lundi 27 mai 2019

Les sournoiseries du corps et de la mémoire *** 1/2

Plus on vieillit, plus on apprécie le soleil et ses apparats. Sa chaleur qu'on attend depuis le premier jour de l'hiver, refusant de l'oublier tel un amant abandonné à sa piètre destinée. On se laisse envelopper par ses rayons, bras chauds qui, parfois, nous consument pour le bien-être des années qui nous restent à vivre et à aimer. On a lu les nouvelles de Michel Dufour, Cette part d'obscurité. 

Voici un thème rarement exploité dans les recueils de nouvelles actuels. Fait-il peur ou bien la vieillesse nous tient-elle en otages quand nous parvenons à un certain âge, pour ne pas dire un âge certain, sans éprouver la nécessité d'en rajouter davantage ? À défaut de l'aborder avec sagesse, surtout pas avec résignation, l'auteur a usé d'ironie pour nous inciter à vivre loin de ses embarras. Douze récits que nous abordons avec une curiosité indécise. Vieillesse et jeunesse s'y côtoient, établissant une sorte de relief charnel entre le passé et le présent. Comme d'habitude, on ne mentionnera pas la majorité de ces fictions, quelques-unes nous ayant plus touchée que d'autres. Tel un symbole, la première nouvelle, La maladie de Paco Nino, met en action un jeune garçon atteint d'une maladie rare. Il vieillit prématurément dans un corps d'enfant, devant se résoudre à accepter cette anomalie de la nature. Sur Facebook, il publie des photos qui rejoindront une fillette atteinte du même mal intolérable. Elle l'invite à la rencontrer même si elle habite au bout d'un monde. Souhait que réaliseront les parents de Paco, au détriment de ses dernières forces. La fin s'avère celle d'un conte, des papillons jusque-là invisibles, prélude à la mort, atteignent la joue de la fillette, Paco et elle ont écrit une histoire qu'ils doivent terminer en un élan vertigineux. Une aura de surréalisme baigne tous les textes, atténue l'angoisse qui, à la suite d'un incident imprévisible, taraude les protagonistes. Les bonbons-lumière, nouvelle insolite, confirme ce qu'on avance. Les sucreries d'un vieux bonhomme bougon qui tient une petite épicerie, attirent les enfants, surtout Loulou, fillette intrépide, qui ne « manque pas de cran » pour essayer d'amadouer le bonhomme Godbout. Ce jour-là, c'est la cave qui l'intrigue, elle est persuadée que des trésors s'y logent. La suite du conte — c'en est un — est un régal pour l'imagination fertile des enfants, pour les adultes qui croient encore à la transcendance des objets. La fiction Une grosse fringale, nous entraine loin des péripéties rationnelles qui gouvernent sans cesse notre existence. Une histoire de poisson dans un bocal qui sera dévoré par une mère gloutonne, obèse. Son fils adolescent raconte ses faims insatiables à lui, celles de sa mère, tributaire du bien-être social. Un jour où celle-ci s'est absentée, il a voulu nourrir le poisson. La conclusion est rabelaisienne, on en laisse la surprise au lecteur.

Cependant, la lecture se fait plus exigeante. Nous entrons dans les phases douloureuses de la vieillesse, partagée par des femmes et hommes, pour ainsi dire prisonniers de douteuses maisons de retraites. L'ironie devient percutante, comme pour dissimuler le malaise que le lecteur éprouve en scrutant les dernières années de pensionnaires qui, lucides ou déjà égarés, attendent la mort. La fiction traitant du dépouillement mental et physique, Le bel âge vaut son pesant d'or, en dit peu sur le sujet, combien révélateur entre les lignes et les mots. Dans une résidence, les pensionnaires se préparent sans enthousiasme à recevoir la fonctionnaire de la Direction de la protection de la vieillesse. Vérification de routine. Complicité entre la directrice de la résidence et la fonctionnaire. C'est un des retraités qui narre la visite, suspecte en bien des points. D'abord, le ton condescendant de la visiteuse, celui mielleux de la directrice, la nervosité de la préposée du jour. Le titre du recueil justifie les soupçons du vieux narrateur, qui laisse entendre que des « choses » se passent dans ces lieux, qu'il ne révèlera pas. Il se garde « une petite gêne »... Il y a aussi des femmes âgées qui désirent rester dans leur maison pour y mourir. L'une est harcelée par une bru ambitieuse, une autre, affolée par un artefact insolite qui se balade sur une plage. Un ancien nazi, rattrapé par les horreurs qu'il a commises pendant la Deuxième Guerre mondiale. Des hallucinations, sous forme de petits carrosses où des poupées semblent dormir, le dirigeront droit vers la catastrophe. Le dernier récit qui clôt le livre nous a étonnée, bien qu'il contienne tous les ingrédients déversés dans l'ensemble de ces histoires peu communes. Un écrivain âgé veut se venger d'un jeune auteur qui se révèle un imposteur, aux dires du vieil homme. Là encore, l'afflux d'une imagination débordante. Est-il dû à l'écrivain, Michel Dufour, ou au vieil écrivain qui, jamais, ne pardonnera à son jeune pair ? Même le monde céleste où repose le vieil homme n'y pourra rien quand, à son tour, son rival littéraire attitré vieillira. Cette nouvelle a fait jaillir en notre mémoire, l'histoire peu banale de Romain Gary et de son double, Émile Ajar...

