où seules les apparences suffisent au séjour des vacanciers. Comme dans le récit <i>Steve et le jardinier, </i>l'un et l'autre à la recherche de sensations érotiques. Quelques regards appuyés, quelques paroles sibyllines, invitation codée entre les deux hommes qui satisfera leur désir, sans aucune gratuité. De nos jours, tout se paie, le plaisir sexuel n'échappant nullement à ce profit charnel. Plus conventionnelle, la nouvelle éponyme, l'anniversaire d'une vieille dame lasse de la vie. Ses enfants sont venus la fêter mais le cœur de Pierrette n'y est plus. Elle voudrait mourir, son cœur refuse de l'entendre. Seule l'amitié d'Aline édulcore ses griefs. Car, l'air de rien, la vieille dame s'insurge contre les interdits de cette maison de retraite. Quelle différence existe-t-il entre le luxe d'un hôtel pour vacanciers aisés et une maison de retraite qui se veut honorable mais où les animaux domestiques n'ont pas droit d'entrée ? Des tricheries soudées aux apparences qu'il faut sauvegarder...<br /></p><p>Ces textes présentés en douceur qui dévoilent les artifices d'un hôtel luxueux vacancier, tel le symbole d'une existence coutumière, menacée d'ombres éprouvantes alimentant d'autres récits, comme pour signifier que les figures joliment concoctées avec les serviettes de bain par Yaoni, se défont et se refont juste pour allécher le touriste. <i>Une paruline, </i>venue se jeter contre une vitre et tomber aux pieds du narrateur, s'avère l'image dénonciatrice des plaisirs factices étouffant nos déboires. L'oiseau, gravement étourdi, se remettra de ce choc, laissant « deux ou trois plumes jaunes dans son sillage », message adressé à l'homme qui prévoit une journée « belle et ensoleillée ». N'est-il pas un vacancier insouciant paradant sur une île paradisiaque ? Une fiction amusante, un éloge des pieds représentés par un narrateur qui voit en cette distale inférieure, un moyen irrépressible de séduction. Deux hommes, Pierre et Paul, rechercheront des partenaires aux pieds évocateurs mais eux-mêmes, foulant le sable, ne sauront s'attirer, leur personnalité s'avérant incompatible. Des fictions souvent réalistes rassemblées dans ce recueil étirent des sourires, exhalent des soupirs, nous portent à la rescousse de quelques individus atteints des failles communes à l'être humain. On pense à Madeleine qui, sur les instances de l'ami Steve, heureux vacancier que nous avons déjà rencontré en ce lieu de plaisance, séjournera à l'hôtel Tropicoco. Les hésitations de Madeleine, la routine pitoyable de sa vie qui interfère ses meilleures intentions jusqu'à son arrivée mouvementée à l'aéroport. Femme représentative d'une grande quantité d'humains qui ne savent se libérer du carcan d'habitudes contraignantes. Se départir d'obligations négligeables avant qu'il soit trop tard.</p><p>Ainsi va la vie ordinaire qui camoufle les cent coups qu'elle réserve, exhibe les deux cents qu'elle inflige, suggérés dans de brèves fables touchantes, parfois cruelles, témoignant de la gravité ou de la légèreté que les individus accordent à leurs péripéties existentielles, celles du recueil ne pouvant être toutes citées. Ce qui serait redondant, les jours et les nuits vécus hors des fragrances éphémères d'un hôtel où des hommes et des femmes ne savent ou ne peuvent se défaire de leurs chaines tressées d'attaches restrictives. Telle Bernadette, portant tragiquement sa croix jusqu'à sa mort accidentelle... On a apprécié que le livre se ferme sur un coucher de soleil glorifiant Puerto Papaya, closant ces vingt-deux histoires qui dépeignent la solitude importunant une poignée d'individus, mettent en relief les avatars dont chacun se croit victime. Sans cesse, nous pensons reconstruire nos fondations personnelles, ce qui nous harmonise à la nature qui, face à une civilisation expirée, reprend ses droits liminaires... L'auteur, Yves Angrignon, a moindrement ajouté son grain de sel à ses nouvelles, faisant, le temps de les lire et peut-être d'y réfléchir, un divertissement dépourvu de morale, où l'écriture ceinte d'un brin de poésie, jamais encombrée de scories inutiles, s'amalgame à un style dynamique où ne s'appesantit pas le travail routinier de l'écrivain. On lui en sait gré. <br /></p><p><br /></p><p><i>Pour mourir, c'est différent, </i>Yves Angrignon</p><p>Éditions Crescendo, Québec, 2022, 86 pages<br /></p><div class="blogger-post-footer">Dominique Blondeau - dominblondeau@yahoo.fr</div>Unknownnoreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-1698701740091907736.post-83467266574805470562022-03-28T07:12:00.002-04:002022-03-28T07:12:47.695-04:00Tuer les mères à petits et grands feux *** 1/2 <p></p><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEibOUVonD84JpBTz7wVWUxRqldtiWO-z6r3WBFg1hF49EIKS4vQyugHku5wmykej-FJtHYmerLOP6tWpPp3r0pLbR9RFKyB6gVRHA0SHhboa75fffEtZNfMTjY8gBUHOZdFboHR6oyhonm6Ihrq7j3a_Dp9LT6O9IietfCDFN3OdiyOWyQ0Zg-fQLya/s2550/Un%20monde%20sans%20me%CC%80res%20.jpg" imageanchor="1" style="clear: right; float: right; margin-bottom: 1em; margin-left: 1em;"><img border="0" data-original-height="2550" data-original-width="1500" height="320" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEibOUVonD84JpBTz7wVWUxRqldtiWO-z6r3WBFg1hF49EIKS4vQyugHku5wmykej-FJtHYmerLOP6tWpPp3r0pLbR9RFKyB6gVRHA0SHhboa75fffEtZNfMTjY8gBUHOZdFboHR6oyhonm6Ihrq7j3a_Dp9LT6O9IietfCDFN3OdiyOWyQ0Zg-fQLya/s320/Un%20monde%20sans%20me%CC%80res%20.jpg" width="188" /></a></div><br />Il nous arrive de visionner des vidéos traitant d'animaux domestiques, les plus communs étant les chiens et les chats. On est surprise par le comportement infantile de certains humains. Que de frustrations on ressent sous les câlins qu'une langue canine déverse sur le visage de la personne qui prend soin de son animal. Ou du canidé qui se vautre sur le lit de ses maitres. Comment s'étonner que quelques-unes de ces bêtes se rebiffent, ne lèchent plus mais mordent. On parle du récit de Claude-Emmanuelle Yance, <i>Un monde sans mères.</i><p></p><p>Considérant qu'on a fait notre part en commentant plusieurs livres traitant de rapports mère-fille, on a feuilleté celui-ci avec circonspection. Plus on avançait dans l'aventure, plus on se laissait séduire par le drame de Noémie, qui écrit des lettres désespérées à sa fille, Camille, celle-ci ne donnant plus signe de vie depuis la mort du père. Noémie a soixante ans, elle est une coopérante retraitée qui a enseigné en Nouvelle-Calédonie, s'est mariée avec Léo, archéologue. Ils auront deux enfants, dont un garçon qui se tuera à vingt ans dans un accident d'avion. Mais à la suite d'une menace d'émeutes à Dumbéa, le couple, Camille et son frère, sont rentrés au Québec. Malheureusement, la fillette n'a jamais oublié l'île et, à la fin de ses études d'enseignante, défiant ses parents, surtout sa mère, elle est retournée au pays de l'enfance. Elle s'y mariera avec un autochtone, de qui elle aura deux filles. Tout ceci, nous l'apprenons par Noémie grâce à la correspondance qu'a entretenue Camille avec son père. </p><p>Noémie a vieilli dans la souffrance, dans des interrogations sans fin. Pour occuper sa retraite, elle est bénévole dans un centre de femmes immigrantes. Le but est de les réunir, de les faire parler entre elles, ce qui n'est pas toujours aisé, imprégnées qu'elles sont du pays originel. Noémie elle-même figée dans sa douleur, s'enferme dans un silence rémanent plutôt que d'essayer de faire connaissance avec ces femmes à peine entrées dans une culture qui leur est étrangère. Une seule, Rasha, Syrienne, réfugiée avec une enfant-miracle, celle de sa fille violée par un garde de la prison où elle a été torturée puis assassinée, parviendra à accrocher ses regards à ceux de Noémie, comme pour l'informer que les malheurs des femmes sont calqués sur l'ignorance, et semblables. C'est Blanche, une intervenante inattendue, qui, souhaitant écrire un livre sur ces femmes, dénouera les réticences de ces réfugiées. Leur proposant de raconter à tour de rôle, ce qu'elles ont traversé de tragédies irréparables. Il y a aussi Béthanie, Haïtienne, et Betty, adolescente qu'elle a recueillie « au coin de la rue. » Mais dans cette atmosphère feutrée et colorée de robes flamboyantes, surgira un jeune individu armé d'un fusil, qui, ne pouvant tuer sa mère pour des raisons d'adolescence incomprise, trop lourde à porter seul sur ses épaules, s'en prendra à plusieurs mères inconnues, venues d'ailleurs. « Il a tiré sur des mères. N'importe quelles mères, toutes les mères. » Là encore, réflexions accablées de Noémie sur les sédiments humains qui camouflent des millénaires de symboles séparant mère et fils. Amour-haine qu'il faut, un jour à l'autre, assouvir sur des êtres innocents. </p><p>Ce drame fera que l'écrivaine, Claude-Emmanuelle Yance, nous en apprendra un autre, se jouant durant l'enfance et l'adolescence de Noémie, petite fille témoignant de la déchéance de sa mère, mariée à un homme rustre, qui dirige une ferme qu'aucun de ses nombreux fils n'acceptera en héritage. C'est l'époque noire où la société québécoise est réprimée par l'État et l'Église. Le devoir des femmes étant de mettre au monde le plus d'enfants possible. Atroce déchirement mental de ces femmes, telle la mère de Noémie qui a sombré dans la démence. Tuer la mère à travers des mères inconnues sur lesquelles se défoulent des hommes incapables de se prendre en main, de résoudre à voix haute ce que distille de bile leur condition de fils ou de père face à eux-mêmes. L'écrivaine laisse entendre que peu de femmes ont échappé à ce drame qui consolide les conflits au lieu de les atténuer à l'âge de la raison, s'il est vrai qu'existe une raison pour aimer son fils ou sa fille, trop ou pas assez...</p><p>Cependant, des lueurs d'espérance opèrent entre Noémie et Camille, qui écrit pour elle seule un journal dans lequel elle mentionne son cheminement entre ses filles, la tribu de son mari, la bonté généreuse de sa belle-mère envers ses petites-filles, celles-ci, métissées, s'avérant la part du monde où des ponts s'ajusteront pour réunir Blancs et Noirs. Pour recourir à l'égalité des mères et des pères qui conçoivent mal encore l'échappatoire inespérée que leur offre une nouvelle culture. Que de sacrifices entre mères et filles seront des déraisons de s'entretuer, avant de s'harmoniser dans une conciliation où les racines de l'arbre humain produiront des branches reposantes où s'appuieront mères, pères et enfants, en toute bienveillance. Ce que nous dit la fin de cette histoire touchante quand l'une des petites-filles de Noémie vient passer ses vacances hivernales chez sa grand-mère. Quand un homme bon et blessé essaiera d'adoucir ses propres souffrances en écoutant les déboires de Noémie, femme subitement tombée, non du ciel, mais apparue avec sa douleur de mère aux abois. De grand-mère soudainement exaltée par la venue inespérée de sa petite-fille, plus tard, provisoirement, par celle de Camille. </p><p>Rien ne se résoud dans ce très sensible et fatidique récit. Car c'est bien une fatalité qui circule entre les protagonistes, transcendant les mots en des événements avec lesquels ils doivent vivre, pour certains, survivre. De grandes émotions, de fortes sensations, drainant dans l'air un monde en transition porté par des femmes et des hommes encore désaccordés, atteste que ce récit est l'un des plus poignants qu'on a lu, à peine une fiction fascinante et dérangeante. Il y est question de femmes-mères, prêtes à beaucoup pour que se consolide leur famille éprouvée, chassée du pays natal, ces femmes ayant choisi d'emprunter ce détour pour cimenter un avenir incertain, comme Camille en a pris le risque avec la plus jeune de ses filles.