À la lueur enflammée de la dernière canicule, on se rend compte à quels degrés on aime la chaleur. L'épiderme se fait moite, on a l'impression de pourfendre une atmosphère où les nuages deviennent gouttes d'eau attenante à la peau. Nos activités ralentissent d'elles-mêmes, le pas se fait moins élastique, le cheveu frise plus que d'habitude. État de béatitude apathique qui conforte nos gènes méditerranéens. On commente les récits de Jean-Louis Courteau, Seize îles.
S'il est vrai que l'humain origine des profondeurs marines, certaines personnes, desquelles on fait partie, préfèrent déambuler tranquillement sur le sol tiède et stable. D'emblée, on vogue loin de tout océan, poétisant sur l'apport des rives, en face. Ce bref préambule pour plonger, sans jeu de mots, dans les récits aquatiques d'un initié des profondeurs, sombres et mouvantes, de lacs québécois dans lesquels l'auteur affirme avoir fait d'inédites découvertes. Ce narrateur généreux, qui n'est autre que l'écrivain, toujours sincère et humble, se pâme et se grise des éléments que sous la surface bleue ou noire du lac des Seize Îles, recommandé par une amie, pour y trouver, et non chercher, d'étonnants artefacts. On apprendra beaucoup de ces récits, transportant avec eux des objets insolites, comme ces bouteilles au fond rond, contenant autrefois des eaux gazeuses. Rarement, il plongera seul mais accompagné d'un ami, qui comme lui, admire, étudie, ce que le lac veut bien leur donner, on pense à des régions inconnues décryptées sur une carte routière. Des légendes fabriquées par un passé peu lointain, comme celle d'un camion qui, naguère, aurait naufragé sous une surface glacée trop peu solide. On comprend que ces rumeurs villageoises incitent les passionnés de plongée à chercher l'épave tant convoitée. Des indices s'en mêlent, un chargement de bois les trouble. Des objets surprendront le narrateur, comme un « pot de métal rouillé » qui laisse supposer une histoire vieille de cinq cents ans, le vase se révélant un récipient huron. Trouvaille qui comptera parmi les plus importantes du chercheur. Les récits sont emplis de ces substances, de temps à autre mises de côté pour éduquer le lecteur sur les formes géologiques de ces « royaumes des ténèbres », dépeints avec un vocabulaire propre au genre. Mais la poésie, toujours au rendez-vous, aiguisant la sensibilité du narrateur, ne dérange en aucune manière la compréhension de la parole particulière qui nous renseigne sur les amours des truites grises, sur l'intelligence des achigans, le jeu des loutres. Profitant de ces distractions pour émettre un message sur la souffrance des poissons quand le pêcheur les ferre... L'architecture des gouffres que rencontre le plongeur à mesure qu'il fait connaissance avec les fonds sédimentés. Ses cauchemars d'enfant et la peur maitrisée ont leur place entre les descriptions des murs de marbre et une grotte remplie de mica. Univers aquatique, certes, mais le monde terrestre en fait partie, équilibrant les sensations nées de ces randonnées imprévisibles.
Plus nous pénétrons dans le livre, plus l'imagination fertile du narrateur se laisse aller à de troublants propos, renforçant ces images animées qu'il ne cesse d'habiller de poésie, de couleurs, du nom de Van Gogh, de Monet, le narrateur étant peintre aux heures sereines de son temps terrestre. Il connait les transes de la solitude, rêve, parce que bien souvent il rêve, de se laisser couler devant la falaise aux Mille-Regards. On le cite : ...« m'étonner une dernière fois de son âge. L'entendre murmurer le dernier mot d'une phrase dont personne ne se souvient du début. » Nous-même, commentant ce livre étonnant, empreint d'un réalisme allégé de doutes, on fait confiance aux humains avec qui le plongeur dialogue, quand il en a terminé avec les monstres qui ont effrayé ses jeunes années. Monstres endormis mais qu'il transcende en s'enfonçant dans les ténèbres aquatiques, quand l'hiver arrive, décrivant « cette nuit installée pour les mois sans lune », les poissons reposant ventre à terre. Le vacarme se taira tant pour les humains que pour ses amis à nageoires. Ne manque que les sirènes qui ont charmé Ulysse, le narrateur au cœur tendre et philosophe, n'aurait su résister à leur appel envoûtant. C'est à Cuba que le vacancier, cédant à l'invitation d'un plongeur local, lui aussi amateur d'archéologie sous-marine, conclura ses récits. Les océans se rejoignent, immense et vaste étendue d'eau, comme toute forme d'art devient une chaine universelle. Une chaîne dont l'ancre s'est détachée de l'arche pour ne former qu'un seul océan, « le sang et l'âme de Gaïa. » Une brève anecdote, un pied dans le sable, l'autre dans la vague, nous apprend l'histoire de l'anilocre, crustacé parasite. Anecdote qui a trait à une femme, une certaine Caroline mal aimée de ses semblables. Peu enclin à une rêverie oiseuse, le narrateur ne manque pas de mentionner le rôle néfaste des hommes, ils sont des intrus bien plus dangereux que la fameuse Caroline. Le dernier mot revient au souvenir de cette femme inconnue, symbolisant le mystère des lacs visités par le narrateur, animé d'une curiosité compatissante. Ils seront encore de ce monde quand le nôtre sera immergé, tel le camion que le plongeur finira par découvrir, n'ayant plus pour seuls passagers que les hydres...
On laisse la suite et fin à celles et ceux qui miroiteront leurs songes dans la beauté mouvante de la grotte rutilante de mica, de la falaise constituée de marbre. Du papillon monarque fatigué pris en charge par le narrateur alors qu'il a rendez-vous avec deux amis achigans... Amalgame de lieux mythiques, nécessaire à combler notre ignorance, agrémenté d'une prise de conscience originelle souvent remise en question, avec raison, par des gens simples, beaux et bons...
Seize îles, Jean-Louis Courteau
Les Éditions XYZ, Montréal, 2021, 180 pages