lundi 16 décembre 2019

Aubade pour cinq femmes ****

On reçoit des livres dédicacés avec une déférence amicale, qui nous touche énormément. Des essais, de la poésie, deux genres qu'on lit peu, ceux-ci n'alimentant pas notre blogue. On ne pourrait tenir le rythme, mais lire à nos moments perdus, si des moments se perdent, essais et poésie se retrouvent en excellente compagnie dans l'une ou l'autre de nos bibliothèques. On commente le roman de Annie-Claude Thériault, Les Foley.

Autant l'écrire de suite, c'est un magistral opus que nous offre l'écrivaine. Quand nous lisons une histoire d'une telle qualité intellectuelle, nous avançons sans restriction que c'est un cadeau que nous recevons. Sans mettre à mal la discrétion évidente de l'auteure, on a mauvaise conscience de devoir avouer qu'elle était pour soi une inconnue. On entend parler de livres moins conséquents, qui, parfois, nous tombent des mains, tant leur banalité s'inscrit dans les humeurs capricieuses des modes.

Le destin aléatoire de cinq femmes qui s'emboitent les unes dans les autres, telles des poupées gigognes, allant de l'Irlande au Nouveau-Brunswick. De la grande famine irlandaise au dix-neuvième siècle jusqu'à des jours moins rigoureux canadiens au vingtième siècle. C'est Laura, biologiste, qui décrit, par la voix d'adolescentes, l'existence de ces femmes insoumises, prêtes à survivre dans des conditions inhumaines, fomentées par la nature aride ou par l'inertie aberrante des hommes. La grand-mère irlandaise, Eveline Foley, sur laquelle s'appuie l'ensemble du récit, après avoir envoyé son fils, ses deux petits-fils en Amérique, avait compris que les hommes ne survivraient pas à cet exil. Ce sont des hommes, ils n'y arriveront jamais, avait-elle déclaré résolument. Leitmotiv qui se répercutera d'une intrigue à une autre, ordonnant ainsi la chronologie. Part avec eux, Ann Foley, petite-fille qui fera demi-tour, ne pouvant abandonner sa grand-mère, ses deux tantes et son pays. Elle choisit de s'inscrire dans la survie familiale, relatant pour quelles raisons elle préfère la misère rurale à l'incertitude d'une Amérique déifiée. Le rire tonitruant de la grand-mère clora le récit, se répercutant dans la suite irlandaise et canadienne. Un fil, rarement exploité, dirigera le cheminement intrépide de ces femmes. Les doryphores qui empoisonnent les champs de pommes de terre. « Une bête à patates », affirmera Nelly Foley, narratrice albinos de dix ans. « Toute petite, toute maigre, toute frêle, toute fragile et si blanche ». Elle est dépendante de son grand frère qui, à la suite d'un accident dans la grange, devra porter une jambe de bois. Alcoolique irrécupérable, il ne pense qu'à hurler, cogner, tuer. Nelly profite d'une crise éthylique de Frank pour se venger. Sous le regard incompréhensif de Cinq-Cennes, le « gueux du village ». Des années plus tard, se campe Nora Foley, treize ans, que son père, Patrick Foley, conduira en pension, cette fois au Nouveau-Brunswick. Elle s'interroge sur la décision paternelle, ne s'expliquant pas pourquoi la vieille Riordon, une voisine, ne continuerait pas à lui « faire l'école à la maison. » Des non-dits transcendent le désarroi de Nora, revenant doucement à la réalité quand elle comprend ce qui est arrivé à son père. Une religieuse, sœur Jeanne, viendra à la rescousse de la fillette, celle-ci se laissant aller à des souvenirs embellis de la présence de son père, du frère jumeau de ce dernier, John, qui est mort. Du grand-père James, qui se souvient de sa mère, Eveline Foley. Une onde neigeuse de sensualité imprègne la voix d'Ellen Foley, qui vit avec sa mère dans une cabane forestière, quand elle narre de quelle manière elle a sauvé du froid un inconnu, Nathol, pris dans un piège, ce qu'ignore sa mère, qui n'est autre que Nora Foley, autrefois pensionnaire dans un couvent. S'insinuent des indices alimentés des coléoptères, qui deviennent obsessifs chez la mère d'Ellen. C'est le récit explicité par la jeune Clara Foley qui en dévoilera la cause.

