L'automne continue sa randonnée ensoleillée, il nous invite à lire nouvelles et romans à l'abri des intempéries. On ne se plaindra pas de sa tiédeur exceptionnelle qui, doucement, coule sur les visages, sur les mains. Près de nous, la chatte se toilette dans un rayon de soleil. Les écureuils, les oiseaux, l'indiffèrent, elle nous accompagne dans les turbulences insolites du dernier roman de Pierre Gariépy, Blanca en sainte.
Après Lomer Odyssée qui nous avait enthousiasmée, on refait connaissance avec la jeune amante de Lomer, Blanca, dite la Démone, qu'on avait découverte à la fin du roman. La Gueuse et Lomer sont morts, la Démone n'en peut plus de chagrin, elle s'est fait imprimer le nom de Lomer au fer rouge sur le front. Sur le point de mourir, elle se remémore la terrifiante aventure qu'elle a vécue avec, à ses trousses, son « ancienne bande d'avant Lomer. » Plus tard, se joindront Ti-Rat qui a tué pour elle un gardien du port, puis Théo, un chiot « beau comme un chiot. Quoi dire d'autre ? ». Peu à peu, Blanca découvre qu'elle est enceinte ; aidée de la sorcière Candide, elle accouchera du fils de Lomer, Pierre. Dans une sinistre banlieue, elle ira chercher Rosaire, le frère de Lomer.
Ce pourrait être une simple histoire d'amour et de jalousie, d'amitié et de complicité, comme la vit une jeune fille de dix-huit ans. Ça ne l'est pas, Pierre Gariépy nous acheminant dans un monde décadent où sévissent la promiscuité, la haine, la maladie. Les massacres. Après avoir tué le gardien du port, Ti-Rat entraîne Démone vers un « hangar immense » où circulent des personnes avec « une drôle d'allure. » Des milliers de rats sont incinérés dans un « four [...] grand comme un cargo. » Ti-Rat et Démone concluent à la fin du monde. Dans la ville, la révolte menace, la méfiance meurtrière s'infiltre quand la peste — le Grand Mal —, drainée par les rats, cause là aussi des milliers de morts. Les « loups » de Démone « se sont mis à tomber comme des mouches, [mes] voyous, [ma] bande, si fière pourtant, s'est mise à vomir, à maigrir. À noircir. » Quelques mois plus tard, prévoyant une guerre civile, elle conduira le reste de sa bande, Pierre, Rosaire, Ti-Rat et Théo sur une vieille épave, « la marie-salope », ils y rêveront du large où le danger n'existe pas. Pourtant, Démone décrète : « On ne s'enfuit pas du destin qu'on a. » À la suite de loufoques et fatales aventures que traversent en filigrane Lomer et La Gueuse, la peste décimera toute la bande puis frappera la Démone qui, dans son délire, aperçoit « le H et son néon vert » d'un hôpital. Mais plus le mirage s'impose, plus le H s'éloigne et va « grésiller ailleurs [...] » La Démone mourra, restera pour veiller son corps Rosaire tenant Pierre dans ses bras.
