Il est certain que nos écrivaines et écrivains préférés, sans en prendre réellement conscience, au moment d'écrire une recension, influencent notre opinion. Toutefois, on prend garde à ne pas faire preuve de favoritisme, ce qui serait contraire à notre éthique professionnelle. Il est rare qu'on ait affaire à ce débat intérieur, l'œuvre dernière de l'écrivaine ou de l'écrivain qui nous touche particulièrement, ne nous décevant jamais. On parle du troisième roman de Jean-Marc Ouellet, À l'ombre du silence.
Il est dommage que l'éditeur de ce roman captivant ne consacre pas plus de temps à la promotion de ses livres. Ce qui permettrait aux liseurs et liseuses de découvrir des fictions attachantes, des histoires qui en valent d'autres. Celle de cet homme qui, après avoir traversé une épreuve bouleversante, s'est réfugié dans une cabane forestière pour éviter une inévitable condamnation, n'est peut-être pas inédite mais la manière de dire de l'auteur nous a touchée. On s'est demandé comment la vie d'un être humain pouvait se résoudre à pas grand-chose, pour ne pas dire à rien, quand ce même être humain a perdu la parole. Ce qui arrivera à un avocat après s'être vengé d'une accusation mensongère. Mais le commencement d'une histoire étant indispensable à sa cohérence, on rejoint d'abord Sarah, arpenteure-géomètre, vingt-huit ans, qui rentre du Nord québécois en hydravion avec des collègues. Elle est amère et désenchantée, insatisfaite de sa vie de célibataire, traumatisée par une mésaventure qu'elle ne parvient pas à oublier. Victime d'un viol collectif qui l'a abimée pour la suite de son existence. Depuis, elle traite les hommes tels des objets de plaisir. Brusquement ramenée à la réalité par des cris paniqués, par une terrifiante turbulence qui secoue l'avion, puis la chute et le choc. Ses collègues sont morts mais Sarah aura l'opportunité d'être secourue par l'avocat déjà cité, qui la ramènera chez lui, une cabane en pleine forêt, quelque part en Abitibi. Gravement blessée, Sarah dort, l'homme l'observe, se demande pourquoi il n'a pas laissé mourir cette femme qui dérange sa solitude. Puis, elle se réveille, l'homme lui tourne le dos mais quand il lui fera face, elle se mettra à hurler. Le visage de l'inconnu est traversé d'une cicatrice, de la tempe jusqu'au menton. Faire connaissance ne s'avère pas simple de part et d'autre, chacun protégeant ses blessures tant physiques que mentales. Chacun se réfugiant dans un passé qui ébrèche le présent. Un jour, troublée par un incident qui la fait douter de l'honnêteté de son compagnon, Sarah réussit à s'enfuir, son esprit attisé par des souvenirs heureux de son enfance, de son adolescence. Par l'horreur du procès qui avait suivi son viol, la plongeant dans une réalité sordide. Toute à ses réminiscences, Sarah aperçoit soudain deux hommes qui, pense-t-elle, vont lui indiquer le premier village civilisé, échappant ainsi à son hôte, à ses manifestations douteuses. Sauf que les deux hommes sont des prédateurs qui ne chercheront qu'à abuser d'elle, peut-être même à la tuer après avoir satisfait leur appétit sexuel. Tel un ange vengeur, son compagnon l'a suivie, les deux prédateurs à la merci d'un justicier qui ne leur fera don d'aucune grâce. Action inattendue qui dénouera bien des sentiments entre Sarah et son sauveteur, que l'un et l'autre dissimulaient au tréfonds de leur tragique histoire.
Si, indirectement, la parole a été donnée à Sarah, nous apprenant qui elle est, d'où elle vient, et un peu plus, c'est lorsqu'elle décidera de quitter son compagnon et amant, qu'à travers un long récit qu'il lui a confié, que nous saurons tout de l'homme de la cabane. Comment à la veille de Noël, lors du party de son bureau, une de ses collègues l'a attiré dans un piège passionnel. Comment elle l'accusera de l'avoir battue puis violée. Toutes les preuves étant contre lui, il sera condamné à de longues années de prison. Dans ce milieu sordide, il apprendra à se défendre contre un malabar, prisonnier désaxé dont il sera une victime crédule avant de se transformer en un vengeur implacable. Nous apprendrons aussi pourquoi il est devenu muet, pourquoi il s'est remis entre les mains d'un détective privé qui découvrira des éléments malsains concernant son accusatrice. Grotesque ficelle que Sarah dénouera quand, déterminée, elle sera revenue à la civilisation. Il n'est plus question de se repaitre de poisseuses zones d'ombre mais de découvrir ce qui s'est passé une veille de Noël. Elle aime cet homme et ne veut pas le perdre. N'est-il pas une sorte de rédempteur qui l'a sauvée des mains voraces de prédateurs en rut ? Elle parviendra à ses fins quand elle rencontrera dans un bistrot la femme qui fut responsable de la déchéance d'un homme qui avait commis l'erreur de trop boire...
Roman à saveur policière, fort agréable à lire. Le suspense nous tient en haleine jusqu'au bout de cette histoire plausible, écrite dans un style dynamique, sans essoufflement, toujours à la hauteur du drame qui se joue entre deux personnages, une femme et un homme, qui n'avaient plus rien à perdre, qu'eux-mêmes. Toutefois, on émet une petite réserve qui n'égratigne en rien la teneur du récit. Ni n'entrave la bonne marche de l'action qui se déroule entre les bienfaits salvateurs du monde rural et les tentations exacerbées du pouvoir se tramant dans les conduits pervers du monde citadin. On a douté du retour passé sous silence de Sarah, narrant, sans émotions, à l'officier des transports comment elle a été sauvée par un vieux couple d'ermites vivant dans une cabane au fond des bois. L'officier a enquêté sur l'écrasement de l'avion, sur la disparition des compagnons de Sarah, celle-ci était la seule à manquer à l'appel. Étonnamment, il accepte les explications de Sarah qui prétend ne plus se souvenir de rien... Mais les enquêtes ne possèdent-elles pas leurs failles, leur façon de simplifier les événements pour que les protagonistes y trouvent leur compte ? Et laisser la part belle au lecteur, amateur de récits oscillant entre une réalité parfois insupportable et une fiction réconfortante, les deux hypothèses s'amalgamant en une conclusion qui se termine bellement. L'amour se joue parfois d'insondables avatars pour réunir deux êtres désespérés d'eux-mêmes. De la sournoiserie humaine qui a failli les détruire pour mieux rebondir dans l'espace restreint de leurs espérances. Les vacances battant leur plein de distractions, on encourage la lecture de ce roman palpitant avant de retourner aux plaisirs bienfaisants de la nature ou de l'océan...
À l'ombre du silence, Jean-Marc Ouellet
Éditions Crescendo, Québec, 2022, 130 pages
Merci beaucoup, Dominique pour cette belle et juste recension. Ta mention du manque de promotion de l’éditeur m’a fait sourire. J’ai aussi souri sur ta réserve sur la réaction de l’inspecteur car effectivement, je reste vague sur son enquête, mais comme la fin du roman est prélude pour une suite, qu’on me demande d’ailleurs, et qui était envisagée selon le contexte, ce flou pourrait un jour s’éclaircir. Gros merci encore. Et bonne lecture à mes lecteurs. Bonnes vacances!!
RépondreSupprimerJean-Marc
J'ai adoré ce petit roman dont l'écriture m'a agréablement rendu "accro" jusqu'à la fin. J'attend la suite... Merci Jean-Marc!
RépondreSupprimerHélène P.
Merci, Hélène!!
Supprimer