Les histoires s'imbriquent avec magie, portées par une écriture presque physique, comme si nous pouvions toucher, caresser, les moindres particularités dessinant un environnement souvent hostile, influençant les humeurs des protagonistes, ces femmes sensitives élaborant autour d'elles une mystérieuse alchimie lyrique, aidées de la plume magistralement poétique de l'écrivaine, Annie-Claude Thériault. Après ce parcours initiatique, essaimé du courage de petites filles qui grandissent avec lucidité, nous retournons à Laura, débarquée sur l'île de Miscou, Nouveau-Brunwick, jetée là après avoir commis une grave faute professionnelle. Embourbée dans l'étendue des tourbières, elle nous instruit de la plante, la Sarracenia purpurea, mentionnée au début du livre, splendide métaphore de la fragilité et de la force de l'être humain, oscillation confortée par Nelly Foley. Plante qui croît dans un milieu hostile, marécageux. Accostage où s'abandonnera Laura, quand ces femmes, tels des fantômes dans sa mémoire, s'enivrent des odeurs de la tourbe, des oignons, des carottes. De la sauce au caramel. Et d'autres odeurs parfumant constamment les maisons. Douceurs faites, nous dirons, pour atténuer la solitude incommensurable de ces femmes, confrontées à l'ignorance brutale des hommes, ou pire, à leur impuissance à lutter contre la « guigne ». Laura, elle-même, n'échappera pas au pouvoir du passé, quand elle découvrira dans une tourbière un gros coléoptère que sur les conseils de son vieux et unique collègue, Jules, elle apportera à une dénommée Clara, qui lui révèlera ses origines, soit l'histoire de la première Eveline Foley. À travers son rire tonitruant, à travers les tourbières écarlates. À travers la surprenante beauté sensorielle d'une narration, toujours renouvelée à partir du regard fervent de la fillette qui l'exprime. On a l'impression que, inlassablement, le grand rire de la première Eveline Foley envahit le récit, le confie à Laura Foley, son identité révélée par sa collègue Clara.

Roman tourbillonnant, terriblement sensible, intériorisé, que nous avons apprécié pleinement, tant pour son histoire surréaliste, parce que lointaine dans le temps et l'histoire officielle, que pour les échappatoires pudiques des adolescentes, se mouvant sur des scènes où la tendresse échappe à leur entendement, l'inventant comme nous le faisons avec une personne qui s'est dérobée à nos regards indulgents. Spectacle dont nous ne nous lassons pas, les mots essentiels suffisant à composer un hymne à la beauté, comme le souligne Annie-Claude Thériault quand Laura contemple, apaisée, le « rouge éternel » des tourbières. Laura ne se révèle-t-elle pas la fille manquante qui, rendue à ce qu'elle n'a jamais été, ne se miroitera plus jamais dans la Sarracenia purpurea ? Ne met-elle pas un terme à la tragique fatalité affectant cinq femmes intemporelles, à la manière de la grand-mère du premier récit, qui mourait après avoir ri de toute son âme ? « Ça a été son dernier rire. »


 
Les Foley, Annie-Claude Thériault
Éditions Marchand de feuilles, Montréal, 2019, 295 pages

lundi 9 décembre 2019

Femmes orientales d'hier et d'aujourd'hui *** 1/2

On n'a pas d'idée pour nourrir notre prochaine introduction. Ce n'est pas que tout va bien dans le monde, mais on ne voudrait pas redonder. Peut-être que de ne pas avoir d'idée, c'est déjà en avoir une. Regardant par la fenêtre, on aperçoit un morceau de ciel gris, on baisse les yeux sur la canopée mordorée du parc, cela vaut la peine de se taire. Ce qu'on fait. On a lu le roman de Nassira Belloula, J'ai oublié d'être Sagan.

