lundi 9 mai 2011

Éternelle adolescence ***

Rêveuse, on regarde la pile de livres à lire avant la rentrée de l'automne. On n'en est pas là, mais le temps étant ce qu'il est, et soi-même aussi, on mesure combien les heures sont élastiques. Dans le nombre, certains ne seront pas pris en considération pour des raisons subjectives ; d'autres, qu'on aura feuilletés distraitement, seront mis de côté, leur sort en suspens. Enfin, il y aura les privilégiés qu'on lira dans la touffeur de juillet, dans la fraîcheur de l'appartement. On se détourne de la pile, on parle du deuxième roman de Diane Labrecque, Je mourrai pas zombie.

Alors que son père est mort, que sa mère « bourrée d'anxiolytiques » doit quitter la maison familiale de Lévis pour emménager dans un petit appartement, Dib fait le ménage dans le sous-sol. Ouvrant des boîtes, elle découvre quatre cahiers écrits quand elle avait seize ans, soit dix-neuf ans plus tôt. Années déchirées entre un père rigide, une mère accro aux séries télévisées, démontrent la fragilité d'une jeune fille livrée à elle-même, sa carence de tendresse l'entraînant vers deux garçons de son âge : Hubert et François. Relation trompeuse, mais conciliante, qui ne satisfait en rien, bien qu'elle essaie de s'en dissuader, les exigences affectives de Dib. Elle continue à se mutiler, triche aux examens, ne mange plus. Les garçons, conformes à leur époque, fréquentent deux filles identiques, faussement délurées. Les révoltes et l'intelligence de Dib les distraient, les attirent dans un univers éloigné de leurs projets. Hubert essaiera de la séduire, ce qu'elle refusera, le corps n'étant qu'apparat qu'il faut subir. Pourtant, il faudra bien que Dib réponde au désir de ce corps qu'Hubert ne cesse de provoquer. Refaire le monde des adultes — des zombies — est louable, mais les exigences de la chair éveillée supplantent les intransigeances morales de la jeune fille, jusqu'à une soirée manigancée par Hubert et François...

À trente-cinq ans, Dib n'a rien perdu de ses convictions passionnées. Mariée à dix-huit ans à Antoine, première fugue officielle pour quitter ses parents. Elle a eu une fille, a divorcé. Une fois encore, elle se marginalise en étant serveuse dans un bar. Elle boit, se drogue. Après avoir lu le premier cahier rédigé d'une écriture maladroite, elle décide de retrouver Hubert et François par l'entremise de Facebook. Le premier répondra à son appel, elle le rencontrera. Il est marié, a des enfants, une profession qui lui rapporte beaucoup d'argent. Il n'a pas dérogé à ses desseins adolescents, il voulait devenir avocat. Un zombie. Il considérera Dib tel un émouvant souvenir, ne saisissant pas très bien pourquoi elle a voulu déterrer des années idylliques. Incorrigible, il retombe dans le piège de la séduction, celui de coucher avec Dib, de lui laisser des pourboires trop généreux. « Sa pute de luxe » l'accusera-t-elle lorsqu'il prétendra vouloir quitter sa femme, vivre avec elle. Il y aura aussi le retour de François, mystérieux, humaniste. Dans sa maison, à l'Île d'Orléans, elle passera quelques jours avec lui ; ils feront l'amour, se remémoreront silencieusement un moment dérangeant de leur jeunesse — la défloration de Dib — que François exprimera vaguement par un simple mot d'excuse.

Roman dense qui, tel un cheval fou, galope toujours vers l'avant, entraînant avec lui un lecteur curieux des avatars survenus à Dib, prise entre deux hommes pour qui elle a éprouvé des sentiments ambigus, parfois contradictoires, jamais simples. Période nourrie de lectures classiques, contemporaines — Nietzsche et Réjean Ducharme en particulier — qui, ouvrant la voie à un futur hypothétique, laisse Dib sur une fringale jamais rassasiée. L'esprit assoiffé mérite davantage que la chair outragée. Diane Labrecque a su doser l'adolescence chaotique de Dib, évitant des considérations hors texte, soit d'inutiles digressions sur ses agissements parfois irresponsables. Ou des généralités formelles portant sur la maturité acquise aux dépens de certitudes usées par l'effet des ans. L'histoire de l'adolescente, plus tard celle de la femme, suffisent à décrire la révolution de son monde personnel. Rétréci à cause d'un manque de magnanimité de la part de ses parents, fidèles en quelque sorte à un fils suicidé avant la conception de la petite fille. Les deux garçons qu'elle a aimés, n'ont su répondre à sa détresse, ne voyant en elle qu'un corps à séduire, ce qui la dégoûtait.

À lire, pour saluer la parution de ce roman réussi. On avait aimé Raphaëlle en miettes, jeune femme incomprise et sœur fictive de Dib, qui l'aurait encouragée à poursuivre malgré les embûches inévitables de tout parcours humain, voulant éviter les écueils de sentiers à peine tracés.


Je mourrai pas zombie, Diane Labrecque
éditions Hurtubise, Montréal, 2011, 250 pages