lundi 1 octobre 2018

La face cachée de nos bonnes intentions *** 1/2

Les introductions accompagnant le livre qu'on a lu et qu'on va commenter, nous ramènent à cet instant où la pensée, fulgurante, s'appesantit sur une chose précise. Bien souvent un fait divers qu'on a jugé étonnant, alors que plus tard la mémoire fait abstraction de cette sensation d'étrangeté. Comme quoi, la subjectivité joue un rôle surprenant face à l'incertitude. On commente le numéro 135 de la revue XYZ. La revue de la nouvelle.

Le thème proposé, les armes, impliquait une certaine rigueur, peut-être inconsciente, de la part des écrivains qui ont participé à cette aventure. Rigueur parfois colérique, et même vengeresse. Comme cherchant profondément en eux et en elles, l'irrationnel qui manque à tout jugement spontané quand il s'agit de prendre une décision qui clora un chapitre douloureux de notre existence. À notre habitude, des textes plus que certains nous ont touchée, faisant vibrer une corde sensible qui ne palpite pas aux faits quotidiens. Ce numéro, dirigé par Gaëtan Brulotte, provoque des agissements d'hommes et de femmes qui, en d'autres circonstances, seraient restés endormis. Nos démons intérieurs qui veillent, n'attendent qu'une occasion pour se manifester.

La nouvelle qui ouvre le recueil, signée Stéphanie Pelletier, titrée Les vandales, met en scène une femme âgée qui donne libre cours à sa hargne contre son vieux mari, replié sur un monde moribond. Elle s'emporte contre de mystérieux inopportuns qui ont vandalisé les tombes du cimetière. Il a suffi d'un acte outrageant pour que le moindre geste de son mari se disproportionne. Comme s'il était responsable du saccage des tombes que son épouse, acariâtre, s'évertuera à reconstituer. Récit troublant qui confirme que la violence ensommeillée en nous, fortifie des repères accablants pour se laisser aller à l'aveuglement de l'injustice. Un récit qui tiendra le rôle de locomotive pour accrocher le lecteur à des textes où la violence, souvent sous-jacente, y va de son effet dévastateur. On ne citera pas toutes ces fictions, nous devinerons que les armes interviennent à tous les niveaux de notre inconscience — sinon comment assassiner nos semblables de sang-froid ou est-ce l'effet d'un second état ? — que des faits de guerres, impitoyables, alimentent chaque jour. Le bacha de Michel Robert s'avère un triste exemple de ce qu'on avance. Un enfant nord-africain de dix ans sert de cible sexuelle à un vieux chef de police et à ses sbires. Abandonné de ses parents sur le bord d'une route, le garçon, affamé, se livrera à des hommes sordides. Peu importe le prix à payer, mentionne l'auteur, même si la vie en est ce prix désespéré, voire suicidaire. Texte cruel qui emporte le lecteur vers Attentats automatiques qui se propagent dans plusieurs villes mondiales en l'an de grâce 2029. Lucidité d'un nouvellier, Mario Yeault, dont le pessimisme visionnaire n'épargne personne. Des règlements de comptes, des assassinats qui se commettent pour se venger, où est l'amour qui, de temps à autre, habite l'être humain ? On dirait que la souffrance, la violence, qui émanent de ces fictions, camouflent l'humanisme dont est doté chacun et chacune d'entre nous. Ce n'est pas la nouvelle de Paul Ruban, Pacifica, qui atténuera notre façon de voir et de lire. Un homme aux apparences normales — qu'est-ce qu'au juste la normalité ? — loue une voiture. Il a en tête un schéma sordide qu'il mettra froidement à exécution. Là encore, un acte désespéré, mortellement rancunier, sème la terreur envers des quidams qui, dans un square, défendaient la cause en laquelle ils croyaient. On voudrait que tout soit raison de vivre, contrairement à ce que manigancent certains êtres en porte-à-faux avec leurs convictions corruptibles. Le dernier texte du recueil, Agonie d'une passion, relaie la tendresse aux calendes grecques. Son auteure, Marie-Claude Leclerc, fait part au lecteur de la ruse désinvolte qu'emploie la narratrice qui veut se séparer d'un amant qu'elle aime, mais qui ne semble pas partager ce sentiment amoureux. L'amour s'use, seul le désir excite les corps séduisants.

On ne pourrait fermer le recueil sans mentionner le lauréat du concours annuel de nouvelles de cette année. Si sa nouvelle s'érige habilement sous la bannière créatrice de l'œuvre d'Yves Thériault, le ton demeure étonnamment individuel, innovant une manière tout à fait personnelle de dépeindre un lien affectif unissant un homme âgé à un adolescent amérindien. Le vieil homme initiera le jeune narrateur au noble métier de pêcheur. Un brin de philosophie traverse ce récit dont les non-dits côtoient les sages paroles du Vieux. Les rituels de la vie quotidienne s'entremêlant à la marginalité des deux personnages. Confrontation en douceur de deux générations issues de culture différente. Voir loin, Frédéric Hardel. On note une émouvante fiction dans la section " Thème libre ". Une façon poétique, particulière à Caroline Guindon, de narrer l'histoire d'un vieux professeur érudit qui subjugue ses étudiants. Un titre métaphorique, La mémoire des cathédrales. À lire parmi les textes les plus subtils de ce numéro.


Avec un profond intérêt, on a lu le " Plaidoyer pour la nouvelle belge ", que critique Michel Lord. Ce sont des nouvelles belges à l'usage de tous, choisies par René Godenne. Celui-ci est un éminent spécialiste de la nouvelle française. La critique intelligente, édifiante, de Michel Lord mettra l'eau à la bouche du lecteur attiré par ce genre.


Ce numéro 135 de la revue XYZ est particulièrement riche et vigoureux. Dire original serait banal. On a aimé l'aspect sombre et franc que les nouvelliers et nouvellières ont exprimé dans leurs écrits, sans jamais se banaliser par quelque retenue compréhensive. Celle d'une pudeur discutable. Textes qui éclairent les recoins obscurs de l'âme, défont les nœuds que les événements dramatiques de ces dernières décennies suggèrent à ceux et celles qui utilisent les mots comme moyens de défense. Et même d'attaque. Une arme qui peut trancher dans le vif sans tuer personne. On félicite Gaëtan Brulotte, fervent arbitre de la nouvelle et meneur passionné de ce recueil, qu'il faudra lire maintes fois pour apprécier pleinement, des récits denses, parfois subversifs.


XYZ. La revue de la nouvelle
Numéro 135 dirigé par Gaëtan Brulotte
Montréal, 2018, 101 pages