Des nouvelles qui nous ont fait vivre moult émotions. Du sourire à la compassion. De l'indignation à l'étonnement. On ose écrire qu'un brin de perversité pimente ces histoires, qui nous a réjouie, accentuant l'effet empoisonné que ressentent ces vieilles personnes s'agitant entre les divers déchirements que fomente l'âge avancé. Décryptant l'inutilité des choses qui ne servent plus à rien, sinon à observer le comportement de ses semblables enfermés avec soi-même, victimes de gens qui, se retirant dans le déni, s'astreignent à croire que la vieillesse est un accident de parcours qui n'arrive qu'aux autres. Déniant de cette manière consciente le travail lent mais impitoyable qui opère sur le corps et dans la mémoire. Miroir infaillible du temps qui s'écoule, qu'a su si bien dépeindre un écrivain perspicace avant que l'accablent les premières griffures sournoises d'un âge caduc.


Cette part d'obscurité, Michel Dufour
Éditions Sémaphore, Montréal, 2019, 85 pages

lundi 20 mai 2019

Quand la peau se fait miroir *** 1/2

On se demande de quoi serait alimenté notre page d'accueil Facebook si n'existaient plus les citations, les recommandations entre faire ceci, ne pas faire cela. La nostalgie du passé avec photos à l'appui. Les produits sponsorisés. Sans oublier les erreurs grammaticales. On commente les nouvelles de Claudine Potvin, Body Scan.

Ces derniers mois, plusieurs écrivaines ont publié des recueils louant le " petit genre ", absolument admirables. On ne citera personne, nos points de vue se retrouvant, éloquents, dans notre blogue. On peut affirmer que les nouvelles de Claudine Potvin ne déparent en rien les écrits de quelques nouvellières qu'on a appréciés. S'inspirant d'une thématique qui est celle de la peau, de la chair, pas toujours à fleur d'épiderme, prétexte à démontrer combien il est dérangeant de faire appel aux sentiments les plus simples, éviter de perdre contenance devant la complexité déroutante de nos attitudes souvent offensées. L'écrivaine creuse à même les thèmes éternels, soulignant que nous ne pouvons pas grand-chose lorsque nous observons tristement la peau se flétrir, tel le plus velouté des pétales de rose. Ceci est mis en place avec la nouvelle intitulée Une peau très sensible. Une jeune femme, Delphine, à la peau délicate, ne supporte pas que des mains la touchent. Évite les drames qui pourraient ternir son épiderme. Jusqu'au jour où apparait une « petite plaque rougeâtre rugueuse sur la tempe droite, entre le coin de l'œil et l'oreille. » Un narrateur, ennuyé, observe les changements de Delphine, ses comportements face à la maladie qui s'étale progressivement sur sa peau, qu'elle ne regarde plus de la même manière, presque narcissique. Ses occupations se rétrécissent, comme si Delphine entrait en elle-même. Habitait l'intérieur de son corps. Ce texte sensoriel donne le ton aux récits qui suivent, l'auteure s'étant fixé une ligne d'écriture sensitive, instinctive, comme Judith aux prises avec l'amour de sa mère, admirant naïvement les seins de celle-ci. Fonction nourricière, érotique, précise l'écrivaine, qui suit pas à pas la rébellion de Judith, qui, devenant adolescente, conçoit « son corps comme une cage ». Très juste définition de l'emprisonnement d'une jeune fille dans son corps effervescent. Judith s'efface en ne mangeant presque plus, bande ses seins pour en ralentir l'inévitable poussée. La mère affiche les siens qu'elle a beaux, ne se préoccupant pas des tourments physiques de sa fille, qui se gomme. La puberté prend possession de Judith, jusqu'à la rupture qu'elle expose à son jeune voisin, « plutôt simple d'esprit. » L'exacerbation occupe tout le texte, empêchant Judith de se détacher d'une mère créée de toutes pièces par une fille admirative, fragile. Battant le rythme sournois de la nouvelle Graffitis du cœur, ce muscle essentiel à la vie devient obsessionnel chez Serge après qu'il a subi un triple pontage. Sa retraite s'avère un cauchemar, passant par les affres du désarroi, de la solitude, avant d'aboutir à la résignation. Ce n'est pas de l'humilité mais la nécessité de se mettre au diapason des subites déchirures du corps, déstabilisant cet homme prétentieux et cynique.