Il est impossible de dépeindre page par page l'histoire hallucinante de cette jeune louve aux prises avec un univers symbolique où règnent la terreur, l'injustice faite aux femmes, où se damnent les hommes. Blanca, comme Jésus, sera reniée par les siens et au moment ultime d'être abandonnée, son fils Pierre la reconnaîtra. Alors, les autres l'appelleront Mère. Comment peut-on passer sous silence son courage quand elle décide de noyer Ti-Rat devenu déficient mental après s'être pendu au mât par amour pour elle ? Se joint à lui le chien Théo qui le suivra vers les sirènes. La peste ayant été transmise par les rats, la rumeur s'est mise à courir, « maligne » : « ...ce n'était pas la faute des rats mais des petites, humaines s'entend, dont on avait, malgré le bon sens et la tradition, cessé de coudre les lèvres et de trancher la jouissance [...] Le message est lancé par un écrivain révolté des bassesses calomnieuses que subissent les femmes de certains pays. Pierre Gariépy situe la mégalopole et le port qu'arpente la Démone dans un funeste Moyen Âge, proche de « l'Âge de pierre ». Les inondations à la fin du récit ne font-elles pas songer au grand Déluge préhistorique ? S'insèrent des scènes cauchemardesques qu'adoucit la tendresse exacerbée de Blanca : incomprise et chagrinée par l'inertie de ceux qui la suivent, elle se sacrifie en quelque sorte pour que chacun trouve un sens à sa vie, dans ce cas précis, à sa mort... L'amnésie jouissive n'est-elle pas représentée par les hommes et les femmes qui habitent la maison banlieusarde de Rosaire ? Un homme harcèle joyeusement Blanca, « et tous ces gens, souffraient du MALzheimer. Ici était leur refuge. Ils oubliaient ensemble. » La banlieue ne crée-t-elle pas dans son cocon douteux, l'effet anesthésiant d'un bonheur illusoire ? Pierre Gariépy dénonce avec une rage caustique ce que l'homme a semé d'horreur dans son jardin terrestre, insinuant à coups de métaphores bibliques que, depuis la nuit des temps, rien n'a changé, à peine une lente Évolution remontant à contre-courant le chemin boueux des poissons...
Peu importe où se déroule le parcours christique de Blanca, le malheur qui la cerne se propage sur l'ensemble de notre planète. Catastrophes naturelles, guerres impitoyables obligeant les populations à une transhumance désespérée. Ce Moyen-Âge décrit par l'auteur, est tout juste équilibré par la technologie qui, elle aussi, fait acte d'un MALzheimer moderne... Si le roman, telle la marie-salope, bascule d'un côté ou de l'autre, malmené par sa force créatrice, il ne coule jamais, porté par un style semblable aux jongleries de Blanca avec son âge — tantôt jeune, tantôt centenaire —, à son existence funambulesque. L'écriture débridée, rimbaldienne, aborde sans faillir des préoccupations humaines, risquant de faire de nous les victimes de maladies endémiques se pointant à l'horizon. « Et si l'Enfer, c'était l'Envers de soi-même, c'était soi détricoté [...] » S'il en est encore temps, tricotons à l'Endroit !
On a aimé que le dernier chapitre s'amalgame aux « mots bulles » du premier. La pensée hoquetée de Blanca trouve enfin un ciel universel entre « l'arabe et ses arabesques belles, [...] à l'hébreu marié [...] » quand elle supplie ses « deux petits », Rosaire et Pierre, de l'oublier... On rend grâce à Pierre Gariépy de nous sortir de notre banlieue mentale ! Souhaitons que Pierre, fils de Blanca et de Lomer, rédempte un futur aux relents apocalyptiques.
Blanca en sainte, Pierre Gariépy
Les éditions XYZ, collection « Romanichels »
Montréal, 2009, 138 pages
Critique de livres, romans, nouvelles, récits.
Écrire est un acte d'amour. S'il ne l'est pas, il n'est qu'écriture. Jean Cocteau
jeudi 3 décembre 2009
mercredi 25 novembre 2009
Des lieux trébuchants ***1/2
L'automne s'étirant entre soleil et pluie, on apprécie de travailler et de lire dans le confort de la maison. Par la fenêtre, on aperçoit les écureuils chahutant dans les feuilles mortes. Près de soi, les livres s'accumulent, on ne sait trop ce qu'ils renferment de mystère ou de rêve. Pour satisfaire notre curiosité et savourer la teneur d'un ouvrage, on s'est penchée sur le dernier recueil de nouvelles de Diane-Monique Daviau, Là, (petites détresses géographiques).
