S. nous assure qu'en vieillissant, nous découvrons et innovons de moins en moins, nous nous vautrons dans les redondances ternies du passé. Les êtres, les paysages, les arts, les livres. Nous remettons en question nos préférences acquises au cours d'une existence, sans nous préoccuper de notre parcours évolutif et du temps qui a froissé ce que, plus jeunes, nous admirions ou aimions. Nous prenons plus de risques à tout redécouvrir qu'à découvrir ce qui en aurait valu la peine des décennies plus tôt. On commente le roman de Pierre Gariépy, Tam-Tam.
D'emblée, Valérie nous assaille. Témoigne de sa grave maladie génétique, la fibrose kystique, et de l'amour inconditionnel que lui porte son père. Pour que sa fille, tout juste quinze ans, puisse respirer, rejeter des sécrétions qui l'étouffent, il la tape, la « tam-tam » matin et soir. Une indéfectible relation affectueuse s'est instaurée entre eux. Le père craint que Valérie meurt, il s'avère son ultime bouée de sauvetage. La mère depuis longtemps a pris « les jambes à son cou », laissant son mari et leur fille se débrouiller seuls. En attente d'une greffe de poumons « presque neufs », la jeune fille ne se lasse pas des histoires que lui raconte son père, lieutenant-détective, la dernière non résolue étant celle de P'tit Pierre, ami-frère de l'enfance du père, parti chercher de la crème glacée alors qu'ensemble, désirant tâter de l'archéologie, ils creusaient des trous « sous tous les balcons du voisinage, en espérant trouver des momies, des ossements, des trésors. » Avant de relater cette fable, Valérie a reçu de nouveaux poumons, un cœur en prime, la transplantation s'est bien déroulée. Elle est prête à enquêter sur la mystérieuse disparition de P'tit Pierre.
L'histoire, le lecteur la connaîtra, courte et intense, commencement et fin comme il se doit, sauf qu'avec Pierre Gariépy, nous ne devons jamais opter pour la linéarité d'un récit. Bien que Valérie continuât à narrer, elle n'est plus de ce monde, elle surveille son père qui a fait une tentative de suicide, désespéré de la mort de son enfant, ne pouvant se résoudre à organiser un avenir qui ne serait plus que de la survie. C'est là où la fiction fait un détour inattendu, nous entraînant sur une piste fantastique, surnaturelle. Que Valérie observe du haut de son paradis, « drôle de mélange de tout et de rien », qu'elle partage agréablement avec Donatien, marquis bien connu... Une psychologue, Sabine Candide, intervient subitement dans l'existence contusionnée du père. C'est une Haïtienne, ardente, charnelle, « panthère noire » qui envoûtera son patient. Valérie mettra tout en œuvre pour revenir sur terre, recourant au vaudou, aux poupées plantées d'épingles, à toutes les astuces possibles pour que son père reprenne ses esprits. Elle ira même jusqu'à faire disparaître le chat de Sabine. Le duel mental entre la psychologue et la jeune morte-vivante est jubilatoire, le père-amant ne comprenant pas grand-chose aux intentions jalouses de sa compagne et de sa fille. Cela finira-t-il, Gariépy ne cessant de prendre le lecteur en otage, l'obligeant presque à entrer dans son jeu terrestre et céleste ? On le suit à la trace, comme on l'a fait dans ses précédents romans, ne doutant pas de la cohérence de son propos lorsqu'il met en branle des protagonistes surgis de son imaginaire excentrique.
Peu importe que cette histoire soit plausible ou qu'elle ait allure de conte irrationnel, aucune morale agaçante ne parcourt ces pages souvent dérangeantes. Nous percevons la tendresse d'un homme envers sa fille, celle-ci morte injustement à l'âge fragile de la puberté, ses agissements s'avérant encore enfantins lorsqu'elle dispute cet homme à une femme séduisante, ce qu'elle n'a pas eu le temps de devenir. Ce qui la trouble, la déchéance de son corps nidoreux quand elle devra abandonner son père à son amoureuse. À son chat qu'elle a recomposé, tels les morceaux éparpillés d'un puzzle.
Il faut beaucoup de talent, de pudeur et de sensibilité pour aborder un sujet aussi délicat et cruel, la maladie incurable d'une adolescente, la tourner en dérision tout en la nourrissant de sentiments humains, profondément ancrés dans la crainte angoissante d'un homme redoutant de ne plus pouvoir se consoler. Pour clore ce merveilleux récit parfois intemporel, nous dirions que Sabine Candide et Donatien, divin marquis, ont su réparer, sinon guérir, corps, cœurs et âmes, d'un père qui devait retrouver sa fille amoindrie pour mieux l'oublier dans des bras sensuels. D'une fille-zombie qui devait entrer dans une autre dimension, abandonnée à elle-même. Et puis, ses yeux à elle, qui ne voient plus rien, ne voient-ils pas Donatien qui s'impatiente ?
Tam-Tam, Pierre Gariépy
XYZ éditeur, Montréal, 2016, 98 pages
Beaucoup de difficulté avec les oeuvres de fiction où il est question de maladies, de vieillissement et même de mort. Peu importe le traitement.
RépondreSupprimerDéjà que dans la vie, je dois écouter, compatir, vivre...
Je passe donc mon tour pour cette oeuvre-ci.
Merci quand même d'être venue me saluer. Bon courage à vous, Claude. Sur ma page,j'ai partagé quelque chose de plus joyeux...
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