Des catastrophes naturelles, il y en a de nombreuses. Notre planète se fâche contre les humains qui lui font subir mille offenses. De tout temps, il en a été ainsi. Le déluge préhistorique fut une catastrophe qui changea la surface d'un monde à peine entrevu en cette époque lointaine, dirigé sans pitié, ni compassion, par l'omniprésence d'un dieu hypothétique. On commente le roman de Pierre Cayouette, Les amoureux du jour 2.
Arrivée dix ans plus tôt au Québec, les années quatre-vingt nous étaient un peu opaques, un peu hors de nos préoccupations. Par la suite, on a appris beaucoup de cette décennie, on a encore appris en lisant le dernier roman de Pierre Cayouette, à la fois journaliste et éditeur. On laisse de côté ses différentes occupations intellectuelles. On est là pour mentionner l'apport bénéfique d'une histoire qui nous a particulièrement touchée. Une étonnante humilité habite le cœur du jeune homme qui la narre, comme si être humble allait de soi. Il s'appelle Christian Ladouceur, il a dix-huit ans. Des événements historiques et personnels vont former son caractère qu'il a plutôt naïf, mais combien intègre. Innocent, en quelque sorte. Spectateur passionné du référendum qui bat son plein d'espoir, en mai 1980, il fait part au lecteur d'anecdotes qu'il savoure dans l'épicerie familiale. Observe avec un brin d'humour juvénile les clients qui, chaque jour, viennent s'approvisionner. Il admire René Lévesque, milite dans son sillage, persuadé que le rêve de ce dernier se concrétisera. Le lecteur connait la suite. Christian se souvient d'un infime moment de complicité avec sa mère qui mourra d'un cancer, léguant à son fils non la révolte mais la tolérance et la bonté. Scène émouvante quand la mère se reproche de mourir, laissant son garçon face aux turpitudes de la vie. Des séquences brossées avec une délicatesse désarmante, comme s'il était permis d'espérer l'impossible. Auréolé de sa jeunesse bouillonnante, Christian défie la banalité quotidienne en compagnie de son amoureuse, Geneviève, dépeinte d'une manière intense, toujours caressée d'une écriture en dentelle, à peine effleurée par la plume talentueuse de l'écrivain. Avec Geneviève, violoncelliste, il prendra une décision difficile, celle d'un avortement, leur jeune âge ne leur permettant pas de devenir parents. Toutes les réalités, amour et incertitudes, donc tous les contrastes existentiels, se meuvent autour de Christian qui les assume sur fond musical, comme pour imprégner le lecteur d'une vérité élémentaire : pourquoi se révolter alors que nous ne pouvons rien quand la vie se maquille de ses deux masques, comédie et tragédie ? Mélancolie qui traverse le livre, lui impartit une profondeur jusque dans les moindres accoutumances du quotidien. Que faut-il raconter au juste ? C'est là tout l'intérêt du roman, Pierre Cayouette réussissant à nous emporter non vers des dérives propres aux années vertes, si présentes dans le roman actuel, mais vers des espérances à hauteur d'homme, qui grandira loin des illusions, puisqu'il le faut. Le printemps se pare, en lui et hors de lui, — nous sommes en mai — de teintes pastel qui accentueront leur joliesse, renforçant l'amitié insolite partagée avec Jean, professeur de musique et de français à la retraite. Christian, d'abord réticent à cette amitié, prétextant leur « énorme différence d'âge », se laissera séduire, la bienveillance lucide de son interlocuteur se mettant au diapason des heures effervescentes du jeune homme. Son vieil ami se montre érudit, les grands classiques littéraires québécois n'ont plus de secret pour lui. Homme exceptionnel qui ne pouvait que plaire à ce jeune adulte qui entre timidement dans la vie alors que le vieil homme la quitte sur la pointe douloureuse des pieds.
Tout le livre est ainsi, basé sur la tendresse, décrivant une souffrance acceptée, guidant les uns et les autres au centre parfois tourbillonnant de leur vie conformiste. Comme s'il était indu que des pleurs tracent leurs marques sur des joues lisses ou ridées. Jeunesse et vieillesse se côtoient, la maladie équilibre les joies et les peines démarquant l'existence d'hommes et de femmes qui foulent le tapis mordoré, soit changeant, de péripéties impossibles à éviter. Jean qui a sa vie derrière, s'avère le miroir de Christian qui lui aussi, après la maladie et la mort, devra subir l'échec de son premier amour. Lui-même est atteint cruellement dans sa chair. Aidé de son vieil ami Jean, il s'en remettra, se consacrant à ses semblables âgés, au sport, à la musique. Si tout n'est que séparation, souhaitée ou pas, il faut continuer, le cœur en bandoulière. Cette fiction divisée en deux parties, oscille entre l'endroit et l'envers d'une médaille humaine, celle d'un dynamisme fébrile, teintée de ses habituelles contrefaçons, et celle plus sombre de l'existence, frappée de ses inconvénients, de ses tourments, de son manège de désagréments.
Une part d'ombre et de lumière sillonne ces pages imprégnées d'une saveur poétique à mesure que Christian prend la main du lecteur pour mieux le diriger vers ce qui en vaut la peine. Si la toile de fond s'agite autour du premier référendum, elle n'embrouille jamais la démarche des protagonistes qui vont et viennent, chacun et chacune ne pouvant rien contre les aléas qui influencent leurs actions. L'écrivain, Pierre Cayouette, est un sage qui fuit la violence. Griffer, se rebiffer, s'avèrent des moyens aléatoires pour transcender le moindre élan d'exaltation dont nous avons besoin pour surmonter les crises événementielles qui nous mordent sans crier gare. C'est un roman courageux, nécessaire, que nous offre l'écrivain, porté par le discours de René Lévesque, par la poésie d'Anne Hébert, de Gaston Miron. Et la tendresse, nichée au cœur d'une écriture exécutant ses arpèges, nous convainc que cette vertu, de plus en plus rare et recherchée, existe encore.
Les amoureux du jour 2, Pierre Cayouette
Collection « Écarts »,
Éditions Druide, Montréal, 2018, 136 pages
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