</p><p>Si on répond de la lucidité interrogative et rebelle de femmes englobant cette émouvante histoire, l'écrivaine, Claude-Emmanuelle Yance, n'en demeure pas moins présente, posant une question, tel un mur haussé, revenant constamment entre les lignes : « Qu'avez-vous fait de votre relation avec votre mère pour pouvoir vivre votre propre vie ? » Comment y répondre, comment ne pas regarder derrière et en soi, démanteler non seulement nos rapports avec la mère, mais aussi explorer l'indéfinissable quête identitaire auxquelles des femmes chassées de leur pays doivent faire face. Malgré elles. <br /></p><p> </p><p><i>Un monde sans mères, </i>Claude-Emmanuelle Yance</p><p>Éditions Québec Amérique, Montréal, 2022, 184 pages <br /></p><p> </p><p> <br /></p><p> <br /></p><p><i> </i> <br /></p><div class="blogger-post-footer">Dominique Blondeau - dominblondeau@yahoo.fr</div>Unknownnoreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-1698701740091907736.post-75277080135769826262022-03-21T07:26:00.002-04:002022-03-21T07:26:16.304-04:00Tremblements autour d'un spectre d'enfant *** 1/2 <p></p><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/a/AVvXsEj4hk1IpQq4DnWe3RK31EI_-J-QnDRK8AE2wHZ4d59wJYOYH1DziVfhT_1tyQ2wNEJKRHVQnip5795O-ZfiHU22Iy2RRl3S0-CbWg1wIozNKhQ2GhhbghBOoQoAwi13z5N-49lN4CyI_vWv12sjr_de1Pj_4mnUue1L9u07hgmcshJCI9TV_9IEkFzW=s625" imageanchor="1" style="clear: right; float: right; margin-bottom: 1em; margin-left: 1em;"><img border="0" data-original-height="625" data-original-width="400" height="320" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/a/AVvXsEj4hk1IpQq4DnWe3RK31EI_-J-QnDRK8AE2wHZ4d59wJYOYH1DziVfhT_1tyQ2wNEJKRHVQnip5795O-ZfiHU22Iy2RRl3S0-CbWg1wIozNKhQ2GhhbghBOoQoAwi13z5N-49lN4CyI_vWv12sjr_de1Pj_4mnUue1L9u07hgmcshJCI9TV_9IEkFzW=s320" width="205" /></a></div><br />Ce matin, en entrant dans la pièce dans laquelle on travaille, on a souri aux rayons solaires qui inondaient les murs et le plafond. On ne s'attendait pas à ce que le soleil joue au travers des vitres souillées des scories de l'hiver. On a fait de cette clarté un moyen illusoire de se réchauffer. Chaleur du corps, certes, mais chaleur aussi du regard, comme si nous venions de faire une rencontre improbable. On commente les nouvelles d'Emmanuelle Cornu, <i>Trois tours de cordon.</i><p></p><p>Divisées en trois mouvements,<i> </i>ces trente-trois courtes nouvelles se raccordent au thème du deuil, celui d'une petite fille, partie en son état embryonnaire. Mathilde. Le livre est richement illustré du regard sans complaisance d'une écrivaine qu'on savoure à chacune de ses parutions. On aime sa manière naturelle et franche, grinçante, d'aborder la vie de ses semblables, et la sienne. Si quelques larmes pointent au bord des cils, elles coulent rarement, escortant une souffrance devenue intolérable, comme celle de perdre son enfant. Les narratrices du recueil se ressemblent, miroirs morcelés de l'auteure, nommées différemment, fidèles à ce qu'elles représentent quand les choses se heurtent, se bousculent, mais s'accomplissent pour notre satisfaction de lectrice. </p><p>Avec une compassion évidente, on se range vers la souffrance d'Estelle qui vient de faire une fausse couche. Livrée à elle-même, elle imagine et agit, se rhabille, s'échappe de l'urgence, saute dans un taxi et rentre chez elle. Son compagnon, après avoir pris soin d'Estelle, appelle l'ambulance, puis s'écroule en larmes. Tendre finale en deux lignes qui le réconforte. Ça tremble beaucoup dans les fictions suivantes. Un garçon se révolte contre le divorce de ses parents, sa mère le console en l'emmenant dans une animalerie acheter un chat. Plus loin, Isabel marche dans la nuit, elle vit de peu. Elle transporte sa vie dans son sac à dos. N'a nulle part où aller. Si Cupidon ne l'a jamais atteinte, elle ne perd rien pour attendre, bien qu'elle n'espère pas grand-chose de son existence. Une « demoiselle » qui sort de son cours de natation va la mettre à terre, lui révéler sa faillibilité. La narratrice sait que l'histoire ne durera pas, elle est prête à jurer une éternité provisoire à « sa Belle ». C'est touchant ces flèches ingénues du dieu Amour quand nous avons dix-sept ans. Rimbaud n'est pas loin... Nous poursuivons, nous passons, ne pouvant citer tous ces textes, à peine fictifs. Des clins d'œil qui crèvent d'un désir de vivre, d'une souffrance filigranée que dicte le manque d'une enfant qui a refusé de venir à terme. Mathilde. Ce n'est pas pour rien que l'écrivaine la présente de temps à autre, la vie des narratrices dépendant de sa présence à l'état d'ange. Ce qui est peut-être vrai, comment savoir ? Mais l'humour ne manque jamais à l'appel, fulgure quand l'auteure met en scène un groupe de personnes qui vit dans un « immeuble à trois unités », prétexte l'achat ou la location de chauffe-eau pour décrire des relations qui existent dans ce genre d'habitation. Deux filles, deux artistes, qui s'étonnent de cette situation grotesque, rêvent de leur future maison. Réjouissance inoffensive cette possibilité de s'évader au bord du fleuve alors que les habitants de l'immeuble attendent hargneusement leur opinion concernant les chauffe-eau. Ce sont des nouvelles débridées desquelles nous nous délectons de chutes surprenantes, très souvent suggérées, rarement avouées. « La suite est claire », comme l'écrira Emmanuelle Cornu pour conclure une étrange aventure que subit une poignée d'adolescents dans un camp vacancier. </p><p>Regard aiguisé et contestataire de l'écrivaine qui observe tout ce qui bouge, sans jamais perdre de vue l'embryon Mathilde, devenu spectre apaisant et complice, contrastant avec les sentiments qui s'étiolent, se fragilisent. De banals incidents essaiment l'existence des protagonistes, se forgent solidement, déployant leurs oublis, leurs distractions vitales, mais se sentent à l'aise entre les mains habiles, secourables, de la nouvelliste, Emmanuelle Cornu. D'autant qu'elle sait admirablement bousculer les émotions d'un texte à un autre, les situations ne s'avérant jamais identiques. Dans la tourmente qui les dirige ou les oppose, nous suivons les comportements d'hommes et de femmes, surtout de femmes, qui essaient de se débattre avec l'imprévisible. Et toujours protège ses multiples mères la lumineuse « crevette », « virgule » sanguinolente, Mathilde, prenant parfois l'apparence candide d'un frère, en chair et en os. Tendresse souriante de deux mères qui observent les déliements maladroits d'un bébé mâle avec une curiosité indulgente. Le temps de tourner une page, nous sommes confrontés au sort tragique d'une fillette de cinq ans, Églantine. Impuissante, on ne peut rien faire pour elle, pour l'avenir que ses tribulations désordonnées lui réservent. S'intercalent des textes en tous genres, de tout acabit, telle la nouvelle éponyme, la naissance du fils d'Anabel, né avec un long cordon autour du cou, trois tours étouffants, enlevé brusquement à sa mère par les infirmières, l'enfant tardant à manifester son désir de vivre. L'instinct maternel s'avère celui d'une animale, toutes griffes acérées, quand il s'agit d'une mise au monde. Sentiment primaire qui apporte tant de force à l'ensemble du recueil, l'enfant déshérité ou l'enfant comblé prenant place dans un monde équitable à créer. La touche révélatrice étant celle de l'espoir de vivre, l'amour signe la conclusion d'une histoire qui se termine d'une manière éloquente. </p><p>Textes oscillatoires qui révèlent magnifiquement le talent très personnel d'Emmanuelle Cornu. Confirmant sa manière intelligente, toujours subtile, d'observer ses entours. De les soumettre à une critique indulgemment humaine parce que dépourvus de jugement irascible, bien que parfois amers, ces jeunes femmes refusant d'être identiques à leurs compagnes. Chaque fiction s'apparente à un choix rebelle, ce choix entrecoupé d'histoires qui tiennent debout, qui disent longuement qu'il y a toujours une première fois dans nos entreprises. Balancier qui dirige la narratrice du dernier texte : être un homme être une femme, Antoine ou Fanny, l'enfant qu'il faut protéger des incertitudes, le recours à la solitude pour y voir clair, enfin la reconnexion avec soi, comme si l'auteure avait dû subir ces travers, les accepter en toute connaissance de cause... Troisième œuvre d'Emmanuelle Cornu, on peut assurer l'écrivaine de la réussite de son recueil, son monde bigarré d'humains qui valent la peine de se pencher sur leurs joies ou leurs misères, contreparties magistralement dépeintes par une auteure qui ne cesse de nous toucher, de nous faire trembler, l'écriture d'un livre, sa réussite se rapprochant des affres de l'accouchement, l'enfant de papier à naitre souillé d'encre, autre sang.<br /></p><p><br /></p><p><i>Trois tours de cordon, </i>Emmanuelle Cornu</p><p>Éditions Druide inc. Montréal, 2022, 165 pages<br /></p><div class="blogger-post-footer">Dominique Blondeau - dominblondeau@yahoo.fr</div>Unknownnoreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-1698701740091907736.post-30944504885664686432022-03-14T07:43:00.001-04:002022-03-14T07:43:14.053-04:00Amasser des objets au risque d'en mourir *** 1/2<p></p><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/a/AVvXsEjzGGIpP7IuLxxzYB7-8xnqS5NlCUA5HLaOTirqsmL1rtiOEJ59Hp4N1BwQix20m-eIJzV_QN9fI3cP6DJKZE-0OBJNclWdloiF3T5OjaNLbyH8XQERgl74b2oyUHKnvwfhOkVPrCBCwW7OskYQ-VbRzHSU9hPxjqAOs_3zXdiqqxWMeAdPj0Z8Guf1=s350" imageanchor="1" style="clear: right; float: right; margin-bottom: 1em; margin-left: 1em;"><img border="0" data-original-height="350" data-original-width="200" height="320" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/a/AVvXsEjzGGIpP7IuLxxzYB7-8xnqS5NlCUA5HLaOTirqsmL1rtiOEJ59Hp4N1BwQix20m-eIJzV_QN9fI3cP6DJKZE-0OBJNclWdloiF3T5OjaNLbyH8XQERgl74b2oyUHKnvwfhOkVPrCBCwW7OskYQ-VbRzHSU9hPxjqAOs_3zXdiqqxWMeAdPj0Z8Guf1=s320" width="183" /></a></div><br />À quatre-vingt-deux ans, elle nous dit que, ressassant son passé, des pans de sa vie la surprennent, tellement ils lui paraissent audacieux, comme s'ils appartenaient à des étapes vitales qui lui seraient étrangères. Aventures amoureuses, débats professionnels, amitiés dispersées, son existence se parcellise, chiffonnée d'époques qui n'auront plus jamais cours. On parle du roman de Nancy Vickers, <i>Capharnaüm.</i><p></p><p>Si l'auteure nous en apprend beaucoup sur le complexe de Diogène, on ignorait quelles en étaient les phases discordantes et, pour ne pas commettre un impair, on s'est renseignée à plus éclairé que soi. On est sortie dubitative de cet exposé, surprise qu'une telle confusion mentale affecte des personnes qui, sous bien des aspects, ne diffèrent en rien de leurs semblables. On ne sait trop où chercher le ferment de cette maladie, génétique ou héréditaire. La narratrice de cette histoire, Elsa, qui se manifeste ici dès l'enfance, met son père en relief, lui-même s'avérant un ramasseur compulsif d'objets les plus hétéroclites. La mère témoigne de sa lassitude en essayant de combattre l'encombrement de la maison. Rien n'y fait jusqu'au jour où le père sera vaincu par ses glanages intempestifs. Après avoir supporté l'abus des récoltes de sa fille, elle l'invite à prendre la porte. Elsa a vingt-cinq ans. Nous pouvons avancer que là commence ses déboires dus à ses maraudages, ramasser et acheter des objets sans aucune nécessité. Est-ce une façon de compenser les manques de l'enfance, mais qui n'en a pas ? Sa poupée préférée a été confisquée par sa mère, jetée dans un trou, pour la punir de son désordre. Autre symptôme mental dans ce bric-à-brac de ramassis, le vide qu'Elsa ressent affilié à une absconse solitude. D'où lui viennent ces lacunes, nous l'ignorons mais elle est incapable de garder des amis qu'elle se fera au long de son périple. Elle se mariera avec un collectionneur de livres, divertissement qu'elle associe à sa passion immodérée des objets. Ils auront une fille, Céleste, qui, elle, vivra une enfance mouvementée. Sa mère ne ressentant aucune fibre maternelle, son mari l'a quittée, l'enfant sera partagée entre le père et sa nouvelle compagne, les grands-parents paternels. Par intermittence, elle sera confiée à Elsa mais sans succès, Céleste n'ayant aucun goût excessif pour les objets, ni pour la saleté qu'ils accumulent, ses allers dans la maison seront provisoires. Aux ramassis de vieux déchets s'ajoute et pourrit la nourriture négligée par Elsa. La maison sent mauvais, Elsa ne peut recevoir personne, tant de détritus feraient fuir ses invités. La lucidité dont elle fait preuve souligne ses déconvenues quand elle se lie d'amitié avec deux femmes rencontrées dans un club de yoga. C'est une passionnée abusive doublée d'une incorrigible fétichiste. Travaillant dans une bibliothèque, elle s'éprend d'une écrivaine invitée à disserter sur ses livres. L'écrivaine, ne comprenant pas le comportement d'Elsa à son égard, la fuira. Il en sera de même envers une musicienne, un soir de l'Halloween. À une artiste excentrique et désargentée, elle demandera de sculpter une tête de Baudelaire pour tenir compagnie à Marilyn Monroe, buste qu'elle a acheté chez un antiquaire. Outrance et prodigalité dominent le récit, qui ne comblent en rien le vide et la solitude de la narratrice. </p><p>Si les artefacts sont un havre temporaire pour Elsa, les araignées en sont les repères, rarement maléfiques. Leur intervention, l'air de ne pas y toucher de la part de l'auteure, nous emporte dans une dimension irréelle et sensuelle. Les excès d'Elsa, personnifiés par les têtes de Marilyn Monroe et de Baudelaire à qui elle se confie, l'acheminent dangereusement vers un monde paradoxal, habité d'une femme déséquilibrée à qui elle vouera un sentiment asservissant, qu'elle confond avec l'amour. Se livrant aux manigances de cette femme, elle se vautrera dans une situation rocambolesque. Quelle en sera