Le prétexte idéal pour ne contrarier personne, nous assure N. en souriant, c'est de mettre l'accent sur le temps qu'il fait. La météo fait l'objet de récriminations ou d'éloges, elle fâche ou ravit. Pendant ce laps de temps à rester neutre, les humeurs changent : ce qui passionnait plus tôt ou inversement, s'est réduit à des considérations sans importance et, surtout, sans aucun intérêt. On commente le premier roman de Sébastien La Rocque, Un parc pour les vivants.
Divisé en trois parties, le récit nous fait entrer à petits pas dans l'univers désenchanté d'une fratrie composée de Marie, Michel et Thomas. Ils ne sont plus tout à fait jeunes, quarantenaires suffisamment lucides pour remettre leur vie en question, comme s'il était encore temps de recommencer sur des bases différentes. Nous pourrions les qualifier d'irresponsables si quelque chose de plus grave, d'innommable peut-être, ne les rongeait en leur intérieur, le vertige de vivre bousculant leurs convictions acquises durant une jeunesse semblable à bien d'autres. L'atmosphère hivernale convient à cette histoire, accentue le malaise régnant, la neige camouflant le désarroi qu'ils laissent rarement percevoir. Deux personnages s'agitent en parallèle, leur ami Mathieu, et le vieil antiquaire, Marin. Nous suivons les protagonistes durant un laps de temps nécessaire à se ressaisir, décider d'un hypothétique avenir, si avenir il y a, pendant qu'ils se posent, tels des équilibristes mal préparés, sur le fil fragile d'une précarité existentielle. En dessous, il y a le vide qui ne cesse de les attirer, chemin chaotique préférable à la monotonie des années passées sur une route lisse et sans horizon.
Marie est mariée, mère de famille, elle ne travaille pas à l'extérieur de chez elle, elle élève ses enfants. Elle dort peu, la nuit elle écrit et analyse ses rêves. Elle est minée par une angoisse maladive due aux occupations quotidiennes qu'elle doit gérer, sans pour autant l'exclure du fourmillement d'une réalité à laquelle elle ne peut échapper. Michel, professeur de littérature en sabbatique, vit dans son grand condo rempli de livres, ne se satisfait pas de ses connaissances, ni des colloques qu'il fuit après les avoir assidûment fréquentés. Thomas exerce des boulots mineurs, ne sait plus s'en contenter, décide de partir à l'aventure, droit devant lui. Mathieu, l'ami de la famille, a été licencié de son entreprise, il n'a d'autre but que de rendre visite à son père qui agonise à l'hôpital. Sa femme est universitaire, peu soucieuse des préoccupations de son mari, diagnostiqué dépressif par son médecin. Marin, qui n'est pas sans nous rappeler Paul Léautaud avec ses nombreux chats et sa demeure brinquebalante, comblée de meubles et d'objets hétéroclites, évoque, avec une nostalgie légitime, l'époque où les gens appréciaient les meubles et objets de qualité. Ces individus se recoupent, ancrés dans un présent aléatoire, recherchant des présences féminines, rencontrées dans des circonstances hasardeuses, qui les rendront peut-être à eux-mêmes. Mathieu a rêvé qu'il frappait une femme, comme pour exorciser un mal étrange qui l'atterre, celui de la méconnaissance de soi. Thomas, fidèle à ce qu'il représente d'instabilité, plongera sans hésitation dans un hiver particulier, sous le signe d'un amour qui se révèlera durant une nuit de solitude. Chacun devient ce qu'il aurait dû être au commencement de tout, renonçant à se détourner d'une possible défaite. Et surtout d'une tricherie qui les aveugle.
Sébastien La Rocque, fils de l'écrivain Gilbert La Rocque, décédé en 1984, nous offre un premier roman grinçant, où l'imaginaire s'amalgame à plusieurs situations, celles que recherchent ses personnages en proie à un courant moderne, exaltés par un désir d'abandon et de redécouvertes, le dernier souffle s'avérant le plus oppressant quand il s'agit de mourir pour renaître. C'est aussi dénoncer les modes du superflu, du jetable, de l'éphémère. De l'infinité de l'altérité quand nous ne possédons plus grand-chose, plus rien à combattre. Roman universel qui nous a touchée par ce qu'il contient de fragile, de froissable, ce vide contre lequel l'écrivain s'insurge, faisant remonter à la surface d'eaux troubles, des pépites qui ne sont plus d'or mais plombées d'artefacts consommatoires, nous certifiant l'inutilité de s'illusionner sur quoi que ce soit. Certes, il y a des semblants de miracles qui feront office de vérité : Thomas, faillible, se dirigeant droit devant lui, se débat contre de vieux démons, ne pensant plus qu'à se vautrer dans les bras d'un amour improbable.
Si le récit, lumineux malgré ses sombres apparences, nous a séduite par son intelligence réaliste, son affront ironique, marqués de métaphores à peine effleurées, on a relevé une poésie satirique, fleurant le bois et ses souches, passerelle inévitable disculpant les méfaits d'une microsociété qui ne fait que piétiner sur un chemin épineux, ne se rendant pas très bien compte que n'existe aucune porte de secours. Une fratrie et ses acolytes qui font une pause parce que essoufflés de s'être attardés aux abords d'un parc fait pour les vivants et non pour ceux, évanescents, que le rêve gouverne et déchire. Des escamoteurs qui n'ont pas leur place dans notre univers matérialiste...
Un parc pour les vivants, Sébastien La Rocque
Éditions Le Cheval d'août, Montréal, 2017, 183 pages
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