lundi 6 mars 2017

Un détour de quelques jours *** 1/2

Au loin, la barre du jour se montre plus écarlate de minute en minute. De nos fenêtres, on suit son étalement sur l'horizon, dont elle maintient la ligne de démarcation. Frontière sans risque de démantèlement parce qu'elle n'est pas née de l'esprit belliqueux des hommes, mais de la fraternité indissoluble du ciel et de la terre. On commente le roman de Ronald White, Nathalie ne vit plus ici.

L'histoire se déroule en cinq semaines, narrée par Charlotte, mariée à Simon Genest, mère de deux jeunes enfants. Pendant la nuit, alors qu'elle ne peut dormir, elle se remémore Nathalie, qui a semé bien de mauvaises herbes dans un jardin où en apparence ne poussait aucune fleur empoisonnée. Métaphore qu'on utilise pour donner un aperçu du drame qui couve, à l'insu de Charlotte qui n'a rien vu venir, amoureuse d'un mari attentionné, qui élève son garçon et sa fille dans un foyer équilibré et conventionnel. Simon, qui travaille dans une firme internationale, rêve de posséder un nouveau camion pour aller au bureau. Ce camion coûtant très cher, sans le consentement de Charlotte, il loue une chambre de leur condo à Nathalie, une ancienne copine de cégep, qu'il a retrouvée à la suite d'une entrevue à la télévision. Charlotte sera informée de sa décision la veille où la jeune femme, inconnue d'elle, doit aménager chez eux. Elle accepte mal cette intrusion mais elle essaie d'entretenir un climat de bonne entente. Peu à peu, Nathalie se révèle une femme déséquilibrée de qui le couple sait peu de choses. Célibataire, sans enfants, infirmière, s'est-elle présentée, alors qu'elle est en instance de divorce, mère de deux petites filles. À la suite d'un examen psychiatrique, la garde lui en a été enlevée. Elle s'est enfuie de Sherbrooke, ville où elle résidait, pour s'éloigner d'un mari autoritaire, d'un psychiatre qui lui soumet un traitement duquel elle doute de l'efficacité.


C'est au fil des jours qui passent, que Charlotte et Simon se révèleront à leur tour sous leur vrai jour. Charlotte travaille dans un ministère, à aucun moment elle n'a mis en doute l'amour de son mari pour elle et leurs enfants. L'envers de cette vie, semblable à celle de beaucoup de couples, n'a pas la couleur du temps qui s'écoule, uniforme, teintée d'un ciel d'orage. En partie responsable des événements qui s'ensuivent, Nathalie, malgré ses crises de profonde angoisse, découvrira le pot aux roses. N'étant pas la femme qu'elle prétend être, un étau intolérable se resserre  autour de sa personne, sa famille, son ex, son psychiatre l'ayant retracée. Seul, un vieux monsieur, pour survivre, s'est épris de sa jeunesse. Révélations qui s'accumulent et dans lesquelles se reflètera la part sombre de Simon Genest, qui, sous un abord inoffensif, a manipulé son épouse Charlotte, trahi sa confiance. Celle-ci ne demandait qu'un peu de bonheur, qu'une parcelle de tendresse et, soudain, il ne reste plus rien. Que de jeunes êtres abîmés, que le cadavre d'une jeune femme qui avait saisi la personnalité trouble de Simon Genest. Complexité de Nathalie, oscillant entre l'innocence et la perversité, pensant que l'attrait du sexe et de l'argent la sauverait d'une dégradation qu'elle ne pouvait éviter, la réalité lui échappant, entrecoupée de douloureuses migraines. Secouée de tremblements nerveux qui la désemparent.

Le monde est ainsi fait que l'auteur, Ronald White, en a tiré une histoire émouvante, presque triste, où les victimes sont des femmes si peu aptes à lutter contre une apparente inertie sournoise. Femmes adultes, fillettes impubères, livrées obscurément à l'hypocrisie d'un homme en qui elles avaient cru, comme on croit à un ciel bleu qui, brusquement, s'assombrit, déverse son eau cinglante sur des épaules vêtues de teintes estivales. Le roman, morcelé de nombreux dialogues percutants, apprend au lecteur que toute vérité, quoi que nous en pensons, est salutaire à démystifier. Le désengagement forcé de Charlotte, la mort de Nathalie, les mensonges de Simon, apportent une dimension dérangeante à un récit qui, dans une vie normale, aurait dû se terminer dans une harmonieuse amitié à trois. Charlotte se serait endormie au lieu de faire le procès d'un homme, lisse comme la surface trompeuse  d'un lac. 


Nathalie ne vit plus ici, Ronald White
Les Éditions Sémaphore, Montréal, 2016, 185 pages