lundi 7 février 2022

Se confiner pour mesurer notre résilience *** 1/2


Nous sommes au cœur de l'hiver, néfaste à notre moral plus que tout événement désagréable qu'on pourrait nous annoncer. On est peut-être bêtement négative, comme chaque fois qu'on refuse d'écouter des raisonnements modérés concernant la bénéfique beauté que la saison blanche nous offre silencieusement. Il est vrai que notre regard, absent, se pointe déjà vers le printemps. On parle du numéro 148 de La revue XYZ de la nouvelle.

On ne pouvait mieux faire que lire des textes nous affranchissant d'un phénomène social auquel nous n'étions pas préparés. Aujourd'hui, le sommes-nous vraiment et davantage ? Qui résisterait à l'inconfortable dilemme, celui d'être enfermé chez soi, de devoir surveiller ses comportements dès que nos pieds nous portent à l'extérieur ? Ce que nous propose Marie-Claude Lapalme et Bertrand Bergeron, tous deux nous présentant dix auteurs-es qui supportent, ont supporté, les affres du confinement, thème symbolique que nous vivons au présent depuis plus de deux ans. 

En même temps que l'interrogation se pose, on est entrée dans la maison de Christine Comeau, Vivarium, qui, aux dires de l'auteure, s'est transformée en une immense forêt étouffante, nous invitant à suivre son personnage à l'extérieur d'un monde dont nous devinons la teneur. Récit habile qui nous entraîne à poursuivre notre lecture vers le périple de nouvelles déroutantes, magnifiquement expressives, sensitives. L'écrivaine n'écrit-elle pas que « la porte a disparu » ? On pénètre dans un intérieur, il y en a plusieurs, où survit  un couple qui s'isole chacun dans une pièce, elle, ayant été diagnostiquée positive au virus. Que restera-t-il d'eux, l'un s'emprisonnant dans la méfiance néfaste de l'autre ? Fièvre, signée Mikella Nicol. Sorte de tête-à-tête qu'utilise la narratrice de Véronique Grenier, quand elle s'enferme dans son logement, se parlant à elle-même, ayant pour témoin sa vieille voisine, vivotant de l'autre côté du mur qui les sépare. C'est le dehors qui va les faire se connaitre, les deux ayant besoin de gestes et de paroles. Comme quoi l'extérieur de nos murs, ceux en plâtre, ceux s'érigeant dans notre tête pour des raisons qui n'en sont pas toujours, s'avèrent porteurs de conciliation envers les autres. Une touchante fiction qui n'en est pas tout à fait une. 

On tourne les pages, on va plus loin dans l'anxiété, dans un autre intérieur, celui de Mattia Scarpulla, qui nous révèle ce qu'est une dépression en temps de pandémie. La fragilité d'une femme qui, au regard incisif, supporte mal les réactions de son mari, recoupant la nouvelle troublante de Mikella Nicol. La vie à deux serait-elle défavorable lors d'une catastrophe, indépendante de ce que nous sommes ? Sensibilité exacerbée par une situation anormale, cette anormalité se combinant aux sentiments qui, édulcorés par l'usure, se fragilisent au point de désirer, provoquer la disparition de son partenaire. Sommes-nous des assassins assoupis que déclenche un fait inhabituel ? Le sourire de George Clooney. Pour nous rassurer moindrement, la narratrice d'Esther Laforce, Mad World, évoque l'importance de l'amitié, la nécessité d'en  prendre soin quand l'occasion se présente. La veille de Noël suscite des petits miracles qu'il est nécessaire de protéger de nos erreurs involontaires. 

Cependant, de ce recueil tellement humain, deux fictions nous ont particulièrement touchée. Les réminiscences de la narratrice du texte de Chantal Fortier, Perdre le Nord. Et la belle humeur de la nouvelle de Joanie Lemieux, Malades, amoureux, fous. Mélancolie de la première, qui, chaque fois qu'elle sort de son logement, évoque avec poésie son séjour professionnel dans le Grand Nord, au point que le présent et le passé se confondent, le paysage citadin se mêlant à une « immense plaine glacée » qui fait se rebeller la narratrice en introduisant des images d'un passé qui emplit sa tête. Se divertissant avec deux anecdotes qui la détournent d'un funeste dessein. Fin tonitruante amoindrissant ses intentions mortifères qui peuplent la nuit... De son côté, Joanie Lemieux imagine une pandémie d'amour. Une femme rejoint chez lui un homme qu'elle a autrefois profondément aimé, alors que les conditions sanitaires obligent les gens à rester chez eux, au risque de se contaminer les uns les autres. Inévitablement, la narratrice et son ancien amoureux vont se heurter à des restrictions personnelles... Clin d'œil ironique à la maladie actuelle qui sépare certaines personnes au lieu de les rassembler, cette fiction audacieuse s'imprégnant d'une bienfaisante résolution. 

La rubrique " Thème libre " nous réserve trois heureuses surprises. Les nouvelles très différentes mais combien talentueuses de trois écrivains qui donnent libre cours à leur imagination fertile, soumettent des protagonistes à des conjonctures humanistes auxquelles ils avaient échappé. Un dialogue mi-figue mi-raisin entre un homme rangé dans son confort avec un sans-abri, révolté des injustices sociales. Une jeune femme qui se crée des prétextes pour ne pas rendre visite à sa grand-mère. Et l'étrange disparition d'une professeure qui, dans une école, donne des cours à minuit. Textes respectivement signés Antoine Dion-Ortega, Valérie Provost, Philippe St-Germain. " À rebours " nous fait faire la connaissance de la  nouvelliste américaine, Grace Paley, qui prend chair et os sous la plume volubile de Jean-François Chassey, alors qu'il analyse l'œuvre de l'écrivaine, nous donne l'envie furieuse de la lire.

Un cent-quarante-huitième numéro de la Revue XYZ que nous ouvrons et arpentons sans hésitation. On a signalé plusieurs textes, essayant d'allécher le lecteur, la lectrice, ne citant pas tous les récits qui composent ce recueil, préférant laisser le plaisir de la découverte à qui aime tourner les pages. Les nouvelles ayant peu de route  chronologique, nous partageons au hasard des récits, l'anxiété, la détresse d'hommes et de femmes en proie à un événement majeur en ce début d'année, qui nous met à l'épreuve de nous-mêmes, dont on se demande quelle en sera la conclusion...


La Revue XYZ de la nouvelle, numéro 148

Piloté par Marie-Claude Lapalme et Bertrand Bergeron

Montréal, 2021, 104 pages