lundi 4 juin 2018

Quand il ne reste plus que les silences *** 1/2

V. nous demande ce qui nous agace dans le comportement des humains. Sans hésitation, on lui rétorque, leurs impulsions trop souvent irréfléchies, qui leur font commettre des actes inconsidérés, prononcer des paroles irresponsables. On n'aime pas les agissements émotifs, le manque de sang-froid face à toute situation aride. S'y ajoutent des regrets mal venus, semblables à des larmes de crocodile. On commente les nouvelles de Caroline Thérien, Ce que l'avenir ne dira pas. 

Vingt et un courts textes qui en disent suffisamment sur le talent de cette jeune nouvellière. Divisé en trois parties thématiques, sans jamais s'éloigner du propos initial, le recueil nous a permis de pénétrer dans un univers où les choses ne durent que l'instant présent, ignorant ce qu'il adviendra du lendemain, comme si cela importait peu. Des narrateurs et narratrices anonymes, se conjuguant à l'imminence qui anime ces récits, des personnages qu'il faut bien nommer pour les affubler d'une légère consistance. Jamais une quelconque familiarité ne les rapproche de l'auteure, qui se garde de toute importance envers ses semblables. Des effleurements suffisent pour cerner l'essentiel. Pourtant, la tendresse enrubanne ces moments distinctifs, ces minutes où le regard se pose sur l'être qui en vaut la peine. Au loin, la mer, froide toujours, lieux intemporels qui ne dérangent personne, les incrustent dans des péripéties suggérées, à peine révélées. Ambiance villageoise et campagnarde, quand le temps est gris ou enneigé, rarement ensoleillé. Le dénuement alentour sert de repères. Jamais un mot inutile n'encombre le discours lapidaire, ni une faille ne l'obstrue. Souvent un regard de biais capte le sujet concerné, l'objet métaphorique. Un style concis, expressif, ne se prêtant pas à la digression, ni au qualificatif superfétatoire.

Il s'agit de situations allusives, comme dans le premier texte où un homme s'apprête à fermer sa boutique de livres d'occasion. Une jeune fille rousse entre en trombe, réclame une tasse de thé. Elle feuillette une " encyclopédie des sciences occultes ", déclare à son hôte qu'il n'a aucun avenir devant lui. Le village qu'il habite non plus. Puis elle s'en va, emportant le livre. De la bouche du narrateur, nous apprenons que c'est un lundi soir. Que la semaine commence mal. Préliminaire qui dirige le lecteur vers les autres fables, aussi fragiles et ténues. Annie laisse la parole à une femme qui, avec une adolescente, à l'aide d'une planche Ouija, interpelle les esprits. Une seule question posée par la narratrice, déclenchera les bruits de la cuisine, où toutes les deux mangent des nouilles. Anthropocène nous plonge dans les souvenirs d'enfance d'un homme qui affirme que les pierres lui parlent. « Je vis seul avec mes fossiles et un vieux chat aveugle. » Il ajoute que les pierres racontent des anecdotes de temps lointains, celles-ci transformées en fougères anciennes ou en dinosaures. Il ne les écoute pas, elles mentent. Mais elles rient et chantent. Brève fiction sensitive, narrée sur un ton de confidence poétique, dans l'attente de la mort. À l'intérieur de ces nouvelles, un livre y trouve sa place, tels un trophée, une mascotte, enrichissant la narration. Parfois, inspirant la description d'un verger, comme celui du récit Un verger, un jour d'apocalypse. Un poète assis sur un banc, prédit à la narratrice que la fin du monde est pour le lendemain. En fait, il annonce la venue de l'hiver, ses odeurs particulières. Il est temps de cueillir les pommes, d'en faire du cidre. Presque en aparté, le lecteur apprend que le poète avait une fille, qui a choisi d'aller se faire percer la langue en ville. On l'a retrouvée morte dans un minuscule appartement crasseux. Cette triste révélation dessine le portrait du poète, le lecteur n'en saura pas davantage mais le ton, une fois encore, est donné, reflétant l'ensemble méditatif du livre. Un détail apparemment anodin dénonce les méfaits de la ville, les contradictions des humains. La possibilité de rêver pour survivre. Mieux ? Pas obligatoirement, mais avant tout, il  faut éviter de mourir. La dernière nouvelle, Earl Grey, clôt admirablement le recueil, sur une note de faux occultisme. Un « mauvais » thé, une vieille dame qui désire parler à sa petite fille morte. Il ne reste plus qu'à jeter dans une boite aux lettres publique l'encyclopédie que traine avec elle la narratrice, depuis qu'une jeune fille rousse l'a subtilisée dans une boutique de livres d'occasion. L'avenir n'a plus rien à dire.

Le livre est composé de cette mouture intimiste, comme l'exige le « petit genre ». Un sculpteur qui rafistole de vieilles statues de saints, un chat mort ramassé par un jeune homme pour l'enterrer décemment. Un autre village, Carmin-sur-Lune, où les gens ont froid, même en juillet. Des descriptions paisibles, des scènes pluvieuses, pour signaler le décès de Mme Fogg. Le thé, les livres et les chats ont une place privilégiée. Ils s'immiscent en douceur, le temps de les mentionner, cela suffit pour que leur présence s'avère indispensable. L'écrivaine faisant part au lecteur de ses préférences. Chats, livres, thé. Occultisme. Univers où les brouillards mouvants adoucissent l'ennui et la désespérance. Où la brume opaque alourdit les silences. Si le présent l'emporte sur l'avenir, pourquoi anticiper ce que chacun ignore ou redoute ? L'enfance fait tache rédemptrice sur les regrets, estompant les événements qui auraient dus être différents alors qu'ils ne sont restés qu'eux-mêmes, indignes du rêve brossé autour. Ne faut-il pas attendre l'été « pour enterrer le reste de notre vie dans la glaise » ? Nous savons qu'ailleurs la vie sera identique parce que nous sommes faits de telle manière que nous ne pouvons changer les habitudes, même si nous tuons le chat d'un coup de pelle.

Magnifique ensemble de textes qu'on ne peut tous citer. Le lecteur appréciera ce que, pour ne pas ratiociner, on n'a pu évoquer. Il est rare de découvrir une jeune écrivaine qui, de la nouvelle, a saisi la succincte atmosphère sans tomber dans le piège grossier d'un bavardage excessif. On souhaite à Caroline Thérien que son talent soit vite reconnu, que ses écrits soient récompensés de prix littéraires qui la mettront sur la sellette du succès.


Ce que l'avenir ne dira pas, Caroline Thérien
Lévesque éditeur, Montréal, 2018, 125 pages