jeudi 14 janvier 2010

Vingt-cinq ans, déjà centenaire ! ***


Saison blanche et froide où sortir n'est pas toujours de tout repos. On apprécie à juste titre de travailler chez soi, de regarder virevolter les flocons de neige derrière la vitre. Les ombres atténuent les angles des pièces, les livres semblent figés dans un engourdissement qu'on respecte. On profitera de ce répit pour nous arrêter au numéro 100 de la revue XYZ. La revue de la nouvelle.

C'est toujours avec plaisir qu'on lit des nouvelles, qu'elles soient publiées dans des recueils ou des revues qui, au Québec, leur font la part belle. Les auteurs répondent généreusement à l'appel comme l'ont fait, ici, ceux et celles qui siègent sur le collectif de rédaction de ladite revue. Des nouvelles où le nombre cent erre dans tous ses états. Humour, gravité, réflexion habitent des histoires plus ou moins longues, parfois très courtes comme le texte de Christine Champagne, La minute qui tue. On a toujours aimé la plume incisive de cette auteure qui, en quelques lignes, brosse des situations couvrant un instant ou une vie entière. Dans la même veine heureuse, on signale Il y a cent ans, de Régis Normandeau où, brièvement, une petite fille interroge son grand-père sur un « curieux objet avec une écriture bizarre » qu'elle a trouvé dans un grenier. L'objet en question n'est autre qu'un livre, racontant le Petit Chaperon rouge, tel qu'on l'écrivait cent ans plus tôt, avant l'apogée d'internet. Sourire jaune assuré... Signant Sans nouvelle, Michel Lord propose la réflexion d'un professeur de littérature québécoise qui vit dans un village avec son compagnon, ses chats et surtout ses livres. Il nous dépeint sa naïveté quand, dans « les années 1980 », il avait pensé que la nouvelle « allait être le genre du présent et surtout du futur. » [...]  « On lit bref, on est de son temps. » C'était sans compter la venue d'internet...

 Des nouvelles plus élaborées donnent un large aperçu sur l'intégralité de la thématique. Jean-Paul Beaumier met en scène une fillette qui, profitant de l'absence de sa mère, oblige son petit frère à sentir du lait suri, ce qui lui cause des nausées. L'enfant se vengera d'une manière moins innocente. Du blanc et du rouge connotent la fin de l'enfance, l'entrée dans l'adolescence... Dans Sans effusion de sang, Daniel Pigeon s'appuie sur la mise en marche d'un grand collisionneur pour nous démontrer que dans cent ans, le monde ne sera ni meilleur ni pire que celui dans lequel nous vivons. Avers et revers de toutes les médailles... Nicolas Tremblay pratique la satire autour d'un homme qui, responsable du centième numéro de la revue XYZ, se couche à trois heures du matin, s'adresse à une femme imaginaire ; il « s'égare » sur une émission littéraire télévisée, remisée à une centième chaîne, sur sa femme endormie avec, à ses côtés, « un exemplaire du centième d'XYZ », sur des ébats érotiques possibles avec la femme imaginaire, sur l'animatrice sexy à la télé... Nouvelle grinçante, percutante, égratignant au passage les spectres ou succubes farfelus, qui habitent l'esprit inquiet de certains écrivains. Agitation émotive, humour débandé !

On ne décrira pas toutes les nouvelles qui composent le numéro. Celle d'Esther Croft, celle de Jean-Sébastien Trudel figurent parmi les plus intéressantes. Chacune à sa manière dénonce une forme d'injustice intime et sociale. Mais l'histoire qui nous a semblé la mieux réussie se trame autour des déconvenues d'une jeune femme, nouvelle titrée Cent jours avec Caroline. On a l'impression que Caroline appâte les événements qui démantèlent une existence, ou bien, idée plus fictive, rassemble les sujets engendrant des histoires sans queue ni tête. L'auteur, Gaëtan Brulotte, invite le lecteur à choisir, entre mille maux, la Caroline excentrique, provocante ou la Caroline, victime lucide d'avatars générés souvent par des êtres sans scrupules. Et que dire du narrateur qui témoigne de sa vie brève... Les trois nouvelles classées dans la section " Hors-thème ", signées André Carpentier, Chantal Fleury, Gisèle Villeneuve apportent une touche finale très singulière et personnelle à ce numéro.

Si l'ensemble se révèle agréable à découvrir et à lire, on reste un peu sur notre soif. On s'attendait à plus d'éclat, à plus de pétillement. À un feu d'artifice. On a ressenti un peu de fatigue filtrer d'une nouvelle à une autre, comme si le champagne arrosant ce centième numéro s'était éventé. Vingt-cinq ans d'existence pour une revue littéraire québécoise, ce n'est pas rien, c'est même beaucoup. Malgré notre mince réserve, on lui souhaite un heureux anniversaire et encore longue vie à elle !


XYZ. La revue de la nouvelle
Numéro 100, dirigé par Nicolas Tremblay
XYZ éditeur, Montréal, 2009, 102 pages