lundi 19 juillet 2010

Des airs de famille *** 1/2

On aime la chaleur grisante, étourdissante de juillet ! La peau moitit, le geste s'alourdit, la pensée vacille. On ne sait  pourquoi, le regard se lève constamment vers le ciel. Le jour, bleu et vert, brille de tous ses éclats. La nuit, les étoiles guident nos pas hésitants, tels des mages estivaux. Le roman de Dominique Fortier, Les larmes de saint Laurent, nous convainc de rester à l'affût du moindre signe insolite venu d'ailleurs...

Peut-on dire que le roman se divise en trois parties ? On pense plutôt à trois nouvelles se recoupant d'une heureuse manière. Ce n'est pas lors de la première lecture que les indices reliant les protagonistes entre eux se précisent mais, plus tard, quand les récits se décantent. Nous faisons connaissance avec Baptiste Cyparis, unique survivant de l'éruption de la montagne Pelée, en Martinique, le 8 mai 1902. Homme noir dont le destin se répercutera sur ses descendants. D'abord emprisonné pour avoir défendu une « fille de joie » dans un bar, il le sera une fois encore pour un crime qu'il n'aura pas commis. Entretemps, exhibé comme phénomène dans un cirque, il épousera Alice dont le jeune fils nourrit les bêtes et prend soin d'elles. Plus tard, il s'éprendra follement de Stella, compagne de l'un des deux associés du cirque, avec qui il aura une brève aventure qui se terminera tragiquement.

La deuxième partie se déroule à la même époque, en Angleterre. Augustus Edward Hough Love, mathématicien, y étudie le mystère des nombres et fut l'auteur « d'un lourd traité sur l'élasticité de solides [...] ». Si Dominique Fortier a pris quelque liberté avec son existence, il n'empêche que son portrait fascine, rappelant celui non moins passionnant de Baptiste Cyparis. Edward Love épousera Garance, musicienne qui s'intéresse aux bruits sourds de la terre et du feu. Elle mourra en donnant naissance à des jumeaux. Semblable à Baptiste, maintes fois insulté parce qu'il était noir, Love aura « l'impression que sa vie était finie, advenue, consommée, et pour la première fois il lui sembla véritablement connaître la peur. » Peur déroutante qui désespérera les deux hommes, épuisés qu'ils sont d'avoir trop espéré de la vie et perdu la bien-aimée. C'est le souvenir de Garance qui apportera une réponse au titre du roman à travers ses enfants. Une nuit du mois d'août, alors que les jumeaux ont quatre ans, leur père leur fait admirer les Perséides, « que Garance avait toujours appelées " larmes de saint Laurent " en l'honneur du malheureux saint né à la fin de l'été [...] »

Autre temps contemporain, un jour d'hiver. Une jeune femme promène son chien et ceux de ses voisins sur le mont Royal. Nous ne savons qui elle est, ni comment elle vit. Bientôt, elle croisera le chemin d'un jeune homme pas mieux loti qu'elle. Il lit beaucoup de livres traitant de civilisations — Pompéi, Herculanum — détruites par des tremblements de terre ou des éruptions volcaniques. Peu à peu, ils s'apprivoiseront, se confieront, l'air de ne pas y toucher, des petits secrets de leur ancienne vie. Ne sont-ils pas aussi jeunes que nous le pensions ? En deux pages, l'auteure glisse un important indice concernant le passé de la promeneuse de chiens. Elle aurait été trapéziste dans un cirque, un grave accident ayant interrompu sa carrière. Son partenaire, évoqué promptement, n'était plus qu' « un homme long et mince, aux traits tristes. [...] Il semble jeune mais a les yeux d'un vieillard ; il marche en s'appuyant sur une canne [...] ». Autant de repères relatant des années hypothétiques qui éclaircissent certains points obscurs de l'ascendance des deux jeunes gens. La fin, ou le commencement, de leur rencontre tout à fait inattendue, nous laisse pantoise de surprenante admiration, même si nous savons que rien, ni personne, ne se construit seul.

En un triptyque savamment élaboré, se révèle une ultime histoire d'amour qui, au long des pages, enjolivée de poétiques et nécessaires digressions, dirige le lecteur vers des événements hors du commun. On aime que Dominique Fortier sorte des sentiers battus, qu'elle nous informe de faits éloignés des modes, d'individus qui ont existé, un peu oubliés mais sans qui le regard que nous portons sur le monde actuel ne serait pas tout à fait le même. On aime aussi que, sans exagération, l'écrivaine emploie l'imparfait du subjonctif, ajoutant un charme très particulier à la rondeur déployée de sa phrase. Elle nous enseigne que les tribulations planétaires ne sont pas indépendantes des lois stellaires. Adversité que l'homme ne sait pas toujours interpréter, ni comprendre. Il est bien qu'une voix talentueuse lui rappelle qu'il dépend de l'universalité céleste et peu des contingences terrestres. Étrangement, le roman s'ajuste à celui d'Anne Michaels, Le tombeau d'hiver, magistralement traduit par cette même écrivaine. On lit le roman de Dominique Fortier en nous disant que les civilisations soumises au bon vouloir de l'humanité, surtout aux cycles naturels de la planète, sont là pour ne pas durer. Vestiges éphémères de notre passage sur terre, nous avisant que d'un siècle à un autre, les êtres humains, malgré leur disparition, soudent une chaîne indestructible de laquelle ils ne peuvent échapper à leur destinée grandiose, parfois pathétique...


Les larmes de saint Laurent, Dominique Fortier
éditions Alto, Québec, 2010, 344 pages

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