lundi 20 juin 2016

Faire l'amour via Internet ***

Quelle joie que de savoir faire face à toutes ses ignorances, il y en a tellement en nous. Elles incitent à nous instruire avec appétit, sans trop se poser de questions. Nourriture de l'esprit comme celle dont nous alimentons le corps, l'aidant à pallier sa désintégration. L'esprit doit se traiter avec autant de constance, de bon goût. Surtout d'humilité. On a lu Boîte de messagerie sulfureuse, roman de Dominique Girard.

Annie-Claude, trentenaire, mariée à Étienne, mère d'une enfant de deux ans. Après son accouchement, elle a fait une dépression post-partum, qui l'a laissée très vulnérable. Elle est journaliste pigiste et blogueuse, son mari travaille dans un bureau. Depuis quelques jours, elle reçoit les messages d'un internaute, rencontré sur les réseaux sociaux, qui ne cesse de vanter sa beauté, puis, peu à peu, la harcèle, lui tenant un langage suggestif qui la trouble et la séduit. Annie-Claude, voluptueuse, un brin narcissique, sensible aux regards et hommages masculins, ne saura résister aux fantasmes de l'inconnu. Au détriment de son travail de blogueuse, de ses amies, du bien-être d'Étienne, celui-ci s'inquiétant de l'état de distraction où se trouve soudainement sa femme. Des incidents se produiront qui confirmeront sa jalousie, son agacement. Annie-Claude, revenant à de meilleures intentions envers son couple et son enfant, se confiera à sa psychologue qui lui conseillera de rompre sans délai avec le bellâtre. Ce qu'elle fera avant de revenir, pantelante, aux désirs de plus en plus exigeants de cet amant virtuel. Il lui proposera de faire sa connaissance dans un club échangiste. Où elle s'empressera d'aller, où il n'ira pas. L'étau se resserre et l'effraie quand elle se rend compte que deux hommes la suivent partout où elle se rend. Un soir, rentrant en voiture d'un souper avec son groupe d'amies, terriblement angoissée, ayant trop bu, elle évitera de justesse une catastrophe qui, enfin, lui fera prendre conscience de l'obsessionnelle emprise que l'internaute exerce sur son corps et son esprit.

Ceci est un résumé de l'histoire érotique que décrit habilement Dominique Girard. Cette dernière a su agencer le resserrement d'événements menaçant Annie-Claude, qui finissent par l'étouffer. Aveuglent sa raison plutôt pragmatique, n'hésitant pas à mettre en danger ce qu'elle possède de précieux, mari et enfant, pour plaire à un homme dont les proies sont des femmes jeunes et belles. L'écrivaine l'ayant dépeint, il se présente comme le type conventionnel du séducteur frustré, époux et père de famille affable. Ne se montrant jamais à ses victimes, il utilise un vocabulaire rationnel et intentionné pour stimuler les sens des jeunes femmes qu'il attrape dans ses filets. On a pensé aux tueurs pathologiques, cent manières existant de détruire une personne. Envisagée sous cet angle, la chair est triste quand elle n'est pas enrobée, de part et d'autre, d'un amusement jouissif. C'est un désir tourmenté qui nourrit cet échange d'où toute profondeur divertissante est bannie. Rapports épidermiques dépourvus de fantaisie charnelle, comme on l'apprécie dans la littérature libertine des XVIIe et XVIIIe siècles. Même la grivoiserie trop banalisée dans le langage superflu de l'internaute-séducteur a peu de portée sur le sujet — objet ? — féminin. Aucun plaisir ne se dégage du comportement lascif d'Annie-Claude, engagée presque de force dans cet ordonnancement de gestes impudiques — son partenaire ne la menace-t-il pas de tout révéler si elle rompt leur correspondance ?  —, elle s'enferre dans une situation qui aurait pu lui coûter la vie. Le " dérèglement de tous les sens " que suggère le poète, ne convient qu'à celui ou celle qui sait pratiquer les jeux délibérés du désir, l'amour étant une histoire sacrée ou profane qui n'a cours, ici, que pour sauver Annie-Claude du désastre.

À découvrir ou à relire les " petits " maîtres érotiques de siècles cités plus haut, sans oublier la brûlante Histoire d'O, signée Pauline Réage, publiée au début des années 1950, décriée par les féministes. Après ces lectures édifiantes traitant du danger grisant, souvent clandestin, de séduire sa ou son partenaire consentant, ce que n'est pas Annie-Claude, le lecteur et la lectrice choisiront de plonger dans l'érotisme virtuel où des mots, étonnamment machinaux, éveillent la libido de jeunes femmes en mal de réalité sensuelle. Ce qui est se suffire de peu. Et peut-être se mésestimer.

Le roman de Dominique Girard se lit agréablement. Après l'avoir fermé, on s'est dit avec indulgence et humour : Autres temps, autres mœurs. Autre littérature érotique...


Boîte de messagerie sulfureuse, Dominique Girard
Éditions La Semaine, Montréal, 2016, 183 pages