L'hiver s'installe, il nous fait reculer de plusieurs pas. Manque de courage pour traverser la saison blanche. On a l'envie irrépressible de faire nos valises vers des ciels plus cléments que les rayons solaires illuminent de leur magistrale lumière. Ou bien on rêve. On arpente les boulevards parisiens, les avenues, les parcs. On entre dans des musées, partout où la culture bat son plein d'universalité. Où est passé l'hiver québécois ? On commente le roman de Mario Cholette, Le coureur de Lune.
Alléchante diversité littéraire cet automne dont on a profité pleinement. On a beaucoup voyagé, sans aller très loin, des forêts ont entendu nos pas crisser sur les feuilles mortes. La saison hivernale se précisant, on savoure la précédente avec le roman d'un écrivain qu'on ne connaissait que par ses allées et venues dans les réseaux sociaux. Étrange histoire qui nous emporte vers un gamin de cinq ans qui se souvient qu'il a toujours couru. Il se sert d'un pouvoir peu usité pour gambader dans divers paysages, surtout des plages. Mettant à contribution sa curiosité d'abord enfantine sur des cartes postales, il se déporte à volonté pour échapper à un monde trop ancré dans ses habitudes. L'histoire s'ouvre sur le narrateur, Jacques Fréchette, qui s'interroge sur ses nécessités de courir. Ce qui lui permet de revisiter sa vie, passée et présente. Déjà, il n'est pas un garçon comme les autres : dès qu'il raisonne il se prend au jeu du chapardage, vers l'insolite de sa jeune existence. Mère et père affectueux, frères et sœurs conciliants. Ceux-là sans aucun don particulier. Très jeune, la beauté des filles que Jacques côtoie le fascine, plus tard, il s'éprendra de femmes qui le guideront dans ses débâcles existentielles. Il sera souvent la proie et le témoin d'événements n'ayant rien à voir avec la banalité d'une existence tracée d'avance, la plupart des êtres humains ne recherchant que la conformité rassurante des agissements. Le jeune Jacques doit beaucoup à sa mère qui, autodidacte, a développé l'imagination délirante de son fils. Ce qu'il narre avec une poésie intense contient une immense passion de l'art de vivre, prenant pour modèle Arthur Rimbaud et ses échappatoires discutables loin de ses aspirations poétiques. Plus concrètement, deux ou trois hommes bienveillants assureront le fil de ses démarches entre rêve et réalité, ne sachant pas toujours concilier les choses qui se font et d'autres pas.
Le parcours insolite de Jacques Fréchette se situe au Québec, à la fin des années mille neuf cent soixante, début des années soixante dix. Banlieue montréalaise où ses parents résident, intègres et travailleurs. Chaque fois qu'il commettra un larcin, un vieux réparateur de bicyclettes, un brin philosophe, le rappellera à l'ordre avec douceur, l'enfant, intelligent et rebelle, ne se soumettant pas à la colère justifiée de son père. Se plonger dans ses souvenirs le met en transe, lui donne le vertige. On le comprend, il doit remonter le temps et l'espace qu'il occupe au fur et à mesure qu'il grandit. Il raconte que sous son lit, il y avait un trou dans lequel il plongeait, comme Alice dans son terrier. Ce trou existait-il réellement, ou bien l'a-t-il fabriqué, imaginé ? Peu importe, ce trou est un fil " minotaurien " qui nous vaut les tours de magie de Jacques, donnant la parole à un écrivain qui nous a charmée durant plusieurs jours. Sa première loufoquerie se présentera la nuit du 20 juillet 1969 quand les astronautes américains se poseront sur la Lune. Jacques prétendant qu'il a foulé le sol lunaire, près de Neil Amstrong. Bien sûr, le Trou l'a aidé à réaliser son exploit démentiel, cependant peu probable. Excessif, jouissif à outrance, l'adolescent qu'il est devenu va goûter et s'affranchir à tous les stupéfiants avant de se compromettre dans un fâcheux avenir, d'où il sortira sain et sauf, ce qui nous a étonnée. Se démet-on aussi facilement du cartel de la drogue sans y laisser sa peau, malgré quelques avertissements tranchants ?