Ailleurs, Suzanne décide d'avoir un enfant, une fille. Le partenaire qu'elle choisit pour en devenir le père, chemine avec elle, un peu dans l'ombre, l'écrivaine préférant créer un clair-obscur sur cet homme. Elle passe, son ventre aussi, par toutes les phases de la joie, de la peur. Les premiers émois, les nausées. Les incertitudes envers sa future  fille, les doutes concernant la beauté de son corps, quand elle aura accouché. Ce qui arrive un soir, à minuit. Après la douleur, le ravissement. Puis l'évidence de certaines corvées auxquelles la nouvelle mère ne peut se soustraire. Le bain, les couches, les mauvaises odeurs, bercer l'enfant, lire des contes. Questionnement théorique de Suzanne sur la maternité. Elle se rassure en se racontant un avenir enchanteur qui aura, finalement, peu de prise sur elle. Retour au travail, aux études, c'est le père qui prend en main le sort de la petite fille. Suzanne s'est inventé cent fois un accouchement qui aurait dû être idéal, loin du corps qui demande autre chose que le réalisme décevant d'une maternité ordinaire. Plus loin, Julie trépigne. Elle a treize ans, traverse sa crise d'adolescence, s'exaltant sur le sang qui coule des incisions qu'elle pratique dans sa chair, fumant des joints avec Chris, son amoureux, qui lui offre un canif. À cet âge vert, Julie ignore encore que l'amour ne dure que le temps d'un caprice. Elle se taillade avec des outils de plus en plus sophistiqués. N'éprouve qu'indifférence envers les adultes, puis se retrouve à l'hôpital à la suite d'un évanouissement. Contemplation des lacérations, elle admet avoir été trop loin. Le temps a passé, Julie a quinze ans, temps nécessaire à l'exploration intime du corps qu'elle traine en nomade sur « le territoire urbain ». Son père, témoin impuissant, alimente ses nécessités, délaissant sa fille en proie à ses démons épidermiques.

