Au début, sur Facebook, on a accumulé les " amis ". Puis, le temps passant, on a fait le tri. Pourquoi avoir des " amis " qui, jamais, n'écrivent ? On sait que des voyeurs se cachent derrière certains pseudonymes. N'importe, on s'en tient à quelques personnes avec qui on partage des affinités. Que les autres se manifestent dans l'ombre, on a suffisamment d'humour pour les regarder aller... On a lu le dernier roman d'Aki Shimazaki, Tsukushi.
L'auteure déroule l'histoire du Japon contemporain pour mettre sur pied des individus aux prises avec des difficultés sociales ou familiales. Dans ce court roman, quatrième volet d'une série entamée avec Mitsuba, Aki Shimazaki relate des faits dramatiques qui détruiront la tranquillité bourgeoise de Yûko Tanase, épouse du tout puissant Takashi Sumida, héritier de la banque au nom patronymique. Ce jour-là, Yûko prépare la fête du treizième anniversaire de leur fille, Mitsuba. Au moment de poser les bougies sur le gâteau traditionnel, elle ne trouve plus d'allumettes. Se souvenant qu'il y en a dans le tiroir de leur table de chevet, elle monte à l'étage. Au milieu d'objets divers, une boîte « dont l'image est la plus jolie » l'attire. Deux tsukushi sont peints à l'aquarelle. Ce sont deux fleurs couleur de peau, aux nuances différentes. Sur fond de teintes pastel, elles se dressent. Dans un coin de la boîte, un mot écrit en anglais la surprend : " fraternity ". Amusée et ravie, Yûko glisse la boîte d'allumettes dans la poche de son pantalon. Elle redescend, leurs invités sont sur le point d'arriver.
L'objet inoffensif, comme souvent dans les romans d'Aki Shimazaki, déclenchera des péripéties anciennes et nouvelles. Entremêlant habilement passé et présent, l'écrivaine reporte le lecteur dans les trois précédents volets. Nous rencontrons des êtres blessés, témoins ou victimes de calamités incontrôlables, empêchés par la rigueur de l'éducation japonaise. Ils souffrent de deuils mal assumés, d'amours entravées dans des conventions qu'exige une hiérarchie de pouvoir. Échelons que Yûko, issue d'un milieu « assez aisé » de Tokyo, franchira avec succès quand elle épousera Takashi Sumida. Pourtant, ce mariage précipité possède des points obscurs, des zones ombreuses, qu'une petite boîte d'allumettes éclairera durant une nuit, quand Yûko rentrera d'une visite à Yokohama avec son amie Yoshiko... Des indices notoires parcourent le roman, énoncés par la voix réservée, presque balbutiante de Yûko, sous la plume incisive de l'écrivaine. Nous apprenons que, plus jeune, la narratrice aimait un garçon de son âge, qui l'avait demandée en mariage avant de partir en stage à Paris, envoyé là-bas par la compagnie où travaillait Yûko. À cette même époque, elle fera la connaissance de Takashi Sumida, qui, séduit par sa beauté, lui proposera de l'épouser. Un événement circonstanciel la liera au destin fabuleux de ce fils de banquier.
Au fur et à mesure que des arguments irréfutables assombrissent l'existence de son mari, Yûko, bouleversée, est happée par un passé hypothétique. Toute figure reconstruite n'est-elle pas nourrie d'une idéalisation longuement entretenue dans les arcanes ensommeillés de la mémoire ? Surgit un dérèglement des habitudes, les visages d'autrefois se déplissent, s'octroient des droits n'appartenant qu'à eux seuls. Yûko a beau se poser des questions sur le sort de son amoureux d'autrefois, sa vie à lui a subi des aléas que Yûko est loin de soupçonner. C'est là le talent inimitable d'Aki Shimazaki qui, d'un livre à l'autre, cerne le lecteur dans un univers faillible et cruel, où l'écriture, tout en douceur, bouquetée de fleurs capiteuses, officie, tel un baume sur une plaie béante. N'est-il pas béant le double mystère unissant Yûko Tanase et Takashi Sumida ? Le malheur qui accable honteusement cet homme inculqué de bons et sévères principes ? Quel qu'il soit, le prix du silence ne parvient pas à apaiser les corps, pas mieux que les esprits. Aki Shimazaki, fidèle à sa théorie d'un suspense en demi-teinte — style concis et retenu, phrases courtes enrobées d'une simplicité déconcertante —, frôle la main du lecteur, jamais ne la saisit, de crainte de le distraire, l'assurant que nous ne pouvons nous disculper de nos erreurs de jeunesse, de nos incapacités à nous détourner de notre vraie nature...
On aime les récits brefs de cette auteure discrète, inégalable. Chaque fois qu'on les aborde, le charme opère. Sa manière innocente, pourrions-nous dire, de tramer des destins où le doute l'emporte sur les certitudes. Des vérités peuvent-elles s'isoler du mensonge établi bien souvent sur des tremblements convulsifs, sur des lignes de faille, fractures nécessaires, avant de conclure que rien n'est acquis une fois pour toutes. Œuvre magistrale à découvrir, si ce n'est déjà fait.
Tsukushi, Aki Shimazaki
Éditions Leméac / Actes Sud, Montréal / Arles, 2012, 140 pages
Ce roman me semble intéressant. Merci pour ta critique.
RépondreSupprimermerci Rebelle. L'oeuvre de cette auteure japonaise est plus qu'intéressante, tous ses romans sont de petits bijoux... Toi qui aime les haikus, tu devrais la lire...
SupprimerLe mystère de cette petite boîte me donne envie de comprendre les évènements liés à cet objet inoffensif, et d'en connaître le dénouement.
RépondreSupprimerMerci à Dominique pour cette belle critique !!!
en France, tu pourras trouver ce roman, l'auteure est publiée chez Actes Sud... Avec Aki Shimazaki, il n'y a jamais de dénouement... jusqu'au prochain livre...
Supprimer