La musique. Au même titre que les livres, elle tient une place prépondérante dans notre vie et ceci depuis longtemps. Musique classique, musique contemporaine, musique du monde, musique tout court ! On déplore parfois nos goûts éclectiques, mais on y trouve un plaisir de chaque instant. Réviser sur fond de voix " jazzées ", bloguer en compagnie de quelque concerto pour piano ou violon, inspire à la clémence ! La musique, caisse de résonances profondes, telle une voix humaine nous invitant à nous taire. On a lu l'un des derniers romans de la saison printanière, Le testament du professeur Zukerman, signé Francis Malka.
Alors qu'il est mort, le professeur Zukerman, par le biais de son notaire, adresse trente-quatre lettres à son fils David, relatant ce qui lui est arrivé. Il demande à David de l'aider à résoudre le mystère de son décès. L'homme est une sorte d'idéaliste qui désire recréer les sources de la vie. Pour mener à bien ce dessein ambitieux, il lui faut un laboratoire et de l'argent. Après que des investisseurs renommés ont refusé son projet d'envergure, et insensé, c'est la compagnie pharmaceutique Genetix, représentée par Ricardo Bellini, qui soutiendra financièrement les travaux du professeur. Y trouvant son compte, Bellini lui fournira un laboratoire à l'intérieur de la compagnie, équipé de tous les appareils et de toutes les pièces nécessaires à son rêve phénoménal. Deux assistants le seconderont, dont l'un sera sa fille Sophie, elle-même scientifique. L'autre, Jeff, un jeune homme maigre, aux cheveux longs et dépeignés. Sa silhouette efflanquée lui confère l'allure « d'un animal issu du croisement entre une vadrouille et un oursin. » Petite équipe efficace qui ne se laissera pas démonter par les attaques sournoises de fanatiques égarés, accusant le professeur Zukerman de toucher à l'immuable, œuvre de Dieu impénétrable.
À travers ces avatars, Francis Malka mettra en évidence l'organisation des travaux du chercheur et de ses deux acolytes. Un réacteur agencé de douze robots, incluant le bras capable de soulever le couvercle de la cuve immense. Des « béchers », des éprouvettes contenant divers solvants... On ne s'attardera pas sur ces propos un peu arides que le professeur, dans ses lettres, énumère à son fils qui, lui, s'est dirigé vers l'informatique. Surgit un quatrième personnage inattendu, le détective privé Olivier Trébuchet, déjà présent dans le premier roman de Francis Malka, Le jardinier de monsieur Chaos. Spécimen paradoxal, « un homme dans la cinquantaine, cheveux hirsutes et barbe longue [...] » qui est là pour lui sauver la vie. Ce qu'il fera quand les événements se dérouleront d'une manière dramatique. Tout d'abord, un visiteur est entré dans la maison du professeur, a fouillé dans ses papiers personnels rangés dans son bureau. Intrusion perturbante qui fait réfléchir Zukerman sur la teneur de son testament... Un incident plus grave met en branle le service de sécurité de chez Genetix : la porte du laboratoire a été défoncée. Des menaces édifiantes dirigées essentiellement vers le savant. Des manifestants de plus en plus hostiles à ses recherches. Une grenouille et des mouches apparus dans la cuve ridiculiseront le professeur. Qui est l'auteur de cette mystification, comment un individu a-t-il pu pénétrer dans le laboratoire surveillé nuit et jour par des policiers et des caméras ? Énigme qui sera élucidée lorsque l'un des assistants y laissera la vie.
L'histoire scientifique que narre Francis Malka dans les trente-quatre lettres, est entrecoupée des échecs sentimentaux du professeur. Celui-ci ne songeant qu'à ses travaux, n'a jamais été un mari attentionné, ni un père prévenant. Son épouse, le considérant comme un illuminé, l'a quitté sans heurts, l'usure du temps ne les a pas épargnés. Adolescent, son fils David a eu honte de ce père qu'il juge excentrique, ses collègues narguent ses idées farfelues. Seule, sa fille Sophie le trouve amusant, clamant que son père est le professeur Tournesol ! D'ailleurs, ne lui ressemble-t-elle pas ? Amertume constante chez cet homme incompris et moqué par son entourage, ce qu'il confiera à David dans ses lettres. Il est facile de lui parler de sa « lente dérive », l'un et l'autre ont coupé court à leur relation filiale, son fils lui ayant toujours reproché l'éclatement familial.