Ne pouvant citer toutes ces nouvelles fascinantes autant les unes que les autres, on tourne les pages, constatant le pouvoir du corps sur le mental qui, lui, se contraint à équilibrer les déconvenues impossibles à contourner quand l'enfance fait dos à une adolescence rarement prise en conséquence. Constamment rivée à la brèche du vide, comme la narratrice de la nouvelle Tentation du vide, redoutant un alcoolisme génétique. Comme Marine essayant d'apprivoiser ses vertiges inexplicables. Après moult expériences décevantes, Éric, ami de longue date, lui propose les astuces d'un jeu virtuel. Elle hésite, accepte. Mais la nouvelle qui nous a joliment touchée, se révèle, fragrante, sous le signe printanier du lilas. De suaves bouquets déposés dans un salon. Innocente sensualité. Un mari qui ne tolère pas les effusions du sexe de son épouse. Il lui fait l'amour, elle revoit une couleuvre, qui, enfant, l'a effrayée, a hanté ses jeunes années. Le souvenir de sa grand-mère met en lumière les émanations qui se dégageaient du jardin, symbolisant la décision amère que devra prendre bientôt la narratrice concernant son mari. C'est tendre, rempli de soleil, de senteurs qui se glissent entre les mots, les embellissant, comme nous le faisons parfois pour alléger une douleur envenimée de nos regrets. Plusieurs récits s'imprègnent de l'adolescence mal définie, au point de se dépouiller d'un vieux et ancien corps, de l'abandonner sur le trottoir. Ce qu'affirme la jeune narratrice du texte Un corps sur le trottoir. Souvent les mères s'aveuglent d'elles-mêmes, recourant aux subterfuges de leur jeunesse, ne songeant pas à la transformation radicale de leur progéniture. Se faufile le profil fugitif d'un premier et vague amour, représenté brièvement par un garçon, lui aussi, perturbé par la mue d'un corps dont il ne sait comment se dépêtrer. Notre lecture se termine, émerveillée, sous le signe d'une apparente réconciliation entre Antoine et Suzanne, couple âgé égaré, lui, dans ses derniers retranchements de séduction, elle, entravée dans un début de surdité. Pas de deux, souligne l'écrivaine avec raison, entre les tentations des illusions perdues et le bonheur de se retrouver avec des mots qui, telles les mailles, se tricotent à l'endroit, à l'envers.

Ce recueil, empreint d'une tendresse ineffable, conduit les personnages, souvent jeunes, vers des sources de Jouvence au désir confus, troublées de fines particules liquides, qui ne sont autres que les premiers déboires d'une existence encore mal dégrossie. Comment éviter les ombres puisque le soleil exhibe ses rayons, édulcorant les années d'apprentissage ? L'écriture est d'une force contagieuse, d'une maitrise poétique, toujours précise. Les mots essentiels démontrent, avec une sobriété pudique, que nous pouvons inventer des récits qui tiennent le lecteur en haleine. Thématique éculée que celle de la peau chiffonnée, de la chair en pâmoison, mais ressuscitant leur pouvoir sensuel quand ces deux organes galvaudent sous la plume d'une auteure autant expérimentée, minutieuse, exigeante, que l'est Claudine Potvin. Ceci pour nous réjouir de notre avancée curieuse dans de courtes fictions intelligentes, l'indicible de ce que nous sommes se révélant entre les lignes, dénonçant à peine les ratées que fomente un monde en perpétuel changement.


Body Scan, Claudine Potvin
Lévesque Éditeur, Montréal, 2019, 130 pages

lundi 6 mai 2019

Histoire heureuse d'un mariage visuel *** 1/2

Le corps, cette mécanique complexe qui, grâce à la chirurgie de plus en plus sophistiquée, s'amalgame peu à peu à la robotique. Phénomène inimaginable il y a plusieurs décennies mais préconisé par les maitres de la science-fiction des années quarante et cinquante. Hommes et femmes qui n'hésiteront pas à se laisser mutiler de chair et d'os pour survivre. On en fait partie. On se penche sur les nouvelles de Jean-Paul Beaumier, Que fais-tu là ?

Ces derniers mois, plusieurs écrivaines nous ont comblée de la magnificence de leurs recueils de nouvelles. Murmurées, chuchotées, à peine audibles, on a su interpréter ce qu'elles nous ont confié entre les lignes, entre les pages, d'une fiction à une autre. Fictions empêtrées de leur réalité, ne nous laissant jamais sur notre faim, le genre se suffisant d'éloquences en demi-ton. Lisant les récits de l'écrivain Jean-Paul Beaumier, on a retrouvé les silences, les petits bruits des mots, les phrases habillées des comportements parfois inusités de leurs protagonistes, constamment embarqués sur le qui-vive des émotions qu'il faut savoir gérer même en se taisant. C'est le cas de la première nouvelle titrée On a une bonne génétique, le quotidien empoussiéré de deux femmes âgées dans une maison de retraite. Elles sont sœurs, l'ainée, à la suite d'un AVC, ne parle plus. La plus jeune évoquera des bribes de leur enfance, comme pour se soustraire au quotidien insipide de la vieillesse, représenté par les repas substantiels à la salle à diner, par les jeux organisés, répétitifs, raisons suffisantes d'avouer que toutes deux s'ennuient dans cette antichambre de la mort. L'origine du monde — quel titre symboliquement évocateur ! — nous décrit l'angoisse d'une femme enceinte de son premier enfant, après dix ans d'attente. Le monologue avec sa future fille s'avère une histoire de tendresse et d'appréhension, souhaitant être délivrée le plus tôt possible de cet enfant inespéré. La future mère court au-devant d'une existence à bâtir à coups de gestes anodins et familiers. De nous deux, c'était lui le plus fort. Derrière ses airs pacifiques, enfantins, se révèle la trahison amoureuse d'un frère envers son frère. L'enfance, comme pour alléger le drame, se repait dans l'innocence des jeux, sous l'œil attendri de la mère et du père. En quelques lignes, bien souvent suggérées, le lecteur devient le confident d'un fait accompli des années plus tôt, duquel ne reste qu'une sensation d'étouffement imagée par deux mains qui serrent un cou. Simulacre de vengeance ou maladresse agacée par un jeu un peu brusque ?

