jeudi 21 août 2008

Au pied du mur


C'est en douceur qu'on aborde la saison littéraire automnale. On avait quitté le printemps avec un recueil de nouvelles du jeune auteur Guillaume Corbeil. On s'éloigne de l'été avec la lecture savoureuse d'un roman de Roland Fuentès, Le mur et l'Arpenteur, court roman qui nous convainc que, jamais, rien n'est gagné.

L'histoire commence par la vision d'un mur érigé dans une ville imaginaire et bien au-delà. Ce « mur avait toujours été là » nous assure le narrateur. Il n'est pas sans intriguer Olfan qui « appartenait à la Confrérie des Arpenteurs.» Ces hommes, pourrait-on dire, sont tout dévoués à la santé du mur. Ils doivent en surveiller la moindre faille et quand celle-ci est colmatée, elle donne lieu à des réjouissances populaires. Olfan et ses compagnons sont des êtres particuliers. Ils s'étirent à volonté, s'envolent, se rendent invisibles. « Ce métier faisait des envieux. » Dans cette ville, hommes et femmes vivent comme si de rien n'était, mais nous devinons que derrière cette paix illusoire, le mur est synonyme de totalitarisme. Ses yeux de pierre moussue dissimulés derrière de hautes herbes surveillent Olfan et ses compagnons ; il se prête aussi à quelque indulgence quand un Arpenteur est en difficulté... Des êtres comme Altamaria, voluptueuse lingère, qui trouble et provoque incessamment Olfan, et son mari Bec ; Pandora, ouvrière chez « un Lord qui fabriquait de l'huile de rhubarbe » qui écrit des poèmes issus de ses rêves ; Italo Svevino « architecte de son état », s'opposent sans trop savoir à la dictature du mur représentée par un pouvoir souterrain en place, ainsi qu'aux pièges de l'apothicaire qui voue à Altamaria, une haine sans borne...

On ne décrira pas cette histoire portée par une écriture sortie tout droit d'une fable. Des trouvailles poétiques à couper le souffle enjolivent l'aspect sombre de l'aventure des protagonistes qui, après bien des déboires, échafaudent un plan pour mettre en lumière ce qui se passe de l'autre côté du mur. Beaucoup d'amour unit Olfan et Pandora, Altamaria et Bec, compensant ainsi la haine que leur porte l'apothicaire. Il a tout fait pour humilier Altamaria qu'il soupçonne de trahison envers son mari. À un certain moment, sa complice la Garce a enlevé Bec dans sa Garcière ; Altamaria, usant de ruses bien féminines, l'a délivré de sa fâcheuse condition. Derrière cette façade de conte pour adultes, embelli de réflexions judicieuses du genre, « les fous sont des êtres hors norme, presque des demi-dieux », l'auteur, telle Pandora avec ses rêves, rédige un grave message qui nous concerne tous : si nous ne prenons garde à préserver notre autonomie physique et mentale par des moyens efficaces, elle sera menacée d'étouffement par un mur dressé ; une main de fer invisible étranglera habilement nos libertés individuelles. Hors des contraintes que forge la vie dès notre plus jeune âge, d'autres, imposées par des hommes peu scrupuleux, nous atteindront dans notre identité, dans nos agissements et nos sentiments, faisant de nous des êtres mutilés et surpris que cela ait pu nous arriver...

Un mur, un «vieux titan » se hausse et nous surveille, un auteur au style primesautier passe, qui a eu l'intelligence et la générosité de nous informer des malheurs de ce monde. De l'autre côté - revers du monde blessé - y aurait-il une Terre promise, semblable en cela à toutes les civilisations qui n'ont su échapper au despotisme ? Nous pourrions penser au premier homme, à la première femme chassés d'un paradis par la volonté d'un être déifié et qui, depuis, nous a marqués de sa supériorité néfaste sous les apparences d'hommes calqués sur son modèle !

On remercie l'auteur, Roland Fuentès, de s'être fait prophète avec des mots alignés les uns devant les autres, fleurissant des phrases et paragraphes qu'on ne pourrait tous citer tant ils touchent notre sensibilité, nous font sourire d'attendrissement.

À lire pour entrer dans l'automne en toute sérénité, mais aussi pour que nous réfléchissions aux murs que nous élevons dans des microcosmes interdits qui appartiennent à tout un chacun...



Le mur et l'Arpenteur, Roland Fuentès
L'instant même, Québec, 2008, 125 pages