Nous apercevant le matin sur Facebook, on nous demande si ce réseau social nous intéresse. On répond qu'on est là pour valoriser la publication de nos critiques, de manière à ce que chacun en profite, auteurs et lecteurs. À part quelques personnes qu'on estime et qu'on salue par un éventuel commentaire, on n'ouvre peu souvent des pages et des pages aux propos ou images amusants. On commente le livre de Jean-Pierre April, Histoires centricoises.
Ce ne sont pas des nouvelles, ni des chroniques, encore moins un roman. Des auteurs nous enchantent en écrivant sobrement, ou en retranscrivant des histoires anciennes, plus ou moins fictives, plus ou moins réelles. Aucune ambition littéraire n'enrichit ces contes, mais une couche d'humour ou de nostalgie, sur fond de vérité, les actualisent alors qu'ils se sont déroulés, il y a longtemps, la mémoire les guidant en notre décennie pour, peut-être, nous rappeler que les humains souffrent de mêmes travers, jouissent de mêmes vertus. Nous n'avons qu'à nous laisser bercer par les agissements de personnages qui, aujourd'hui, se dressent, tels d'encombrants fantômes, chaque fois que nous tournons les pages, évoquant quelques-unes de leurs péripéties.
C'est le cas du livre de l'écrivain aguerri Jean-Pierre April qui, dans un ouvrage précédent, nous avait réjouie de par sa teneur aux relents mélancoliques. Le passé n'est-il pas empreint d'un moment de répit qui ne se renouvellera jamais quand le temps est venu de le soustraire à la poussière de l'oubli ? Ici, sept fables, frôlant le fantastique, entraînent le lecteur vers de fantaisistes destinations, comme la première, Mémère Thibodeau monte au ciel. La vieille femme, entourée de ses nombreux enfants et petits-enfants, n'en finit pas d'agoniser. Son petit-fils, Ti-Pierre, une dizaine d'années, fatigué, se réfugie sans le savoir dans « la pièce à viande froide ». Quelle n'est pas sa surprise, quand il « trébuche sur un grand coffre de bois », d'y retrouver le corps congelé de sa grand-mère. Alors, un dialogue s'établit entre la vieille femme et l'enfant. Elle, rêve de paradis, lui, d'un bicycle. Leur âme, s'évaporant de leur corps épuisé, accomplira un miracle, avant un retour surprenant auprès de la famille, toujours à l'affût de la mort de la grand-mère... Le deuxième récit, émouvant et grinçant, titré Dans le garage, nous plonge dans l'éternel conflit de l'homme pervers, attiré par une adolescente. La jolie Mélanie servira de monnaie d'échange entre son père, entrepreneur, et l'un de ses employés. Le pot aux roses sera découvert par le jeune fils de ce dernier : il n'oubliera pas ce qui s'est déroulé sous ses yeux. Trente ans plus tard, il a renié son père mourant qui, lui, a trahi sa famille et, surtout, a tué l'admiration juvénile qu'enfant il lui vouait.
Si ces deux histoires, on ne peut parler de fiction, donnent le ton du livre, le récit le plus fascinant tant par sa teneur que par ses protagonistes, s'intitule Retrouvailles à Victo. Des décennies plus tard, un homme retrouve une jeune fille qu'il a aimée pendant son adolescence. Entretemps, la jeune fille, Gloria, s'est mariée et un terrible accident l'a handicapée. Avec la connivence de son mari, elle désire que son ancien amoureux l'emporte dans un lieu précis où, autrefois, sous un pommier, ils s'étaient promis un avenir fabuleux. À la suite d'une soirée bien arrosée, Gloria, entrainant son ami sous le pommier, réalisera un rêve étrange et combien érotique. Le fantastique des corps transcende la relation des deux amants, pudiquement dépeinte et portée à son paroxysme grâce au style dépouillé, délicieusement poétique de Jean-Pierre April. Aucune moralité n'ombrage le récit quand, au matin, pour savourer le souhait enfin réalisé de Gloria, tous les trois s'endorment dans le lit conjugal.
Jusque dans le plus dramatique des récits, l'humour se faufile, sauvegardant l'intégrité de ces êtres soumis à des évènements parfois improbables, parfois réalistes. Les années passent, révélant au lecteur une faille dans le cheminement de plusieurs personnages. Le passé, s'inscrivant dans un présent auquel nul n'échappe, rebondit, ses contours lissés par l'écoulement du temps, comme quoi les angles de toute chose, méritent, non le pardon, mais l'indulgence de l'âme. Dans ces narrations, l'âme intervient, réparatrice inspirée des battements du cœur quand il cogne fort dans sa cage charnelle.
On a lu avec délices ces balades dans la vie meurtrie d'hommes, de femmes et d'enfants, imbibés de leur expérience juvénile ou mature. L'impression demeure qu'il était plus simple, en ces années révolues, de supporter ses rancœurs indigestes, de leur faire face, comme si pardonner ou pas se résumait à marcher dans les pas de l'autre sans les effacer pour autant. Histoires universelles parce que propres à l'humain et à son intolérable misère mentale, à sa faculté inébranlable de voir plus loin, patientant, fataliste obligé, que son univers s'étoile d'extravagantes éclaircies.
Histoires centricoises, Jean-Pierre April
Éditions Septentrion, collection Hamac
Québec, 2017, 165 pages
Par votre billet tentateur, j'aimerais bien ''découvrir'' également ces récits. Je prends note avec intérêt.
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