Il nous serait impossible d'inventorier les nombreuses situations de cette fiction surréaliste, colonne vertébrale de ce magnifique récit. Notre incursion dans ce foisonnement à la fois réel et imaginaire s'avère un survol sommaire, nous dérobant aux ressources fantaisistes du narrateur pour nous disculper de notre impuissance à relater les moindres péripéties. Les amours vivantes et mortes du jeune homme sont mises de côté. Ses trois voyages en Colombie, sa présence coutumière dans des lieux interlopes, sa passion et son savoir de la peinture. L'observant, puis l'écoutant, on imagine un tableau du peintre abstrait Willem de Kooning, qu'il cite lui-même. Décomposé, recomposé son propre univers d'agitation extrême, les recueils de poésie qu'il écrit, toujours sous la gouverne magistrale de Rimbaud. Il vit dans l'enchantement des semaines et des mois qu'il invente pour mieux se soustraire à la solitude qu'éprouvent les coureurs de fond. Si de temps à autre, il croise un amour égaré, jamais perdu, il s'en lasse, son enthousiasme laisse à désirer. Conversion subite : il veut ne semer que le bien autour de lui. Comment faire pour atteindre une telle chimère ? Un projet farfelu qu'il réalisera se révélera un échec, faisant s'éloigner des femmes qu'il a aimées. Leurré de ses intentions peut-être inconscientes, l'écrivain Mario Cholette atteint l'ultime solution, aboutissant à une fin ouverte, mêlant ses connaissances scientifiques à une logique irréaliste, combien proche de l'aviateur Saint-Exupéry plus que de l'écrivain.
Quels vocables suffisamment intelligents conviendront à ce livre loufoque, heureux, il faut le dire, bâtissant ses anecdotes sur moult métaphores et symboles ? On veut signifier que l'histoire de cet enfant puis jeune homme nous a permis de respirer plus profondément chaque fois qu'on tournait les pages, savourant l'utopie comme une madeleine proustienne. C'est écrit dans un langage moderne, dynamique, vivant, fourmillant d'humour rose et noir, sans jamais s'essouffler malgré la distance qui sépare le lecteur du coureur. Et inversement. Par contre, pour ne rien échapper de magistralement descriptif, on doit lire ce récit à doses prudentes, risquant de ne plus suivre le narrateur Jacques Fréchette dans son Trou libérateur. De rebondir on ne sait trop où. C'est un prix très cher que tout être marginal doit payer pour survivre parmi la meute conventionnelle. Faire bande à part. On peut avancer que Mario Cholette mérite de monter à bord de son engin extra-planétaire pour savourer sa prochaine virée interstellaire, peut-être nous en faire part. On s'en réjouit, attendant fébrilement la suite. L'autre extrémité de la Voie lactée ayant enregistré des échos du Trou noir de Jacques Fréchette, loquace, l'écrivain à l'imaginaire débridé, invitera ses lecteurs et lectrices sur ses rives très certainement respirables...
Le coureur de Lune, Mario Cholette
Leméac Éditeur, Montréal, 2019, 339 pages
Critique de livres, romans, nouvelles, récits.
Écrire est un acte d'amour. S'il ne l'est pas, il n'est qu'écriture. Jean Cocteau
lundi 13 janvier 2020
lundi 6 janvier 2020
La mort d'un chien et ses conséquences *** 1/2
On ne peut pas dire que la première neige soit la bienvenue. On a des réminiscences de paysages lointains, fleuris tout azimut, marqués en décembre et janvier par des pluies recrudescentes. On se souvient du jardin qui fleurait bon l'entêtant parfum du lilas. On s'en mettait plein les narines, comme effleurée d'un sombre pressentiment. On a lu le roman de Gabrielle Lisa Collard, La mort de Roi.
Si on n'aime pas les histoires débilitantes, l'auteure nous gâte avec un premier récit grinçant, dérangeant, hors des normes propres à la littérature romanesque. Tout d'abord, on a reculé devant cette lecture déroutante, pour ne pas dire agressive. On y est revenue, décidée à élucider cette aventure de peine incommensurable après que le chien de Max soit mort. Élucider s'avère prétentieux mais essayer de saisir les intentions mortifères de Max, la narratrice, qui la poussent à commettre des crimes sur des personnes qui ne lui sont rien, ou si peu. Il suffit d'une griffure métaphorique pour que Max haïsse et tue l'auteur de cette blessure. Elle est consciente que quelque chose, depuis son enfance, dépasse ses manières d'abréger l'existence d'hommes, de préférence. Elle a toujours aimé entrer dans des maisons vides de leur propriétaire, en tâter les objets — quelle précision dans les détails —, en sentir les odeurs, les vêtements, tout ce qui s'imprègne de la présence récente d'un corps humain. Elle est blonde et grosse, se dépeint-elle, « son corps osseux écrasé sous mes trois cents livres de chair immuable. » Réflexion après avoir tué son voisin, chez qui elle a pénétré, le trouvant endormi « dans son vieux lazy-boy, vert forêt élimé [ ... ] » , répugnant. Elle se souvient qu'il a été un « pogneur de cuisses », laissant supposer qu'il se serait rincé l'œil des appâts de Max.
