mardi 16 décembre 2008

Passion, quand tu nous tiens !


Il serait dommage de passer sous silence la dernière livraison de la revue littéraire MŒBIUS 119. Consacré au thème suivant : « La passion aujourd'hui », ce numéro, orchestré par l'écrivain et poète Fulvio Caccia, réunit une vingtaine d'auteurs qui ont superbement répondu à l'appel. Divisé en trois phases : Feux, Braises, Cendres, ce parcours vers la finitude ne laisse aucun doute sur l'essoufflement qu'engendre cette émotion incandescente. Mais lequel de ces trois chemins emprunter ?

Avant de nommer plusieurs voix qui nous ont touchée plus que d'autres, interrogeons-nous sur ce sujet inépuisable qu'est la passion. Qu'est-elle en vérité ? Un sentiment à la fois dévastateur, rebelle, élevé à un degré supérieur. On est tenté de croire que ceux et celles qui n'ont pas été effleurés par cette fièvre du corps, ce vertige du cœur et de l'âme, ne connaissent rien de l'exaltation qui nous porte vers un ailleurs irréel, cet ailleurs pouvant se trouver à nos côtés. Le regard dont nous enrobons l'autre, ne rappelle-t-il pas ce qu'évoquait André Gide : la ferveur. Vocable, hélas, désuet, mais combien éloquent pour ennoblir l'amour, l'érotisme, le désir, le mysticisme.

Ces quatre éléments enveloppent l'ensemble des textes présentés dans ce numéro. Jean Forest, d'une manière à la fois tendre et caustique, nous parle de la divine passion de Thérèse d'Avila pour Jésus, qu'il associe à O, l'" héroïne " de Pauline Réage. Nous savons quelle dose efficace de passion mystico-érotique embrase chaque mot de cette œuvre mondialement connue. Plus loin, Claire Varin nous fait part de sa passion pour les écrits de Clarice Lispector, au point d'avoir séjourné « un an et quatre mois » au Brésil où elle a mieux cerné l'écrivaine dans son pays d'origine. Voici deux textes qui ont un point commun : ils sont liés à deux femmes célèbres qui, chacune à sa manière, ont pris leur destin en main, et dont la pensée subversive a rejoint deux auteurs inspirés. Si toute écriture est poésie, Josaphat-Robert Large nous le démontre dans un poème où la beauté d'une femme épouse une musique corporelle, rythmé d'un refrain incantatoire. Le créole ajoute une note lascive à l'intention ludique de l'auteur. Mona Latif-Ghattas nous plonge dans un rêve dont la passion ne peut se passer. Écoutons-la : « Ainsi va le passionné/Au long des minutes figées ou passantes/À la recherche d'un joyau réservé à ces rêveurs toujours/partis en quête de/L'art de l'amour. » La poète nous dit que la passion, parfois, appartient au rêve, que nous l'embellissons d'absence et d'illusions. Danielle Fournier, quant à elle, élabore sur une vision qui la « remplit de joie ». Autre texte empreint d'une sensualité rêveuse où les mots dépeignent des paysages et des êtres idylliques.

On n'énumérera pas tous les textes qui enrichissent ce numéro. On pense à Antonio D'Alfonso qui ouvre la voie à sa passion allemande par une phrase-clé sans nuance : « La passion, c'est une histoire de cul. » Le corps désirable n'accomplit-il pas sa tâche de séducteur ? Il y a aussi François Teyssandier et son « Risible amour qui pâlit sous ton fard de vierge ! » Ce « risible amour » nous transporte vers la lettre de Fulvio Caccia adressée à Milan Kundera, lettre d'une admiration inconditionnelle à un écrivain et essayiste qui prend « le lecteur au sérieux. » Dans sa missive, Fulvio Caccia ajoute son grain de sel sur les fonctions du roman dans notre monde décadent, répondant ainsi à Kundera, auteur d'un essai sur le sujet.

Ce numéro de MŒBIUS est à lire sans et sous condition. Sans, pour féliciter les auteurs qui ont osé raconter la passion qui les ont animés au moins une fois dans leur vie. Les mots qu'ils utilisent suscitent un feu d'artifice crépitant à chaque phrase. Sous condition de se laisser emporter par la magie que provoquent ces histoires lues avec... ferveur !



Revue MŒBIUS, numéro 119,
«La Passion aujourd'hui »
Piloté par Fulvio Caccia
Triptyque, Montréal, 2008, 180 pages