Se dégage de ces textes, qu'on ne peut mentionner les uns après les autres parce que nombreux, un sentiment d'inaccomplissement volontaire où les protagonistes ne sont que de passage, nous interpellant à mi-voix, souvent en retrait d'événements qui ont déterminé leur destin, ne s'en plaignant pas, confirmant au lecteur que rien ne découle de soi ni des autres, telle la route droite le laisse présager. Se dessine une bifurcation qui, parfois, se révèle meurtrière. Corps et mémoire blessés mortellement. Bête à bon Dieu se prête à l'incident inoffensif. Un psychologue reçoit dans son cabinet une nouvelle cliente. Sur la main de celle-ci se promène une coccinelle. Le narrateur, observant l'insecte, est fasciné par les longs doigts de la femme, par le bandeau scindant le front. Puis, il se rend compte qu'une peluche, appartenant à sa fille, occupe le fauteuil où a pris place sa cliente. Peu à peu, il apprendra que la sœur de cette dernière aimait elle aussi les peluches. Une coccinelle posée sur le rebord d'une fenêtre, la nuit du drame. Nous ne nous attendons jamais à une quelconque dérision trompeuse, à l'apparente légèreté d'une vie boiteuse. Claudication physique et mentale où quelques individus se recoupent dans des conditions à peine mentionnées, nous devons lire ce qu'il s'ensuit. L'invitation, texte frôlant l'abime de la supercherie, quand une femme est invitée au mariage d'un ancien amant. Ils ont vécu ensemble pendant trois ans puis, lassitude aidant, lui voyageant pour ses affaires, ils se sont perdus de vue. Elle se rend au mariage, ne comprenant pas très bien la résolution de son ami de se marier. Elle l'apprendra mais se désistera d'une invitation imprévisible.

Le recueil est empreint de compassion et d'ironie, accentuant l'éclat éphémère des choses inattendues, adoucissant cependant d'anciennes blessures. Des choses qui se répètent rarement deux fois. Empreint aussi de la solitude que reflète l'absence familiale. Père et mère, frères et sœurs se diluant dans la mémoire du présent, rejetant des insatisfactions pour que les ombres échappent à la lumière du temps qui a passé, l'obombrant davantage. Mais l'effet magique qu'on attribue à l'écriture épurée, ce sont les photos signées Anne-Marie Guérineau, contenant à elles seules leur propre conte. C'est un heureux mariage que les mots et l'image, quand les deux procédés dégagent autant de poésie, ce qui ajoute au livre de Jean-Paul Beaumier un grain de sel insoupçonné, la vie sans sel n'étant pas mangeable... L'accord est parfait, nous mesurons l'essentiel, nous repaissant de la part manquante de personnages en leur quête d'absolu, repliés qu'ils sont sur la banalité inévitable du quotidien. Sous la plume oratoire, expérimentée, d'un écrivain en liesse qui ne déçoit jamais. Tel le titre, ce recueil pose un immense point d'interrogation qu'on se refuse de dénouer, laissant au lecteur le privilège de découvrir ce qu'est le talent d'un écrivain rompu à l'art exigeant de la nouvelle, cette fois accompagné d'une partenaire, novatrice de photographies fascinantes, tellement humaines.

 
Que fais-tu là ? Jean-Paul Beaumier
Éditions Druide, Montréal, 2019, 208 pages