L'enfance, comme souvent dans la fiction actuelle, n'est pas en reste pour essayer de justifier le comportement « weird » de quelques individus en marge d'une société bien-pensante. Max a des parents conventionnels, attachés aux valeurs ancestrales, une jeune sœur, Gi, qui a saisi d'inquiétantes interférences dans la tête de Max, cette dernière avouant que dans son cerveau, ça crie parfois trop fort. Elle se considère comme sa propre ennemie. « Je me déteste de croire que je suis donc profonde, que ma riche vie intérieure est spéciale, pis que l'univers entier existe dans ma poitrine. » Lucidité effrayante qu'elle n'essaie jamais de nier, il lui semblerait alors que ses conditions d'agir seraient pires qu'une apathie mortifère. Pendant qu'elle se démène avec l'horreur ténébreuse de son existence, elle se remémore la vie de son chien Roi à ses côtés, l'affuble de qualités inexistantes en aucun être humain, qu'elle rencontre inopinément. Sa première incartade inexplicable se fera dans la maison de Madeleine Metcalfe, une « femme sur la rue où j'ai grandi, qui buvait seule en regardant Sous un ciel variable, le téléroman le plus soporifique de l'univers. » Tout révolte Max qui, trentenaire, ressemble de plus en plus à sa grand-mère. Elle se souvient, et c'est tendre, même avec des sursauts de colère qu'elle n'est jamais parvenue à réfréner.
Max commettra d'autres meurtres, des corps qu'elle abandonnera dignement dans la nature. Démembrés, livrés aux bêtes sauvages. Étonnamment, elle ne remettra jamais ses meurtres en question, croyant bien faire, non pour la société mais pour elle-même. Elle a un « chum » qui succède aux précédents, qui ne s'étonne de rien, se laisse vivre au gré des fantaisies de sa compagne. Il en ignore le vertigineux combat dont il sera une victime, fil révélateur au début du récit. Elle hait les émotions, pourtant, son histoire en est comble, tant d'ordre analytique que psychologique. On dirait qu'elle tient la main d'un lecteur attentif, d'une lectrice compatissante, se confiant comme souvent cela arrive, à des individus desquels elle ne sait rien. Questionnement vertigineux depuis la mort de Roi, mise en abyme à laquelle Max se soumet, ses points de repère se délitant chaque fois qu'elle désire s'y ancrer. Dans la rue, avec ses écouteurs sur la tête, « la musique dans le tapis, sans jamais me retourner pour scruter la noirceur. » Comment aurait-elle pu faire, elle qui tue pour atténuer la perte de son chien ? Sans aucune joie, bien qu'elle parvienne à planter des fleurs, s'allongeant sereinement, la fatigue la submergeant, auprès de sa victime, triturant les corps de ses mains nues ou gantées.
C'est un court roman où la noirceur de certains êtres humains se révèle, telle une maladie insidieuse, engourdie aux confins de notre corps, embrouillant notre esprit. Maladie qui peut se réveiller ou demeurer inerte jusqu'à notre mort. Il fallait un surprenant courage à Gabrielle Lisa Collard pour aborder un tel sujet redoutable, occulté de nos retors principes. À la manière de la narratrice, nous pouvons vomir cette histoire ou, au contraire, nous y vautrer avec une curiosité accrue par l'insistance provocatrice de Max, à la fois, ombre et lumière. L'accepter comme le témoignage d'une feinte innocence chaque fois qu'un inconnu se fait ange bienfaisant avant de se transformer en démon irresponsable. Livre coup de poing, frappé sur la table encombrée de nos lectures appesanties parfois de somnolence...