Roman charmant écrit par un auteur dont on a savouré les livres précédents. Lecture à mettre entre toutes les mains, nous exprimant par un lieu commun. Si un crime horrible révèle l'identité d'un être dépourvu de tout élan humaniste, habilement machiavélique, le ton qu'emploie Francis Malka pour emmener le lecteur vers cette redoutable conclusion se pare d'humour, parfois même de dérision, comme si nos actes, se teintant d'un grain de folie, acquerraient leur importance dans une jubilatoire espérance. Quelques convenances parsèment les dernières lettres mais, elles aussi, s'apparentent à la simplicité foisonnante de l'auteur qui, en accord avec le lecteur, l'assure d'un clin d'œil de connivence. Cependant, il est regrettable que le texte n'ait pas été davantage soigné par les réviseurs...
Le testament du professeur Zukerman, Francis Malka
Éditions Hurtubise, Montréal, 2012, 210 pages
Critique de livres, romans, nouvelles, récits.
Écrire est un acte d'amour. S'il ne l'est pas, il n'est qu'écriture. Jean Cocteau
mercredi 6 juin 2012
lundi 28 mai 2012
Sur un air d'Ennio Morricone ****
Les livres. On en lit beaucoup, on parle de certains. On les range après avoir gommé les notes qu'on porte dans la marge de pages qui nous intéressent plus particulièrement. Parfois, on les caresse d'un regard attendri, nous demandant ce qu'on ferait sans eux. Semblables à une personne que nous côtoyons chaque jour et qui nous semble nécessaire pour vivre. Les livres sont ainsi, des témoins façonnés entre chair et papier... On a lu Griffintown, roman signé Marie Hélène Poitras.
L'hiver se termine. Lentement, tel un éveil, nous pénétrons dans Griffintown, ancien quartier ouvrier du Sud-Ouest de Montréal, proche du Vieux-Montréal. À Griffintown, se dresse l'une des dernières écuries de l'Amérique du Nord ; dans le Vieux-Montréal, se démènent les cochers et leurs calèches. Univers hétéroclite à la fois mythique et outragé. « Far-Ouest » urbain avec ses personnages décalés dans le temps et l'espace. Territoire enclavé que des promoteurs immobiliers désirent s'approprier. Si le décor est planté, Paul « seigneur du domaine » attend le retour des cochers et des chevaux disséminés au Québec, aux États-Unis. Certains n'ont pu se rendre jusqu'au bout de la saison morte. Personne ne sait ce qu'il est advenu d'eux, « l'hiver leur laboure le corps, les laissant paumés [...] » Dans cette société à l'amitié bourrue, chacun se tait sur les disparus, seul l'espoir de les voir réapparaître, et le soleil printanier, font plisser les yeux.
