lundi 20 mars 2017

Un homme et le souvenir poignant de son chien *** 1/2

Dans notre page, on a retrouvé un tableau, signé Pyotr Konchalovsky, représentant une fenêtre fermée sur un paysage d'hiver. Devant cette même fenêtre, une table ronde se profile, sa surface soutenant un vase de fleurs et un livre. Si on a contemplé longuement l'ensemble du tableau, évoquant un décor intimiste, c'est parce que les fenêtres et les livres déclenchent en nous une profonde émotion, qu'on n'a jamais su expliquer. On commente le premier roman d'Élie Maure, Le cœur de Berlin.

Il y a quelques semaines, on mentionnait le peu d'intérêt que provoquait en nous un certain genre de livres. Plus nous lisons, plus l'exigence de nos choix s'affirme, d'où notre décision à ne plus parler que de fiction qui en vaut la peine. On épluche les titres, la quatrième de couverture dont le rôle est d'allécher un éventuel lecteur. Cette fois, l'aventure nous a portée loin, vers le premier livre d'un auteur dont le patronyme ne nous a rien révélé sur lui-même.

On va tenter de récapituler l'histoire d'un homme, Simon, cinquantenaire, qui vient de perdre son vieux chien, Berlin. La douleur et la solitude seront si intenses qu'elles le déporteront vers une famille avec laquelle, pour des raisons obscures, il a coupé les liens. Un père autoritaire, une mère geignarde, deux frères, une sœur. Béatrice. Cinq ans passés en Algérie où le père enseignait. Une enfance tronquée pour Simon et Béatrice, nés à un an d'intervalle. Les deux aînés, plus proches de la réalité quotidienne, nourrie par la tyrannie du père, se remettront sans trop de blessures apparentes de cette escapade dans un pays alors sous domination française. Depuis, tous se sont perdus de vue, le père est mort dans les bras de sa fille, la mère survit dans une résidence. Passé et présent se côtoyant, le lecteur remontera le cours des événements, témoignés par le narrateur qui partage son temps entre la recherche universitaire, l'écriture, et son passe-temps favori, le vélo. Entrecoupé d'aventures sentimentales qui confirment l'ignorance qu'il a des femmes. Peu à peu, nous entrons dans la jeunesse du père, de sa famille, et dans celle de la mère. Sera dénoncé le pouvoir abusif qu'exerçaient des supérieurs d'orphelinats, de couvents, l'avenir d'enfants et d'adolescents traumatisés, ne dépendant que d'adultes bien souvent sans scrupules.

Nous lisons ce roman, telle une enquête menée par un homme de plus en plus exaspéré, perturbé par la disparition de sa sœur. Des bribes de sa vie lui parviendront en pièces détachées, narrées par les uns et les autres, une amie de Béatrice, par ses deux frères. Mais qui détient la vérité ? Personne. Que Béatrice elle-même qui enverra de longues lettres à Simon, rédigées tel un Journal. Elle y relate une histoire qui se veut fictive, griffée d'une brutalité bouleversante. D'une vérité dérangeante, que nous avons peine à imaginer tellement elle met au jour des drames parentaux et fraternels. Les pages décrivant l'Algérie, ses enchantements et ses déboires, se révèlent d'une sensibilité à fleur de sentiments que, seule, une personne ayant vécu sur le continent nord-africain peut souligner... Simon, apprenant les souffrances outrancières, silencieuses, qu'à subies sa sœur, réglera des comptes que la mort de Berlin aura suscités, son maître s'étant imposé des interrogations assourdissantes, muettes. Il se heurtera à un cercle d'injustice, mais qui se déroulant, atténuera les brisures des êtres que nous ne connaissons qu'en surface.

C'est un premier roman remarquable, où l'écriture dense et riche cadence des propos confondants, mettant en valeur la ténacité d'un homme qui, profitant d'un été caniculaire à Montréal, ose se regarder dans les miroirs déformants familiaux et d'autres, défonçant des méandres mensongers entretenus pour se créer des vérités inacceptables. Roman intelligent et lucide, où la poésie narrative adoucit les mœurs dépravées d'hommes et de femmes victimes d'une époque restrictive, elle-même représentative de siècles opprimés, assujettie à une éducation qui ne demandait qu'à exploser hors de sa gangue suffocante...

Cependant, on émet une réserve. On doute que cette histoire d'ordre psychologique soit une première tentative romanesque de la part d'Élie Maure, la maîtrise de l'écriture nous ayant subjuguée, sinon éblouie.