La mort de Roi, Gabrielle Lisa Collard
Éditions Le Cheval d'août, Montréal, 2019, 135 pages
Si on n'aime pas les histoires débilitantes, l'auteure nous gâte avec un premier récit grinçant, dérangeant, hors des normes propres à la littérature romanesque. Tout d'abord, on a reculé devant cette lecture déroutante, pour ne pas dire agressive. On y est revenue, décidée à élucider cette aventure de peine incommensurable après que le chien de Max soit mort. Élucider s'avère prétentieux mais essayer de saisir les intentions mortifères de Max, la narratrice, qui la poussent à commettre des crimes sur des personnes qui ne lui sont rien, ou si peu. Il suffit d'une griffure métaphorique pour que Max haïsse et tue l'auteur de cette blessure. Elle est consciente que quelque chose, depuis son enfance, dépasse ses manières d'abréger l'existence d'hommes, de préférence. Elle a toujours aimé entrer dans des maisons vides de leur propriétaire, en tâter les objets — quelle précision dans les détails —, en sentir les odeurs, les vêtements, tout ce qui s'imprègne de la présence récente d'un corps humain. Elle est blonde et grosse, se dépeint-elle, « son corps osseux écrasé sous mes trois cents livres de chair immuable. » Réflexion après avoir tué son voisin, chez qui elle a pénétré, le trouvant endormi « dans son vieux lazy-boy, vert forêt élimé [ ... ] » , répugnant. Elle se souvient qu'il a été un « pogneur de cuisses », laissant supposer qu'il se serait rincé l'œil des appâts de Max.
L'enfance, comme souvent dans la fiction actuelle, n'est pas en reste pour essayer de justifier le comportement « weird » de quelques individus en marge d'une société bien-pensante. Max a des parents conventionnels, attachés aux valeurs ancestrales, une jeune sœur, Gi, qui a saisi d'inquiétantes interférences dans la tête de Max, cette dernière avouant que dans son cerveau, ça crie parfois trop fort. Elle se considère comme sa propre ennemie. « Je me déteste de croire que je suis donc profonde, que ma riche vie intérieure est spéciale, pis que l'univers entier existe dans ma poitrine. » Lucidité effrayante qu'elle n'essaie jamais de nier, il lui semblerait alors que ses conditions d'agir seraient pires qu'une apathie mortifère. Pendant qu'elle se démène avec l'horreur ténébreuse de son existence, elle se remémore la vie de son chien Roi à ses côtés, l'affuble de qualités inexistantes en aucun être humain, qu'elle rencontre inopinément. Sa première incartade inexplicable se fera dans la maison de Madeleine Metcalfe, une « femme sur la rue où j'ai grandi, qui buvait seule en regardant Sous un ciel variable, le téléroman le plus soporifique de l'univers. » Tout révolte Max qui, trentenaire, ressemble de plus en plus à sa grand-mère. Elle se souvient, et c'est tendre, même avec des sursauts de colère qu'elle n'est jamais parvenue à réfréner.
Max commettra d'autres meurtres, des corps qu'elle abandonnera dignement dans la nature. Démembrés, livrés aux bêtes sauvages. Étonnamment, elle ne remettra jamais ses meurtres en question, croyant bien faire, non pour la société mais pour elle-même. Elle a un « chum » qui succède aux précédents, qui ne s'étonne de rien, se laisse vivre au gré des fantaisies de sa compagne. Il en ignore le vertigineux combat dont il sera une victime, fil révélateur au début du récit. Elle hait les émotions, pourtant, son histoire en est comble, tant d'ordre analytique que psychologique. On dirait qu'elle tient la main d'un lecteur attentif, d'une lectrice compatissante, se confiant comme souvent cela arrive, à des individus desquels elle ne sait rien. Questionnement vertigineux depuis la mort de Roi, mise en abyme à laquelle Max se soumet, ses points de repère se délitant chaque fois qu'elle désire s'y ancrer. Dans la rue, avec ses écouteurs sur la tête, « la musique dans le tapis, sans jamais me retourner pour scruter la noirceur. » Comment aurait-elle pu faire, elle qui tue pour atténuer la perte de son chien ? Sans aucune joie, bien qu'elle parvienne à planter des fleurs, s'allongeant sereinement, la fatigue la submergeant, auprès de sa victime, triturant les corps de ses mains nues ou gantées.
C'est un court roman où la noirceur de certains êtres humains se révèle, telle une maladie insidieuse, engourdie aux confins de notre corps, embrouillant notre esprit. Maladie qui peut se réveiller ou demeurer inerte jusqu'à notre mort. Il fallait un surprenant courage à Gabrielle Lisa Collard pour aborder un tel sujet redoutable, occulté de nos retors principes. À la manière de la narratrice, nous pouvons vomir cette histoire ou, au contraire, nous y vautrer avec une curiosité accrue par l'insistance provocatrice de Max, à la fois, ombre et lumière. L'accepter comme le témoignage d'une feinte innocence chaque fois qu'un inconnu se fait ange bienfaisant avant de se transformer en démon irresponsable. Livre coup de poing, frappé sur la table encombrée de nos lectures appesanties parfois de somnolence...
La mort de Roi, Gabrielle Lisa Collard
Éditions Le Cheval d'août, Montréal, 2019, 135 pages
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