mercredi 6 juin 2012

Un laboratoire en folie ! ***

La musique. Au même titre que les livres, elle tient une place prépondérante dans notre vie et ceci depuis longtemps. Musique classique, musique contemporaine, musique du monde, musique tout court ! On déplore parfois nos goûts éclectiques, mais on y trouve un plaisir de chaque instant. Réviser sur fond de voix " jazzées ", bloguer en compagnie de quelque concerto pour piano ou violon, inspire à la clémence ! La musique, caisse de résonances profondes, telle une voix humaine nous invitant à nous taire. On a lu l'un des derniers romans de la saison printanière, Le testament du professeur Zukerman, signé Francis Malka.

Alors qu'il est mort, le professeur Zukerman, par le biais de son notaire, adresse trente-quatre lettres à son fils David, relatant ce qui lui est arrivé. Il demande à David de l'aider à résoudre le mystère de son décès. L'homme est une sorte d'idéaliste qui désire recréer les sources de la vie. Pour mener à bien ce dessein ambitieux, il lui faut un laboratoire et de l'argent. Après que des investisseurs renommés ont refusé son projet d'envergure, et insensé, c'est la compagnie pharmaceutique Genetix, représentée par Ricardo Bellini, qui soutiendra financièrement les travaux du professeur. Y trouvant son compte, Bellini lui fournira un laboratoire à l'intérieur de la compagnie, équipé de tous les appareils et de toutes les pièces nécessaires à son rêve phénoménal. Deux assistants le seconderont, dont l'un sera sa fille Sophie, elle-même scientifique. L'autre, Jeff, un jeune homme maigre, aux cheveux longs et dépeignés. Sa silhouette efflanquée lui confère l'allure « d'un animal issu du croisement entre une vadrouille et un oursin. » Petite équipe efficace qui ne se laissera pas démonter par les attaques sournoises de fanatiques égarés, accusant le professeur Zukerman de toucher à l'immuable, œuvre de Dieu impénétrable.

À travers ces avatars, Francis Malka mettra en évidence l'organisation des travaux du chercheur et de ses deux acolytes. Un réacteur agencé de douze robots, incluant le bras capable de soulever le couvercle de la cuve immense. Des « béchers », des éprouvettes contenant divers solvants... On ne s'attardera pas sur ces propos un peu arides que le professeur, dans ses lettres, énumère à son fils qui, lui, s'est dirigé vers l'informatique. Surgit un quatrième personnage inattendu, le détective privé Olivier Trébuchet, déjà présent dans le premier roman de Francis Malka, Le jardinier de monsieur Chaos. Spécimen paradoxal, « un homme dans la cinquantaine, cheveux hirsutes et barbe longue [...] » qui est là pour lui sauver la vie. Ce qu'il fera quand les événements se dérouleront d'une manière dramatique. Tout d'abord, un visiteur est entré dans la maison du professeur, a fouillé dans ses papiers personnels rangés dans son bureau. Intrusion perturbante qui fait réfléchir Zukerman sur la teneur de son testament... Un incident plus grave met en branle le service de sécurité de chez Genetix : la porte du laboratoire a été défoncée. Des menaces édifiantes dirigées essentiellement vers le savant. Des manifestants de plus en plus hostiles à ses recherches. Une grenouille et des mouches apparus dans la cuve ridiculiseront le professeur. Qui est l'auteur de cette mystification, comment un individu a-t-il pu pénétrer dans le laboratoire surveillé nuit et jour par des policiers et des caméras ? Énigme qui sera élucidée lorsque l'un des assistants y laissera la vie.

L'histoire scientifique que narre Francis Malka dans les trente-quatre lettres, est entrecoupée des échecs sentimentaux du professeur. Celui-ci ne songeant qu'à ses travaux, n'a jamais été un mari attentionné, ni un père prévenant. Son épouse, le considérant comme un illuminé, l'a quitté sans heurts, l'usure du temps ne les a pas épargnés. Adolescent, son fils David a eu honte de ce père qu'il juge excentrique, ses collègues narguent ses idées farfelues. Seule, sa fille Sophie le trouve amusant, clamant que son père est le professeur Tournesol ! D'ailleurs, ne lui ressemble-t-elle pas ? Amertume constante chez cet homme incompris et moqué par son entourage, ce qu'il confiera à David dans ses lettres. Il est facile de lui parler de sa « lente dérive », l'un et l'autre ont coupé court à leur relation filiale, son fils lui ayant toujours reproché l'éclatement familial.

Roman charmant écrit par un auteur dont on a savouré les livres précédents. Lecture à mettre entre toutes les mains, nous exprimant par un lieu commun. Si un crime horrible révèle l'identité d'un être dépourvu de tout élan humaniste, habilement machiavélique, le ton qu'emploie Francis Malka pour emmener le lecteur vers cette redoutable conclusion se pare d'humour, parfois même de dérision, comme si nos actes, se teintant d'un grain de folie, acquerraient leur importance dans une jubilatoire espérance. Quelques convenances parsèment les dernières lettres mais, elles aussi, s'apparentent à la simplicité foisonnante de l'auteur qui, en accord avec le lecteur, l'assure d'un clin d'œil de connivence. Cependant, il est regrettable que le texte n'ait pas été davantage soigné par les réviseurs...


Le testament du professeur Zukerman, Francis Malka
Éditions Hurtubise, Montréal, 2012, 210 pages