Ce printemps-là, les cochers et les chevaux sont fidèles au rendez-vous. Paul et son palefrenier Billy sont heureux de les revoir. Silence autour de cette joie brève. Comme dans une pièce de théâtre, entrent en scène John, Alice, Evan, La Mouche, le Rôdeur, L'Indien, Grande Folle la transsexuelle. La Mère. Marie, la Rose au cou cassé. Marie, ancienne cavalière, fascinée par les chevaux, se profile comme la figure prédominante du roman. Elle suivra les cours de cochère, réussira, malgré nombre d'embûches, à s'infiltrer dans cette zone d'hommes durs, au passé trouble, sulfureux. Marie sera prise en charge par John qui, malgré lui, la défendra contre cochers et cochères qui refusent son intrusion parmi les « cow-boys » du quartier. Ambiance survoltée où se trame leur vie saisonnière, se lamente leur passé. S'ourdissent les intrigues, s'éveillent les méfiances. La peur aussi de disparaître, les chevaux s'avérant, tel un éphéméride regroupant les événements déterminants, des témoins implacables contre le temps autrefois glorieux mais douteux. Jamais, rien ne redevient comme avant. Avant, se révélant des époques se superposant à la modernité. Au loin, « Ceux de la ville » impriment de plus en plus lourdement leurs pas dans les pas des hommes et chevaux qui, tant bien que mal, essaient de démontrer la raison d'être de ce territoire où, la rumeur aidant, l'or attire, outre les cochers, les commissionnaires, les forgerons, les nouveaux conducteurs, « procession boiteuse. »
Faisant fi de ce qui se trame à Griffintown, des menaces qui y sourdent, des tensions extrêmes, des racontars faits pour rassurer, que s'y passe-t-il au juste ? On ne dévoilera pas le meurtre qui s'y commet, la vengeance de La Mère, l'existence blessée de Marie, la trahison de l'un d'entre eux, la vieillesse des chevaux, la mort de Champion. Le fantôme de la jument Mignonne, figure légendaire dépeinte par Marie-Hélène Poitras dans une nouvelle... La fatale démission du Rôdeur face à Roberta, silhouette « déraillée par le passé. » Des sous-chapitres révélant discrètement ce que fut le destin de ces hommes récalcitrants avant d'échouer dans « le cabaret de la dernière chance », incitent le lecteur à réfléchir sur la condition humaine de chacun d'entre nous. Les fabulations n'ont plus cours, les failles de l'enfance, les cassures de l'adolescence, modèlent la peau tendre, l'esprit retors. Il n'en faut pas davantage pour que John et Marie, le temps fugace d'une photo, s'éprennent non d'eux-mêmes, mais d'une illusoire entente les électrisant l'un vers l'autre.
Roman sensuel aux odeurs fortes. Goût du sang, du crottin, de la sueur. De la pourriture d'un corps. De la crasse protégeant la peau de l'innocence trahie. Chaque individu dissimule des insuffisances derrière des regards appuyés contre des années réprouvées, la malveillance d'humains irresponsables. Qui peut s'observer dans la honte d'un visage contrefait ? La tendresse s'allie aux railleries sournoises qu'échangent les cochers entre eux, l'amour qu'ils portent aux chevaux les trahissant constamment.
Roman combien original et savoureux dans la production littéraire de ce printemps. Surprenante démarche d'une jeune écrivaine qui, éprise de chevaux, n'a pas froid aux yeux, relatant dans une entrevue qu'elle avait réussi à s'introduire dans ce milieu fermé, conduisant pendant deux étés une calèche dans le Vieux-Montréal. On aime ce quartier riche en monuments historiques, que fréquentent les hommes et femmes d'affaires, les touristes, ne se doutant pas quel être abîmé se cache sous les traits du cocher, de la cochère, du cheval qui les promènent dans les rues pittoresques de la ville. Pour combien de saisons estivales encore ? Les « Ceux de la ville » se rapprochent inexorablement...
Griffintown, Marie-Hélène Poitras
Éditions Alto, Québec, 2012, 216 pages
L'hiver se termine. Lentement, tel un éveil, nous pénétrons dans Griffintown, ancien quartier ouvrier du Sud-Ouest de Montréal, proche du Vieux-Montréal. À Griffintown, se dresse l'une des dernières écuries de l'Amérique du Nord ; dans le Vieux-Montréal, se démènent les cochers et leurs calèches. Univers hétéroclite à la fois mythique et outragé. « Far-Ouest » urbain avec ses personnages décalés dans le temps et l'espace. Territoire enclavé que des promoteurs immobiliers désirent s'approprier. Si le décor est planté, Paul « seigneur du domaine » attend le retour des cochers et des chevaux disséminés au Québec, aux États-Unis. Certains n'ont pu se rendre jusqu'au bout de la saison morte. Personne ne sait ce qu'il est advenu d'eux, « l'hiver leur laboure le corps, les laissant paumés [...] » Dans cette société à l'amitié bourrue, chacun se tait sur les disparus, seul l'espoir de les voir réapparaître, et le soleil printanier, font plisser les yeux.
