Curieux été qui se fait bleu un jour, gris le lendemain. On a l'impression désagréable qu'il influence nos humeurs, celles des gens autour. Un silence alourdi puis soudainement un bruit, tel un fracas redoutable. Des rues fleuries puis des routes où les herbes hautes s'empoussièrent au passage rapide des voitures. Une envie irrépressible de partir vers d'autres paysages puis la sédentarité prend toute la place. La saison coule, équilibrant nos oscillations. On commente le roman de Jean Bello, Un assassin en résidence.
Quelle fragilité injuste que la lecture. Combien soumise à nos états d'âme. Il nous est arrivé de lire un roman dont l'histoire ne nous disait rien, ou si peu. On l'a rejeté pour lire autre chose puis, reprenant l'objet repoussé, on lui a trouvé d'innombrables qualités insoupçonnées. Cet état à double tranchant, qui nous dérange, nous est arrivé avec le livre de cet écrivain dont on connait l'œuvre, l'ayant commentée favorablement dans ce blogue. Tout d'abord, indifférence et sourire. Ennui et enthousiasme. Que s'est-il passé, on l'ignore. La conclusion, c'est que cette histoire policière, se déroulant dans une résidence pour gens aisés, Au Jardin Desjardins, nous a distraite des ouvrages qu'on lit habituellement à pareille saison. Résidence pour rentiers, où la vie a des allures de nomadisme bourgeois, les retraités jouissant d'un confort non négligeable.
L'histoire de ces personnes âgées qui essaieront de résoudre le meurtre de Mathieu Bibeau, infirmier de nuit, se divise jour par jour, heure par heure. Pas une minute à perdre pour mettre la main sur l'assassin qui galvaude dans la résidence. Après avoir mené l'enquête discrètement, la police semble avoir capitulé, faute de preuves concrètes. Conclusion que refuseront six membres de la communauté qui décident de résoudre le mystère, à leur façon. C'est Violet, Anglaise francophile, « assez hautaine et plutôt sévère », genre Miss Marple, qui mènera le bal, secondée par Marguerite, ancienne enseignante, femme de soixante-trois ans, pourvue d'attraits physiques qui titillent les hommes, dont un en particulier, rencontré par hasard en allant à la bibliothèque. Marie-Rose, amie de jeunesse de Marguerite, retrouvée quand elle s'est installée dans la maison de retraite. Jasmin, vieillard de quatre-vingt-treize ans, sur le point de perdre la tête pour une auxiliaire infirmière haïtienne. Le juge Robert Lavigueur qui a bien des choses à cacher sous ses airs bourrus. C'est lui et Jasmin qui découvriront le cadavre de Mathieu Bibeau, le dos transpercé d'un couteau, volé mystérieusement dans la cuisine. On n'oublie pas Ginette, au passé peu enviable, dévouée à son amie Pâquerette, professeure émérite, maintenant résidente Au Jardin Desjardins. Les soirées chez Violet ou chez Marguerite se déroulent entre les tisanes, le thé, et plus stimulantes pour mener l'enquête, des liqueurs convenant aux vieilles dames, tel le porto. Des discussions à propos de tout et de rien, des révélations d'ordre privé, essaiment les raisonnements pragmatiques de Violet, qui, lentement, imposent leur rythme. L'humour l'emporte quand les uns et les autres prennent la parole, se délestant en partie de leur vie passée, le présent s'avérant jouissif, symbolisé par les amours tonitruantes de Marguerite et de son Italien, Faustino. La scène où Marie-Rose intervient, entendant gémir et crier son amie Marguerite est hilarante. Elle imagine que le meurtrier de l'infirmier de garde, assassine à son tour Marguerite. Scène que l'écrivain a dû saisir, telle une photographie, le sourire aux lèvres. Et d'autres, comiques, ajustant des pointes caustiques, parcourent le roman, tout en insérant des messages intentionnels, comme le pouvoir douteux des hommes, comme la politique du Québec narrée par Faustino, rabrouant les agissements de ses compatriotes envers le pays d'accueil. Les sauveurs de la planète qui se contredisent dans leurs actions. On en passe, mais le livre est grave sous ses airs de dilettantisme savoureux. Comme dans la vie, l'aspect blanc et noir de l'existence ne manque pas de nous remettre les pieds sur terre grâce au ton narratif qu'emprunte Jean Bello entre deux galéjades.
Même si les bonnes intentions de Violet, entrecoupées de délicieux repas concoctés par la Française Marie-Rose, échouent dans leur logique, l'entêtement farouche de l'Anglaise réconforte ses partenaires, qui redoutent les futures soirées au goût de tisane, maintenant que ces derniers ont pris goût aux alcools doux et aux biscuits à saveur de cannabis préparés par un complice de la victime, Mathieu Bibeau. On taira des suppositions qu'élaborent Violet, mais quand elle invitera le juge Robert Lavigueur à assister à l'une de leurs réunions, il est clair qu'une idée poursuit son chemin dans son esprit surexcité par d'insoupçonnables indices, qu'a mal détecté la police officielle. Si peu sera dévoilé même ce si peu comporte une insidieuse accusation qu'elle ne peut dévoiler, adoucira le comportement agressif du juge. Accusation à rebrousse-poil dont la teneur, sans moralité, sans arrestation, sans requête judiciaire, nous surprendra agréablement, la grandiloquence théâtrale de Violet, ayant eu raison des silences suspects du juge qui, à son insu, avait mis au jour le rôle du triste personnage qu'était l'infirmier de garde, Mathieu Bibeau. La seule moralité sera amorcée dans les paroles pacifiques que Faustino tiendra à Marguerite quant à « la justice qui sauve plutôt qu'elle ne punit. »
Récit peu usité parmi les romans policiers qu'on a lus cet été, même s'il nous a fait penser à tous les assassins qui réussissent à passer à travers les mailles de leur condamnation, à se soustraire au châtiment qu'ils méritent, ces derniers n'ayant eu aucune compassion pour leurs victimes. Cela se voit tous les jours, l'impunité manifestée envers des hommes qui, pour la plupart, récidivent. Bien qu'on souhaiterait que la justice montre son apanage inattaquable. Histoire délicieuse à savourer au bord de l'eau ou dans une campagne verdoyante, ou sur un balcon citadin. La présence rassérénante de Marguerite et de Faustino, celle de Violet, assoiffée d'histoires scabreuses à démêler, celle de Jasmin et de ses problèmes intestinaux, d'Agrippine, la jeune et jolie infirmière haïtienne. Portraits d'une société à laquelle nous appartenons, de laquelle nous partageons les rires et les grimaces, se reflétant dans une fiction minimaliste, tellement bien cernée par l'écrivain Jean Bello, qu'elle donne l'envie de se rassasier de bonté et de pardon, de se vautrer dans des amours à saveur de mets italiens, de sexualité amoureuse, dernière étape fulgurante d'un certain âge...
Un assassin en résidence, Jean Bello
Éditions Québec Amérique, Montréal, 2021, 240 pages
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