mardi 11 novembre 2014

La poésie comme refuge ****

On ne dénoncera jamais assez la médiocrité d'une certaine poésie qui s'affiche dans quelques blogues. Comment ces personnes ne réalisent-elles pas que leurs mots tracés ne possèdent aucune consistance, aucun rythme, sinon la rumeur du vent emportant l'écho à peine audible d'une coquille vide. On parle du recueil de poésie de Normand de Bellefeuille, Le poème est une maison de long séjour.

Il y a plusieurs années, dans le programme de lecture qu'on s'était fixé, la poésie s'excluait. On en lit beaucoup pour notre plaisir, d'où notre liberté de critiquer ce que vaut la rime et les mots qui la musicalisent. Cette fois, on n'a su résister au charme bouleversant du poème et de l'image qu'inaugure, telle une entrée en matière, l'écrivain et poète, l'essayiste et nouvellier, Normand de Bellefeuille, dont la réputation littéraire n'est plus à confirmer. D'abord, s'ordonne une pensée conciliée entre un univers poétique qui s'érige en mots incantatoires, significatifs, et celui de l'image, univers statique, mais combien éloquent, réservé. Peu à peu, les deux éléments se dissocient, le poème éclate, effervescent. Nous avons l'impression d'un tremblement de tous les instants, suggérant le parcours du poète, qui ne cesse de tendre la main vers un lecteur, confident et spectateur à la fois. Long séjour dans la maison, certes, mais aussi vagabondage douloureux dans la mort du père, toujours filigranée. Sans illusions, le poète ne perçoit pas ses écrits telle une rédemption, mais comme un hommage qu'il rend à la beauté, l'homme n'étant jamais bien loin. S'il nous fallait extraire l'instantanéité révoltée, rebuffade au « presque rien du poème », on ne saurait s'y prendre, chaque mot si dense, imagé sans l'image, illustre la maison-fleuve, celle qui amasse la joie d'aimer, où s'accomplit et se dénoue toute souffrance, où s'interroge l'incertitude sans ne jamais la résoudre.

« Témoignages des jours anciens », ce sont les « inventaires » qui définissent le poème en une savante et intelligente harmonie car écrire/n'est-ce pas/précisément/dénommer/dévisager ? Cette interrogation nous poursuit, révélant l'impuissance du poète qui défie le passage irréversible du temps, affronte quelques-uns de ses désirs inaccomplis. Plus paisible, le poète évoque la maladresse ailée de l'albatros, le sel interdisant de regarder derrière l'épaule. Le mensonge qui nous aide à survivre. Provocateur, le poète invite le lecteur à mentir avant de mourir, « une toute dernière fois ». La présence inévitable de l'humain nous conduit vers la mort, plus précisément vers la tombe que chacun porte en soi. Exaltant la lenteur de l'agonie, le poème devient subversif, envoûtant, il démantèle les paroles et leurs excès, le poète, nous invitant à savoir écouter, à nous taire, ce qui ne s'apprend pas. On cite : je préfère les poèmes/aux mots presque muets/qu'aux bavardages de certains/autres/trop convaincus/de leur propre et indiscutable/rectitude. Ne doutant pas de ses bienfaits, le silence s'avère plus éloquent que tout discours, aussi bref soit-il. Clairvoyant, lancinant,  le poème guide le poète, secret et si myope, dans le dédale du long parcours de la maison aimée. Celle-ci symbolisant l'entièreté de la vie, le poème jamais ne s'échappera des murs haussés, commensal éclairé qui se meut, nanti de mots, gratifié d'un tempo respiratoire alangui, nous autorisant à sonder la tristesse du poète s'abandonnant à lui-même. pourquoi donc/est-ce que ce sont mes morts/qui tant me tuent ? On pense aux amis clairsemés de Rutebeuf, aux lais loufoques de Villon, la jeunesse ayant assouvi son œuvre de crispation. Elle est tellement alerte cette pensée émouvante, tellement fervente en notre mémoire, qu'elle intervient comme une fausse prière/pour débusquer l'intrus/et le mauvais danseur. Le corps est autiste, il se balance en la lecture scandée de la rime. Vieil homme, le poète écoute la parole qu'exige le poème. cette fois/la dernière, dit-il/c'est le poème qui te parle/écoute-le donc !/et j'ai écouté.../fini. On rêve d'un retour vers la sérénité de l'image. Celle-là et le poème étant « irraison [ et ] pacte... »

Nous attardant longuement dans la maison accueillante du poème, la vie s'en est allée, digne et noble, la poésie de Normand de Bellefeuille l'ayant paraphée de son talent inimitable, de sa plume inspirée, constamment axée sur le mot juste et fort. Vivant, dynamique. Le style est fluide, limpide, enrubanné de vocables essentiels. Sans discontinuité dans le ton, magnifié par la spiritualité que contient l'esprit, libéré de sa formelle essence, le poème exécrant la banalité du phrasé convenu et amorphe. Le lecteur, peu habitué à l'intensité d'une telle lecture, ne sera dépaysé qu'en lui-même, le poème s'intitulant patience et grâce lorsqu'il est traité avec la conviction humble du poète soumis à l'élaboration de son œuvre.

On salue le talent de « l'homme des images », Pierre P Fortin, accompagnateur avisé et complice vigilant de Normand de Bellefeuille.


Le poème est une maison de long séjour, Normand de Bellefeuille
Œuvres de Pierre P Fortin
Éditions du Noroît, Montréal, 2014, 154 pages