Ce printemps-là, les cochers et les chevaux sont fidèles au rendez-vous. Paul et son palefrenier Billy sont heureux de les revoir. Silence autour de cette joie brève. Comme dans une pièce de théâtre, entrent en scène John, Alice, Evan, La Mouche, le Rôdeur, L'Indien, Grande Folle la transsexuelle. La Mère. Marie, la Rose au cou cassé. Marie, ancienne cavalière, fascinée par les chevaux, se profile comme la figure prédominante du roman. Elle suivra les cours de cochère, réussira, malgré nombre d'embûches, à s'infiltrer dans cette zone d'hommes durs, au passé trouble, sulfureux. Marie sera prise en charge par John qui, malgré lui, la défendra contre cochers et cochères qui refusent son intrusion parmi les « cow-boys » du quartier. Ambiance survoltée où se trame leur vie saisonnière, se lamente leur passé. S'ourdissent les intrigues, s'éveillent les méfiances. La peur aussi de disparaître, les chevaux s'avérant, tel un éphéméride regroupant les événements déterminants, des témoins implacables contre le temps autrefois glorieux mais douteux. Jamais, rien ne redevient comme avant. Avant, se révélant des époques se superposant à la modernité. Au loin, « Ceux de la ville » impriment de plus en plus lourdement leurs pas dans les pas des hommes et chevaux qui, tant bien que mal, essaient de démontrer la raison d'être de ce territoire où, la rumeur aidant, l'or attire, outre les cochers, les commissionnaires, les forgerons, les nouveaux conducteurs, « procession boiteuse. »
Faisant fi de ce qui se trame à Griffintown, des menaces qui y sourdent, des tensions extrêmes, des racontars faits pour rassurer, que s'y passe-t-il au juste ? On ne dévoilera pas le meurtre qui s'y commet, la vengeance de La Mère, l'existence blessée de Marie, la trahison de l'un d'entre eux, la vieillesse des chevaux, la mort de Champion. Le fantôme de la jument Mignonne, figure légendaire dépeinte par Marie-Hélène Poitras dans une nouvelle... La fatale démission du Rôdeur face à Roberta, silhouette « déraillée par le passé. » Des sous-chapitres révélant discrètement ce que fut le destin de ces hommes récalcitrants avant d'échouer dans « le cabaret de la dernière chance », incitent le lecteur à réfléchir sur la condition humaine de chacun d'entre nous. Les fabulations n'ont plus cours, les failles de l'enfance, les cassures de l'adolescence, modèlent la peau tendre, l'esprit retors. Il n'en faut pas davantage pour que John et Marie, le temps fugace d'une photo, s'éprennent non d'eux-mêmes, mais d'une illusoire entente les électrisant l'un vers l'autre.
Roman sensuel aux odeurs fortes. Goût du sang, du crottin, de la sueur. De la pourriture d'un corps. De la crasse protégeant la peau de l'innocence trahie. Chaque individu dissimule des insuffisances derrière des regards appuyés contre des années réprouvées, la malveillance d'humains irresponsables. Qui peut s'observer dans la honte d'un visage contrefait ? La tendresse s'allie aux railleries sournoises qu'échangent les cochers entre eux, l'amour qu'ils portent aux chevaux les trahissant constamment.
Roman combien original et savoureux dans la production littéraire de ce printemps. Surprenante démarche d'une jeune écrivaine qui, éprise de chevaux, n'a pas froid aux yeux, relatant dans une entrevue qu'elle avait réussi à s'introduire dans ce milieu fermé, conduisant pendant deux étés une calèche dans le Vieux-Montréal. On aime ce quartier riche en monuments historiques, que fréquentent les hommes et femmes d'affaires, les touristes, ne se doutant pas quel être abîmé se cache sous les traits du cocher, de la cochère, du cheval qui les promènent dans les rues pittoresques de la ville. Pour combien de saisons estivales encore ? Les « Ceux de la ville » se rapprochent inexorablement...
Griffintown, Marie-Hélène Poitras
Éditions Alto, Québec, 2012, 216 pages
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