Le cœur de Berlin, Élie Maure
Éditions Les Allusifs, Montréal, 2017, 237 pages

lundi 6 mars 2017

Un détour de quelques jours *** 1/2

Au loin, la barre du jour se montre plus écarlate de minute en minute. De nos fenêtres, on suit son étalement sur l'horizon, dont elle maintient la ligne de démarcation. Frontière sans risque de démantèlement parce qu'elle n'est pas née de l'esprit belliqueux des hommes, mais de la fraternité indissoluble du ciel et de la terre. On commente le roman de Ronald White, Nathalie ne vit plus ici.

L'histoire se déroule en cinq semaines, narrée par Charlotte, mariée à Simon Genest, mère de deux jeunes enfants. Pendant la nuit, alors qu'elle ne peut dormir, elle se remémore Nathalie, qui a semé bien de mauvaises herbes dans un jardin où en apparence ne poussait aucune fleur empoisonnée. Métaphore qu'on utilise pour donner un aperçu du drame qui couve, à l'insu de Charlotte qui n'a rien vu venir, amoureuse d'un mari attentionné, qui élève son garçon et sa fille dans un foyer équilibré et conventionnel. Simon, qui travaille dans une firme internationale, rêve de posséder un nouveau camion pour aller au bureau. Ce camion coûtant très cher, sans le consentement de Charlotte, il loue une chambre de leur condo à Nathalie, une ancienne copine de cégep, qu'il a retrouvée à la suite d'une entrevue à la télévision. Charlotte sera informée de sa décision la veille où la jeune femme, inconnue d'elle, doit aménager chez eux. Elle accepte mal cette intrusion mais elle essaie d'entretenir un climat de bonne entente. Peu à peu, Nathalie se révèle une femme déséquilibrée de qui le couple sait peu de choses. Célibataire, sans enfants, infirmière, s'est-elle présentée, alors qu'elle est en instance de divorce, mère de deux petites filles. À la suite d'un examen psychiatrique, la garde lui en a été enlevée. Elle s'est enfuie de Sherbrooke, ville où elle résidait, pour s'éloigner d'un mari autoritaire, d'un psychiatre qui lui soumet un traitement duquel elle doute de l'efficacité.


C'est au fil des jours qui passent, que Charlotte et Simon se révèleront à leur tour sous leur vrai jour. Charlotte travaille dans un ministère, à aucun moment elle n'a mis en doute l'amour de son mari pour elle et leurs enfants. L'envers de cette vie, semblable à celle de beaucoup de couples, n'a pas la couleur du temps qui s'écoule, uniforme, teintée d'un ciel d'orage. En partie responsable des événements qui s'ensuivent, Nathalie, malgré ses crises de profonde angoisse, découvrira le pot aux roses. N'étant pas la femme qu'elle prétend être, un étau intolérable se resserre  autour de sa personne, sa famille, son ex, son psychiatre l'ayant retracée. Seul, un vieux monsieur, pour survivre, s'est épris de sa jeunesse. Révélations qui s'accumulent et dans lesquelles se reflètera la part sombre de Simon Genest, qui, sous un abord inoffensif, a manipulé son épouse Charlotte, trahi sa confiance. Celle-ci ne demandait qu'un peu de bonheur, qu'une parcelle de tendresse et, soudain, il ne reste plus rien. Que de jeunes êtres abîmés, que le cadavre d'une jeune femme qui avait saisi la personnalité trouble de Simon Genest. Complexité de Nathalie, oscillant entre l'innocence et la perversité, pensant que l'attrait du sexe et de l'argent la sauverait d'une dégradation qu'elle ne pouvait éviter, la réalité lui échappant, entrecoupée de douloureuses migraines. Secouée de tremblements nerveux qui la désemparent.

Le monde est ainsi fait que l'auteur, Ronald White, en a tiré une histoire émouvante, presque triste, où les victimes sont des femmes si peu aptes à lutter contre une apparente inertie sournoise. Femmes adultes, fillettes impubères, livrées obscurément à l'hypocrisie d'un homme en qui elles avaient cru, comme on croit à un ciel bleu qui, brusquement, s'assombrit, déverse son eau cinglante sur des épaules vêtues de teintes estivales. Le roman, morcelé de nombreux dialogues percutants, apprend au lecteur que toute vérité, quoi que nous en pensons, est salutaire à démystifier. Le désengagement forcé de Charlotte, la mort de Nathalie, les mensonges de Simon, apportent une dimension dérangeante à un récit qui, dans une vie normale, aurait dû se terminer dans une harmonieuse amitié à trois. Charlotte se serait endormie au lieu de faire le procès d'un homme, lisse comme la surface trompeuse  d'un lac. 


Nathalie ne vit plus ici, Ronald White
Les Éditions Sémaphore, Montréal, 2016, 185 pages