l'échappatoire, sinon chercher les derniers feux de l'existence ailleurs que dans ses agissements crépusculaires, eux-mêmes ignés de l'incapacité de surmonter ses obsessions, choix qu'Elsa ne possède plus, ses démarcations entre la réalité et ses désirs inassouvis ayant été franchies. </p><p>Sous une apparente légèreté, un humour qui ne se dément pas, comme le chapitre consacré à la Mini Cooper d'Elsa — surnommée Mini-chérie —, les cendres de la mère soufflées par l'aspirateur, les objets se révèlent une allégorie de l'existence, ramassis de joies et de peines, que nous finissons par jeter, par oublier, croyons-nous, pour vivre le mieux possible. Défection de la conscience où nous percevons la gravité d'un sujet peu abordé, la consommation devenant un plaisir innocent et légitime. Prétexte à remettre de l'ordre dans le tourbillon d'un creux, un trou, comme celui mentionné par la mère d'Elsa, trou qui avait avalé sa poupée, alors qu'elle était cachée dans une garde-robe. Malaise qu'Elsa a entretenu d'une manière obscure, la raison de chercher sans trouver ne se justifiant plus. Accumuler des objets neutres, n'est-ce point rechercher l'inaccessible ? Se réfugier dans la démesure quand nulle solution plausible ne se présente autre que celle de s'anéantir dans l'invraisemblance de nos égarements. Fiction relatée au premier degré, procédé que Nancy Vickers utilise dans ses œuvres précédentes, sous couvert de laisser le lecteur, la lectrice, libres arbitres de leurs choix, ce roman s'interprétant pour le meilleur de notre imaginaire mais aussi pour la pire désillusion quand nous refusons de nous montrer tels que nous devrions être. C'est là la qualité essentielle du roman, Elsa ne faisant confiance qu'à elle-même, sachant que son passage éphémère sur la croûte terrestre empoussiérée d'invisibles fantômes, dont les particules qu'elle agite en étouffant sa mère, ancrera sa présence, bousculée de rencontres peu fructueuses, dans la mémoire de celles et de ceux qui n'ont pas tenu compte des causes à effet de ses chambardements. Elsa, ne trouvant qu'un soupçon de paix dans la chambre du père, quasiment interdite d'entrée, où sont amassés les trésors du temps des poubelles fouillées la nuit, père et fille nourrissant leur complicité silencieuse d'objets inanimés, ceints peut-être d'une âme...</p><p>Si l'histoire d'Elsa, celle-ci aux prises avec ses démons, déconcerte quelques esprits rationnels, oscillant entre réalisme et fabulation, elle se révèle une bouffée de fantaisie jubilatoire dans la morne atmosphère dans laquelle nous vivons. Il est nécessaire de ne pas passer outre, tant d'états d'âmes livresques assombrissent l'ensemble de nos randonnées terrestres. Les événements conjoncturels élaborés sous la plume de Nancy Vickers nous entrainent dans un univers peu usité, familier à l'écrivaine, où il est agréable de se laisser aller, notre retour sur la terre ferme s'étant enrichi de la chimérique séduction d'un conte pour adultes, qui finit sans autre issue probable que l'embrasement d'une maison hantée, Elsa emportée par ses « anges adorateurs »...<br /></p><p><br /></p><p><i>Capharnaüm, </i>Nancy Vickers</p><p>Collection Indociles <br /></p><p>Les Éditions David, Ottawa, 2022, 236 pages<br /></p><p><br /></p><div class="blogger-post-footer">Dominique Blondeau - dominblondeau@yahoo.fr</div>Unknownnoreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-1698701740091907736.post-25142976902182056912022-03-07T07:10:00.002-05:002022-03-07T07:10:32.163-05:00Des mots d'amour à une mère trépassée *** 1/2<p></p><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/a/AVvXsEgeIjR2fYrCRySkBVeRSmfWnsqCmfTeFj0GRpLT3GPw8dopgTIuFLBJa2AyrtqKVXv20Ey4jrlJXLc0y_XDN3dJp-BWOpwA2EopiTzFpbFLmdNeOgGwm91LVtDjusA1DyB1ppoaASIB0fw13EAAcb1NPEVvaMnFDljveL1FCgL-HCk3S4YRzEwbAcZB=s550" imageanchor="1" style="clear: right; float: right; margin-bottom: 1em; margin-left: 1em;"><img border="0" data-original-height="550" data-original-width="345" height="320" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/a/AVvXsEgeIjR2fYrCRySkBVeRSmfWnsqCmfTeFj0GRpLT3GPw8dopgTIuFLBJa2AyrtqKVXv20Ey4jrlJXLc0y_XDN3dJp-BWOpwA2EopiTzFpbFLmdNeOgGwm91LVtDjusA1DyB1ppoaASIB0fw13EAAcb1NPEVvaMnFDljveL1FCgL-HCk3S4YRzEwbAcZB=s320" width="201" /></a></div><br />Avec joie, on est entrée dans le mois de mars. Il prend notre main, nous guide à pas feutrés vers une saison qui, chaque année, renait de ses cendres endormies, parmi lesquelles émergent des graines de toutes sortes. Non pour alimenter nos entrailles mais pour nous donner une nouvelle poussée vers la lumière de nos propres verdures. On commente le récit de Jean-Benoit Cloutier-Boucher, <i>Boire la mer les yeux ouverts.</i><p></p><p>On n'est pas une passionnée du genre, lui préférant plus d'effusions extérieures, pour ne pas avancer plus de pragmatisme. Bien que l'action n'illustre pas une histoire mais les émotions qu'elle suscite, qui se déversent dans le regard de celui qui les reçoit, se laisse aller à les apprivoiser, porté par une curiosité qui, elle, ne se nomme pas. Action et émotions nous déçoivent rarement, action feutrée demandant peu de gestes, beaucoup de paroles, ressemblant à celle évoquée par le narrateur de ce récit de vie et de mort. </p><p>Peut-on avancer que cet amour partagé entre une mère et un fils se classe parmi les contes cruels, celui-ci, hélas, finissant mal. Décrit d'une année à l'autre, d'une manière séquentielle, défiant la chronologie, l'enfant parvenu à l'âge adulte mesure la tendresse qu'il a éprouvée pour une mère devenue lentement handicapée après que la sclérose en plaques a été diagnostiquée, prenant possession du corps, déstabilisant ses mouvements, la rendant dépendante de son jeune fils, d'une sœur, d'une grand-mère. D'une famille atterrée. Le père, l'Autre, homme neutre désigné ainsi par le garçon, nous comprenons que les effusions de cœur entre le père et le fils ne sont pas au diapason de ce qu'elles devraient être. Routier, il s'absente souvent de la maison, s'alcoolisant à la bière, s'impatientant des malaises de sa femme, plus tard prisonnière d'un fauteuil roulant. Un brin de légèreté ressenti au début des réminiscences narrées par le jeune homme s'accommodent peu à peu des multiples sentiments qu'il éprouve envers la mère, impuissante à sécher ses larmes. Désespoir qu'elle ne sait exprimer différemment. L'enfant grandit, il compatit, il se révolte, le désir de se distraire avec des amis de son âge l'éloigne non de sa mère mais d'une femme malade qu'il ne parvient plus à supporter. C'est un débat constant qu'empoisonne la présence occasionnelle de l'Autre, manipulateur qui ne manque jamais de provoquer brutalement son fils, comportement attisé par son trop-plein d'alcool. La sœur veille, la grand-mère aussi jusqu'au jour où l'adolescent sera placé momentanément dans une famille d'accueil. La sœur ayant décidé de « découvrir le monde », son jeune frère doit être protégé de l'ivrognerie du père. Tandis que la maladie de la mère s'aggrave, la maisonnée se rassemble autour d'elle, son corps déficient ne répondant plus aux nécessités qu'exige le rôle d'une épouse dévouée aux siens. C'est de tout cela, indicible pudeur ressentie chez le narrateur, qui bâtit maladroitement sa jeunesse, alors que la mère doit se livrer à des mains qui ne sont plus les siennes, pour combler son bien-être physique. </p><p>Si l'adolescent se rebiffe contre la maladie de sa mère, il se culpabilise, toujours il le fera, du début à la fin, s'accusant de l'avoir abandonnée à ses infirmités, à l'incapacité de ne plus être une femme comme les autres, vivante et rieuse. Quand la mort la lui ôtera, il se souviendra douloureusement de ce qu'elle fut pour lui, de son discours interrompu quand il lui avouera timidement qu'il préfère les garçons aux filles. Attirance sexuelle assumée lors d'une balade avec un ami, les deux échangeant les premières cigarettes, les premières confidences. L'enfance et l'adolescence ont été gravées sous le sceau du manque d'une mère saine et belle. Du rejet d'un père qui pense à faire de son fils un militaire. Grossier concept qui sera converti en gymnastique et tennis. Tout est ainsi contrasté dans ces souvenances bancales : les repas de famille à Noël, les balades avec la mère à cueillir des petits fruits, les succès scolaires, les vacances au chalet, les frustrations de l'Autre qui aboutissent en violence physique et verbale. Tant d'autres moments relatés par le fils, émotif et discret, son point de fuite étant la sclérose de la mère qui oblige celle-ci à rentrer à l'hôpital, « chaque jour était un nouveau mauvais jour » se lamente en soi le fils qui voit dépérir cette femme aimée, obsédante depuis son enfance, griffée mortellement par une maladie incurable. </p><p>De la chambre d'à côté surgira Jo, patient affligé de l'ataxie de Friedreich, qui s'attachera à sa voisine, le narrateur laissant entendre que le père, l'Autre, est mort d'un cancer. Mais l'ordre chronologique n'existant pas, telle la mémoire et ses méandres, on retrouve l'Autre au chevet de sa femme quand elle agonise, l'instant de lui faire ses adieux. Et c'est bien que le Temps désordonné soit le fil conducteur des émotions rebelles du fils, évoquant au passage ses premiers désirs sexuels. Bouleversements bouleversant celle ou celui qui essaie de s'imprégner des petites joies, des grandes peines d'un homme qui doit se sentir en paix avec lui-même après avoir mis sur papier ou sur écran les souffrances mentales et physiques d'une femme ralentie par le corps luttant contre des symptômes irréversibles. </p><p>Stigmatisé par des années saturées d'instabilité affective, transcendant les émotions exacerbées du narrateur, l'auteur intercale de brefs et tendres poèmes qui s'adressent à une femme présente ou passée, cheminent entre les pages, telles des larmes retenues, rendent la lecture encore plus intense, plus sensitive, comme s'il était équitable de reprendre son souffle chaque fois que la plume ou les yeux se reposent. C'est aussi une œuvre réconfortante, confirmant que les descentes vertigineuses vers nous ne savons trop où, l'enfer serait trop banal, finissent par hausser une échelle non de soie mais de bure, nous invitant à marcher droit sur la surface rugueuse d'une existence qui ne demande qu'à continuer, riches que nous sommes d'une expérience inégalable : celle d'un face-à-face avec une vie abimée, sa finitude, mais aussi sa rédemption, l'écriture à ce point poétique nous réconciliant avec les vicissitudes parfois poignantes d'une destinée trop tôt achevée...<br /></p><p><br /></p><p><i>Boire la mer les yeux ouverts, </i>Jean-Benoit Cloutier-Boucher</p><p>Collection Mobile</p><p>Les Éditions Sémaphore, Montréal, 2021, 224 pages<i> </i><br /></p><p><br /></p><div class="blogger-post-footer">Dominique Blondeau - dominblondeau@yahoo.fr</div>Unknownnoreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-1698701740091907736.post-1495857121006690492022-02-28T07:10:00.000-05:002022-02-28T07:10:02.982-05:00Conquérir un territoire, des hommes et des femmes ****<p></p><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/a/AVvXsEhNl0I8RKNbBqEBrVtrkYS30uHElb3VC7MT4ast9rCfpvuqOEOE9Ka8ZKdfIMwisivoBGEUUGOEpqwOhNu4hYvioab0jLbIBx2XTF6UX0t_MzhzFXZw4Vb2bbfztjamU3y-n8apnRvhFeIy1YxGkNLaV-rFsOmTpzFXU-JeFaVXKJcqJfY66D0p0JnF=s432" imageanchor="1" style="clear: right; float: right; margin-bottom: 1em; margin-left: 1em;"><img border="0" data-original-height="432" data-original-width="278" height="320" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/a/AVvXsEhNl0I8RKNbBqEBrVtrkYS30uHElb3VC7MT4ast9rCfpvuqOEOE9Ka8ZKdfIMwisivoBGEUUGOEpqwOhNu4hYvioab0jLbIBx2XTF6UX0t_MzhzFXZw4Vb2bbfztjamU3y-n8apnRvhFeIy1YxGkNLaV-rFsOmTpzFXU-JeFaVXKJcqJfY66D0p0JnF=s320" width="206" /></a></div><br />Une personne affectionnée qui tombe subitement malade, c'est une feuille qui se détache d'une branche, un fruit qui pourrit dans un verger, un morceau de terre devenu stérile. C'est aussi tourner le dos aux banalités quotidiennes. Ce qui fait trembler notre existence paisible, la soudaine démission physique d'un être qu'on pensait invincible, les personnes que nous aimons étant éternelles. On commente le roman de John Steffler, <i>L'après-vie de George Cartwright.