lundi 13 septembre 2010

Des histoires japonisées ***

Septembre. Le mois qu'on préfère. Le mois de l'année qui se suffit à lui-même. Ce n'est plus tout à fait l'été, ni encore tout à fait l'automne. Mois indépendant qui folâtre avec le soleil et la pluie. S'insinue entre les tons orangés et rouges. Un livre à la main, on ne peut que contempler la nature qui se transforme lentement. Un peu dépaysée par la mue du paysage, on l'est aussi en lisant les nouvelles de Vincent Thibault, La Pureté.

La nouvelle éponyme nous introduit dans un univers violent et souterrain, qui est celui du métro de Tokyo. Nous assistons à la course effrénée d'un homme, responsable de l'attaque au gaz sarin tuant un nombre incalculable de personnes. L'auteur s'adresse au criminel, lui décrit la condition pathétique des victimes, quand soudain un fait inattendu se produit... Du récit Un air nouveau, nous tirons une profonde leçon d'humilité. Ajima-sensei, soixante-six ans, « enseignait la gymnastique chinoise dans le sous-sol d'une petite église de quartier. » Un matin de grande tempête, en attendant ses élèves, il « posa les yeux » sur le vieil orgue électrique. Après avoir découvert un livre traitant du bonheur de jouer de cet instrument, il se décide à improviser et, chaque semaine, il pratiquera « son petit répertoire »... Un an plus tard, se rendant à la chapelle, il ne peut que constater les flammes ravageant ce lieu où il a vécu tant d'heures sereines... Que deviendra le professeur en apprenant que l'incendie s'est déclaré « à la suite d'un problème électrique avec l'orgue. » ? On a particulièrement apprécié l'histoire intitulée S'animer. Un vieil homme, qui rend visite à son frère, s'arrête devant une vitrine de chez Chanel, située sur la « chic avenue Louise. » Il est fasciné par une femme, le regard observant les nuages. Le lendemain, un « grand blondinet en complet de luxe » se tient près d'elle. Chaque jour, le vieux Japonais remonte l'avenue Louise pour contempler la femme immobile dans la vitrine, le blondinet à ses côtés envers qui il éprouvera une éphémère jalousie. Puis, après avoir fait un rêve symbolique, il remarque, aux pieds de la femme, une « plaque dorée » sur laquelle le magasin demande un employé... Dans À propos de la dent de requin, nous lisons la lettre qu'un jeune Japonais écrit à son père ; il lui explique comment il a fait connaissance avec Myriam, sa future épouse. Après quelques péripéties, le morceau d'un futile et minuscule objet cassé en deux les a unis dans une harmonieuse tendresse. Autre nouvelle troublante, Naomi. Sortant de chez son frère aîné, Masaru, surpris par un violent orage, se réfugie dans une tour désaffectée. Alors qu'il contemple l'architecture de l'endroit, Naomi, une jeune femme noire surgit devant lui, le laissant perplexe. Comment est-elle entrée dans la tour ? Une aura de mystère flotte autour d'elle qui bouleversera Masaru jusqu'au dénouement.

Ces textes inédits nous ramènent au talent particulier de l'auteur que l'on savoure de livre en livre. Mais dans ce  recueil, n'est-ce pas là où le bât blesse ? Le communiqué de presse nous informe, et on cite : " Le défi que s'était lancé Vincent Thibault avec ce projet était d'écrire un recueil qui aurait pu être signé par un Japonais. " Même si ces textes fourmillent de non-dits, d'un tremblement mental distinguant les personnages, l'illusion n'a pas fonctionné. Il aurait fallu plus de voix balbutiantes, de murmures timides, d'ombres mouvantes, surtout plus de silences évocateurs pour créer une ambiance japonaise, comme nous la percevons dans l'œuvre de Yukio Mishima, de Yoko Ogawa, celle d'Aki Shimazaki. Il ne suffit pas d'affubler des créatures fictives de noms asiatiques pour les imprégner d'une culture tellement éloignée de la nôtre. Le dernier récit, Le promeneur, hors contexte, nous semble le mieux approprié à reproduire les intentions louables de Vincent Thibault. Le style vivifiant, inimitable de l'auteur, devrait se mettre au service d'une littérature qui lui est propre et non vouloir se démarquer d'une civilisation six fois millénaire.

Toutefois, on recommande la lecture de ces nouvelles pour jouir du talent impétueux de Vincent Thibault, de son originalité percutante. De ses thèmes tactiques, de ses protagonistes récalcitrants qui l'inspirent si bellement.


La Pureté, Vincent Thibault
Les éditions du Septentrion, collection Hamac
Sillery, 2010, 152 pages