Il y a tant de choses à mentionner dans ces quelques lignes introductrices. Mais par quoi commencer qui nous satisfasse ? Le plaisir d'aller nous promener dans le parc ? De nous asseoir à quelque terrasse ? De nous enfermer dans la fraîcheur d'un musée ? Dans l'odeur particulière d'une bibliothèque ? Tant de points d'interrogation nous collent après, qu'on les remise à une prochaine fois. On parle du roman de Monique Le Maner, Meurtres et Marées.
De temps à autre, il nous plait de nous divertir d'un livre qui ne fait pas partie de nos choix habituels. Délibérément, on savoure les aventures de meurtriers pathologiques, de détectives sympathiques, plutôt vieillissants, qui ne pratiquent plus que pour l'honneur du devoir accompli où se glisse un brin de vanité. On aime ces individus qui, d'un roman à un autre, démontrent leur aspect humain, soit leurs forces, leurs faiblesses. Bien souvent, ils sont rejetés par la police officielle, ayant justifié, à leur manière, leur talent de fin limier dans des affaires épineuses. C'est le cas, ici, de l'ancien et vieux journaliste, Onésime Gagnon, déjà mis sur pied par l'écrivaine. Occasion inespérée de faire la connaissance de cet homme taciturne qui, avec son ami le sergent-détective Turgeon, démêlera une affaire des plus complexes. Deux meurtres commis lors de son séjour vacancier d'une semaine aux abords de la Gaspésie.
L'action se déroule en juin, dans l'intimité d'une auberge ordinaire où vont et viennent des hommes et des femmes, ceux-ci reflétant l'ambiance triste et grise d'une existence peu réussie, où se devinent les frustrations, les désirs avortés. Jean-Marie Leclerc, écrivain raté, auteur de romans policiers. Amer et sarcastique. Ronald Taché, qui crève de solitude au point de solliciter la présence des habitués de l'auberge, se dit prêt à les écouter. Michel Poliquin, propriétaire de l'auberge, pion rigoureux à la réception, observe les allées et venues de sa clientèle. Reine-Aimée Tanguay, voyante qui ne voit pas grand-chose, dissimule sous une allure extravagante une profonde désespérance. Ce soir-là, soupe à l'auberge un couple morose, accompagné de ses deux enfants bruyants. Le père souffre d'inutilité coupable, la mère insignifiante, tous deux incapables de discipliner leur progéniture. Comme dans tout roman, des personnages secondaires, pittoresques à souhait, hantent les lieux, attendant le moment propice pour attiser la fiction de leur grain de sel, parfois douteux. Il serait dommage de divulguer l'intrigue de ce récit savamment dosé, le lecteur se laissant emporter par des événements surgis de nulle part. Sinon d'un curieux hasard. Peu à peu, les ficelles se dénouent habilement grâce à la logique du vieux journaliste, Onésime Gagnon, qui n'a qu'une hâte : résoudre les deux meurtres et repartir dans sa maison de retraite. Il y a aussi une jeune femme en rouge qui l'attendrira, lui rappelant un souvenir douloureux. Pas le moindre espace vide, chacun se manifestant lors d'une occurrence favorable qui, apparemment, resserre les liens convenus. Même une peluche gagnée à une « machine attrape-toutou » traitée avec déférence par le journaliste-détective, trouvera des mains secourables à qui l'offrir. C'est un puzzle où les pièces, d'entrée de jeu, vont dans tous les sens pour, lentement, s'ajuster à la place qui leur est attribuée. Cela ne se fera pas sans douleur, les sinuosités de l'âme humaine s'avérant de longs et sombres couloirs qu'il n'est pas toujours recommandé d'arpenter. Nous le savons, le passé est un traître qui se nourrit de sentiments retors, se cognant parfois à de séditieuses rencontres. Jean-Marie Leclerc, écrivain raté, et Ronald Taché, surnommé l'homme au carton, en paieront innocemment le prix. Si à un moment donné, la vie se détraque, elle met en branle des situations jusque-là restées dans l'ombre, telle une eau stagnante et vaseuse étouffe les cris des victimes. On se demande si le décor misérable dressé par l'auteure, ses protagonistes au destin médiocre, ne sont pas intentionnels, symboles d'une société étriquée, immiscée dans un coin perdu de ce monde, faisant semblant d'être heureuse, chacun et chacune se dépêtrant dans ses déboires, à l'abri de relations véridiques. Même Onésime Gagnon, vieux loup replié sur lui-même, ne sortira pas indemne de cette aventure pitoyable. Au loin, la mer et ses marées rappellent au promeneur et au lecteur que rien, jamais, ne s'efface. Perpétuel recours à la mémoire têtue. Harcèlement volontaire du temps qui use, finit par déjouer ce qui doit être révélé, au détriment d'un confort moral qui n'est que tricherie.
Récit attachant, mijoté astucieusement par Monique Le Maner. Doté d'une psychologie où la dérision atténue la gravité des maux d'autrui, camouflés sous une couche sédimentaire de souffrance. Cependant, on aurait apprécié que l'éditeur accomplisse un travail de révision plus rigoureux, cette histoire étant parfois trop délayée, insuffisamment ancrée dans ses propos justiciers, soutenus par des témoins rébarbatifs à toute tendresse complice, internés dans une misère rancunière qui les dévore. Il n'en demeure pas moins que cette fiction distrayante procurera au lecteur quelques heures de plaisir, dans la joliesse du court temps estival.
Meurtres et Marées, Monique Le Maner
Éditions du Tullinois, Rimouski, 2018, 191 pages
Critique fort bien ficelée, à la manière du roman Le Maner.
RépondreSupprimerPauline Morier