</i><p></p><p>Roman qui, d'emblée, nous a fait réfléchir au nombre d'explorateurs, d'aventuriers, qui, partis en toute candeur vers des terres inexplorées, n'en sont jamais revenus. Ont payé de leur vie des conquêtes avortées, parce qu'à l'époque des grands voiliers, il s'agissait bien de conquêtes d'hommes et de territoires. Quelques-uns ont gouté aux illusions de la gloire, marquant de leur originalité et de leur ferveur des coins de terre défrichés, des poignées d'humains naturellement éduqués. C'est le cas de l'explorateur britannique George Cartwright qui après sa démission de l'armée rêva de terres vierges, tel le Labrador à peine accessible en son siècle. Déçu de son parcours militaire qui le mena aux Indes, puis en Allemagne dans l'armée prussienne, un été à chasser en Écosse, il rejoindra son frère John à Plymouth, qui commandait un cotre affecté à l'arrestation de contrebandiers. Puis, le frère, promu premier lieutenant sur un vaisseau qui devait se rendre à Terre-Neuve, accepta la présence de Cartwright, ce dernier se démarquant tel un parfait gentleman. Le destin de cet homme à l'esprit fougueux sera déterminé par le gouverneur de Terre-Neuve, qui se trouvait à bord. Ils discuteront ensemble de fourrures, du commerce de poisson, le gouverneur énumérant à Cartwright les richesses émaillant la côte du Labrador mais il l'informe aussi de l'agressivité des Esquimaux, des colons qui les tuent, ce qu'il réprouve. Insistant sur la manière pacifique de faire commerce avec les autochtones. Il n'en faudra pas davantage pour attiser la curiosité insatiable de Cartwright qui, après son retour en Angleterre, intégrera un nouveau régiment. Aventure qui le décevra une fois encore, malade, il démissionnera une seconde fois. À bord du vaisseau qui le ramène à Terre-Neuve, il est heureux, il se sent sauvé. Il est prêt à s'expatrier.<br /></p><p>George Cartwright est né en Angleterre en 1739. Enfant d'une nombreuse fratrie, l'un de ses frères, Edmund, ingénieur, sera reconnu comme étant l'inventeur d'un métier à tisser mécanique. Le père dilapidera sa fortune en construisant un pont à arcades inutilisé, il n'aura plus les ressources financières pour offrir des précepteurs à ses fils. George sera un élève sans éclats, seule la vie militaire, aux dires du père, conviendra à son tempérament frondeur. Après de nombreux déboires et beaucoup de désillusions, George Cartwright mourra le 19 mai 1819 dans une misérable auberge de Mansfield. La date de son décès sera un rendez-vous avec une singulière rétrospective. Tremplin fantomatique dont il se servira pour améliorer son journal, se promener avec son faucon. Juché sur son cheval, il parcourt les plaines, débroussaille les événements qui ont marqué son séjour fructueux au Labrador. Sa connivence amicale avec les Indiens, son attirance pour une jeune femme de leur tribu, son pacte étrange avec Mme Selby, qu'il a rencontrée en Angleterre lors d'une exécution publique. Mais aussi la jalousie qu'il suscite chez de nouveaux colons qui envient ses réussites. Homme idéaliste, l'âme pétrie d'intentions bienveillantes qu'il est incapable d'appliquer envers ses employés, Mme Selby devant le rappeler sans cesse à l'ordre. Femme pragmatique qui a décelé la personnalité désordonnée de son employeur et amant qui ne vit que pour la chasse. Leur survie durant le premier hiver. Finalement, la solitude d'un explorateur abandonné de l'Angleterre qui, calfeutrée dans son confort, ignore ce que signifie la vie extrême durant un hiver qui dure huit mois. Faisant preuve d'une naïveté inexplicable, Cartwright sera trahi par ses employés le jour où des colons, affiliés à un bateau corsaire, assiégeront son domaine, déroberont sauvagement ses biens. Jusqu'à Mme Selby qui mettra un enfant au monde, dont le père s'avère le contremaitre.</p><p>Si de tels drames traversent l'épopée " labradorienne " de George Cartwright, relatée par l'écrivain canadien, John Steffler, des scènes burlesques nous ont fait sourire, ont altéré les pulsions tyranniques de l'explorateur. Comme celle des préservatifs entre lui et Mme Selby, l'intrusion de celle-ci dans le journal de Cartwright pour lui faire part de ses griefs. Femme avant-gardiste, indépendante, embauchée comme gouvernante, elle exige un salaire équitable de son employeur. Le pire drame sera le sort des Indiens qui, en partie décimés par la variole, de retour d'Angleterre, seront reçus par leur famille d'une manière qui déconcertera Cartwright. Dépouillé des êtres qu'il aimait, privé de ses ressources matérielles, endetté, il rentrera dans son pays. Quarantenaire, il acceptera un poste de maître de caserne qu'il occupera pendant une trentaine d'années. Quand Cartwright prendra sa retraite, il aura soixante-dix-sept ans, il s'installera dans une auberge à Mansfield, consacrera son temps et ses dernières forces à chasser avec son faucon, à faire de longues promenades à cheval. Le 19 mai 1819, date fatidique qu'il utilisera pour transcender ses rêves inaboutis, hanté par le remords et des regrets, obsédé par un Labrador méconnu, par son envergure qu'il a négligée. Surtout inattentif à l'avidité menaçante de ses pairs.</p><p>Lecture qui nous a accompagnée au long de ce janvier très froid. Le qualifiant d'arctique, on a imaginé avec peine, ce qu'avait représenté l'hiver de ces êtres aux prises avec des éléments naturellement hostiles. Dans leur maison, le Lodge, tout juste confortable en attendant les premiers dégels. Nous sommes au XIXe siècle, en Europe l'électricité a fait timidement son apparition. Baisser de rideau pathétique pour George Cartwright, solitaire malgré lui, cet explorateur, navigateur, aventurier, qui, à la fin de sa vie, distrayait les enfants de son frère Edmund, et les gamins du village.</p><p>Récit à la fois tragique, exaltant, témoignant du courage de ces individus passionnés, un brin romantiques, qui ont su inscrire des noms sur des terres inhospitalières, les apprivoiser pour les générations futures. John Steffler s'est inspiré du journal de Cartwright pour en rassembler les faits essentiels, composer ce roman fascinant. Traduit par l'écrivaine Hélène Rioux, incomparable traductrice. On remercie l'écrivain et la traductrice de nous avoir fait connaitre cette figure pour le moins atypique en notre époque où il ne reste plus de grands espaces à conquérir, sinon des sols interplanétaires...</p><p><br /></p><p><i>L'après-vie de George Cartwright, </i>John Steffler</p><p>Traduction de l'anglais ( Canada ) par Hélène Rioux</p><p>Leméac Éditeur, Montréal, 2021, 322 pages<br /></p><div class="blogger-post-footer">Dominique Blondeau - dominblondeau@yahoo.fr</div>Unknownnoreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-1698701740091907736.post-13153051891742450672022-02-21T07:14:00.001-05:002022-02-21T07:14:16.083-05:00Être seul parmi les témoins de nos avatars ****<p></p><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/a/AVvXsEjZpusNE_xVhKBWxwalN6eQmV1OKw-Z4x6tVABXnX1a109g3kYnQU1IEg39i17cmZiPz0TRLu0UQMvZ6Z05dG5HlkmZJT75SA_D-o8XPSg7vfKSP1JRm3pYAjxQOQYi-r86o349oRTaB9jfl5pLVrNEBnHU8fYXpaMHn1egwLTOzZQzf-sVIscEweei=s955" imageanchor="1" style="clear: right; float: right; margin-bottom: 1em; margin-left: 1em;"><img border="0" data-original-height="955" data-original-width="550" height="320" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/a/AVvXsEjZpusNE_xVhKBWxwalN6eQmV1OKw-Z4x6tVABXnX1a109g3kYnQU1IEg39i17cmZiPz0TRLu0UQMvZ6Z05dG5HlkmZJT75SA_D-o8XPSg7vfKSP1JRm3pYAjxQOQYi-r86o349oRTaB9jfl5pLVrNEBnHU8fYXpaMHn1egwLTOzZQzf-sVIscEweei=s320" width="184" /></a></div><br />On se dit que tout ce qui vit, du moindre brin d'herbe à la fleur la plus frêle, demande une extrême attention. Nous regardons une pierre au bord de l'eau, le visage d'un humain qui nous croise, le pelage d'un chien qui aboie joyeusement. C'est un pas de danse que nous esquissons, sachant que le brin d'herbe, la fleur, la pierre, le chien mourront, le temps de se poser d'interminables questions jamais résolues. On parle des nouvelles de K.D. Miller, <i>Dernière heure.</i><p></p><p>Dix nouvelles qui se glissent les unes dans les autres, leurs protagonistes se tenant par le bout des doigts quand l'aventure les interpelle dans un perpétuel ballet d'incertitudes. Fracas d'existences qui, pour la plupart, se prêtent aux habituelles routines, soudainement défaites et déstabilisées. Telle une présentation théâtrale, les premières fictions préfacent celles qui s'annoncent, révélant la personnalité d'êtres qui se retrouvent, sans trop se regarder dans les yeux. Récits repliés sur soi malgré la présence de témoins, ramifiant les silences intérieurs mais aussi les grands chagrins adoucis par la nostalgie du passé, vaine consolation quand nous sommes parvenus à un certain âge. Un peu de fatigue nous accompagne, ce peu flou, indéfini, que nous nommons solitude. Effet de tiroirs que nous ouvrons que nous fermons, après les avoir délestés de leur trop-plein douloureux, au risque de nous leurrer sur ce qui fut et ne sera plus. <i>La dernière trompette </i>s'avère un parangon de ce que nous avançons. Len Sparks, veuf de quatre-vingt-six ans, vit seul avec sa chienne, Sœur. Après avoir lu les journaux et s'être offusqué de leur contenu, il se prépare pour aller se recueillir sur la tombe de sa femme, Joan, soulignant l'anniversaire de sa mort accidentelle. En cours de route, il évoque les années de bonheur, peut-être d'illusions, Joan n'ayant pas été une épouse toujours conciliante. Les obstacles qui ont soustrait chaque protagoniste à la banalité du quotidien occupent une place prépondérante, reliant les individus entre eux, comme pour mieux les faire bondir une dernière fois dans un présent approximatif, faisant valoir que la vie a souvent le dernier mot. Ce qui arrivera à Len Sparks, assis sur un banc, devant la tombe de sa femme. Un adolescent le suit, le provoque, le questionne sur son couple, adolescent qui nous fait penser à ce qu'aurait pu représenter le vieil homme s'il avait été plus vindicatif. Entrée en matière grinçante mettant en relief le rôle des femmes dans ce qu'elles ont de véridique, fantaisie et détermination, complices entre elles, mais aussi prisonnières d'une culpabilité injustifiée, comme Harriett, artiste peintre, qui remet en question sa relation avec son fils, Ranald, celui-ci marié à Patrick. Elle aussi s'imbrique à l'intérieur de doutes, son veuvage lui révélant, croit-elle, sa fragilité de femme septuagénaire, jusqu'au jour où, agressée dans sa maison par un jeune inconnu dont elle refuse d'identifier le visage, elle lui impose une étrange réparation. <i>Témoin. </i></p><p>De nombreux acteurs et actrices composent ce fascinant recueil, portent en eux un échantillon de ce qu'est l'humain, oscillant entre le mal et le bien, oscillations pernicieuses qui ont déterminé le destin tragique de Curtis Maye, meurtrier de Morgan, jeune musicienne ambitieuse, dont la carrière prometteuse exacerbait le jugement rationnel de son amoureux. Morgan faisait partie des amitiés de jeunesse de Jill Macklin, écrivaine, que les aléas de la vie ont griffé cruellement à la suite d'un amour déçu pour un homme timoré, Eliot Somers. Il s'était trompé de partenaire, modifiant sans raison apparente son parcours vital, entre une femme démente et une fille, enseignante à des enfants en bas âge. Femmes et hommes pour qui nous éprouvons des sentiments disparates, on préfère certains récits à d'autres, marchant maladroitement sur la corde hachurée de leurs hésitations, de leurs convictions. De leurs trahisons, l'humour édulcorant les erreurs de la vie. Individus qui miroitent leurs interagissements balisés par des rencontres inopinées, régissant ce qu'il en reste au cours d'années qui s'usent, retrouvant leurs acolytes au seuil de la vieillesse. Les souvenirs sont-ils des certitudes, ébranlés pour mieux survivre ? C'est la question qui se pose en lisant le récit, <i>La petite maison de travers. </i>Texte qui rassemble des êtres ayant le privilège de relater quelque péripétie alors que le temps les a piétinés de ses opprobres, tel Curtis Maye qui est libéré de trente-cinq ans de prison pour le meurtre de Morgan Pettingill. Jour de l'Action de grâce, fête réconciliatrice mais affichant ses difficultés chagrines, comme Len Spark qui doit faire euthanasier sa vieille chienne, Sœur. Mary Somers, fille d'Eliot Somers, a pris l'initiative de préparer un repas, d'inviter Len Spark et Curtis Maye, qui profitera de la générosité matérielle du vieil homme pour accorder un deuxième et dernier souffle à son existence ratée. Fiction chorale qui distille une lumineuse espérance, même si quelques-uns d'entre les protagonistes sont demeurés à l'écart, comme Clarissa Pettingill, octogénaire, mère de Morgan, narratrice sceptique du dernier texte, <i>À la garde de la corneille. </i>Divorcée et veuve de Ramsay Pettingill qui redoutait les araignées. Image restrictive qui étouffait sa vie d'homme à principes. Clarissa pense à se débarrasser de futilités qui encombreront ses héritiers, dont le journal de sa fille Morgan, qu'elle a lu sans véritable surprise. La survie de Clarissa ne dérive-t-elle pas dans un salon funéraire, symbolisant tous ses comparses, éliminant la chair, exposant l'os ?