Après avoir terminé la lecture du récit de Myrna Chahine, on s'est plongée dans un roman qui pourrait être une continuité du sien. Chahine effleure les conditions vitales féminines au Liban, Belloula met cartes sur table sur les conditions identiques des femmes algériennes. Différence de style aussi. La première relate d'un point de vue extérieur, la seconde intériorise jusqu'à créer de nombreuses métaphores qu'il n'est pas toujours simple d'élucider. Son héroïne, comme nous disons, reçoit une lettre d'un ancien professeur de français, qui fut son amant trop aimé, trente ans plus tôt. Désarroi compréhensible d'Angélique Malek qui a traversé bien des vicissitudes à cause de cet homme, dont elle n'avait plus de nouvelles. Il est parti sans explications, la délaissant à sa souffrance de jeune étudiante de dix-sept ans. Pourquoi cette lettre ? La narratrice, aujourd'hui vieillie, semble ne pas très bien en comprendre la teneur. Comme pour reprendre un fil qui s'est brisé brusquement, elle remonte le cours du temps. Se revoit petite fille dans un « jardin d'Éden », accompagnée d'un oncle dont les agissements troubles la déconcertent. Elle se confiera à sa mère qui la dédaignera, la fera passer pour folle. Prétendra qu'un djinn la possède. La mère ne donne de valeur équitable qu'à ses quatre fils, « qui lui avaient assuré un rang social bien enviable. » Celle-ci a été belle, favorite pendant des décennies des désirs de son mari qui, soudain, la rejette pour une deuxième épouse plus jeune. Pour la mère, c'est un drame, son miroir lui renvoie un visage creusé de rides. Ne séduisant plus son mari, elle se met en tête de marier ses fils, d'être une belle-mère cruelle. Tyrannique. Une très juste réflexion de l'écrivaine résume la situation maritale des hommes de son pays, « Les hommes ne prennent pas d'âge, ils prennent de l'appétit. » C'est plus tard qu'interviendra le professeur. Sevrée d'affection, l'écolière de quinze ans s'attachera à lui, risquant son honneur pour répondre à ses avances. Elle se remémore le cours où il lui a offert le premier roman de Françoise Sagan, Bonjour tristesse. Subjuguée par la pensée de l'écrivaine, elle ne pouvait que se référer à ce livre pour situer son amant dans le temps et l'espace. Que s'est-il passé entre eux ? Tant d'années se sont écoulées, Angélique a mis au monde un enfant qui, après l'accouchement, lui a été retiré. Une tante, complice de la mère, lui affirmera que le nouveau-né était mort à la naissance. Trois mois plus tard, elle était mariée à un jeune homme qui ne vivait que pour ses études, il veut devenir  chirurgien. Indifférence réciproque, les deux jeunes gens cohabitent en une sorte d'harmonie froide et clinique. Ce sera pour Angélique l'occasion de se tourner vers l'université, de retrouver son enthousiasme perdu pour la littérature, depuis son plus jeune âge, elle veut écrire. En quelques lignes, elle révèle son identité. Essayer de renier Angélique, l'adolescente brimée, elle se fie plutôt à ses deux prénoms arabes, Hiziya et Soltana. Elle vit à Boston, après quelques années à Paris. Sa biographie, dit-elle, ce qui laisse un flou à la lecture de ce récit, elle qui n'a jamais su oublier ses dunes, à Biskra.

C'est un livre où le sang et les larmes symbolisent la détresse des femmes orientales avant qu'elles aboutissent à une révolte jointe à celle des hommes. Si ces derniers luttent pour des raisons politico-sociales, les femmes revendiquent une autonomie absolue. Seront-elles entendues ou bien retourneront-elles dans l'ombre, moins visqueuse cependant, du rôle qui leur a été assigné, soit d'être des épouses et des mères irréprochables, statut référentiel pour qu'elles obtiennent une moindre importance. Angélique-Hiziya évoquera sa honte de ne pas avoir compris les souffrances de sa mère qui, à quarante-cinq ans, répudiée par son mari, se vengeait en quelque sorte de la jeunesse de sa fille, courtisée par des hommes insatiables. Déchue après deux tentatives de suicide et une fugue, par une grossesse hors mariage, dont elle n'avait pas tout à fait conscience, Angélique ne pouvait qu'être damnée par le clan familial, par la société environnante. La lettre du professeur dont le contenu ne nous sera confié qu'entre les lignes apportera des éclaircissements sibyllins sur la naissance de l'enfant.

