Certaines pages de Facebook s'avèrent édifiantes. Nous y lisons des commentaires dignes d'une foire aux vanités. Épanchements larmoyants sur soi. Petites trahisons causées par de présumés-es pervers-es narcissiques. Ego plus dilaté que la grenouille de la fable. Les valeurs — quel terme éculé ! — des apostrophés-es réduites à néant, celles des moralisateurs étant idéales, le prêchi-prêcha est sauf ! On a lu le dernier livre de Hélène Custeau, L'air du temps.
Cela se passe au Saguenay-Lac-Saint-Jean dans les années cinquante et soixante. Une femme d'un âge certain se remémore sa grand-mère, prétexte à remonter le cours de sa jeunesse. La magie opère. Entre cinq et seize ans, Clara se dessine, narre ses révoltes à l'époque des religieuses dirigeant les pensionnats, l'époque où les garçons étaient plus intelligents que les filles ! Ses parents sont un calque d'une société réprimée par l'Église et un État complices, qui entretiennent un climat étouffant d'asservissement. Clara a une sœur aînée, parfait modèle d'obéissance à la mère et au père, ce que la petite fille réprouve, essayant de combattre la monotonie méthodique avec des armes faites à sa mesure. Deux jeunes frères éduqués pour devenir des hommes qui ne pleurent pas. Chaque jour, Clara conteste la sévérité âpre de son père, la soumission de sa mère. Fillette lucide, intelligente, elle a d'autres projets que celui de se marier, d'être mère de famille. Chaque petit exploit remporté la fait grandir un peu plus. Elle observe sans complaisance les adultes d'alors. Marginale, elle l'est, bien que sa curiosité enfantine se heurtât à des incompréhensions que son jeune âge l'empêche de résoudre. À l'école, elle doit faire face à un enseignement périmé — lectures prohibées entre autres —, menacée qu'elle est par les portes de l'enfer qui risquent de s'ouvrir devant elle. Il lui arrive d'échapper à la vigilance des adultes, ce qui nous vaut de la part de Hélène Custeau, des descriptions pittoresques du village, de ses habitants. Clara et sa famille résident dans une « ville ouvrière », leur maison se terre « au fond d'un cul de sac » où un « régiment d'épinettes noires montait la garde tout autour [...] ». Ainsi, jusqu'à ses seize ans, Clara négociera avec des êtres bornés son désir d'émancipation, celui, légitime, de satisfaire ses illusions d'adolescente. Ses rébellions la nourrissent, fortifient ses indignations contre un père infidèle, une mère prisonnière d'un présent peu enviable. Clara oscille entre mépris et compassion envers cette femme qui attend, la nuit, le retour de son mari. Elle voudrait lui crier de s'enfuir mais où se réfugier avec quatre enfants, sans ressources financières ?
Des fragments de la jeune existence de Clara nous ont touchée plus que d'autres, comme il se doit dans ce genre de livre que, étonnamment, l'éditeur classe dans les romans... Le secret ou les premières menstruations de Clara, survenues à l'école pendant le cours de monsieur Langelier, professeur de mathématiques. Mortifiée et déçue, elle conclut qu'elle ne pouvait échapper au temps, « ce temps impitoyable qui venait de me voler mon enfance. » Un tableau touchant titré Love Me Tender. Brève fugue de Clara qui s'ennuie à l'église. Dans l'autobus qui fait le tour du village, à un arrêt, elle aperçoit une Mustang rouge stationnée de l'autre côté de la rue. À l'intérieur, elle reconnaît Pauline, son ancienne gardienne, que son père entoure de ses bras. Elvis Presley chante Love Me Tender. Clara a douze ans. Plus tard, elle défiera son géniteur pour aller à Toronto étudier l'anglais puis entrer à l'université. Ce qu'elle réussira au moment où les collèges classiques se convertissent en cégeps. Sur cette victoire du libéralisme, le spectre de la fillette Clara disparaît, faisant place à la vieille dame qu'elle est devenue, qui s'extasie sur les fenêtres de sa vie...
Sans aucune hésitation, on a participé aux luttes de Clara, desservie par un physique ingrat, qui portait « des fonds de bouteille » ; « ronde », elle ne correspondait pas aux standards de beauté des petites filles de son âge. Sa force et sa beauté sont ailleurs, ce qu'elle ignore encore, trop occupée qu'elle est à cerner le monde qui l'entoure, à se glisser, à la faveur de la nuit, dans l'intimité familiale des villageois, prenant plaisir à leur inventer une vie. Grâce à ce subterfuge imaginaire, n'échafaudait-elle pas un avenir difficile à atteindre, ses élans se limitant aux exigences d'une société que, seule et sans appui, elle ne pouvait remettre en question ? Le temps a joué en la faveur de Clara, de toutes les fillettes insoumises de sa génération.
À lire, pour profiter d'un voyage temporel à une époque marquante du Québec. Celle de la Révolution tranquille affranchissant la province francophone des contraintes étatiques et religieuses. À travers le regard scrutateur de Clara, Hélène Custeau dépeint magistralement les tableaux d'une jeunesse révolue. Son amour pour les mots et pour sa liberté chèrement acquise l'a conduite à arpenter une vie où les rivières, les vraies et celles fictives, l'ont menée à suivre leur cours lorsqu'elle ne reconnaissait plus son chemin. Heureuse initiative qui l'a menée aussi vers des lecteurs et lectrices assidus.
L'air du temps, Hélène Custeau
Les Éditions De Courberon, Saint-Patrice-de-Beaurivage, 2013, 186 pages
Je trouve aussi que les éditeurs étiquettent les livres romans au lieu de récits ou pire romans historiques au lieu de chroniques d'époque ou tout simplement roman puisqu'il est évident que tout écrit est situé dans le temps.
RépondreSupprimerL'air du temps m'intéresse puisque j'ai connu aussi la fin des collèges classiques.
Merci ClaudeL.
RépondreSupprimerLe livre de Hélène Custeau devrait se situer dans le genre Récits. Ce sont des textes qui identifient tellement bien ce que l'auteure a connu ou vécu durant les années cinquante/soixante. À lire si vous avez connu cette époque, vous allez certainement vous retrouver dans l'attachante petite fille Clara.