</p><p>À quoi rime d'être jeune et insolent ? Ces dix nouvelles, quelques-unes sont omises ici dont celle éponyme, <i>Dernière heure, </i>n'ont rien changé aux pulsions d'êtres dotés de leurs expériences, comme s'il était nécessaire d'en franchir le cap pour leur insuffler un brin de modération, la jeunesse s'abreuvant d'un vin de jouvence bu à satiété. Ivresse qu'on a dégustée au long de notre lecture, jetant un regard lucide sur nos limites à vouloir agir différemment, on veut mentionner nos actions les plus téméraires ayant été celles d'aimer, de bannir, de riposter contre la raison récalcitrante. Une profonde tendresse émane de ces récits signés de la nouvelliste canadienne K.D. Miller, traduits sobrement, si justement, de l'anglais par l'écrivaine Louise Gaudette. On la remercie d'avoir capté, avec une grande sensibilité, les émotions de femmes et d'hommes traqués par des mésaventures parfois imprévisibles survenues au gré des décennies. Cependant, on regrette que des tableaux d'Alex Colville n'égaient point le livre, le communiqué de presse nous informant de leur importance, clarifiant des situations teintées de gestes et de paroles, d'une profonde solitude encombrant des humains dépris des bienfaits de leur jeunesse démantelée, nous révélant le poids de jeunes années instables, leurs sons tonitruants...<br /></p><p><br /></p><p><i>Dernière heure, </i>K.D. Miller</p><p>Traduction de l'anglais par Louise Gaudette <br /></p><p>Éditions de la Pleine Lune, Lachine, 2021, 340 pages<br /></p><p><br /></p><div class="blogger-post-footer">Dominique Blondeau - dominblondeau@yahoo.fr</div>Unknownnoreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-1698701740091907736.post-42273623352105228062022-02-07T07:17:00.002-05:002022-02-07T07:17:26.252-05:00Se confiner pour mesurer notre résilience *** 1/2<p></p><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/a/AVvXsEgxyCX7lmmaB_Hfo8s6Yp92fFuQkjluFNE0_G6f_J0JFzEkDDyuQgtRmRch1Q4p7SE29kYxwqturTHTguhOKIn1c2G3RBy-R6_BeWJVuF37EQdFfylvh4Da-e4YWdz8pkBug5-ciY-U5qOfLPwppz2NG9c6f4iOqS_GhFlmfoAqvZ5NrQcazgB22_pH=s360" imageanchor="1" style="clear: right; float: right; margin-bottom: 1em; margin-left: 1em;"><img border="0" data-original-height="360" data-original-width="235" height="320" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/a/AVvXsEgxyCX7lmmaB_Hfo8s6Yp92fFuQkjluFNE0_G6f_J0JFzEkDDyuQgtRmRch1Q4p7SE29kYxwqturTHTguhOKIn1c2G3RBy-R6_BeWJVuF37EQdFfylvh4Da-e4YWdz8pkBug5-ciY-U5qOfLPwppz2NG9c6f4iOqS_GhFlmfoAqvZ5NrQcazgB22_pH=s320" width="209" /></a></div><br />Nous sommes au cœur de l'hiver, néfaste à notre moral plus que tout événement désagréable qu'on pourrait nous annoncer. On est peut-être bêtement négative, comme chaque fois qu'on refuse d'écouter des raisonnements modérés concernant la bénéfique beauté que la saison blanche nous offre silencieusement. Il est vrai que notre regard, absent, se pointe déjà vers le printemps. On parle du numéro 148 de <i>La revue XYZ de la nouvelle.</i><p></p><p>On ne pouvait mieux faire que lire des textes nous affranchissant d'un phénomène social auquel nous<i> </i>n'étions pas préparés. Aujourd'hui, le sommes-nous vraiment et davantage ? Qui résisterait à l'inconfortable dilemme, celui d'être enfermé chez soi, de devoir surveiller ses comportements dès que nos pieds nous portent à l'extérieur ? Ce que nous propose Marie-Claude Lapalme et Bertrand Bergeron, tous deux nous présentant dix auteurs-es qui supportent, ont supporté, les affres du confinement, thème symbolique que nous vivons au présent depuis plus de deux ans. </p><p>En même temps que l'interrogation se pose, on est entrée dans la maison de Christine Comeau, <i>Vivarium, </i>qui, aux dires de l'auteure, s'est transformée en une immense forêt étouffante, nous invitant à suivre son personnage à l'extérieur d'un monde dont nous devinons la teneur. Récit habile qui nous entraîne à poursuivre notre lecture vers le périple de nouvelles déroutantes, magnifiquement expressives, sensitives. L'écrivaine n'écrit-elle pas que « la porte a disparu » ? On pénètre dans un intérieur, il y en a plusieurs, où survit un couple qui s'isole chacun dans une pièce, elle, ayant été diagnostiquée positive au virus. Que restera-t-il d'eux, l'un s'emprisonnant dans la méfiance néfaste de l'autre ? <i>Fièvre, </i>signée Mikella Nicol<i>. </i>Sorte de tête-à-tête qu'utilise la narratrice de Véronique Grenier, quand elle s'enferme dans son logement, se parlant à elle-même, ayant pour témoin sa vieille voisine, vivotant de l'autre côté du mur qui les sépare. C'est le dehors qui va les faire se connaitre, les deux ayant besoin de gestes et de paroles. Comme quoi l'extérieur de nos murs, ceux en plâtre, ceux s'érigeant dans notre tête pour des raisons qui n'en sont pas toujours, s'avèrent porteurs de conciliation envers les autres. Une touchante fiction qui n'en est pas tout à fait une. </p><p>On tourne les pages, on va plus loin dans l'anxiété, dans un autre intérieur, celui de Mattia Scarpulla, qui nous révèle ce qu'est une dépression en temps de pandémie. La fragilité d'une femme qui, au regard incisif, supporte mal les réactions de son mari, recoupant la nouvelle troublante de Mikella Nicol. La vie à deux serait-elle défavorable lors d'une catastrophe, indépendante de ce que nous sommes ? Sensibilité exacerbée par une situation anormale, cette anormalité se combinant aux sentiments qui, édulcorés par l'usure, se fragilisent au point de désirer, provoquer la disparition de son partenaire. Sommes-nous des assassins assoupis que déclenche un fait inhabituel ? <i>Le sourire de George Clooney. </i>Pour nous rassurer moindrement, la narratrice d'Esther Laforce, <i>Mad World, </i>évoque l'importance de l'amitié, la nécessité d'en prendre soin quand l'occasion se présente. La veille de Noël suscite des petits miracles qu'il est nécessaire de protéger de nos erreurs involontaires. </p><p>Cependant, de ce recueil tellement humain, deux fictions nous ont particulièrement touchée. Les réminiscences de la narratrice du texte de Chantal Fortier, <i>Perdre le Nord. </i>Et la belle humeur de la nouvelle de Joanie Lemieux, <i>Malades, amoureux, fous. </i>Mélancolie de la première, qui, chaque fois qu'elle sort de son logement, évoque avec poésie son séjour professionnel dans le Grand Nord, au point que le présent et le passé se confondent, le paysage citadin se mêlant à une « immense plaine glacée » qui fait se rebeller la narratrice en introduisant des images d'un passé qui emplit sa tête. Se divertissant avec deux anecdotes qui la détournent d'un funeste dessein. Fin tonitruante amoindrissant ses intentions mortifères qui peuplent la nuit... De son côté, Joanie Lemieux imagine une pandémie d'amour. Une femme rejoint chez lui un homme qu'elle a autrefois profondément aimé, alors que les conditions sanitaires obligent les gens à rester chez eux, au risque de se contaminer les uns les autres. Inévitablement, la narratrice et son ancien amoureux vont se heurter à des restrictions personnelles... Clin d'œil ironique à la maladie actuelle qui sépare certaines personnes au lieu de les rassembler, cette fiction audacieuse s'imprégnant d'une bienfaisante résolution. </p><p>La rubrique " Thème libre " nous réserve trois heureuses surprises. Les nouvelles très différentes mais combien talentueuses de trois écrivains qui donnent libre cours à leur imagination fertile, soumettent des protagonistes à des conjonctures humanistes auxquelles ils avaient échappé. Un dialogue mi-figue mi-raisin entre un homme rangé dans son confort avec un sans-abri, révolté des injustices sociales. Une jeune femme qui se crée des prétextes pour ne pas rendre visite à sa grand-mère. Et l'étrange disparition d'une professeure qui, dans une école, donne des cours à minuit. Textes respectivement signés Antoine Dion-Ortega, Valérie Provost, Philippe St-Germain. " À rebours " nous fait faire la connaissance de la nouvelliste américaine, Grace Paley, qui prend chair et os sous la plume volubile de Jean-François Chassey, alors qu'il analyse l'œuvre de l'écrivaine, nous donne l'envie furieuse de la lire.</p><p>Un cent-quarante-huitième numéro de la Revue XYZ que nous ouvrons et arpentons sans hésitation. On a signalé plusieurs textes, essayant d'allécher le lecteur, la lectrice, ne citant pas tous les récits qui composent ce recueil, préférant laisser le plaisir de la découverte à qui aime tourner les pages. Les nouvelles ayant peu de route chronologique, nous partageons au hasard des récits, l'anxiété, la détresse d'hommes et de femmes en proie à un événement majeur en ce début d'année, qui nous met à l'épreuve de nous-mêmes, dont on se demande quelle en sera la conclusion...</p><p><br /></p><p><i>La Revue XYZ de la nouvelle, </i>numéro 148</p><p>Piloté par Marie-Claude Lapalme et Bertrand Bergeron</p><p>Montréal, 2021, 104 pages<br /></p><p><i> </i><br /></p><div class="blogger-post-footer">Dominique Blondeau - dominblondeau@yahoo.fr</div>Unknownnoreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-1698701740091907736.post-52118045878289179102022-01-31T07:31:00.002-05:002022-01-31T07:31:51.747-05:00Là où il est question d'âmes *** 1/2<p></p><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/a/AVvXsEgF91XxuxKFaVniHNKBcMgZZFyT4fMHN_0K7_F4zSngVTbVTle87BKrwMP3HD0oygC11_1KaHnkJ7JrFfFdVMHpnEcWiN4n-b_3TIAGdu2Ywp0VMR-i6GHQVeN1tzipaejXAflG_6byPXANqqT1GOGNRR6GhNz85qMYDwIXo-NaqOexbZynrnCpkNJS=s1986" imageanchor="1" style="clear: right; float: right; margin-bottom: 1em; margin-left: 1em;"><img border="0" data-original-height="1986" data-original-width="1400" height="320" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/a/AVvXsEgF91XxuxKFaVniHNKBcMgZZFyT4fMHN_0K7_F4zSngVTbVTle87BKrwMP3HD0oygC11_1KaHnkJ7JrFfFdVMHpnEcWiN4n-b_3TIAGdu2Ywp0VMR-i6GHQVeN1tzipaejXAflG_6byPXANqqT1GOGNRR6GhNz85qMYDwIXo-NaqOexbZynrnCpkNJS=s320" width="226" /></a></div><br />Il y a des livres qui, après lecture, nous ébranlent. D'autres nous font sourire de bien-être. Des premiers on en sort fatiguée, des seconds on s'interroge sur la nécessité de les commenter. Brève réflexion pour mentionner qu'aucune histoire ne nous laisse indifférente. Cependant, on a éprouvé de la colère après avoir refermé une centaine de pages qui n'apportaient rien à la littérature, ni à nous-même. On parle du roman d'André Frappier, <i>Kerguelen. </i><p></p><p>Après avoir terminé la lecture de ce roman, on en est sortie rassérénée, malgré un récit où la vie et la mort se chevauchent, donnant la parole à quatre protagonistes, qui se sont blessés mutuellement. Il est vrai qu'on venait de lire une histoire complexe où le sort de l'être humain s'avérait désespérant. Peu de lumière à l'horizon, contrairement à ce roman où les agissements de trois hommes et d'une femme ont transcendé la normalité de leur bref passage sur la terre ferme. Et ce n'est pas une architecture non linéaire qui a influencé ce qu'on avance. Les quatre, aux prises avec leur amour exacerbé, enclos de limites humaines qu'ils acceptent mal. La mort, ou plutôt sa résurrection, les réconciliera, magnifiant un passé inhabituel mentionné dans un temps ordinaire, des années plus tard. C'est l'éloignement qui les réunira, leurs âmes pour le moment assoupies, leur corps, enveloppe charnelle encombrante<i>. </i>Entre fiction et réalité, les immenses montagnes dépeintes par l'écrivain existent bien, les alpinistes professionnels y défient leur courage, ils les affrontent non pour en vaincre le sommet mais pour se mesurer à une nature rébarbative qui leur apprend l'humilité. Ce jour-là, Ariel, fils de Patrice, qui fut un passionné, opposé farouchement à toute injustice, répand les cendres de son père sur les pentes du K2, massif du Karakoram, au Pakistan. Durant ce trajet périlleux, Ariel, paléontologue, se souviendra de Patrice, alpiniste, médecin, qui l'a abandonné, lui et son frère, leur mère, pour partir à la conquête du monde, visant les montagnes et le désert. Se désintéressant d'une femme qu'il aimera intensément, trop épris de liberté. Alexandra qu'Ariel retrouvera, suivant un indice de son père, au Casino Taj Mahal, à Atlanta City. Ils tomberont dans les bras l'un de l'autre avant de se révéler arrimés à Patrice, l'un étant le fils, l'autre, l'amante. Alexandra, célèbre violoncelliste, a elle aussi abandonné mari et enfant quand par hasard, après un concert, Patrice lui proposera de partir avec lui. N'importe où. Contingence qui les amènera à prendre en considération les mal-nantis de ce monde, Patrice construisant des cliniques, Alexandra improvisant des concerts. Depuis ce temps, narré par Ariel, la musicienne est morte, assassinée par des terroristes, à Zamboanga, ville phare de l'île de Mindanao, aux Philippines. Son fils, Guillaume, devenu violoniste, se remémorera son enfance loin de cette femme idéaliste. Plus tard, quand les deux, Ariel et Guillaume, auront fait la paix avec eux-mêmes, et leur partenaire affectif, père et mère, ils entreprendront de réunir les âmes de Patrice et d'Alexandra durant un long périple, à bord du voilier d'Ariel, le <i>Kerguelen, </i>qui se dirige vers le port de Mindelo, au Cap Vert.