Des personnes nous assomment de leurs citations axées sur le mal qu'on pourrait dire à leur endroit. Elles nous sont tellement indifférentes, que ce serait leur donner une importance que même leur médiocrité ne mérite pas. Surtout quand elles confondent désinvolture et liberté. On s'attarde sur le livre de J.R. Léveillé, Le soleil du lac qui se couche.
Un récit, divisé en cent soixante-quatre fragments, dépeint, du printemps tout neuf à la fin de l'hiver, la liaison amoureuse entre Angèle, métisse, vingt ans, étudiante en architecture, et Ueno Takami, poète japonais renommé, soixante-trois ans. L'aventure, relatée par Angèle des années plus tard, se passe à Winnipeg, Manitoba. La jeune femme et le vieil homme se remarquent dans une galerie d'art, « lors d'une exposition d'un artiste cri. » L'âge d'Ueno et sa renommée impressionnent la jeune fille, même si elle rit des remarques désinvoltes qu'il porte sur elle. Chacun de son côté, le poète et l'étudiante meublent le quotidien de leurs occupations habituelles. Angèle a une mère et une sœur aînée à qui elle est très attachée. Ueno vit seul dans une étrange cabane qu'il a construite selon un rite japonais et cri, sur un terrain boisé qui surplombe Setting Lake « le lac qui se couche », près de Wabowden. Une autre fois, Angèle et Ueno se reverront dans un parc, puis à l'imprimerie, chez Rinella, où le poète travaille à l'impression d'un de ses livres d'art. Aucun hasard, Angèle a provoqué ces rencontres parce qu'elle se sent bien, « que la vie n'était plus [ ... ] quelque chose de banal ». Prédestinés, certes, ils le sont, mais leur relation s'accommode surtout de fragments de la vie d'Angèle. Elle nous parle d'un ancien amant, Aron, avec qui elle a vécu, lui aussi artiste. Sculpteur à la Brancusi. Follement épris, ils se sont quittés parce que tout finit. Restés bons amis, elle l'aide à monter une installation, louangée par Ueno Takami. Angèle, passionnée, vit dans une dimension opposée à celle de sa mère et de sa sœur ; souvent un sommeil de surface l'emporte vers des rêves prémonitoires. Narrant sa vie de jeune femme moderne, elle dresse des frontières étanches pour mieux cerner ce qui arrivera entre elle et Ueno. De son côté, le poète attend la jeune femme, comme si le temps s'avérait amputé sans elle. Il y a une beauté dans l'incomplétude, une perfection dans la relation des êtres qui s'aiment. Armés d'une telle philosophie, aucun état impermanent ne saura les séparer. Angèle n'est-elle pas le soleil qui s'épanouit au-dessus du lac qui se couche ? Sans cesse, la beauté en tout intervient, soudant, dirons-nous, le creuset irréversible de leur âge. La joie émanant de la jeunesse d'Angèle rassure le vieil homme malade. N'est-il pas wabi-sabi ? Il fera d'elle la traductrice de ses poèmes.
C'est aussi la joie qui nous habite à la lecture de cet amour irrationnel entre deux êtres d'exception ; Angèle ne compare-t-elle pas son attachement à Ueno Takami au tintement d'une « cloche dans le ciel vide » ? Cependant, ne nous leurrons pas, J.R. Léveillé pointe du doigt et du regard un Manitoba blessé par les humains. Angèle, métisse, constamment porteuse de messages éclairés, « voit tout ce qu'on a fait au pays et au peuple. » Constats de lucidité quand elle rejoint, en car, son vieil amant. Ne dira-t-elle pas de son originale cabane qu'elle en « apprendra plus que durant ses études universitaires » ? Fascinée, elle demandera à Ueno de lui en raconter la légende. Pour estomper les ombres néfastes, Ueno apprendra à sa compagne des chansons traditionnelles interprétées sur des instruments authentiques, comme le koto, le shakuhachi. Il est émouvant de retrouver dans ce lieu sauvage, et si libre, Jean-Pierre Rampal qui joue de la flûte moderne. Les jours se déroulent, sereins, les nuits, blanches, érotiques.
Le tour de force de l'écrivain, c'est d'avoir su décrire, à l'intérieur d'un langage exclusivement féminin, sensible et palpable, les émotions d'Angèle, les sensations qu'elle éprouve, sans jamais se fourvoyer dans quelque nuance trompeuse qui nous aurait fait douter de la véracité du récit. Aucun fragment ne se profile angulaire, mais toujours sphérique comme l'est depuis la nuit des temps le monde perçu par les femmes. Rondeur du nid, rondeur du ventre d'Angèle qui portera l'enfant d'Ueno, au comble d'un sourire, « incrédule et acquiesçant. » Elle a su transcender l'absolu, établir la vie individuelle.
On mentionne que ce livre a été publié une première fois aux Éditions du Blé, en 2002. Récit dont la critique a peu parlé et repris, avec fougue, en 2013 par les Éditions La Peuplade. Une trentaine de livres signés J.R. Léveillé, enrichissent la littérature francophone de l'Ouest. Certains, récompensés par divers prix, dont le Grand Prix de distinction en arts du Manitoba.
Le soleil du lac qui se couche, J.R. Léveillé
Éditions La Peuplade, Chicoutimi, 2013, 138 pages
Cette histoire d'amour entre un vieux poète japonais et une jeune métisse est une ode à la tolérance . Puisse les nombrilistes de votre introduction s'inspirer de votre 200e critique (champagne!) qui est un éloge à des sentiments sans tabou.
RépondreSupprimerMerci Brigitte. Les nombrilistes ne voyant pas plus loin que le bout de leur nez ne tireront aucune leçon de cet amour entre ces deux êtres d'exception. Il n'y a d'exception qu'eux-mêmes.
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