À quoi tient d'être présent dans un lieu particulier, seul ou avec une personne aimée ? On se dit que « là » s'avère un point cardinal potentiel, qui déterminera la suite d'une vie. Divers sentiments contradictoires, telles la tendresse et la révolte, occupent la majorité des nouvelles du recueil. On ne pourra toutes les noter, mais citons les textes, courts pour la plupart, qui nous ont fait réfléchir sur l'entièreté des émotions, rarement mitigées, des uns pour les autres. Dans Voir, une mère a perdu trois enfants. Un nombre incalculable de fois par nuit, elle se lève pour « voir » si son dernier-né respire toujours. Un petit miroir qu'elle tient devant sa bouche, s'embue du souffle de son fils. Adulte, il ne comprendra pas « pourquoi l'idée de fermer les yeux au creux d'un grand lit le remplit immédiatement d'angoisse [...] » Des voitures automobiles nous mettent en face de deux jeunes garçons mal aimés, livrés à eux-mêmes. Ils s'inventent un avenir où des voitures rutilantes auront une « vraie généalogie, une vraie famille, une vraie vie bien entourée [...] » Se dessinent aussi « oncle Volvo, tante Maybach, cousine Mazda, grand-mère Lincoln, mamie Mercedes... » L'insuffisance d'amour parental est compensé par le besoin de montrer qu'ils existent. Perdre le crayon, le cri de révolte d'une adolescente envers son père qui agit sous l'influence de sa mère. Plainte très brève mais combien saisissante. Le pire, l'existence gâchée d'un homme à cause d'un désir d'enfant non comblé, celui de « passer sa vie dans le monde de la peinture », un art qui le captive. Bien sûr, ses parents obtus ont refusé : un artiste, ce n'est pas sérieux... À quatorze ans, il a fait ses bagages, n'ayant derrière et devant lui que le vide. Il le recréera au trente-neuvième étage d'un édifice haut de gamme. Les années se succéderont à mesurer sa vacuité accablante malgré les femmes qu'il invite chez lui. Il est « riche à craquer » grâce à une idée ingénieuse de son cru pour détecter les faux tableaux. Une détresse incommensurable remplit cette nouvelle, l'une de nos préférées.
Perdu petit moleskine marine raconte l'histoire d'un homme affublé d'une tache de naissance. Il soigne des enfants atteints de cette anomalie mais ne prend pas le temps de soigner la sienne. Il refuse le compromis car, dit-il, « c'est elle qui m'a construit, c'est de là que je viens. » Son identité charnelle l'enfermant dans une sorte de déni, le contraindra à se dévouer à ceux et celles qui lui ressemblent... Le cherche-étoiles dépeint un autre homme jamais remis de l'indifférence de sa mère. Réclamant un baiser de sa part, elle le repousse et lui dit : « Laisse faire les cajoleries. C'est rien que du sentiment, ça. Tu cherches encore des étoiles, mon garçon. » Assoiffé d'amour maternel, il quête les étoiles malgré leur froideur à l'image de sa mère.
Nouvelles dérangeantes s'il en faut. Une fois au moins dans notre vie, nous avons dû affronter pareils manques, que ce soit quelque désamour ou inaccomplissement d'ordre professionnel. Combien d'entre nous ont dû batailler ferme pour traverser, sans trop se blesser, ce « là » trébuchant, lieu de frustration, de violence, de solitude. Les personnages de Diane-Monique Daviau se font ubiquistes pour sonder les failles menant là plutôt qu'ailleurs. Nous ne dirons jamais assez l'importance des lieux qui nous habitent, où nous nous sommes arrêtés avant de bifurquer vers une voie opposée à celle dont nous avions rêvé. Destin ou fatalité ? Sommes-nous censés répondre à des questions insolubles ?
Style concis, mots essentiels, toujours intrinsèques du drame intérieur minant hommes, femmes et enfants, victimes bien souvent involontaires d'événements affligeants, décisifs. Diane-Monique Daviau, dont on connaît l'ensemble de l'œuvre, nous offre l'un de ses livres les mieux accomplis. On y voit le parcours d'une écrivaine qui, depuis une quarantaine d'années, chemine généreusement dans le milieu littéraire, et dont le talent ne cesse de nous émouvoir, de nous ravir.