</p><p>Les voix des quatre protagonistes s'entremêlent, Ariel et Guillaume se penchent sur le comportement inexplicable d'êtres qu'ils ont aimés désespérément, Patrice et Alexandra explicitant les raisons essentielles de leur abandon. Ces deux derniers étant morts, Ariel et Guillaume les transcendent, déifiant ce père et cette mère qui vivaient en marge de la société conventionnelle, leur profession les isolant dans un monde singulier où musiciens et alpinistes font bande à part. Ce qui se ressent dans leur histoire édifiante, cette nécessité de se retrouver dans des lieux et conditions extrêmes. Plus nous pénétrons dans leur aventure insensée, plus un profond détachement les habite, représenté surtout par Patrice qui traversera le désert de Gobi, au mépris de la chaleur inhumaine, de l'absence de puits d'eau, d'un nulle part qui se dresse devant lui. Alexandra, de son côté, avertie de son ingérence dans une école de Mindanao, poursuit son périple périlleux. Pour elle, la musique n'a qu'un sens, celui de la transmettre à des enfants démunis, valeur intrinsèque qu'elle paiera de sa vie. </p><p>L'écrivain André Frappier met ses connaissances de la montagne à contribution. Quelques-unes de ses marginalités, comme l'éducation des enfants. La voix paisible d'Ariel nous avise des cheminements entêtés de son père, de son indomptable indépendance quand il s'agit d'affronter des contrées vierges, de s'attacher à des hommes pourvus du même idéal que lui. Sa peine incommensurable quand l'un de ses compagnons de cordée sera emporté par une avalanche dans l'Himalaya. Des pages admirables dépeignent l'amour excessif d'un homme et d'une femme, voulant échapper à l'usure des sentiments, empreints de trop de quotidien. Le parcours d'Ariel, se souvenant de celui de son père, nous fait côtoyer des gens hors du commun, de ce qu'il est possible d'atteindre dans la grandeur des paysages, le regard peu habitué à de telles démesures qui semblent ramener l'être humain à sa petitesse pour mieux l'endiguer au paroxysme de ses possibilités. Patrice et Alexandra, l'un sur les parois du K2, l'une dans les profondeurs du lac Baïkal, poursuivront leur route cahotée vers la Terre d'Adélie, jusqu'à ce que leurs âmes reprennent une certaine consistance pour les réunir enfin dans la dernière étape de leur voyage maritime. </p><p>Récit onirique comme nous en lisons rarement dans la littérature actuelle. On a savouré le questionnement d'Ariel, paléontologue, qui s'interroge sur les bouleversements qui ont décimé la planète de ses dinosaures, les ont peut-être pétrifiés sous l'effet d'une immense masse de sable charriée par un vent titanesque, il y a soixante-cinq millions d'années. Ces interrogations servent-elles d'alibis pour nous faire part de l'obsédant désir de liberté de Patrice qu'il ressentait devant tout attachement, et dont il se serait servi pour rechercher Ariel, faisant de son fils le but obsessionnel de sa traversée du désert de Gobi ? Roman lyrique, enrubanné d'idéalisme, bardé de balbutiements passionnels, d'épanchements autres que des paroles. Récit symphonique comme le sous-titre André Frappier, tel un orchestre se met en place, délaissant la cacophonie des voix instrumentales pour transiter vers l'union inespérée d'âmes conjointes, qui auraient pu se perdre dans une incompréhension aveugle quand elles étaient emprisonnées dans un corps périssable...</p><p><br /></p><p><i>Kerguelen, </i>André Frappier</p><p>Éditions Les 3 Colonnes, Paris, 2021, 206 pages<br /></p><div class="blogger-post-footer">Dominique Blondeau - dominblondeau@yahoo.fr</div>Unknownnoreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-1698701740091907736.post-1770661949056832982022-01-24T07:14:00.001-05:002022-01-24T07:14:41.733-05:00Une ville portuaire concentrée dans sa bulle *** 1/2<p></p><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/a/AVvXsEi_dLkspideWldwl9MvT-C7mOob1kErIhWtc2Eb3NPi2Ef5DXiIFJy0labEYpXkKnD70BOiYhPiD3qK-CJcO-gcL_YYZePxh7RWPAIKX2QtKs72XEVIFwLLITnji2wqh9PCrYqsbFV-dIN2mslmzNFVbw646hoaSDLVmGofxKM6PMve-mefFYu-el1G=s324" imageanchor="1" style="clear: right; float: right; margin-bottom: 1em; margin-left: 1em;"><img border="0" data-original-height="324" data-original-width="200" height="320" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/a/AVvXsEi_dLkspideWldwl9MvT-C7mOob1kErIhWtc2Eb3NPi2Ef5DXiIFJy0labEYpXkKnD70BOiYhPiD3qK-CJcO-gcL_YYZePxh7RWPAIKX2QtKs72XEVIFwLLITnji2wqh9PCrYqsbFV-dIN2mslmzNFVbw646hoaSDLVmGofxKM6PMve-mefFYu-el1G=s320" width="198" /></a></div><br />Que de deuils en cette fin d'année. Des humains que nous connaissions de loin, d'autres qui sont passés brièvement dans notre existence la démarquant de quelques gestes, de quelques paroles. Et que dire des hommes, femmes et enfants, qui tombent dans l'anonymat de guerres fomentées d'un idéal douteux, reléguant toute humanité dans un sac sans fond où s'entredévorent des serpents haineux ? On parle du roman de Marie-Françoise Taggart, <i>Elizabethville.</i><p></p><p>En tout, même dans certaines villes, petites ou grandes, se dessine le revers de leur médaille, qui se manifeste sous des aspects innocents pour mieux appâter le chaland. Il suffirait de gratter la première couche de sédiments, nous y trouverions des moisissures dévorant des lieux portuaires jusqu'à l'os. Faut-il passer outre ou mettre au jour les causes de ce pourrissement ? Comportement oscillatoire qui s'est longtemps pratiqué dans la capitale d'Elizabethville, au nord de l'île du New Shetland, où vit une population paisible, encaquée dans une paix de l'esprit qu'il ne faut surtout pas chambarder. Vie rangée, esprits étroits, regards déployés sur les autres, certains prenant le risque de piétiner les plates-bandes du voisinage, représenté par quelques protagonistes qui se croient à l'abri de turpitudes squelettiques envasées au fond de la mer. Ou derrière des portes fermées à double tour. Mais au risque de bousculer l'apparent endormissement des insulaires, surgira de presque nulle part un diplomate, Maurice Orage, émissaire représentatif du ministère des Affaires étrangères d'Ottawa, qui doit retrouver une professeure disparue depuis bientôt trois semaines, Élizabeth de Vimy. Démis de ses fonctions pour avoir échoué à une mission au Pakistan, Maurice Orage affrontera l'île et ses habitants, trainant sur son dos douloureux ses remises en question lors de son mandat en plein désert. Peu à peu, telle l'enquête qu'il mène, il se remémore les dangers qu'il a encourus, ayant défié les ordres de ses supérieurs. </p><p>Entre les chapitres, se greffe une voix masculine, cohérente et menaçante, alors qu'en filigrane se présentent des humains requis pour nous mettre sur des pistes insoupçonnables, comme Mike qui entretient le jardin du couple de Vimy. C'est derrière les rideaux de leur voisine, Gail Pimberton, que nous aurons droit à un portrait sans complaisance de l'homme qui s'occupe, poétiquement, de rosiers qui le passionnent. Attardé mentalement, souligne cette femme médisante. Vivant sur une péniche, Mike jouera un rôle déterminant au long de l'enquête, s'illusionnant peu sur ses employeurs. Dans le jardin, il fera une macabre découverte qui le fera fuir, délaissant ses outils sur le terrain. Plus tard, sans le savoir, il sauvera la vie d'une jeune femme handicapée à qui il a offert un fauteuil roulant électrique d'occasion, son propriétaire étant décédé. De son côté, l'aventure menée par Maurice Orage renforce ses doutes quant au sort réservé à Élizabeth de Vimy lorsqu'il rencontrera ses parents, des gens qui camouflent un mystère dans leur immense demeure, élevant le fils de trois ans de leur fille, monoparentale, droguée, fugueuse, aux dires du père. Après avoir sillonné toutes les possibilités d'une enquête irrésolue, le diplomate comprend mal les causes de cette recherche sans but, qui lui seront révélées par le ministre de l'île, en même temps qu'Orage lui fera part d'un drame qui a été étouffé depuis des années, lui apprenant que la disparue tenait un journal contenant des faits troublants sur son compte. </p><p>Enquête sur une femme devenue une île elle-même, ce morceau de terre privilégiée se creusant de souterrains où se mussent de jeunes autochtones, parias de cette société léchée par un apparent bien-être, lequel s'effritera grâce à la persévérance humaniste de Maurice Orage, devenu malgré lui, l'ami et confident d'une jeune femme paraplégique qui, à chacune de leurs rencontres, l'informe de faits répugnants ternissant la bourgade, révélations qui mettront son existence en péril quand elle sera repérée par un meurtrier psychopathe. Intuitif, le diplomate se souvient alors de sa mission ratée au Pakistan, réalise qu'il se retrouve dans une situation identique, responsable d'une personne qu'il a mise en danger. Il réagira à temps, secouant l'inertie aveugle des responsables qui gouvernent l'île, tels le maire et sa suite, manifestement sous l'emprise des Hells Angels. </p><p>Si les bons et les méchants entrent dans la catégorie qui leur est due, il est indéniable que ce roman fascinant sous bien des aspects, essaimé d'inventivité et d'une écriture élégante et soignée, dénonce des assassinats physiques et mentaux qui existent ailleurs que sur une île aux parterres fleuris de rosiers. Les propos funestes d'un jardinier qui, au moment voulu, se révélera un homme surprenant, loin du demeuré fuyant une compromettante trouvaille. Tout le roman est ainsi, enveloppé de superpositions efficaces, de silences vénéneux, cristallisant des êtres et des événements qui, grâce à l'honnêteté morale de quelques-uns seront disséqués au grand jour. Qu'est devenue Élizabeth de Vimy, toujours introuvable ? Sert-elle d'alibi pour mettre en relief les agissements meurtriers d'un psychopathe, la disparition interlope de femmes autochtones ? L'intrigue se conclut d'une manière alléchante sous le soleil de l'île, à la limite d'une fin chorale qui nous rassure sur le sort inattendu du ministre, de celui, équivoque, du maire. Des projets de Mike, jardinier jusqu'à la pointe de ses desseins florissants... Loin de l'île, une autre histoire se trame, le retour au bercail de Maurice Orage, accompagné de son amie paraplégique, réservant peut-être une suite à ce palpitant roman, faveur qu'on demande à l'écrivaine, Marie-Françoise Taggart, sans aucune hésitation. L'histoire humaine se prévalant de multiples ressources quand il s'agit d'en creuser les failles, de les transformer en une fable imaginaire pour le plaisir immense de faire la connaissance d'êtres semblables à nous-mêmes, livrés à leur propre destin duquel nous ne pouvons rien...</p><p><br /></p><p><i>Elizabethville, </i>Marie-Françoise Taggart</p><p>Les Éditions Mains libres, Montréal, 2021, 287 pages<br /></p><p><br /></p><div class="blogger-post-footer">Dominique Blondeau - dominblondeau@yahoo.fr</div>Unknownnoreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-1698701740091907736.post-78489193523289802052022-01-17T07:14:00.001-05:002022-01-17T07:14:13.048-05:00Un présent alourdi des colères du passé *** <p></p><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/a/AVvXsEgByHLdNOGk4ZWcf0iMUqeIFo1QPxbYzAUYiAIiAAeYs6QElXN6JoffPJG3bDzuFARW1ZMpalRs65qdIdKXGj4k7RE6q1PJLvnqBkWa72PaFxeC7YUS3RnlO4tFyY1hiNy0-lzVZEtH1pFkLHtoETBoe4wePEkLU64_8DY1t_p6ts_yPYuD1uj4kSV4=s550" imageanchor="1" style="clear: right; float: right; margin-bottom: 1em; margin-left: 1em;"><img border="0" data-original-height="550" data-original-width="373" height="320" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/a/AVvXsEgByHLdNOGk4ZWcf0iMUqeIFo1QPxbYzAUYiAIiAAeYs6QElXN6JoffPJG3bDzuFARW1ZMpalRs65qdIdKXGj4k7RE6q1PJLvnqBkWa72PaFxeC7YUS3RnlO4tFyY1hiNy0-lzVZEtH1pFkLHtoETBoe4wePEkLU64_8DY1t_p6ts_yPYuD1uj4kSV4=s320" width="217" /></a></div><br />On profite des derniers sursauts passionnés qui nous restent à vivre. On ne se leurre pas, notre passé se fragmente, tel un puzzle bousculé par une main distraite. Le présent demeure entier, composé d'un semblant d'avenir, l'un et l'autre appesantis de nos incertitudes réunies en une étrange histoire. Histoire humaine qu'on emportera sous la terre ou dans les flammes. Propos lus ce matin, qui nous laissent perplexe. On commente le roman de Michaël Carlier, <i>Arides.