lundi 5 octobre 2009

Un photographe sous influence ***


Nouvelle saison, nouveaux livres. Aimant la diversité, on est enchantée d'aller d'un genre à un autre. Après Peaux de chagrins de Diane Vincent, La Louée de Françoise Bouffière, romans fort différents, on a fixé notre choix sur le troisième roman de Pierre Fortin, Le Rôdeur de la Paramount.

En novembre 2006, rue Notre-Dame, dans l'est de la ville, nous rencontrons Squeeg ; il a vingt ans et couvre de graffitis originaux le dôme d'un ancien réservoir à mélasse. Depuis plusieurs nuits, il est intrigué par le va-et-vient  d'un homme dans les locaux de Paramount Décor et Antiquités, situés à l'est du pont Jacques Cartier. L'édifice autrefois abritait la Brinks. Squeeg fera part des randonnées de l'inconnu aux « quêteux » Romuald et Gendron, qui refuseront de divulguer ce qu'ils savent sur le rôdeur depuis une dizaine d'années .

En parallèle, nous faisons la connaissance du jeune couple Marc et Marie. Lui est manutentionnaire dans une galerie, elle, artiste-peintre. Chez un antiquaire, ils découvrent quarante cadres en métal poli, vides de leurs images. Dans le fatras de la boutique, sous un amas d'objets hétéroclites se dissimulent les photos non signées. Étonnés par leur contenu abstrait et talentueux, ils mettront tout en œuvre pour en rechercher l'auteur. Inévitablement, leur curiosité les conduira à l'édifice de Paramount Décor et Antiquités.

Au cours de divers chapitres, un autre personnage raconte sa pathétique histoire. Dix ans plus tôt, un photographe a été follement épris d'une artiste-peintre qui s'est suicidée. Depuis, armé de son appareil numérique, il se persuade, au long de ses promenades, que sa compagne lui réapparaît sous les traits fugitifs de " belles passantes ", ou d'objets dont elle s'inspirait. Femmes et objets seront pour lui la source d'une série de photos, lesquelles, obsédantes, finiront par le lasser à tel point qu'il les abandonnera aux mains d'un dénommé monsieur Surin. Ce dernier, fasciné par son talent,  deviendra son mécène.

Nous aurons compris que Squeeg, Marc et Marie tenteront de démystifier le photographe. Squeeg, pour l'avoir aperçu rôdant  dans la nuit, Marc et Marie à cause des photos. Tous les trois, aidés d'amis pittoresques de Squeeg, pénétreront dans les labyrinthes des sous-sols du Vieux-Port où il y a peu de temps encore grouillait là un monde interlope. Il n'était pas bon d'outrepasser certaines règles ; comme le dit monsieur Surin à Marc et Marie, « ...il y a parmi eux des malfrats assez sérieux. Ils ont des contacts dans le monde de la mafia et dans la police. » À retenir le proverbe chinois : Ne rien voir, ne rien entendre, ne rien dire. Le mettront en pratique les enquêteurs en herbe après avoir découvert l'identité du photographe et l'endroit où il réside. 

Surprenant roman où en apparence, il ne se passe pas grand-chose. Les descriptions géographiques foisonnent de détails, les protagonistes se démènent tant et si bien qu'ils entraînent avec eux le lecteur avide d'en savoir davantage. À travers l'enquête sur le photographe, nous est dépeint un quartier de Montréal autrefois peu recommandable ; en filigrane, l'auteur nous rassure sur l'avenir de Squeeg, confirme les sentiments friables entre Marc et Marie, couple mal assorti. L'écriture dense, le ton constamment porté par une réflexion sur l'art donne au roman une aura magique avec, à l'appui, des frissons garantis !

Pourtant, on aurait aimé une fin plus consistante. Après des pages soutenues par la précaire survie d'êtres marginaux, par leurs allées et venues dans des souterrains lugubres, dans des salles remplies d'objets insolites, d'autres interdites, cadenassées de lourdes portes, les intentions louables de monsieur Surin envers les artistes, qu'il protège et qu'il cache, nous ont déçue... Même si on reconnaît la vulnérabilité des artistes et des écrivains, il est peu vraisemblable qu'au nom de l'Art, des êtres se laissent manipuler autant. La question est posée par Pierre Fortin : Est-ce qu'on peut tout se permettre en son nom ? La réponse appartient à chacun de nous quand, meurtri par un événement tragique, nous laissons un bon Samaritain décider de notre vie et veiller sur l'œuvre en cours. Mais jusqu'à quand ?


Le Rôdeur de la Paramount, Pierre Fortin
Éditions Québec Amérique, Montréal, 2009, 295 pages