On a lu ceci sur un mur de la ville : " Qui ne sait plus rêver mérite de mourir ". Terrifiant graffiti zigzagué en jaune et noir sur fond apocalyptique. La plupart des graffeurs étant jeunes, que de désespoir minait cet artiste pour en arriver à écrire cette réflexion sans appel. On commente le roman de Denis Thériault, La fiancée du facteur.
On connaissait cet écrivain par ouï-dire, bien qu'on sache que de nombreux prix littéraires ont couronné son œuvre. Son premier roman, L'iguane, a été honoré tant sur le sol québécois que sous les cieux de nombreux pays étrangers. Le jeune facteur timide parcourant son dernier ouvrage duquel on parle aujourd'hui, s'est déjà manifesté dans une précédente aventure, lauréat lui aussi d'un prix littéraire prestigieux.
On entre dans l'histoire et dans le bistrot où travaille Tania Schumpf. Serveuse, elle a vingt-trois ans. D'origine bavaroise, elle est censée faire des études universitaires à Montréal. Après avoir largué un amoureux qui ne lui plaisait plus, elle n'est pas retournée dans son pays, elle a posé provisoirement ses bagages pour venir à bout d'un nouvel amour, qui n'est autre que le facteur Bilodo. Tous les jours, il vient dîner, calligraphier, écrire des haïkus sur le comptoir. Il ne tient pas compte de Tania, ni de ses collègues du tri du centre postal, bruyants, intempestifs. Son comportement atypique finit par intriguer Tania qui, pour attirer son attention, apprend l'art du haïku. Le premier qu'elle composera sera pour le facteur qui, impressionné, lui rendra la pareille. Comme toute personne amoureuse, Tania interprète à son avantage les vers que lui écrit Bilodo, jusqu'au jour où elle devra se rendre à l'évidence : le jeune homme aime une autre femme, une Guadeloupéenne, à qui il expédie ses haïkus.
Avant que Tania en arrive à cette constatation décevante, bien des avatars auront abouti. Il y aura le suicide de Gaston Grandpré, un habitué du bistrot, qui affectera bizarrement Bilodo, un camion qui heurtera le facteur, le laissant pour mort. Après avoir recouvré la vie, grâce à l'opiniâtreté de Tania, il s'éveillera du coma, amnésique. Situation dont profitera la jeune femme pour se faire passer pour sa fiancée. C'est sans compter sur des événements extérieurs qui compliqueront les intentions usurpatrices de Tania. La mort soudaine de Gaston Grandpré sera élucidée, la disparition inattendue de Bilodo parti se réfugier dans le logement de ce dernier, un éventuel voyage à Montréal de Ségolène, la Guadeloupéenne aimée de Bilodo. Des intrigues se noueront pour tragiquement se dénouer, comme s'il était impossible de changer le cours d'une vie sans y laisser la sienne. Les haïkus font office de symboles, de messagers porteurs d'un langage amoureux, parfois sibyllins, tellement évocateurs aux personnes timides. Ces événements qu'on cite sans les développer font preuve du savoir-écrire d'un auteur qui, d'une plume poétique, finement enveloppée d'une sensualité à fleur de peau, démonte une histoire pour mieux la reconstruire. Les rebondissements déboulent sans jamais interrompre la course du temps, happant des protagonistes qui ne peuvent échapper à une destinée qui leur est propre. La mémoire retrouvée de Bilodo s'avère un témoin gênant, responsable d'incidents auxquels bien souvent nous ne pensons pas. Il suffit d'une fragrance citronnée, d'un paysage exotique, d'un visage rêvé, pour que le passé se recompose, essaimé de détails qui, enfin, dénoncent la redoutable emprise de l'imposture. Culpabilité que ressentira Tania avant de tenter de sauver une deuxième fois Bilodo. D'elle, la vie s'échappera tel un sacrifice qu'elle offrira, sans regret, au jeune homme pour qu'il revienne à son point originel. Le serpent s'est mordu la queue, la boucle du temps s'est encordée. La mort peut procéder sans se presser, exercer son pouvoir mortifère. L'orobouros, symbole grec, se déploie ici magistralement.
Roman comme on les aime, englobant mensonges et vérité. Mystère et réalité. La poésie s'ajuste avec un équilibre heureux aux effets réalistes de la narration. L'écrivain enseigne au lecteur qu'une existence peut être ébranlée par des secousses intérieures, fondées sur nos certitudes. Subtilité mutine d'une écriture jouissive, parfois lyrique, comme si Denis Thériault, se reposant loin d'une réalité prosaïque, avait fait place à la force sémillante de l'imagination. Mission très bellement accomplie.
La fiancée du facteur, Denis Thériault
Les Éditions XYZ, Montréal, 2016, 170 pages
Est-ce une sorte de suite de son roman Le facteur émotif?
RépondreSupprimerOUI. Merci...
RépondreSupprimerExcellent billet dame Dominique.
RépondreSupprimerMerci généreuse Suzanne!
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