</i><p></p><p>Après notre lecture, on s'est interrogée sur le genre que représentait ce livre. Roman, conte, fable ? On a opté pour le conte, qui permet de se hisser hors du temps, en des lieux immémoriaux, comme si le premier nous rappelait que tout finit par se rejoindre, le deuxième, évoquant le souvenir flou de villages, désertés de sa population de laquelle n'existent plus que quelques traces, autant dire des ruines. Ce qu'on a éprouvé en refermant l'objet de papier, la dissolution fracassée d'hommes et de femmes qui se sont exprimés à l'intérieur d'une histoire presque volatile. Un homme, Daniel/Dan, se prépare pour aller travailler quand sa femme, Roselyne, lui montre un paquet qu'il a reçu par la poste. Elle aussi part travailler pendant que Dan ouvre l'enveloppe. C'est un recueil de poésie de son fils Élias, qu'il a abandonné à l'âge de quatre ans à la suite d'une liaison éphémère. Dan n'en pouvait plus de sa vie avec la mère de l'enfant, qu'il jugeait monotone. Lâchement il a fui, comme il s'enfuira en voiture après vingt ans de vie commune avec Roselyne. À la suite d'un accident, il se retrouvera dans une contrée quasiment désertique, marchant jusqu'à un bistrot où il pense trouver du secours. Il n'obtiendra qu'un silence incompréhensible de la part des quelques clients. L'un d'eux, Hubert, le conduira vers le village qu'il cherche, lieu de ses origines, mentionné vaguement par son père, agonisant. Qui ne lui a jamais révélé d'où il venait, qui était sa famille. Dan a vécu avec ce mystère jusqu'à son âge actuel, la jeune cinquantaine. À un moment donné, le conducteur l'informe qu'il ne va pas plus loin, le fait descendre et le laisse en plan, entouré de terres poussiéreuses, à la merci d'un soleil accablant. Il marchera longtemps avant d'atteindre un magasin général tenu par une vieille femme misérable, Simone. Après quelques échanges disgracieux, épuisé, il dormira dans une chambre condamnée à préserver un passé peu rassurant. Sur un mur, se trouve une photo ancienne : Théodore et Émeline, « des prénoms d'un autre temps ». Pour nous introduire plus avant dans le récit, l'auteur nous informe de la naissance d'une petite fille, Élina, née une vingtaine d'années plus tôt. Elle vit avec ses parents et son grand-père une enfance privilégiée. Proche de la nature, elle leur raconte le discours qu'elle échange avec la rivière et les arbres. Ce qui les inquiète un peu. Plus tard, nous saurons que les mots l'assaillent, qu'elle a un don, hérité de son grand-père et de son père. </p><p>Pendant ce temps, Dan n'arrivera nulle part, continuant son périple désespéré, tournant en rond dans son obscur passé et sur lui-même. Manière d'entrer dans l'histoire d'une famille qui commence avec le grand-père Théodore, patriarche autoritaire venu nous ne savons d'où, avec sa jeune épouse Émeline. Il apportera l'abondance au village, fera reverdir les terres en jachère, embauchera des villageois qu'il mènera rudement. De ce couple, naitront deux fils, Gustave et Édouard, différents, presque opposés quand sonnera l'heure tragique de rendre des comptes. Théodore meurt, les villageois qui ont établi un rapport amour-haine avec lui et sa famille se posent bien des questions sur l'avenir de la ferme. En parallèle, Dan arrive au village, rempli de ses illusions qu'il devra mettre en veilleuse. On le laisse à son onirisme pour faire mieux connaissance avec Élina, vingt ans, qui exacerbe le désir de Hubert, amante occasionnelle de Frank, homme à tout faire. Elle habite une petite maison dont plus tard nous connaitrons l'origine, tout dans cette histoire étant une affaire de commencement et de fin, ce qui crée un étrange suspense intemporel. Cette nuit-là, Élina ne dort pas, des voix subconscientes la submergent. Allongée sur la terre sèche, elle se perd en incantations adressées à un être ou aux nuages, nous ne savons trop. Elle se remémore quelques scènes de son enfance avant la mort de son grand-père Gustave qui avait repris la ferme, ce que ne souhaitait pas Théodore, préférant son fils Édouard. Rivalité entre les deux frères qui, sans aller plus avant dans le récit, nous convaincra d'un drame, qui se serait passé des décennies plus tôt. Au présent, dans cette contrée aride, nous ne ressentons que la fracture haineuse d'hommes et de femmes en proie à des rêves irréalisables, leur personnalité empêtrée de situations qu'ils n'ont pas assumées, chacune et chacun souhaitant, par une magique espérance, remettre le village sur les rails de l'abondance. Au loin, se profile Dan qui attend son heure pour se présenter aux villageois. Élina et Frank entretiennent des rapports de force qu'ils confondent avec l'amour, Élina persuadée qu'un étranger viendra pour elle... La vieille Simone, qui fut jadis éprise follement de l'un des deux frères. Passion à laquelle Théodore mettra fin sans état d'âme autre que celui de son autorité implacable sur la famille et sur ses biens. </p><p>Tous ces êtres, certains innommés, ne sont que l'ombre d'eux-mêmes, pétris de haine et de violence les uns envers les autres. Histoire familiale bâtie autour d'une maison que deux femmes se disputent, mais dont les fondations, écrasées sous des brèches humaines, ne sont plus que des résidus d'existences grugées par des sentiments contraires à la réconciliation. Encore moins enclins à une harmonieuse entente, les villageois ayant saisi les colères de cette famille déchirée par elle-même. Ce ne sont que des fuites qui prennent allure d'apaisement, basées sur un héritage personnel, celui d'une convention improbable. On dirait que l'inertie accablante du village alimente durement le comportement nocif des protagonistes, toujours dressés sur leurs ergots vengeurs. Et ce n'est pas d'évoquer des temps meilleurs qui vont rapprocher ces hommes et ces femmes, porteurs de leur propre défaite, pétris de leurs ressentiments. Élina, héritière d'un don familial, celui de gouverner les éléments naturels, ne saura profiter de ce privilège, ne songeant qu'à l'étranger, entrevu dans les collines, qui est venu la chercher, croit-elle. Ce dont on doute, l'auteur le décrivant peu conciliant avec autrui, seule la survie lui accordera quelque indulgence envers la jeunesse désemparée d'Élina.</p><p>Premier roman complexe, Michaël Carlier a dépeint des tragédies qui se déroulaient autrefois dans des villages repliés sur leur silence, sur la monotonie des jours qui se déroulent sans que rien n'arrive pour les distraire. L'imagination a plein terrain vierge pour se créer des histoires bancales, quelques langues vipérines les enveloppant de douteuses alarmes. Hors du temps, comme on l'a mentionné, hors de propos équitables, pour ne pas dire charitables quand une catastrophe se nourrit de diaboliques préjugés. Ce qu'on avance ne sont que suppositions, on s'est sentie loin de ces hommes et de ces femmes qui ne distillent que des tricheries, s'empoisonnent eux-mêmes de leurs dissensions, ne songeant pas à les adoucir de quelques transcendantes paroles, ce qui ne manquait pas à la jeune Élina, les paroles, affirmant qu'elle en était submergée quand elle parlait en parfaite harmonie avec la rivière et les arbres... </p><p><br /></p><p><i>Arides, </i>Mickaël Carlier</p><p>Annika Parance Éditeur, Montréal, 2021, 304 pages<br /></p><p><i> </i><br /></p><div class="blogger-post-footer">Dominique Blondeau - dominblondeau@yahoo.fr</div>Unknownnoreply@blogger.com1tag:blogger.com,1999:blog-1698701740091907736.post-67773110293847032302022-01-10T07:09:00.002-05:002022-01-10T07:09:19.070-05:00Influences d'une pierre sur une poignée d'humains ****<p></p><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/a/AVvXsEhoWCcN354WGG-RqigO--ftPSdfQXOb4wrjiKvu5Swj4XM4AA24WBUwTtQMIgtJW1agqccnxOEdkXEoNaeJyxjVPKFJEniKnvH_uc4_bSwzGsXSdzspvTPoSfi0_-T8AKj8DDlSmUgAqkQ1T9PBPWqzq0NHeh0gcRO4X9cKSoo_SlnGHc94Udg6VPPV=s300" imageanchor="1" style="clear: right; float: right; margin-bottom: 1em; margin-left: 1em;"><img border="0" data-original-height="300" data-original-width="200" height="300" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/a/AVvXsEhoWCcN354WGG-RqigO--ftPSdfQXOb4wrjiKvu5Swj4XM4AA24WBUwTtQMIgtJW1agqccnxOEdkXEoNaeJyxjVPKFJEniKnvH_uc4_bSwzGsXSdzspvTPoSfi0_-T8AKj8DDlSmUgAqkQ1T9PBPWqzq0NHeh0gcRO4X9cKSoo_SlnGHc94Udg6VPPV" width="200" /></a></div><br />Il a suffi que deux écrivaines renommées soient fauchées par la mort, dont l'une subite, pour que tremblent sur leurs bases, les raisons de chroniquer des livres. Moment de solitude, de fragilité, mettant à mal les convictions de celles et de ceux qui émettent des opinions dans l'intime liberté d'un blogue. Il est bon de se poser sur la terre ferme pour mesurer à quel point nos doutes ont plus de force que nos certitudes, même si elles sont peu nombreuses. On commente le roman de Mario Pelletier, <i>La pierre de Satan.</i><p></p><p>S'il est vrai qu'une pierre fine, ici un camée, et même plusieurs, détermine la vie d'une poignée d'humains qui manipulent cette pierre semi-précieuse à leur guise, les déboires de deux familles québécoises rivales, les Bolduc et les D'Anjou, fertilisent l'imagination et le savoir d'un écrivain dont l'écriture, fluctuante, coule de source. On n'en a jamais fini de lire ce roman dense, à la recherche de plusieurs détails qui nous ont échappé, l'ensemble du récit nous catapultant dans une histoire menée tambour battant. À partir du XIXe siècle, sur deux continents, vaguant au gré d'événements qui imposent leur rythme et leur surprenante finalité, grandissent ou amoindrissent des hommes et des femmes selon la dualité qui les oppose, détail qu'on a relevé, la gémellité se ramifiant tout au long de cette fable. C'est Loïc Bolduc qui confirmera ce qu'on avance. Né douloureusement d'une mère morte en couches, il sera adopté par l'un des frères marié de la défunte. Fait troublant, un deuxième fœtus mort-né, enterré avec la mère, hantera Loïc, tel le fantôme harcelant d'un membre amputé s'active insidieusement. Le camée convoité, qui se serait égaré ou aurait été détruit dans le fracas mortifère des tours du World Trade Center, elles aussi jumelles, ne possède-t-il pas un double confirmé par Régis D'Anjou, ex-dominicain, petit-cousin et ami de Loïc Bolduc ? Sur ce dernier repose la fable, donnant la parole non seulement à des humains mais aussi à un corps décharné, qui ont gravé leurs marques indélébiles sur des créatures souvent frustrées, terriblement calculatrices. Peu recommandables. Et dans quel maelström vertigineux sombreront ceux et celles qui briguent la pierre expulsée du cercueil du fondateur de Touladi, Élie D'Anjou qui, œuvre du diable, réapparait lors d'un tremblement de terre. C'est là la grandeur du roman, cet entêtement à découvrir d'où vient cette pierre nébuleuse à travers la vie tumultueuse d'un témoin fortuit. Comme si cette gemme qui, sans cesse, se dérobe, ou sème un désordre consternant, se défendait contre l'avidité et la bassesse de ses exploiteurs. Sans oublier les jumeaux Charles et Louis de Castelmont qui, plus tard, entreront en scène, scellant la fin explosive de cette étourdissante intrigue. </p><p>N'essaimant que quelques indices, spectatrice de cette fable fascinante mais complexe, c'est révéler la teneur impressionnante du récit. Si le temps qui passe se dissout entre les mains de Loïc Bolduc, il trame en lui ses failles et sa volonté morale, acquises à force d'opiniâtreté. Ses incertitudes quant à la réalité du camée qui, malgré lui, voyage, témoigne de la cupidité de ceux qui l'emprisonnent dans des carcans ostentatoires. Comme dans les ruines du WTC, chez un brocanteur véreux de Cuba, inévitablement dans un coffre-fort familial. Miroir fatal où chacun et chacune se mire dans ses reflets justiciers, précisant des traits autrement flous. Nous sommes entrainés d'un siècle à un autre, d'un lieu à un autre, là où des événements, tous circonstanciels, sont narrés par la voix d'un homme qui, sensibilisé par son étrange destinée, ne songe qu'à faire la lumière, nous sommes envahis d'ombre, sur la pierre qui lui échappe alors qu'il est prêt à la classer parmi sa famille adoptée. Loïc Bolduc, traducteur, journaliste, ne s'est jamais remis de sa gémellité ratée. De la révélation d'une sœur rattachée au cadavre de leur jeune mère. Il la recherchera dans de multiples sensations, dans une intense amitié avec Régis d'Anjou, lors d'une passion épuisante pour une femme rencontrée dans un bar. Ne perdant jamais le camée de vue, il s'interroge sur bien des points obscurs divisant les deux familles : la mari de sa cousine Isabelle, Roger Bolduc, disparu dans les décombres du WTC, ne possédait-il pas le camée avec lui ? Quelles étaient les origines du fondateur du village de Touladi, Élie D'Anjou ? Nouveau-né, il fut retrouvé dans les bras d'une mulâtresse, morte dans la neige après une énigmatique attaque du domaine où elle était servante. Incident significatif pour la suite de la fable. Recueilli par des religieuses, elles trouveront, épinglé aux langes de l'enfant, un camée dont elles ne s'expliquent pas la venue. Sur des bases aussi peu vraisemblables, Loïc Bolduc, guidé par l'écrivain, nous fera traverser le temps, clignant de l'œil sur une éventuelle indépendance du Québec, secondant son cousin, Régis D'Anjou, conseiller du premier ministre en place. L'une des voix, telle une cloche discordante, qui se fera entendre par l'entremise du narrateur, celle de la Grébiche, sorcière du village, comme il en existe souvent dans les lieux ruraux. Autrefois, « belle et aguichante », elle a prédit que la pierre était maléfique, qu'elle porterait malheur à qui oserait la convoiter. Femme qui, à mesure que nous entrons dans le vif du sujet, se fera connaitre, mystérieuse confidente du Fondateur à son chevet de mort. Ébauche d'individus qui ne trahit en rien la nécessité d'en savoir davantage.