lundi 16 août 2010

Vroum... vroum... estival ! ***

On aime tellement marcher qu'une balade en voiture nous attire rarement. Pourtant, toutes vitres baissées, cheveux au vent, il est agréable de se laisser aller à une douce insouciance, le paysage défilant à vive allure. On se souvient de ces randonnées sur les routes marocaines, les odeurs de l'océan, des eucalyptus, se mêlant à l'âpreté de la poussière saharienne. L'été s'accommodant d'images spontanées, on les repousse pour nous pencher sur le numéro 102 de la revue XYZ. La revue de la nouvelle.

Tout d'abord, on souligne que le thème — le char — s'apparente parfaitement à la saison estivale. Même si la fluidité de certains textes nous paraît brouillée par l'angoisse ou soulevée de questionnements, on a pris un immense plaisir à lire ces neuf nouvelles, à les cerner sans peut-être y être parvenue tout à fait. Que se passe-t-il dans la tête d'un homme, quand Jean-Pierre Vidal le transforme en personnage imbu de lui-même, conduisant une voiture luxueuse qui séduit les jeunes filles au point de négliger amoureusement le conducteur ? Est-ce le messager en vélo qui trouvera une solution sans appel ? Nouvelle cruelle, adoucie d'un humour réaliste qui fait froid dans le dos. Plus tendre, presque désespérée, la nouvelle signée Diane-Monique Daviau, met en scène un fils qui se souvient des beaux yeux bleus de son père, de l'amour qu'il portait à son « char ». Sa dernière heure le figera « en position fœtale » dans l'insolite habitacle, tel un ventre d'acier, condamnant le vieil homme à une fin de vie pathétique. À quoi servent d'aussi beaux yeux s'ils ne captent plus la lumière ? Semblable aux deux nouvelles évoquées, la mort rôde autour du récit de Jean-Paul Beaumier. Une fin de journée hivernale, un traducteur tombe en panne dans un « coin perdu de la ville ». Il s'interroge âprement sur « l'effritement du quotidien » qu'il a partagé avec sa conjointe, Madeleine. Usure du temps qui pardonne peu aux humains quand il est modelé de sentiments inférieurs, de l'inertie du cœur qui ne bat plus que pour l'ordinaire des choses. La nuit, ne laissant rien au hasard, corrompra davantage le destin de cet homme esseulé, qui, au fond de lui, n'a rien su résoudre...

Ainsi de nouvelle en nouvelle, nous nous détournons du pire pour savourer la causticité de la narratrice campée par Suzanne Myre. Un dimanche, elle accompagne son « chum » chez un concessionnaire automobile. Il veut louer ou s'acheter un nouveau véhicule. La tournée dans ce « temple de la ferraille » nous vaut des pages hilarantes et grinçantes sur le décor factice de ces hauts lieux, « infection métallique et répugnante. » La blonde de service « d'un platine surréel », n'échappe pas aux critiques acérées de celle qui se dit une « veuve d'entrepreneur » parce qu'elle le voit rarement, trop pris qu'il est par ses différents chantiers. Elle, est une « cycliste jusqu'au bout des orteils », ce qui lui permet de réfléchir aux efforts qu'accomplissent ses semblables pour assurer le bien-être de la planète. Mais elle, que fait-elle au juste ? Deux nouvelles, signées Jean-Sébastien Lemieux et Nicolas Tremblay, nous promènent dans deux chars allégoriques. La première se rattache au pianiste Glenn Gould, la seconde au — fictif ? — poète québécois Jean Char. Si un large détour vers la musique s'impose à la mémoire du narrateur captivé par un bruit récurrent, un écolier puni de plagiat doit « écrire mille fois une phrase sans fautes » dans laquelle le maître regarde du côté du poète français René Char. Clin d'œil qui nous vaut l'entrée en scène du père de l'enfant, condamnant sans savoir le cancre « hagard et perdu dans ses pensées » : il sera happé par une Corvette roulant en trombe « comme Hubert Aquin aimait le faire [...] ». L'enfant de Nicolas Tremblay et le narrateur de Jean-Sébastien Lemieux donnent l'impression saisissante de s'être trompés d'itinéraire. Musique et mots s'amalgament, s'ingénient à se confondre, à se transformer en un phénomène inattendu. Brouillage de pistes si bien amorcées et dénouées brillamment par les deux nouvelliers.

Il nous est impossible de citer les neuf nouvelles enrichissant ce numéro 102. Toutefois, l'idée que les gens de lettres « haïssent» l'automobile, comme le mentionne Nicolas Tremblay dans sa présentation, nous semble saugrenue, erronée. Il suffit de lire les textes ingénieux qu'inspire ce véhicule aux auteurs sollicités pour nous rendre compte que le « char » fait partie de nos habitudes au même titre que le char-iot que l'on pousse dans les grandes surfaces !

Dans la section « Intertexte », on signale l'article captivant de Michel Lord sur l'histoire de la nouvelle française. Nous y apprenons que les textes brefs, sous différentes appellations, passionnent tout un chacun depuis la nuit des temps.

 Ce dernier numéro invite le lecteur à profiter des dernières semaines de l'été. Nous le savourons au bord de l'eau, à une terrasse, au milieu de la foule ; nous le dégustons pour mieux nous imprégner du temps estival qui ne reviendra que dans un an et aussi pour apprécier des nouvelles singulières, inédites.


XYZ. La revue de la nouvelle
Numéro 102, dirigé par Nicolas Tremblay
XYZ éditeur, Montréal, 2010, 102 pages