Plus on vieillit, plus on apprécie le soleil et ses apparats. Sa chaleur qu'on attend depuis le premier jour de l'hiver, refusant de l'oublier tel un amant abandonné à sa piètre destinée. On se laisse envelopper par ses rayons, bras chauds qui, parfois, nous consument pour le bien-être des années qui nous restent à vivre et à aimer. On a lu les nouvelles de Michel Dufour, Cette part d'obscurité.
Voici un thème rarement exploité dans les recueils de nouvelles actuels. Fait-il peur ou bien la vieillesse nous tient-elle en otages quand nous parvenons à un certain âge, pour ne pas dire un âge certain, sans éprouver la nécessité d'en rajouter davantage ? À défaut de l'aborder avec sagesse, surtout pas avec résignation, l'auteur a usé d'ironie pour nous inciter à vivre loin de ses embarras. Douze récits que nous abordons avec une curiosité indécise. Vieillesse et jeunesse s'y côtoient, établissant une sorte de relief charnel entre le passé et le présent. Comme d'habitude, on ne mentionnera pas la majorité de ces fictions, quelques-unes nous ayant plus touchée que d'autres. Tel un symbole, la première nouvelle, La maladie de Paco Nino, met en action un jeune garçon atteint d'une maladie rare. Il vieillit prématurément dans un corps d'enfant, devant se résoudre à accepter cette anomalie de la nature. Sur Facebook, il publie des photos qui rejoindront une fillette atteinte du même mal intolérable. Elle l'invite à la rencontrer même si elle habite au bout d'un monde. Souhait que réaliseront les parents de Paco, au détriment de ses dernières forces. La fin s'avère celle d'un conte, des papillons jusque-là invisibles, prélude à la mort, atteignent la joue de la fillette, Paco et elle ont écrit une histoire qu'ils doivent terminer en un élan vertigineux. Une aura de surréalisme baigne tous les textes, atténue l'angoisse qui, à la suite d'un incident imprévisible, taraude les protagonistes. Les bonbons-lumière, nouvelle insolite, confirme ce qu'on avance. Les sucreries d'un vieux bonhomme bougon qui tient une petite épicerie, attirent les enfants, surtout Loulou, fillette intrépide, qui ne « manque pas de cran » pour essayer d'amadouer le bonhomme Godbout. Ce jour-là, c'est la cave qui l'intrigue, elle est persuadée que des trésors s'y logent. La suite du conte — c'en est un — est un régal pour l'imagination fertile des enfants, pour les adultes qui croient encore à la transcendance des objets. La fiction Une grosse fringale, nous entraine loin des péripéties rationnelles qui gouvernent sans cesse notre existence. Une histoire de poisson dans un bocal qui sera dévoré par une mère gloutonne, obèse. Son fils adolescent raconte ses faims insatiables à lui, celles de sa mère, tributaire du bien-être social. Un jour où celle-ci s'est absentée, il a voulu nourrir le poisson. La conclusion est rabelaisienne, on en laisse la surprise au lecteur.
Cependant, la lecture se fait plus exigeante. Nous entrons dans les phases douloureuses de la vieillesse, partagée par des femmes et hommes, pour ainsi dire prisonniers de douteuses maisons de retraites. L'ironie devient percutante, comme pour dissimuler le malaise que le lecteur éprouve en scrutant les dernières années de pensionnaires qui, lucides ou déjà égarés, attendent la mort. La fiction traitant du dépouillement mental et physique, Le bel âge vaut son pesant d'or, en dit peu sur le sujet, combien révélateur entre les lignes et les mots. Dans une résidence, les pensionnaires se préparent sans enthousiasme à recevoir la fonctionnaire de la Direction de la protection de la vieillesse. Vérification de routine. Complicité entre la directrice de la résidence et la fonctionnaire. C'est un des retraités qui narre la visite, suspecte en bien des points. D'abord, le ton condescendant de la visiteuse, celui mielleux de la directrice, la nervosité de la préposée du jour. Le titre du recueil justifie les soupçons du vieux narrateur, qui laisse entendre que des « choses » se passent dans ces lieux, qu'il ne révèlera pas. Il se garde « une petite gêne »... Il y a aussi des femmes âgées qui désirent rester dans leur maison pour y mourir. L'une est harcelée par une bru ambitieuse, une autre, affolée par un artefact insolite qui se balade sur une plage. Un ancien nazi, rattrapé par les horreurs qu'il a commises pendant la Deuxième Guerre mondiale. Des hallucinations, sous forme de petits carrosses où des poupées semblent dormir, le dirigeront droit vers la catastrophe. Le dernier récit qui clôt le livre nous a étonnée, bien qu'il contienne tous les ingrédients déversés dans l'ensemble de ces histoires peu communes. Un écrivain âgé veut se venger d'un jeune auteur qui se révèle un imposteur, aux dires du vieil homme. Là encore, l'afflux d'une imagination débordante. Est-il dû à l'écrivain, Michel Dufour, ou au vieil écrivain qui, jamais, ne pardonnera à son jeune pair ? Même le monde céleste où repose le vieil homme n'y pourra rien quand, à son tour, son rival littéraire attitré vieillira. Cette nouvelle a fait jaillir en notre mémoire, l'histoire peu banale de Romain Gary et de son double, Émile Ajar...
Des nouvelles qui nous ont fait vivre moult émotions. Du sourire à la compassion. De l'indignation à l'étonnement. On ose écrire qu'un brin de perversité pimente ces histoires, qui nous a réjouie, accentuant l'effet empoisonné que ressentent ces vieilles personnes s'agitant entre les divers déchirements que fomente l'âge avancé. Décryptant l'inutilité des choses qui ne servent plus à rien, sinon à observer le comportement de ses semblables enfermés avec soi-même, victimes de gens qui, se retirant dans le déni, s'astreignent à croire que la vieillesse est un accident de parcours qui n'arrive qu'aux autres. Déniant de cette manière consciente le travail lent mais impitoyable qui opère sur le corps et dans la mémoire. Miroir infaillible du temps qui s'écoule, qu'a su si bien dépeindre un écrivain perspicace avant que l'accablent les premières griffures sournoises d'un âge caduc.
Cette part d'obscurité, Michel Dufour
Éditions Sémaphore, Montréal, 2019, 85 pages
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