Il a fallu beaucoup de courage à Nassira Belloula pour divulguer cette histoire, oscillant entre vérités et mensonges. Entre rêve et réalité. Angélique avoue que le professeur a tué ses illusions, ne lui reste de cet homme tant aimé que ses « battements dans les tempes. » Découle de ce sentiment trompeur, excessif, qu'elle a éprouvé, une immense détresse dont elle ne s'est jamais remise. L'oncle, le professeur, la mère, le père, n'ont rien saisi de la petite et jeune fille qu'ils ont bafouée en la trahissant à tous les âges de ses métamorphoses. L'intériorité du récit agit comme un voile pudique réconciliateur, reléguant les souvenirs d'Angélique-Hiziya dans un monde où le désert, si proche de Biskra, se meut lentement, immuable. Subjuguant celui ou celle qui le découvre une première fois. Témoignage romancé bouleversant, telle une mise à nu, qui obscurcit les fictions manigancées par des hommes d'un autre siècle, dans lesquelles trop de femmes orientales ont trouvé la mort, comme seule issue à leurs malheurs. Courage de l'écrivaine, certes, mais aussi nécessité d'affirmer que la honte — mentionnée aussi dans le récit de Myrna Chahine — a fait son temps destructeur. On se demande si le roman à succès de Françoise Sagan ne fait pas rempart aux propos véridiques d'Angélique Malek, tel un prétexte à renouer avec des années égarées dans un univers oscillant entre deux espaces contrastés. Celui des manques, celui de la réconciliation avec soi-même.

Livre intimiste du corps en colère, de l'esprit surmené par des contraintes exacerbées, du cœur privé de l'amour maternel. De toute tendresse. Durant des siècles l'histoire pathétique de ces femmes s'est répétée, aliénant chaque fille à un rôle asservissant de soumission, dès qu'elles ont raisonné. À lire pour faire place à une réalité plus conforme au monde actuel, bien qu'il ne soit pas idéal, mais aussi pour apprécier les élans enthousiastes de l'écriture féministe de l'écrivaine et journaliste, Nassira Belloula, sous forme de révolte impuissante et de souvenances dérangeantes.


J'ai oublié d'être Sagan, Nassira Belloula
Hashtag Éditions, Montréal, 2019, 111 pages

lundi 2 décembre 2019

Émigrer pour le pire puis pour le meilleur ***

On a des humeurs grinçantes ce matin, on ne sait trop pourquoi. Est-ce le passage de l'été chaleureux à l'automne échevelé, qui agit sur nos images mentales ? Des morsures hivernales remplaceront bientôt cette saison incendiaire, endormiront les odeurs des feuilles mortes. Décomposition de paysages en attendant mieux. On a lu le récit de Myrna Chahine, La jeune fille qui venait d'ailleurs. 

D'origine libanaise, Ryma, la narratrice, nous convie à ses difficultés d'adaptation en France quand, avec sa mère, ses deux frères et sa sœur, elle a quitté son pays en guerre. Le père est resté momentanément au Liban. Ryma a huit ans, innocente et fragile, elle ne prend pas très au sérieux ce périple qui ne présage aucun retour immédiat. D'emblée, elle nous informe des obstacles réservés aux filles libanaises. Aucune dérogation à la morale n'est permise, les filles, moins bien considérées que les garçons, sont soumises à des contraintes conformées depuis la nuit des temps. Les mariages arrangés, l'obéissance sans condition aux hommes de la famille. Les lamentations incessantes de la mère, sa préférence pour ses deux fils au détriment de ses filles. Le père, généreux et loyal, ayant compris que Ryma est différente de ses trois autres enfants, intervient peu dans les décisions irrévocables de la mère. C'est avec beaucoup de réticence qu'il devra céder aux exigences des villageois qui jugent sa fille ainée, Sana, trop libérée. Il devra sévir devant ces hommes asservis aux coutumes ancestrales. Pour l'honneur, comme cela se pratique encore aujourd'hui. Après que les deux garçons, adolescents, sont recrutés par la milice, les parents décideront de s'exiler en France. Ryma est à l'âge « où partir voulait aussi dire revenir. » Bien des années auront passé quand elle reviendra au Liban, à Beyrouth.