<br /></p><p>Plus qu'un roman, c'est une fresque dont le bas-relief représente la concupiscence dans laquelle se vautre une minorité d'individus qui s'agitent dans de volcaniques agissements. Beaucoup de haine les uns pour les autres, beaucoup de désespoir, de remords, attisent les protagonistes, les éloignent, les rapprochent, les entremêlent, comme si la pierre avait éveillé les pires démons au fond de leur conscience malléable, souvent à la merci de situations hors de la normalité de leur existence, plutôt banale, convenue. Désenchantement dû à la vieillesse, amours passionnelles, déboires politiques, pauvreté de pays encore sous tutelle, tant d'autres situations grinçantes que dépeint la plume habile et dynamique de l'écrivain Mario Pelletier. Mais aussi une intense curiosité le menant à des lendemains moroses, on devrait écrire toxiques, jusqu'à ne plus savoir faire la part du bonheur et du malheur, pris que nous sommes, et lui-même, dans l'amoralité de nos comportements. Endiablement du monde, prédit l'historien qu'est aussi l'écrivain, on ne sait trop puisque se relève constamment une poignée d'hommes et de femmes qui souhaitent ne plus réinventer la roue...</p><p>Roman touffu, digressif, pour la bonne marche de la fiction, pour que s'épuise jusqu'à plus soif le repentir de certains, pour que jaillisse l'humilité chez d'autres, dont ils ignorent la puissance et la force. Le temps que Loïc Dubuc assume sa part de dualité pour faire de lui un homme responsable, contemplant sans faillir la misère physique et mentale de ses semblables. Il n'empêche que le crime, sous toutes ses formes, exaspère le raisonnement limpide de quelques-uns, comme s'il était déjà tard pour bâtir une vie, ce qu'il en reste, essayer d'arrondir les angles trop aigus de la corruption. Seule, la mort solutionne des aspects invisibles du mal de vivre, tels que ressentis par Loïc Bolduc qui ne trouve pas sa place en son monde, partagé qu'il est entre des êtres manipulateurs, qui se déchirent... Entre-deux qu'il ne soudera que d'un souhait, la destruction du camée, quand un incendie ravagera la propriété de l'un des deux frères ennemis, Charles et Louis de Castelmont. Curieuse fin ouverte qui présage la possibilité que la pierre renaisse de ses cendres ignées, diaboliques. Fiction semblable à un objet d'art contemporain, Mario Pelletier excellant dans sa déconstruction, il nous invite à lire son œuvre, la restructurant au gré essoufflant de notre lecture. L'histoire de Loïc Bolduc, et l'intrusion révélatrice du camée, ne commence-t-elle pas sur un songe télépathique, qui pourrait transcender des bienfaits qu'ignorent des êtres aveuglés par leur cupidité ?<br /></p><p><br /></p><p><i>La pierre de Satan, </i>Mario Pelletier</p><p>Éditions Les heures bleues, Montréal, 2021, 472 pages<br /></p><p><i> </i><br /></p><div class="blogger-post-footer">Dominique Blondeau - dominblondeau@yahoo.fr</div>Unknownnoreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-1698701740091907736.post-60079236220287963282022-01-03T07:15:00.001-05:002022-01-03T07:15:11.437-05:00Des hommes que ni le bien ni le mal ne rebutent *** 1/2<p> </p><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/a/AVvXsEj0kBKjjALTIqNAtB3mqXLWpA0LQKbczXhWBHvYaNcj_MNK7D4yxXqXJBGufxilFBhxOhGRos5nSg_f-weZ1A7xckJMjqBaK6klp0bTjbrNy1OupI1k7xHHmLRXxhzOm7CcblCn-6e0dLeOvgYJPXoP40DRzdyhtyPs_6je330D8nI7NctEZ9aftQpy=s300" imageanchor="1" style="clear: right; float: right; margin-bottom: 1em; margin-left: 1em;"><img border="0" data-original-height="300" data-original-width="200" height="300" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/a/AVvXsEj0kBKjjALTIqNAtB3mqXLWpA0LQKbczXhWBHvYaNcj_MNK7D4yxXqXJBGufxilFBhxOhGRos5nSg_f-weZ1A7xckJMjqBaK6klp0bTjbrNy1OupI1k7xHHmLRXxhzOm7CcblCn-6e0dLeOvgYJPXoP40DRzdyhtyPs_6je330D8nI7NctEZ9aftQpy" width="200" /></a></div><br />On a passé plus d'une heure au téléphone avec une compagnie spécialisée en réparations de boites vocales. On se rend compte qu'on ne fait aucun effort pour se prêter à la bienveillance de la personne qui, à l'autre bout, parvient à nous sortir d'une désagréable impasse. On a toujours été ainsi, réfractaire aux attraits électroniques qui, en bonne marche, gouvernent notre existence quotidienne. On a lu le roman de André Jacques, <i>Les gouffres du Karst. <br /></i><p></p><p>C'est un sans-abri, mussé derrière un conteneur, qui assiste de loin à un meurtre. Il appelle le 9-1-1 et l'histoire commence. Orchestrée par ce troublant détail, l'occasion est belle pour faire la connaissance du major retraité de l'armée canadienne, Alexandre Jobin, taciturne et secret, un brin alcoolique. De sa compagne, Chrysanthy Orowitzn, originaire de Slovaquie. De Pavie, jeune femme imprévisible à la main justicière, et d'autres qui gravitent par nécessité autour de l'antiquaire et amateur d'art. Son magasin est tenu par Isabelle Bédard, présente dans une aventure antérieure, assisté du vieux Sam Wronski, ancien propriétaire des lieux, tous deux complices inconditionnels d'Alexandre Jobin. L'homme qui a été tué est l'un de ses amis, autrefois lieutenant dans l'armée canadienne. Jobin sera convoqué par le Service canadien du renseignement de sécurité pour poursuivre l'enquête. Depuis quelque temps, une recrudescence d'armes a été remarquée dans l'ensemble du Canada, sans connaitre leur provenance. C'est sur ce dossier épineux que travaillait l'ami de Jobin, Ian Fitzgerald. La filière remonte jusqu'aux Balkans, des rumeurs circulent à propos d'exilés bosniaques ou croates, de la mafia italienne, de gangs de rue. Dont pour certains le point de ralliement se situe dans un bistrot sur Van Horne, Le Zadar. Jobin connaissant les horreurs de la guerre des Balkans, il n'hésitera pas, à son corps défendant, à prendre les choses en main, lui qui a déjà fait preuve de son talent de fin limier dans des aventures qu'on n'a pas encore lues...<br /></p><p>Thriller dans lequel les principaux acteurs voyagent, filent entre les mains des responsables du SPVM, eux aussi chargés de l'enquête. Ce qui met hors de lui le lieutenant-détective Lucien Latendresse, qui tient Alexandre Jobin en haute estime. Malgré le drame qui se joue, le comportement du détective est parfois cocasse, Jobin menant la vie dure à son collègue. De Montréal jusqu'en Croatie en passant par l'Italie, des hommes rivaux des uns des autres trament sur leur chemin sanguinaire des situations qui feront des victimes, toujours innocentes, qui échapperont aux bonnes intentions de Jobin qui tient à venger la mort de son collègue Ian Fitzgerald mais aussi celle de sa femme, morte officiellement d'un cancer foudroyant. C'est le général Dragomir Broz, responsable d'un réseau criminel qui sera visé en priorité. Il demeure en Croatie, intouchable malgré les soupçons pesant sur l'ampleur de son organisation aux douteuses apparences. Retraité dans sa villa sur l'île de Krk, il s'est recyclé dans le transport et le tourisme, considéré comme un héros de la guerre des Balkans. Histoire touffue mais combien haletante, le rythme galopé nous incite à suivre Alexandre Jobin, sa compagne Chrysanthy, dans leur rôle de justicier et de justicière, sans oublier la mystérieuse Pavie, à la lame affutée quand il s'agit de décider du sort d'individus qu'elle soupçonne de méfaits irréparables. On ne sait trop qui elle est mais on préfère l'entourer de mystère, d'où son charme androgyne. Quand le général et Jobin, implacables ennemis de guerre, se battront à mort dans la clairière au Kratz, Jobin devra la vie sauve à Pavie, bouleversé qu'il est par les réminiscences qui ne cessent de le hanter, sous formes de " failles ", ainsi nommées par l'écrivain André Jacques. Tels des indices qui s'amalgament entre passé et présent, qui assoiffent la tête et le cœur d'un enquêteur exacerbé par la lâcheté mensongère de sbires attirés par plus fort que les risques de leur engagement mortifère. <br /></p><p>Si on ne fait qu'effleurer le sort des bons et des pervers, c'est qu'il serait dommage de dévoiler l'intrigue d'une manière historique et humaine. Parvenue jusqu'à nous sous la plume dynamique d'André Jacques, on accorde à l'écrivain le bénéfice non du doute mais celui d'une évidente certitude : il a l'art de concocter un récit cinématographique, rebondissant d'événements sordides qui nous tiennent en haleine jusqu'à retrouver notre souffle à la dernière page. Les protagonistes, reluqués à la taille de la revanche qu'ils désirent prendre sur le temps assoupi, nous fascinent de leur trop-plein de fatuité, de leur félonie mal contenue. Ou plus compensatoire, certains de leur intégrité. Aucune moralité ne transpire entre les lignes, l'action est là qui sert de psychologie à qui veut en chercher parmi les agissements d'hommes formés en connaissance de cause, les guerres leur servant de tremplin expiatoire irréversible, la haine nourrissant leur insuffisance à ne pas avoir tué davantage. Ce sont les éléments inusités comme un tableau de l'artiste serbe Vladimir Velickovic, planqué parmi les armes, qui servira d'appât, au même titre qu'une machine à tuer. Que devient l'art quand il n'est plus que prétexte à se transformer en couverture ostentatoire, taché de l'odeur de sang et de soufre ? Objet métaphorique, défait de son attrait artistique, qui nous fait nous interroger sur certains êtres occupant le livre, telle Pavie dont le comportement laisse envisager un lourd héritage affectif. Chrysanthy, amoureuse parfois agressive envers son compagnon, se présentant à lui comme une indispensable interprète. Que dire des hommes et des femmes, bons et moins bons, défilant autour d'Alexandre Jobin, lui-même réduit au rôle gluant de l'anguille par ses supérieurs ? Chacun exerce une profession qui doit beaucoup à une double personnalité, dont l'une, fonctionnelle, que l'armée conditionne au bas de son échelle militaire, la vie civile ne pouvant offrir à ces hommes endoctrinés semblable gouvernance. Les cauchemars d'Alexandre Jobin sont comme une métaphore inavouée du comportement rationalisé de ces hommes où peu se devine. Seulement se laisse entrevoir.<br /></p><p>Avec un plaisir jouissif on a lu ce roman policier, qui nous a dépaysée de nos habituelles lectures portées sur l'âme et ses états cassables, parfois usés, évoquant l'image d'un doigt se posant sur la corne d'un escargot, se retirant prestement dans sa coquille. Inversement, cette fiction — en est-elle une ? — nous a révélé des hommes imbus de leur condition humaine, comme le général Broz qui se croit invincible, mais qui assuré de cette conviction trompeuse y laissera sa peau, souillée du sang de crimes impunis. Alexandre Jobin, curieux personnage pénétré d'un mal-être existentiel, mène ce bal de vivants et de morts avec un désenchantement déconcertant, qui nous éloigne de l'image narcissique de James Bond. Anti-héros par excellence, Alexandre Jobin nous est d'autant plus sympathique qu'il nous faut gratter sa couenne bourrue pour y trouver des brins de tendresse éparpillés sous une couche de rudesse qu'il ne réserve qu'aux êtres vils. Ambiance masculine, lecture pour hommes, on ne sait trop, mais de temps à autre cette évasion au sein de mondes interlopes nous remet hâtivement les pieds sur une terre porteuse de multiples dangers. On a apprécié notre incursion touristique, entre bords de mer chatoyants, comme dirait Chrysanthy, flânant sur les plages adriatiques pendant que son amant, rébarbatif à la détente, crie vengeance... </p><p><br /></p><p><i>Les gouffres du Karst, </i>André Jacques</p><p>Éditions Druide, Montréal, 2021, 428 pages<br /></p><p><i> </i><br /></p><div class="blogger-post-footer">Dominique Blondeau - dominblondeau@yahoo.fr</div>Unknownnoreply@blogger.com0