Là (petites détresses géographiques), Diane-Monique Daviau
Éditions Québec Amérique, Montréal, 2009, 160 pages
À quoi tient d'être présent dans un lieu particulier, seul ou avec une personne aimée ? On se dit que « là » s'avère un point cardinal potentiel, qui déterminera la suite d'une vie. Divers sentiments contradictoires, telles la tendresse et la révolte, occupent la majorité des nouvelles du recueil. On ne pourra toutes les noter, mais citons les textes, courts pour la plupart, qui nous ont fait réfléchir sur l'entièreté des émotions, rarement mitigées, des uns pour les autres. Dans Voir, une mère a perdu trois enfants. Un nombre incalculable de fois par nuit, elle se lève pour « voir » si son dernier-né respire toujours. Un petit miroir qu'elle tient devant sa bouche, s'embue du souffle de son fils. Adulte, il ne comprendra pas « pourquoi l'idée de fermer les yeux au creux d'un grand lit le remplit immédiatement d'angoisse [...] » Des voitures automobiles nous mettent en face de deux jeunes garçons mal aimés, livrés à eux-mêmes. Ils s'inventent un avenir où des voitures rutilantes auront une « vraie généalogie, une vraie famille, une vraie vie bien entourée [...] » Se dessinent aussi « oncle Volvo, tante Maybach, cousine Mazda, grand-mère Lincoln, mamie Mercedes... » L'insuffisance d'amour parental est compensé par le besoin de montrer qu'ils existent. Perdre le crayon, le cri de révolte d'une adolescente envers son père qui agit sous l'influence de sa mère. Plainte très brève mais combien saisissante. Le pire, l'existence gâchée d'un homme à cause d'un désir d'enfant non comblé, celui de « passer sa vie dans le monde de la peinture », un art qui le captive. Bien sûr, ses parents obtus ont refusé : un artiste, ce n'est pas sérieux... À quatorze ans, il a fait ses bagages, n'ayant derrière et devant lui que le vide. Il le recréera au trente-neuvième étage d'un édifice haut de gamme. Les années se succéderont à mesurer sa vacuité accablante malgré les femmes qu'il invite chez lui. Il est « riche à craquer » grâce à une idée ingénieuse de son cru pour détecter les faux tableaux. Une détresse incommensurable remplit cette nouvelle, l'une de nos préférées.
Perdu petit moleskine marine raconte l'histoire d'un homme affublé d'une tache de naissance. Il soigne des enfants atteints de cette anomalie mais ne prend pas le temps de soigner la sienne. Il refuse le compromis car, dit-il, « c'est elle qui m'a construit, c'est de là que je viens. » Son identité charnelle l'enfermant dans une sorte de déni, le contraindra à se dévouer à ceux et celles qui lui ressemblent... Le cherche-étoiles dépeint un autre homme jamais remis de l'indifférence de sa mère. Réclamant un baiser de sa part, elle le repousse et lui dit : « Laisse faire les cajoleries. C'est rien que du sentiment, ça. Tu cherches encore des étoiles, mon garçon. » Assoiffé d'amour maternel, il quête les étoiles malgré leur froideur à l'image de sa mère.
Nouvelles dérangeantes s'il en faut. Une fois au moins dans notre vie, nous avons dû affronter pareils manques, que ce soit quelque désamour ou inaccomplissement d'ordre professionnel. Combien d'entre nous ont dû batailler ferme pour traverser, sans trop se blesser, ce « là » trébuchant, lieu de frustration, de violence, de solitude. Les personnages de Diane-Monique Daviau se font ubiquistes pour sonder les failles menant là plutôt qu'ailleurs. Nous ne dirons jamais assez l'importance des lieux qui nous habitent, où nous nous sommes arrêtés avant de bifurquer vers une voie opposée à celle dont nous avions rêvé. Destin ou fatalité ? Sommes-nous censés répondre à des questions insolubles ?
Là (petites détresses géographiques), Diane-Monique Daviau
Éditions Québec Amérique, Montréal, 2009, 160 pages
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