L'arrivée en France se fera durant l'été 1984. C'est un membre de la famille qui les accueillera chez lui à Albi. Une tante arrive à son tour qui s'occupera de la fillette. Une tante qui mourra subitement. Ryma en est chagrinée, elle craint sa mère, nerveuse et colérique, qui ne tolère aucun sentiment affectif. Ni amoureux. Les a-t-elle connus elle-même ces sentiments ? Elle a aimé un garçon de son âge mais a dû épouser l'homme imposé par ses parents. Tempérament « volcanique » de la parenté maternelle. Plus tard, Ryma, réglant ses comptes, accusera un oncle et sa mère d'avoir traumatisé son enfance, celle de sa sœur et de ses frères. Ryma, qui ne parle pas français, se réfugiera dans une bibliothèque publique où elle trouvera « une bibliothécaire aux allures de déesse. » Ce sont des heures de félicité que cette femme et les livres lui apporteront. Médusée, elle rentre à l'appartement avec tristesse, toujours sous le regard soupçonneux de la mère. L'inscription à l'école, les moqueries de ses camarades, l'incompréhension de quelques-unes des institutrices. Le père, resté au Liban, lui manque. Elle lui en veut de les avoir abandonnés. Ce n'est qu'un 1985 qu'il rejoindra sa famille. Après bien des déceptions, des anecdotes se résumant aux premières amitiés, aux humeurs atrabilaires de la mère, tous les cinq émigreront au Québec en 1987. Deuxième déracinement que Ryma ne souhaitait pas, la France étant devenue son nouveau chez-soi. La mère refusera toujours la nationalité française, « d'intégrer une société où elle avait vécu le mépris et le rejet. » C'est un frère de la mère qui les hébergera dans le Vieux-Longueuil. L'oncle cohabite avec la grand-mère de Ryma, qui mettra toujours un point d'honneur à favoriser ses deux frères, les filles devant se subordonner aux moindres volontés masculines. Ce qui agace profondément la fillette, les deux frères étant eux-mêmes gênés du comportement de la vieille femme. À sa décharge, la mère a toujours défendu à ses deux filles de s'occuper de travaux domestiques, obsédée qu'elle est par l'apport socio-culturel des diplômes. Elle les oblige à étudier sans relâche. Sana, la sœur ainée, qui a rencontré un amoureux quittera le foyer familial plutôt que de céder aux exigences maternelles, celle-ci lui ordonnant de rompre avec cet homme plus âgé qu'elle.

Tous les récits, brefs et lucides, desquels on ne mentionne que des bribes, sont axés sur les traditions, sur les thèmes éducatifs et divertissants du nouveau pays. Myrna Chahine les narre avec beaucoup de sincère enthousiasme, sur fond de révolte, parfois de tristesse, quand meurt sa meilleure amie québécoise. Mais la mort rôde, suggérant plus de gravité à la narration jusque-là spontanée, l'auteure ayant su mettre en valeur la jeunesse de la fillette et ses frustrations. Celle-ci ne comprenant pas toujours les agissements de son entourage familial et ceux de son pays d'adoption. Depuis son arrivée au Québec, la chrysalide enfantine s'est transformée en une jeune fille avide de tout apprendre des humains. Les amis, les professeurs. Les premiers émois sensuels. Cependant, la cellule familiale sera tragiquement affectée, presque démembrée, quand l'un des deux frères mourra brusquement d'un anévrisme. La mère menace de se tuer puis, à la suite d'une lettre reçue du patriarche de la famille, elle s'envole pour le Liban. Autre période de la vie de Ryma qui devra encore subir les injonctions rétrogrades de la mère. Devoir épouser un homme choisi par celle-ci et la famille.

Mais le jeune homme en question se fera le complice de sa soi-disant future épouse. Lui et Ryma savent que les temps ont changé, chacun ira de son côté continuer sa vie, gérer les péripéties de l'existence. Aujourd'hui enseignante. Myrna Chahine a dû éprouver un grand bien-être après avoir rédigé ces histoires biographiques. Leur donnant un air de fable. Depuis la migration des années quatre-vingt, bien des événements douloureux se sont déroulés, les guerres constantes ayant chassé de leur pays d'origine des hommes, des femmes et des enfants. Les routes tortueuses de cultures différentes ont ouvert les esprits, dessillé les yeux de part et d'autre. Le livre généreux de Myrna Chahine devrait faire naitre un sentiment apaisant dans le cœur d'êtres humains transhumant vers des mondes dont ils devront s'affranchir avec le désir profond de continuer à vivre pour le meilleur et non pour le pire.

La jeune fille qui venait d'ailleurs, Myrna Chahine
Collection « Première Impression »
Éditions Québec Amérique, Montréal, 2019, 220 pages