Lui nous dit : " C'est comme un rêve... " Il arrive qu'un événement improbable surgisse, à portée de mains, éloigné de ce que nous sommes. Plus tard, quand des mois ou des années ont passé, il nous semble avoir traversé un rêve où une part de soi ne nous appartiendra plus jamais. On a connu cet état de songe, on a du mal à croire que cela, ce songe, ait été lui. On commente les nouvelles de Donald Alarie, Le hasard des rencontres.
Ce que nous dit l'écrivain dans son dernier opus, c'est que les anecdotes qui composent une existence ne contiennent presque rien, que des banalités propres à chacun et chacune. De l'enfance à la mort, des instants, comme saisis au hasard, informent le lecteur qu'une vie, sujette à des rencontres légitimes, peut être à la mesure de notre réalité, celle qui nous ouvre plus ou moins les yeux sur notre condition humaine. Nous pouvons nous aveugler ou nous bercer d'illusions, le temps se déroule, fragile et tatillon, sous la plume de Donald Alarie. Aucune certitude quand l'enfant naît, commence à marcher, la petite fille se regardant dans un miroir, le petit garçon oscillant entre l'envolée d'un ballon et ses mains posées maladroitement sur le clavier d'un piano. Il y a aussi l'enfant qui astreint ses parents à ses caprices, ignore les foulées tragiques de son destin. Fille et garçon façonnent une vie asexuée, les jeux demeurant le rose et le bleu de leur identité aléatoire. À treize ans, se dessinent des imprévus angoissants : elle, les premières règles, une fugue sans suite, silencieuse. Lui, au même âge, sa blondeur illumine une photo, il songe à la sévérité de son père pendant une partie de balle-molle... Nous sortons de l'adolescence faillible, nous abordons la vie à deux, celle d'avant et d'après, toutes sortes de tremblotements nous assurent que mère et fils, mari et femme, sont cernés par le poids du passé. Mais aussi par un amour qu'il est impossible de renier, quoiqu'il arrive. Si des personnes âgées se soumettent à la mort qui, impudique, désagrège la moindre image d'une présence aimée, des femmes et des hommes espèrent une relation harmonieuse avec un partenaire jusque-là " visible ", pour paraphraser Jorge Luis Borges...
Le livre se compose de quatre-vingt microfictions, étrangement libellées nouvelles... On préfère écouter les murmures susurrés de l'écrivain, observer les sourires des yeux et des lèvres, que d'imaginer des situations fictives, soutirées d'un sédiment retors de la mémoire. L'écrivain s'avère un homme aussi pointilleux que l'est son frère d'écriture, Patrick Modiano, qu'on n'a pas manqué de citer lors de nos pérégrinations dans l'univers de Donald Alarie. On déteste comparer. On mentionne des exemples notés au cours de notre lecture ; dans ce genre de récits, inévitablement, des préférences s'imposent. La fenêtre éclairée, Relire Camus, Je ne sais rien faire d'autre, Fins de mois. Ne rien faire. D'autres encore. Ces courtes fictions s'imprègnent d'une subtile intelligence, d'une discrétion balbutiante, d'une délicatesse de ton, que seule une plume poétique expérimentée alimente. De nos jours où la littérature se vautre dans la superficialité d'émotions, dans l'inappétence de sensations, d'une profane sexualité, il est apaisant de se reposer sur les rives d'un fleuve de mots signifiants, vieux comme le monde.
Vie et mort se côtoient et si la mort l'emporte, elle a ce petit quelque chose serein qui éloigne le tragique, celui-ci se pliant aux intentions d'un auteur qui a la sagesse de dépeindre des personnages — le sont-ils ? — pour qui la vie est une longue démarche vers des promesses intrépides plutôt que vers des certitudes piégées...
À lire au compte-gouttes avant d'entrer dans un automne flamboyant, puis méditer sur les arbres qui se dépouillent aussi intensément que l'être humain à sa dernière heure. Cette dernière heure que les Grecs anciens préconisaient comme étant le jugement irréversible, à la fin de toute existence. Ainsi le livre de Donald Alarie s'inscrit dans la continuité d'une œuvre magistrale en demi-teinte, qui nous révélera encore bien des surprises, à harmoniser parmi nos bonheurs de lecture...
Le hasard des rencontres, Donald Alarie
Éditions de la Pleine Lune, Lachine, 2016, 178 pages
Je lis toujours tes blogs, Dominique.
RépondreSupprimerTu contribues grandement à me «brancher» sur la littérature d'ici.
Claude
Merci Claude. Profitez-en, la retraite s'en vient...
SupprimerQuel excellent et invitant billet à désirer se procurer ce recueil. Il me le faut. Merci Dominique.
RépondreSupprimerÀ lire absolument Suzanne. C'est la vie vue par un grand écrivain...
SupprimerUne fois de plus, curiosité piquée. Auteur inconnu pour moi dont vous dites qu'il est grand. Vais donc vérifier par moi-même.
RépondreSupprimerEh bien! J'aurais pu connaitre, il a gagné le prix Jean-Béraud-Molson un an après mon père! Mais il a écrit beaucoup plus de fictions que lui. Quel titre me suggérez-vous? Un roman si possible, pas très friande des nouvelles.
RépondreSupprimerJe ne donne pas ce genre de conseil. Ce qui est valable pour une personne ne l'est pas obligatoirement pour une autre. Merci quand même de votre confiance en mon jugement...
SupprimerÉtant,seulement,un des lecteurs de vos critiques littéraires,je tiens á te remercier sincèrement pources lumières.
RépondreSupprimermerci Abd Sea. Je suis certaine que ces lumières sauront inspirer l'une de vos lectures.
Supprimer